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Читать книгу: «Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III», страница 3

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SUITE DE LA FRANCE GALANTE
OU
LES DERNIERS DÉRÉGLEMENTS DE LA COUR

AVERTISSEMENT55
DU LIBRAIRE AU LECTEUR.56

L'auteur de la suite de la France Galante a été si mal informé de ce qui s'est passé sur le sujet de Madame de Maintenon, que l'on peut dire que la plupart des choses, qu'il y a avancées n'ont été que pour grossir son historiette 57 . Il y a même mis plusieurs choses malhonnêtes et peu séantes à un auteur, qui doit être plus modeste, et qui doit savoir que son ouvrage sera lu par l'un et l'autre sexe. Aussi la plupart n'ont pas voulu le lire à cause des saletés qu'ils y ont trouvées, mais surtout les dames, dont quelques-unes se sont plaintes de ce que plusieurs auteurs, par leurs ordures 58 , les privoient de lire plusieurs petites histoires galantes de ce temps. C'est donc pour y remédier et satisfaire à leur curiosité que j'ai bien voulu, dans cette seconde édition, corriger toutes les périodes sales et les faussetés que j'ai remarquées dans l'autre édition, pour les accommoder au goût de toutes sortes de personnes. C'est, dis-je, pour leur faire plaisir que j'ai fait imprimer cette seconde édition, dans laquelle je me suis étudié à leur plaire. Si l'auteur de la première a tiré, comme il dit, de la cassette de madame de Maintenon tout ce qu'il a inséré dans son ouvrage, j'ose dire que c'est une fort vilaine cassette. Ainsi l'on pourra lire cette édition sans scrupule, et j'espère que l'on me saura bon gré de la peine que j'ai prise à faire ce retranchement, comme je ferai encore à l'avenir, en tout ce qui passera de tel par mes mains. Adieu.

SUITE DE LA FRANCE GALANTE
OU
LES DERNIERS DÉRÉGLEMENTS DE LA COUR

Entre tous les effets que l'amour a produits59, il ne s'en trouve point de plus surprenant que celui qui joint le sceptre à la houlette, et qui rend par ses effets les conditions les plus éloignées tellement unies ensemble que les deux parties en oublient ce qu'ils ont été et ce qu'ils se doivent. Plusieurs exemples nous ont appris cette vérité; mais nous n'en avons aucune qui nous en marque plus la netteté et qui soit plus connue dans nos jours que celle que nous décrivons.

Personne n'ignore60 dans notre France que madame de Maintenon naquit dans l'Amérique61; que son père62, qui se nommoit d'Aubigné, étoit d'une famille noble et assez connue dans le royaume, et surtout du temps de Henri IV. Il se sauva de France par une aventure assez particulière: car, ayant eu quelques affaires, il fut arrêté et mis prisonnier en Guienne63; mais, après y avoir demeuré quelque temps, et ne voyant pas de jour d'en sortir, il s'avisa de cajoler la fille du geôlier, et lui promit de l'épouser si elle vouloit faciliter son évasion64. Cette fille, plus amoureuse que fidèle à son père, écouta les propositions du galant prisonnier, et sut si bien prendre son temps qu'un dimanche, pendant que ses parents étoient à la messe, elle se sauva avec lui, et ils trouvèrent tous deux le moyen de s'embarquer pour la Martinique65, où d'Aubigné lui tint parole et l'épousa d'abord qu'ils y furent arrivés66. Pour tâcher d'y pouvoir subsister, il prit des terres pour un plantage, suivant la coutume de ce pays-là; et de ce mariage naquit la dame de Maintenon, si connue dans le monde, et qui fait aujourd'hui tant de bruit à la cour de France. Cependant, soit qu'elle eût perdu son père et sa mère en bas âge, ou que sa marraine67, qui n'avoit pas d'enfants68, la prît en amitié, cette dame charitable69 la retira chez elle à l'âge de trois ans et en prit soin comme de sa fille; et, comme elle étoit jolie et agréable, elle l'éleva chez elle, ensuite de quoi elle l'amena en France70, où, après un assez long et pénible voyage, à cause des mauvais temps de la saison, ils arrivèrent heureusement et vinrent débarquer à la Rochelle71; et après quelque séjour elles prirent leur route pour le bas Poitou, où elles demeurèrent quelque temps sans revers de fortune72. Le premier73 qui arriva à notre héroïne fut la mort inopinée de sa marraine. En ce temps elle étoit environ dans la quinzième année de son âge. Cette mort la toucha sensiblement, et elle se souhaitoit cent fois dans l'Amérique; et il est à croire qu'elle en eût été inconsolable, si un villageois, voisin du lieu où elle demeuroit, n'eût tâché par ses compliments de lui persuader qu'elle pourroit trouver en lui ce qu'elle avoit perdu dans sa marraine74. Il avoit assez de bien pour un homme de sa qualité, mais il étoit mal bâti et incapable de donner de l'amour à une jeune fille; à cela près, dis-je, on ne pouvoit trouver dans tout le village un homme qui le pût surpasser. Il avoit autant d'esprit qu'il en faut pour le négoce qu'il faisoit.

Longtemps avant la mort de la marraine de notre héroïne, il avoit un certain penchant pour elle qui ne peut s'exprimer, car il sentoit un petit je ne sais quoi qu'il n'osoit découvrir. Sans doute le respect de madame de…75, marraine de la Maintenon, l'en empêchoit; mais, dès qu'elle fut morte, il chercha tous les moyens du monde pour l'accoster; il ne se chantoit point de grand'messe qu'il n'y fût, point d'assemblée dans le village qu'il n'y eût part. Et s'il arrivoit une foire de conséquence, il n'y avoit aucune sorte de rubans qu'il n'achetât pour lui en faire présent, pour par là tâcher de gagner ses bonnes grâces. Mais il n'avançoit pas beaucoup dans ce langage muet, et on peut dire que toutes ses assiduités eussent été de nul effet s'il n'eût trouvé l'occasion de l'aborder un jour qu'elle puisoit de l'eau. «Voulez-vous que je vous aide? dit-il. – Hélas! reprit-elle, vous m'obligerez.» Il se mit en devoir, et par excès de civilité il porta ses cruches jusqu'à sa chambre, où, se trouvant seul avec elle, il lui dit: «N'est-il pas vrai que vous avez bien du chagrin de la mort de votre marraine? C'étoit une bonne femme, qui avoit bien du soin de vous, et qui n'auroit pas manqué à vous donner quelque petite chose pour avoir un bon laboureur du village; mais, poursuivit-il encore, quoiqu'elle ne vous ait rien laissé, j'ai assez d'amitié pour vous donner la moitié de ce que j'ai si vous voulez être ma femme; vous serez maîtresse avec moi, et rien ne vous manquera. – Donnez-moi, répondit-elle, un peu de temps pour y songer, et demain, auprès de notre grange, je vous rendrai réponse.» Notre Esope amoureux fut fort satisfait de cette visite, et après avoir folâtré quelque peu, il se retira, en attendant le jour suivant pour sa réponse, lequel ne fut pas plus tôt venu, et l'heure assignée, qu'il se trouva au lieu. De si loin qu'il la vit: «Eh bien! serez-vous ma femme? dit-il. – Je ne sais, dit-elle; je n'aurois pas beaucoup de répugnance à l'être, mais je n'ai pas encore grande amitié pour vous; il faut espérer que le temps amènera toutes choses. – Ah! ma chère Guillemette76, dit-il, que je t'aime! Je te ferai tant de bien et de si beaux présents que tu seras comme forcée d'avoir de l'amour pour moi.»

En effet, il n'alloit en aucun des marchés voisins qu'il ne lui apportât quelques gâteaux ou fouaces, des aiguilles, des épingles, des jambettes77, et quantité d'autres raretés de cette nature. Elle, qui voyoit avec quel zèle, quelle affection, il agissoit pour son service, commença à avoir de l'amitié pour lui. Elle se voyoit sans père, mère, parents ni amis, dénuée de biens, comme étrangère dans un pays; et, d'un autre côté, elle voyoit un bon laboureur qui la recherchoit et qui l'aimoit. Il étoit un peu mal fait, mais enfin ce n'auroit pas été le premier mariage que la nécessité auroit fait: car, lorsqu'on se voit tomber dans un précipice, on s'attache à la première chose qu'on rencontre pour éviter sa perte. Elle lui témoigna donc beaucoup plus d'amitié qu'à l'ordinaire, et sans doute que leur mariage eût réussi si une dame d'un château voisin n'eût eu compassion de sa jeunesse et de l'embarras où elle se mettoit en épousant ce villageois; et, ayant trouvé en elle un esprit capable d'être amené à quelque chose, elle la prit chez elle, où elle servit de fille de chambre. Là, elle oublia tout à fait son pauvre village, et commença à s'éclaircir un peu l'esprit à la mode de la noblesse. Son pauvre amant fut au désespoir de la perte qu'il faisoit; il auroit bien été jusque dans le château pour la voir, mais on l'avoit averti de n'en point approcher s'il ne vouloit en remporter une charge de bois, si bien qu'il étoit dans les plus grands chagrins du monde. Néanmoins il avoit toujours quelque espérance de lui parler, et, sachant qu'elle devoit, à quelques jours de là, aller seule faire ses dévotions dans l'église de la paroisse, il prit la résolution de lui parler; pour cet effet, il s'y rendit de grand matin, crainte de la manquer. Lorsqu'elle voulut entrer dans l'église, il s'avança pour lui parler; mais elle, qui se sentoit le cœur relevé par les habits qu'elle portoit, et auxquels elle n'étoit pas accoutumée, le rebuta et ne le voulut du tout point écouter. Peu s'en fallut qu'il ne perdît tout à fait le respect dans ce lieu saint et qu'il ne l'accablât d'injures; mais, sa raison se trouvant plus forte que sa passion, il attendit à la fin de l'office, et, lorsqu'elle sortit, il l'accabla, en la suivant, des plus sanglantes injures; il lui reprocha mille fois jusqu'à la dernière bagatelle qu'il lui avoit donnée; quelquefois il juroit, d'autre part il la supplioit de n'oublier point l'amour ardent qu'il lui avoit témoigné. Enfin il fit cent postures par lesquelles il n'avança rien, car elle poursuivoit toujours son chemin sans le vouloir écouter ni même le regarder, ce qui le pénétra tellement de douleur qu'il fut le jour même saisi d'une grosse fièvre qui en peu l'emporta du monde. Elle ne laissa pas d'en avoir un peu de chagrin, mais si peu que deux heures de temps le firent oublier pour jamais. Elle demeura bien quelque temps dans cette manière de vivre médiocre, et sans doute elle y eût passé sa vie si le marquis de Chevreuse78 n'eût trouvé des charmes en elle. Il la vit la première fois avec cette dame, et, ayant su son extraction, il médita de s'en faire une conquête. Pour cet effet, il l'attaqua par tous les endroits qu'il crut la pouvoir mieux vaincre, mais inutilement: elle étoit avec une personne vertueuse, qui avoit incessamment l'œil sur elle, et qui l'avoit instruite dans la voie d'honneur, si elle y eût voulu rester. M. de Chevreuse, qui avoit vu la cour, ne s'étonnoit pas de ses refus; il continuoit toujours dans sa poursuite, et ne désespéra point de venir à son but. Un jour que sa dame étoit à recevoir visite, et qu'elle étoit, contre son ordinaire, seule dans la chambre, il l'aborda avec de grandes civilités: «Eh bien, Mademoiselle, lui dit-il, avez-vous juré de m'être toujours cruelle, et ne voulez-vous point correspondre à la plus forte passion du monde? Je vous aime, Mademoiselle, je vous l'ai dit diverses fois de bouche, et mes yeux vous le disent à tous moments; cependant vous ne voulez pas me souffrir, et il semble que toute votre tâche n'est qu'à me faire souffrir mille martyres par le mépris que vous faites de mon amour et par l'indifférence avec laquelle vous recevez mes protestations. – Je n'ai, Monsieur, lui répondit-elle froidement, ni rigueurs ni douceurs à votre égard; je me connois, et il me suffit d'avoir pour vous le respect qui est dû à votre rang, sans envisager autre chose.» En finissant, elle sortit brusquement de la chambre et se rangea avec ses compagnes, sans qu'il pût l'obliger à rester, quelque prière qu'il fît. Néanmoins il ne laissoit point passer d'occasion sans lui parler de son amour, et il croyoit remarquer quelque avance dans ses affaires, lorsqu'il fut obligé d'aller prendre possession d'une terre peu éloignée, qu'une tante lui venoit de laisser par sa mort. Avant de sortir de la province, il voulut lui dire adieu; mais il ne la put trouver en particulier, parce qu'elle étoit occupée auprès de sa dame, qui se trouvoit mal; il résolut pourtant de lui écrire, ce qu'il fit incontinent qu'il fut arrivé au lieu où il devoit être, et, pour lui faire tenir sa lettre avec sûreté, il fit partir un de ses gens pour visiter de sa part la dame chez qui elle étoit, avec ordre de lui rendre à elle-même la lettre, ce qu'il fit. D'abord qu'elle l'eut reçue, elle ne savoit si elle la porteroit à sa maîtresse ou si elle la liroit. Son esprit demeura ainsi quelque temps en suspens; mais enfin la curiosité l'emporta, et elle l'ouvrit et y lut ces mots:

Mademoiselle,

Après vous avoir souventes fois dit de bouche que je vous aime plus que moi-même, je prends la liberté de vous en assurer plus certainement, et en même temps vous protester que je vous aimerai toujours nonobstant votre indifférence. J'ai un chagrin cuisant de n'avoir pas pu prendre congé de vous avant mon départ; j'en ai cherché avec soin toutes les occasions; mais, cruelle, vos rigueurs et mon amour ne suffisoient pas pour me tourmenter, vous avez encore affecté d'éviter ma rencontre, parce que vous pouviez bien préjuger que par un moment de votre charmante conversation j'aurois adouci les maux que votre absence me cause. Quittez, Mademoiselle, toutes ces rigueurs, si contraires aux belles âmes comme la vôtre, et, en considerant la force de mon amour, agissez en généreuse, et rendez cœur pour cœur. Le mien est vôtre; il ne souffrira jamais d'autre image que celle de votre charmante personne, et jamais il ne sera partagé. Donnez-moi donc une petite place dans le vôtre; c'est l'unique chose que je demande au monde, et pour laquelle j'abandonnerois volontiers mes biens et mes dignités. Correspondez donc à mon amour, Mademoiselle, et ne soyez pas seulement maîtresse absolue de mon cœur, mais encore de mes biens. Le porteur prendra votre réponse; je vous supplie, ne me la deniez pas, non plus que ce que je vous demande, sans quoi vous réduirez au désespoir un homme qui n'a de vie que pour vous aimer et de biens que pour vous servir.

De Chevreuse.

Elle demeura toute déconcertée à la lecture de cette lettre, et ne savoit si elle y devoit répondre ou non; à la fin, elle se détermina de ne point faire de réponse, et même d'éviter la rencontre du messager, ce qu'elle fit en se rendant auprès de ses compagnes, où elle fut jusqu'à son départ; après quoi elle fut se promener seule auprès d'un petit bois joignant la maison, où elle ne fut pas plus tôt que la démangeaison de revoir cette lettre la reprit. D'abord elle se fit un peu de violence pour martyriser sa passion; mais la curiosité annexée au sexe l'emporta: elle lut et relut la lettre. D'abord il lui sembloit que ce n'étoit que divertissement, et que cent lettres n'auroient pas d'empire sur son cœur; après elle se plaisoit à la lire et trouvoit un certain charme qui attachoit ses yeux comme par violence, et enfin elle commença d'y faire réflexion; elle la lut avec beaucoup d'attention et la trouvoit charmante. «Quoi! disoit-elle, un marquis amoureux de moi, mais amoureux passionné, qui m'offre son cœur et ses biens, et je le dédaignerois! Non, je commence de voir ma faute, je veux l'aimer; il me fera grande dame, et, au lieu que je suis ici servante des autres, j'en aurai qui me serviront; je relèverai par-là l'obscurité de ma naissance. Mais, disoit-elle en se reprenant elle-même, tu connois qui tu es, et s'il t'aime ce n'est que pour ravir ce que tu as de plus cher au monde, après quoi il ne voudra pas te regarder; alors tu seras abandonnée et sans appui. Non, ne l'aimons point, et conservons notre honneur.»

Flottant ainsi entre ces deux passions, elle laissa tomber sa lettre et l'oublia sans s'en apercevoir. Elle poursuivit la promenade, quand une vieille servante du logis avec qui elle étoit intime arriva. Elle marchoit si doucement que Guillemette ne la put voir que lorsqu'elle étoit déjà contre elle, et après qu'elle eut amassé la lettre, laquelle elle cacha soigneusement, se doutant bien qu'il y avoit quelque mystère de caché. Elle l'aborda donc et tâcha de la tirer de sa rêverie. «Je ne vous ai jamais vue de telle humeur, lui dit-elle, et sans doute il y a quelque chose d'extraordinaire qui vous la cause; ne me cachez rien de vos affaires, et, si je puis y apporter du soulagement, soyez persuadée que je n'y épargnerai rien.» Elle lui dit encore quantité de choses, mais le tout sans pouvoir tirer aucune réponse positive. Elle ne l'importuna pas davantage, se doutant bien qu'elle découvriroit quelque chose par la lettre. En effet, elles ne furent pas plus tôt à leur appartement que la vieille, fermant la porte sur soi, en fit la lecture, par laquelle elle fut à plein éclaircie de la cause du changement de Guillemette. Néanmoins elle eut du chagrin de ne pouvoir savoir comment le marquis étoit avec elle et quel effet avoit produit cette lettre. Elle jugea bien que Guillemette ne lui découvriroit pas ce secret; ainsi elle résolut d'attendre le retour de monsieur le marquis, afin d'en pouvoir savoir quelque chose de lui; et, comme elle savoit par expérience que les amants sont souvent libéraux, elle ne se promit pas une petite fortune si elle pouvoit lui être utile dans ce commerce.

Dans ce temps, la pauvre Guillemette avoit l'esprit accablé de mille différentes pensées. Elle voulut relire encore cette lettre, et la chercha pour cet effet dans sa poche. Rien ne sauroit décrire son étonnement lorsqu'elle ne la trouva pas. Elle courut d'abord au lieu où elle l'avoit lue pour la seconde fois, mais elle ne s'y rencontra point. Ce fut alors qu'elle ne douta plus d'être entièrement perdue dans l'esprit de sa dame; mille pensées différentes déchiroient son âme, et elle déchut en peu de jours de l'embonpoint où elle étoit auparavant. Sa dame, qui l'aimoit, en voulut savoir la raison; elle lui supposa quelque incommodité, et ne lui dit jamais la véritable. Il n'y avoit que notre vieille Agnès qui en savoit la cause; elle voulut aussi y apporter le remède, et, s'étant transportée dans la chambre de la malade: «Eh bien! Guillemette, lui dit-elle, vous ne m'avez pas voulu dire l'autre jour, auprès du bois, le sujet de votre chagrin, et je crois que jamais je ne l'eusse su si le hasard ne me l'eût appris en me faisant trouver cette lettre, qui m'a éclaircie de tout. Il n'y a qu'elle qui cause votre chagrin, mais elle a été en de bonnes mains; la voilà que je vous remets; personne ne l'a vue que moi. Je vous ai toujours été affectionnée, et je vous la serai toujours; mais, pour correspondre à mon amitié, il me faut faire votre confidente et ne me rien cacher de vos intrigues.» Guillemette prit cette lettre avec joie, et elle ne contribua pas peu à la remettre, puisque son changement ne provenoit que de l'appréhension que sa dame n'eût vu la lettre; ensuite elle remercia Agnès et lui fit une entière confidence de toutes choses. La vieille ne contredisoit à rien; au contraire, elle tomboit entièrement dans ses sentiments, pour après en faire son profit, ainsi qu'elle se le proposoit.

Cependant M. de Chevreuse étoit au désespoir de n'avoir point de réponse: il se résolut de lui écrire une deuxième fois, et, si sa lettre ne faisoit pas plus d'effet, d'abandonner tout et d'aller lui-même travailler à cette conquête. Il prit donc la plume en main et traça ce sonnet, qu'il enferma dans le billet suivant:

Billet de M. De Chevreuse
a Guillemette

C'en est fait, Mademoiselle, et vous avez juré ma mort; vous serez bientôt satisfaite: car, depuis que je suis absent de vous, mon adorable, je ne puis avoir un moment de relâche à mes maux. Encore si tout au moins vous les allégiez par un mot de votre adorable main, j'aurois la consolation d'être dans votre souvenir: faites-le donc, je vous supplie, et, si vous ne daignez pas répondre à ma prose, du moins répondez aux vers que vous envoie le plus passionné et le plus sincère de tous les amants,

De Chevreuse.
Sonnet à mon adorable Guillemette
 
Beauté dont les attraits ont captivé mon âme,
Beaux yeux qui m'ont percé d'un des traits de l'amour,
Que je serai heureux si je puis voir le jour
Auquel vous donnerez de l'espoir à ma flamme!
 
 
Depuis que je vous vis je n'ai point de repos,
Jour et nuit je souffre martyre;
Au lieu que ci-devant je ne faisois que rire,
J'ai peine à prononcer deux mots.
 
 
Soulagez mon tourment, allégez mes douleurs,
Faites par un aveu dessécher tous mes pleurs,
Et me rendez par là ma liberté nouvelle.
 
 
Donnez donc votre arrêt en juge de mon sort,
Et qu'un oui ou un non soit ma vie ou ma mort
Et prononcez en douce, et non pas en cruelle.
 

Il donna ceci ensuite à un autre valet, espérant qu'il s'acquitteroit mieux de sa commission que le précédent. Il arriva à leur château, et, après s'être acquitté de quelques légères commissions dont il étoit chargé, il épia le temps de trouver Guillemette seule, et il eut le bonheur de la rencontrer ainsi dans les parterres. Il s'en approcha, et, d'abord l'ayant saluée avec une apparence de profond respect, il lui dit qu'il avoit ordre d'attendre la réponse. Elle connoissoit ses livrées, et ce fut ce qui lui fit penser si elle recevroit la lettre ou non; mais le porteur la sut si adroitement persuader qu'il l'obligea de la prendre. Toute la réponse néanmoins qu'il put tirer d'elle fut qu'il n'en auroit point. Ainsi, lassé d'attendre, il fut obligé de se retirer et de s'en retourner auprès de son maître, qui ne sut pas plus tôt le succès de sa seconde lettre qu'il mit au plus tôt ordre aux plus pressantes de ses affaires, et se prépara pour partir le lendemain de grand matin, comme en effet il partit, et arriva au logis de cette dame.

D'abord il lui fut rendre ses devoirs, et n'y resta pas longtemps, dans l'impatience où il étoit de parler à sa chère Guillemette, qui prenoit autant de peine à l'éviter qu'il en prenoit à la chercher. Elle réussit pour cette fois, car elle fit toujours en sorte d'être auprès de sa dame. Le marquis en étoit au désespoir et faisoit bien remarquer son impatience; néanmoins, pour la cacher le plus qu'il lui étoit possible, il visita toutes les filles de madame; entre autres, en passant devant la chambre de la vieille Agnès, il la salua, et, comme ils se connoissoient de longue main, elle le pria d'entrer; d'abord elle le fit seoir, et débuta son discours ainsi: «Je ne sais, Monsieur, quelle mélancolie s'est depuis peu emparée de votre esprit. Je ne vous vois plus cette belle humeur toujours gaillarde que vous aviez accoutumé d'avoir; au contraire, on ne vous voit que penser, soupirer, et toujours les yeux attachés sur terre. Hé! de grâce, d'où procède ce changement? Çà, Monsieur le marquis, point de déguisement: Guillemette vous en a donné. Ne cachez rien, et soyez persuadé que j'ai assez de compassion de votre état et assez d'amitié pour vous pour entreprendre quelque chose pour votre service; dites-moi seulement les progrès que vous avez faits sur son cœur et en quel état vous êtes. – Puisqu'il te faut donc tout dire, ma chère Agnès, répondit-il, tu sauras qu'elle s'est jusqu'à présent moquée de moi, et qu'elle me fuit tout ainsi que si j'avois le mal pestilentieux. Je ne t'en puis dire davantage; tâche à me faire contenter, et, outre une bonne récompense que je te donnerai, voici dix louis que je te prie d'accepter.» Elle fit un peu de cérémonie pour les prendre; mais enfin elle se laissa vaincre et lui promit de s'y employer d'une manière dont il auroit sujet de se louer.

Guillemette, d'ailleurs, qui ne se méfioit de rien, après avoir lu sa lettre, chercha une occasion favorable pour la communiquer à sa confidente Agnès, suivant sa promesse. Elle la trouva qui venoit de conduire le marquis. D'abord elle lui montra la lettre, et lui demanda ce qu'elle en pensoit. «En vérité, mon enfant, dit-elle, j'ai du déplaisir de n'être pas jeune, et propre à plaire: un amant si sincère ne se tireroit pas de mes filets, et Dieu sait comme je ménagerois cette fortune. Je te donne en amie le même conseil; fais ton profit de cette affaire, et ne le rebute point tant: car il pourroit s'attacher à quelque autre, qui prendroit d'abord l'occasion aux cheveux.» En un mot, elle lui allégua tant de raisons, et la sut si bien persuader, qu'elle promit à l'avenir de correspondre aux avances du marquis. Notre vieille ne fut jamais plus aise; elle lui écrivit d'abord l'état où étoient les choses; ce qu'il n'eut pas plus tôt appris qu'il se prépara à donner une visite à sa malade, à laquelle ayant rendu ses respects, il sortit pour se promener dans le jardin, où il rencontra d'abord notre vieille Agnès, qui lui fit un récit fort ample de ce qui s'étoit passé, et lui apprit en même temps qu'il pourroit voir Guillemette, d'autant qu'elle étoit seule dans sa chambre. Il y courut d'abord, et la trouva en effet occupée à travailler à son linge. «Enfin, Mademoiselle, je me puis compter le plus heureux des hommes, puisque j'ai, dit-il, un moment pour vous expliquer les véritables sentiments de mon cœur: ils sont sincères et purs, Mademoiselle; je vous aime, je vous adore; correspondez à mon amour. Hé quoi! continuoit-il, vous ne me répondez rien! Voulez-vous me réduire au désespoir?» A tout cela elle ne répondit que par des soupirs, qui firent comprendre au marquis que les soins d'Agnès avoient beaucoup opéré. Il ne se contenta néanmoins pas de ce langage muet; mais par toutes sortes de raisons il la conjura, il la pria de se déclarer, et fit tant enfin qu'il tira cet aveu de sa bouche, qu'il n'étoit point haï. Il en voulut être assuré par un baiser, mais elle ne voulut pas le lui permettre si tôt. En le lui refusant, elle ne lui ôtoit néanmoins pas l'espérance de l'obtenir à l'avenir; mais lui, extrêmement passionné, ne pouvant avoir ce petit soulagement à son feu, pensa tomber en foiblesse, et il seroit sans doute tombé s'il n'y eût eu un fauteuil proche de lui qui le soutint. Il en fut quitte pour une petite pâmoison, de laquelle il ne fut pas plustôt revenu que, la regardant d'un œil languissant, il lui adressa ce sonnet:

 
Ha mon Dieu! je me meurs! il ne faut plus attendre
De remède à ma mort, si tout soudainement,
Guillemette, je n'ai un baiser seulement,
Un baiser, qui pourra de la mort me défendre.
 
 
Hélas! je n'en puis plus, mon cœur; je vais le prendre.
Mais non, car je crains trop ton courroux véhément.
Hé! me faudra-t-il donc mourir cruellement,
Près de la guérison, qu'un baiser me peut rendre?
 
 
Hélas! je crains mon mal en pourchassant mon bien.
Le dois-je prendre ou non? Hélas! je n'en sai rien!
Mille débats confus agitent ma pensée.
 
 
Si je retarde plus, j'avance mon trépas.
Je le prendrai. Mais non, je ne le prendrai pas;
Car j'aime mieux mourir que te voir courroucée.
 

Cette agitation et cette manière respectueuse du marquis achevèrent de faire brèche au cœur de la pauvre Guillemette; elle ne lui en fit pourtant rien remarquer, et ne lui donna que l'aveu qu'elle lui avoit déjà fait savoir, qu'il ne lui étoit pas indifférent.

Notre marquis fut rendre compte à Agnès de l'issue de son voyage, et visitoit sa Guillemette le plus qu'il lui étoit possible. Il gagna tant qu'à la fin elle lui avoua qu'elle l'aimoit; il ne s'en voulut pas tenir là, il la conjura de répondre à son amour. Agnès, d'autre côté, la poussoit à ne se point ménager envers le marquis et à avoir soin de sa fortune. Ils surent en un mot si bien la persuader l'un et l'autre, qu'elle lui donna rendez-vous à la nuit prochaine dans sa chambre, où ils parleroient de leurs affaires. Mais le malheur voulut qu'une dame de qualité du voisinage ayant perdu par la mort deux de ses filles de service, et sachant que dans la maison où étoit Guillemette il y en avoit plusieurs, elle envoya supplier la dame de lui en envoyer une. Cette dame, qui avoit soupçon de l'intelligence du marquis avec Guillemette, eut de la joie d'avoir trouvé cette occasion pour s'en défaire, et d'autant plus qu'elle savoit que, par une haine invétérée entre le marquis et cette maison, il n'oseroit y fréquenter. Elle ordonna donc à notre amante et à une autre de ses filles de se préparer pour partir le lendemain, et commanda à Guillemette de venir ce soir-là pour la dernière fois coucher dans sa chambre, et qu'elle avoit des avis d'importance à lui donner sur sa conduite à venir. Jamais un coup mortel ne causa plus d'étonnement; ces paroles furent une foudre, ou comme la tête de Meduse, car elle en pensa être changée en pierre. Sa dame, qui s'aperçut du désordre où elle étoit, en voulut savoir la cause. Elle n'eut pas de peine à lui inventer une fourbe, la conjoncture présente lui en fournissoit le moyen; et, pour mieux donner la couleur à son jeu, elle répandit quelques larmes, après quoi elle lui parla en ces termes: «Sans doute, Madame, que mon déplaisir vous est bien connu; mais, puisque vous le voulez encore savoir de ma bouche, je n'ai rien à y contredire. Ainsi, Madame, je crois qu'il ne vous semblera pas étrange qu'après avoir tant reçu de grâces et de bienfaits de vos mains libérales, je n'aie un sensible regret de vous quitter, après la résolution que j'avois faite de vous servir toute ma vie et de correspondre par mes soins à toutes vos bontés. Le seul déplaisir de m'en voir frustrée occupe tellement mon esprit, qu'il m'est impossible de songer à autre chose, et, bien que vos commandements m'aient toujours servi de loi, cependant je n'obéirai à celui-ci que par une grande répugnance. Si mes prières et mes supplications vous pouvoient fléchir à le révoquer! – Je vous éloigne de moi pour votre bien, lui répondit brusquement sa dame; cela n'est pas pour toujours; suivant la manière dont vous agirez, je saurai aussi agir. Allez seulement vous préparer à m'obéir.» Elle sortit et courut d'abord avertir Agnès de l'ordre fatal qu'elle avoit reçu, et lui enjoignit de dire au marquis qu'elle conserveroit toujours pour lui la même amitié, moyennant qu'il n'entreprît rien sur leur chemin: «car, disoit-elle, cela feroit grand bruit et découvriroit toute l'affaire, laquelle je veux tenir autant secrète qu'il m'est possible.» Agnès eut du regret de ce contre-coup, car elle ne fondoit pas une petite espérance sur le succès de ses intrigues. Néanmoins elle lui promit tout ce qu'elle voulut, et courut promptement pour en avertir le marquis, qui déjà goûtoit mille plaisirs en idée. Il tomba dans la plus grande consternation du monde. Cependant il n'y avoit point de remède, et il s'en falloit consoler. Comme la nuit approchoit, il ne jugea pas à propos de partir que le lendemain, afin de ne point donner de soupçon, et aussi pour trouver le moyen de lui parler avant son départ.

55.Deux éditions de ce pamphlet ont paru: l'une reproduite par l'édition de 1754 et les éditions modernes, l'autre par l'édition de 1740. Toutes deux sont également fausses, et, à ce titre, la plus courte nous a paru la meilleure. Toutefois, nous reproduisons en note les passages de la première supprimés dans la seconde.
56.Var. I.
AU LECTEUR  L'amour et la fortune ont des effets si bizarres et si surprenants que l'esprit de l'homme, qui s'accoutume à penser à toutes choses, n'y sauroit penser sans étonnement. On n'y voit pas seulement les plus viles et les plus abjectes créatures élevées jusques au faîte de la gloire et de la grandeur, mais encore les plus hautes et les plus agréables renversées par le caprice de ces brutales passions et de ces chimériques effets de l'imagination que les hommes encensent comme des divinités; et la nature n'a jamais tant eu de diversités dans ses productions que l'amour et la fortune en ont dans leurs adorateurs et dans leurs esclaves. L'histoire que nous entreprenons d'écrire nous marquera cette vérité. Madame de Maintenon en sera l'héroïne. Elle en est aussi la preuve la plus surprenante et la plus agréable, comme la suite le pourra faire voir; heureuse elle-même, si dans la vie on peut réputer pour bonheur la prospérité dont elle jouit. Au reste, je veux bien avertir le lecteur que, quoique diverses personnes aient écrit sur de semblables matières et n'aient fait que de purs romans, au moins ce que j'écris est une vérité essentielle, car les Mémoires d'où ceci est tiré sont sortis de la cassette de madame de Maintenon. Ils sont en partie écrits de sa propre main, et nous les avons recouvrés d'une demoiselle qui l'a servie pendant un assez long temps. C'est donc d'elle que nous tenons ce que nous allons vous exposer. Je souhaite qu'il vous satisfasse autant qu'il m'a satisfait dans la peine que j'ai prise à rassembler les Mémoires que je vous donne; et s'il y a quelque chose de ridicule, n'en accusez que les originaux, et non la copie. Adieu.
57.L'auteur de cette préface a voulu faire son texte meilleur qu'il n'est. A quelques suppressions près, les deux textes sont, en général, également erronés.
58.Le libraire calomnie l'édition rivale pour assurer le débit de la sienne. Ni dans l'une ni dans l'autre on ne trouve un style ordurier.
59.Var. II. La première édition a fait précéder ce début du passage qui suit:
  «On a dit depuis longtemps, et l'expérience de tous les jours le confirme, qu'en matière d'amour les apprentis en savent plus que les maîtres. C'est pour cela peut-être que les poëtes le représentent toujours comme un enfant et jamais comme un vieillard. On peut dire que ses coups d'essai sont toujours des coups de maître, et des coups même qui surpassent tous les autres qu'il peut faire dans la suite. J'en prends à témoin tous ceux qui sont entrés la première fois dans la cité d'amour, et même tous nos jeunes mariés. C'est ordinairement la première nuit des noces qu'ils se montrent de vaillants champions, après quoi ils vont toujours en empirant. Enfin, il en est de l'amour tout le contraire des autres choses: le forgeron, dit-on, se fait en forgeant; un avocat doit avoir plaidé plusieurs fois ayant que de se rendre habile dans sa profession; un médecin ne devient expert qu'après avoir fait l'essai de ses remèdes sur le corps d'un grand nombre de malades qu'il a envoyés en l'autre monde; et le métier pénible de la guerre ne se peut apprendre qu'après une longue suite de campagnes. Il en est de même de toutes les autres choses, à la réserve des mystères d'amour: ceux qui y sont initiés savent qu'on préfère toujours un novice à un vieux routier. Mais il faut excepter Louis-le-Grand de cette règle générale. Ce prince, qui depuis l'âge de quinze ans a fait de l'amour ses plus chères délices, y trouve tous les jours de nouveaux raffinements, et fait goûter à ses dernières maîtresses des douceurs qui avoient été inconnues à toutes les autres. Madame de Maintenon, qui est celle qui va faire le sujet de cette histoire, et qui occupe aujourd'hui la place que les La Vallière, les Montespan et les Fontange avoient si dignement remplie, pourroit nous en dire des nouvelles. Aussi l'on dit que la première fois que le Roi la vit pour lui offrir son cœur, il s'y prit d'une manière qui surprit agréablement cette dame, et qui confirme la vérité de ce que je viens d'annoncer à la gloire de ce monarque. Comme il savoit que la Maintenon avoit elle seule autant d'esprit que toutes les femmes ensemble, et un goût exquis sur toutes choses qui la met au-dessus des esprits du premier ordre, il crut qu'il devoit rappeler tous ses feux et tout ce qu'une longue expérience lui avoit appris en amour, pour en faire un sacrifice à sa nouvelle maîtresse, et lui fit la déclaration suivante:
Iris, je vous présente un cœurQui connoît de l'amour et le fin et le tendre,Et qui s'est souvent laissé prendre,Dans l'unique dessein d'apprendreEt de vous faire plus d'honneur.Pour savoir de l'amour les tours et les souplesses,Les raffinements, les tendresses,Il en a senti tous les coups.Il a fait dans cet art un long apprentissage,Pour être plus savant, plus discret et plus sage,En un mot, plus digne de vous.Il veut, à présent qu'il est maître,Aimer le seul objet qui mérite de l'être.Iris, ne le refusez pas:Vous pouvez l'accepter sans honte,Puisqu'en amour il n'a point fait de pasQue vous ne puissiez bien mettre sur votre compte.  Mais avant que de venir à l'histoire de leurs amours, il faut prendre les choses dans leur source et parler premièrement de la naissance de madame de Maintenon, de son éducation et de ses premières aventures, qui l'ont conduite, comme par degrés, à ce rang éminent qu'elle tient aujourd'hui à la Cour de France.
60.Var. III: Madame de Maintenon s'appelle Françoise d'Aubigné; elle est demoiselle, et M. d'Aubigné, son grand-père, étoit homme de mérite et de considération. Il étoit de la religion protestante, et son corps est enterré dans l'église de Saint-Pierre à Genève. Le père de notre héroïne étoit fils de cet illustre d'Aubigné. Dans sa jeunesse il eut le malheur de tomber entre les mains de la justice, et il en auroit éprouvé les rigueurs si la fille du concierge, touchée de son mérite et de son malheur, ne se fût déterminée à lui procurer la liberté. Cette fille étoit fort aimable et fort généreuse. M. d'Aubigné, qui connoissoit son bon cœur et le besoin qu'il avoit de la ménager, prenoit grand soin de lui plaire; et quand il crut pouvoir compter sur sa tendresse, il lui offrit une vie qu'il ne pouvoit conserver que par son moyen, et lui jura que c'étoit l'espérance de la passer avec elle qui la lui faisoit souhaiter. La belle, attendrie par un discours si obligeant, s'assura par des serments de la parole qu'il venoit de lui donner, et lui promit de le faire sortir de prison, d'en sortir avec lui et de le suivre partout, pourvu qu'à la première occasion il l'épousât en bonne forme. Etant ainsi convenus de leurs faits, ils ne songèrent plus qu'à leur liberté. M. d'Aubigné s'en remit aux soins de sa maîtresse, qui prit des mesures si justes que peu de jours après elle l'avertit de se tenir prêt pour la nuit suivante. Elle en avoit choisi un fort obscur pour favoriser son dessein; et, après avoir fait passer son amant à tâtons par des lieux ou l'amour lui servit de guide, enfin elle le mena dans une rue où ils trouvèrent des chevaux et un homme de confiance qui les conduisit, avec toute la diligence possible, en un lieu de sûreté. Là M. d'Aubigné, qui avoit les sentiments d'un homme de bien, s'acquitta de la promesse qu'il avoit faite à sa maîtresse et l'épousa publiquement.
  Leur fuite fit grand bruit. On courut après eux; mais voyant qu'il n'y avoit pas moyen de les rattraper, il n'en fut plus parlé, et M. d'Aubigné et sa nouvelle épouse jouissoient dans leur asile des douceurs de la liberté. Elle avoit plié la toilette de sa mère et pris ce qu'elle avoit pu chez elle. Ils firent argent de tout; tant qu'il dura, nos nouveaux mariés se trouvèrent les plus heureux du monde. Mais ces fonds n'étant pas fort considérables, ils furent aussi bientôt épuisés; et comme on ne vit pas de tendresse, M. d'Aubigné se trouva à la veille de mourir de faim. Toute sa douleur étoit de voir que sa chère femme y étoit exposée, avec une petite créature qui étoit le fruit de leurs amours et qui sembloit destinée à perdre le jour avant de l'avoir vu. Dans cette dure extrémité M. d'Aubigné forma un dessein bien dangereux; mais il n'y avoit de risque que pour lui seul; il l'exécuta sans consulter sa femme, et revint en France pour tâcher de ramasser quelques effets et de trouver les moyens de la faire subsister, comptant, dès qu'il auroit pu faire une petite somme, de la venir retrouver. Il croyoit même, comme on ne pensoit plus à lui dans le pays, qu'il pourroit, par le moyen de quelques amis, y demeurer incognito. Mais tout cela lui réussit très mal, puisqu'il tomba entre les mains de gens qui le trahirent et le livrèrent de nouveau à la justice. M. d'Aubigné n'ayant point pris congé de sa femme, elle n'avoit su son dessein que par une lettre qu'il lui écrivit de la première couchée.
  Cette nouvelle la fit trembler pour la vie d'un époux qui lui étoit fort cher, et elle fut dans des inquiétudes terribles quand elle apprit que son mari avoit été remis en prison. Mais elle s'arma de constance; et ne pouvant se flatter de le tirer une seconde fois du péril où il étoit, elle résolut du moins de le partager avec lui.
  Quelque risque qu'il y eût à se mettre en chemin dans une grossesse avancée, elle ne voulut rien ménager, et partit en diligence pour se rendre auprès de son mari, et se remit volontairement prisonnière avec lui. Ce fut là qu'elle accoucha de cette fameuse fille dont la fortune fait l'étonnement du siècle.
  Les parents de M. d'Aubigné, mécontents de sa conduite et de son mariage, l'avoient abandonné, et madame de Villette sa sœur fut la seule qui le vint visiter. Elle fut touchée de l'état où elle le trouva, manquant des choses les plus nécessaires; mais ce qu'il y avoit de plus triste, c'étoit de voir cette pauvre petite enfant, couverte de méchants haillons, exposée aux horreurs de la faim, et qui par ses cris languissants, auroit attendri les âmes les plus dures. La misère et les chagrins avoient entièrement ôté le lait à madame d'Aubigné, qui, n'ayant pas le moyen de donner autre chose à sa fille, s'attendoit à tous moments à la voir expirer de faim entre ses bras. Madame de Villette avoit une petite fille, qui a été ensuite madame de Saint-Hermine, et comme sa nourrice avoit beaucoup de lait, elle emporta la petite d'Aubigné chez elle, et la nourrice de sa fille les nourrit toutes deux. Madame de Villette envoya aussi à son frère du linge pour lui et pour sa femme; et quelque temps après M. d'Aubigné trouva le moyen de sortir de prison, en abjurant sa religion, et il en fut quitte pour sortir du royaume. Comme il ne comptoit pas y revenir de ses jours, il tâcha de ramasser de quoi faire un long voyage et s'embarqua avec sa famille pour l'Amérique, où il a vécu en repos avec sa femme, donnant tous leurs soins à l'éducation de leurs enfants. Ils ont beaucoup mieux réussi dans ceux qu'ils ont pris pour la fille, qui est assurément un prodige d'esprit. Le fils, qu'on appelle à présent le comte d'Aubigné, n'en manque pas; mais on peut dire avec vérité que le mérite est tombé en quenouille dans cette famille. M. et madame d'Aubigné moururent dans leur exil, et laissèrent leurs enfants assez jeunes. La fille, qui étoit l'aînée, pressée du désir commun à tous les hommes de revoir leur patrie, chercha les moyens de revenir en France, et trouvant un vaisseau prêt à prendre cette route, elle s'y mit et vint débarquer à La Rochelle. De là elle prit le chemin du Poitou et fut trouver sa marraine, chez qui elle demeura sans revers de fortune.
61.Madame de Maintenon est née dans la prison de Niort, le 27 novembre 1635, selon les uns; selon le P. Laguille, qui invoque, sans le citer textuellement, un extrait baptistaire, le 20 mars 1636. (Variétés histor. et litt. de la Bibl. elzev., t. 8, p. 59).
62.Constant d'Aubigné, baron de Surineau, étoit le fils indigne du célèbre Agrippa d'Aubigné, l'auteur des Tragiques, et de Suzanne de Lezay. Son père le fait ainsi connoître dans ses Mémoires (édit. Lud. Lalanne, p. 151): «Constant, fils esné et unique d'Aubigné, fut nourry par son père avec tout le soin et despence qu'on eust pu employer au fils d'un prince. Ce miserable, premierement debauché à Cedam (à l'Université protestante de Sedan) par les yvrogneries et les jeux, et puis s'estant destraqué des lettres, s'acheva de perdre dans les jeux dans la Hollande. Peu après, en l'absence de son père, se maria à La Rochelle à une malheureuse femme (Anne Marchand, veuve du baron de Chatelaillon), que despuis il a tuée (l'ayant surprise avec un amant).» Devenu veuf comme on vient de le voir, perdu de débauches, emprisonné à Paris le 7 juin 1611 pour dettes, et retenu pour rébellion envers le sergent chargé de l'arrêter, il épousa ensuite, en 1627, Jeanne de Cadillac (et non Cardillac), fille de Pierre de Cadillac, seigneur de Lalanne, lieutenant du duc d'Epernon, gouverneur de Château-Trompette, et propriétaire du château de Cadillac, qui existe encore. Pierre de Cadillac avoit pour femme Louise de Montalembert.
63.Les vrais motifs de la nouvelle incarcération de Constant d'Aubigné sont fort controversés. Les uns attribuent son emprisonnement à ses dettes, d'autres à ses opinions religieuses, d'autres enfin à des satires contre le duc d'Epernon. – Ses dettes l'ont fait emprisonner, comme on l'a vu plus haut, en 1611; mais dès le lendemain il avoit satisfait, et son créancier, Samuel de Bechilon, sieur d'Erlaut, et le sergent Mathieu Goujon, et il étoit relaxé (8 juin). Quant à ses opinions religieuses, écoutons son père: «Rien ne pouvant satisfaire à l'insolence d'un esprit perdu, il se jeta à la cour, où il perdit au jeu vingt fois ce qu'il avoit vaillant, et à cela ne trouve remède que de renoncer sa religion. Le père, adverty de sa grand frequentation avec les jesuistes, luy deffendist par lettres telle compaignie. Il respondit qu'à la verité il entretenoit le père Arnou et Dumets. Le vieillard répliqua que ces deux noms lui faisoient peur… Constant se trouva en peu de temps en exsecration à tous les siens, et en horreur et mespris à ceux qui le servoient… Il fit parler à son pere de reconciliation. Il vint à Genesve, se presenta au ministre, fit là, en Poictou et à Paris, toutes les reconnoissances qui lui furent enjointes, obtint une pension et de l'argent…» – Enfin, quant à ses satires, on voit aussi par les mémoires de son père que du vivant de celui-ci il «escrivit en prose et en vers furieusement contre la papauté». (Mémoires, éd. Lud. Lalanne, p. 152 et suiv.) De plus, le P. Laguille (Variétés histor. et littér., t. 8, initio) affirme que Constant d'Aubigné, «se melant de poësie, composa une satire contre le duc d'Epernon», gouverneur de Bordeaux, qui avoit refusé de l'employer. «La pièce ou la nouvelle en ayant été portée au duc, celui-ci fit enlever d'Aubigné et ordonna qu'on le conduisît dans son château de Cadillac.»
64.Ce fait est confirmé par le P. Laguille. La note 62, p. , montre que le prétendu geôlier de Constant d'Aubigné n'étoit autre qu'un gentilhomme d'une bonne noblesse, et noblement allié, lieutenant du gouverneur de la province. – Le mariage auroit été célébré en 1627. Cette date est assez peu probable, puisque Agrippa d'Aubigné, dans son testament, qui est du 24 avril 1630, ne parle pas de cette seconde femme de son fils et ne fait aucune allusion à son mariage.
65.Le P. Laguille rapporte le motif de la fuite de Constant d'Aubigné, fuite qui fut précédée d'une dernière incarcération, pour vol et fausse monnoie. C'est dans la prison de Niort, où madame d'Aubigné suivit son mari, que naquit Françoise d'Aubigné. Sorti de prison en 1639, Constant d'Aubigné partit d'abord pour la Martinique. Il mourut sans doute dans l'île de la Grenade en 1646, et alors sa veuve revint à la Martinique, d'où elle passa à la Guadeloupe, puis à Saint-Christophe, où elle s'embarqua pour la France, selon les uns, où elle mourut, au dire du P. Laguille. Selon ce dernier, ce seroit une demoiselle Rossignol qui auroit fait passer en France les deux enfants orphelins de Constant d'Aubigné. Une troisième version, c'est que madame d'Aubigné auroit fait elle-même un voyage en France avec ses enfants, les y auroit laissés, et seroit retournée en Amérique, où elle seroit morte. (Voy. Variétés histor. et littér., t. 8, p. 60.)
66.D'Aubigné étoit marié avant son départ pour l'Amérique.
67.Françoise d'Aubigné avoit été tenue sur les fonts de baptême par le duc de La Rochefoucauld, gouverneur de Poitou, et par Françoise Tiraqueau, comtesse de Neuillant, dont le mari étoit gouverneur de Niort. Elle fut baptisée par un prêtre catholique.
68.Sa marraine eut une fille que plusieurs poëtes du temps, Bois-Robert et Scarron entre autres, ont connue et ont fait connoître par leurs vers.
69.On s'accorde à reconnoître la dureté de madame de Neuillant pour sa pupille.
70.Voy. plus haut la note 65, p.
71.Saint-Simon dit aussi que la première «abordée» de madame de Maintenon fut à La Rochelle. – «Etant arrivés à La Rochelle, dit le P. Laguille (loco citato), ils y demeurèrent pendant quelques mois logés par charité, obligés de vivre d'aumônes, jusque-là qu'ils obtinrent par grâce que de deux jours l'un on voulût bien leur donner, au collége des jésuites de cette ville, du potage et de la viande, que tantôt le frère, tantôt la sœur, venoient chercher à la porte. C'est ainsi que l'a raconté le P. Duverger, jésuite, doyen à Xaintes, mort en 1703, ce père ayant été non-seulement témoin de ce fait, mais leur ayant lui-même donné leur petite pitance, étant régent de troisième.» (Voy. aussi Madame de Maintenon peinte par elle-même, 1 vol. in-8, 1810, p. 136.) Madame Suard, l'auteur anonyme, rapporte qu'un prêtre se présenta à madame de Maintenon au temps de sa plus grande puissance et lui remit en mémoire ces détails qui rappellent le P. Duverger.
72.Elle auroit été recueillie d'abord par M. de Montabert, dit le P. Laguille, mais nous croyons plutôt qu'il faut lire Montalembert, l'aïeule maternelle de Françoise d'Aubigné étant une Montalembert; de là elle auroit été reçue tour à tour chez M. de Miossens et M. d'Alens, et enfin chez madame de Villette-Murçay, sœur de son père et femme d'un petit chef d'escadre de la flotte du Poitou. Il est difficile de croire à toutes ces pérégrinations de madame de Maintenon quand on songe aux tantes, sœurs de son père, qu'elle avoit, et aux nombreux amis que le nom seul d'Agrippa d'Aubigné devoit lui assurer.
73.Les deux textes redeviennent identiques.
74.Le premier adorateur de la jeune Françoise d'Aubigné semble avoir été le chevalier de Méré, bien connu dans la littérature. On a conservé quelques lettres qu'il lui écrivit. (Voy. Madame de Maintenon peinte par elle-même, p. 8 et 10-11; Mémoires sur madame de Sévigné, par Walckenaër, t. 1, p. 74.) Le chevalier de Méré lui avoit même proposé de l'épouser (Œuvres, Amst., 1692, lettre 43): «Je ne sache point, lui disoit-il, de galant homme aussi digne de vous que moi.» Nous n'avons pas à dire que le chevalier de Méré ne peut guère être pris pour ce villageois mal bâti dont il est question ici, et qui ne semble guère avoir existé que dans l'imagination des romanciers.
75.L'édition qui a précédé celle que nous suivons nomme en toutes lettres madame de Villette; mais celle-ci, tante de madame de Maintenon, n'étoit pas sa marraine. V. note 67, p. 72.
76.Pourquoi ce nom de Guillemette? Nous n'avons pas d'explication à donner de ce caprice de l'auteur.
77.Mot particulier à l'Anjou et au Poitou. – La jambette est, en Anjou, un petit couteau dont le bout est arrondi.
78.Nous ne voyons aucun fondement à ce conte ridicule, et il est difficile de dire à laquelle des familles de ce nom appartenoit ce marquis de Chevreuse.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2017
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