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CHAPITRE DEUX

Jessie Hunt appuya sur le bouton de répétition d’alarme de son téléphone et resta tranquillement au lit les yeux fermés en espérant se rendormir. Après tout, elle n’avait besoin d’aller nulle part.

Cependant, ce fut en vain. Son esprit battait déjà la campagne, malgré tous ses efforts pour le ralentir. On était lundi matin. C’était censé être un jour de détente, ou du moins un jour où elle devait se détendre autant qu’elle en était capable ces temps-ci. Elle n’avait pas besoin d’aller au travail. Elle n’avait pas besoin de se presser d’emmener Hannah à l’école. À une exception près, elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait. Pourtant, la sensation qu’elle avait du travail à faire la rongeait. Elle se redressa.

Ce geste lui envoya une sensation pénible partout dans le corps. Son épaule endolorie lui faisait mal, probablement parce qu’elle avait dormi dessus par inadvertance. Quant à la peau encore à vif du bas de son dos, elle lui paraissait bizarre et tendue, comme une plaie qu’il ne fallait pas qu’elle gratte, comme elle le savait.

Quand elle regarda l’autre lit de l’autre côté de la petite chambre, elle vit que Hannah Dorsey, la demi-sœur dont elle était la tutrice à plein temps, était encore endormie et ronflait doucement. Jessie se leva, sortit de la chambre sur la pointe des pieds, alla dans le couloir et se rendit à la salle de bains. Elle vit que la porte de l’autre chambre était fermée, ce qui signifiait que Kat était encore endormie ou, chose plus probable, en train de s’habiller pour sa journée. De toute façon, cela signifiait que la salle de bains était libre.

Katherine « Kat » Gentry, la meilleure amie de Jessie, avait accepté que Jessie et Hannah restent chez elle jusqu’à ce qu’elles trouvent une nouvelle maison. Jessie ne pouvait plus supporter l’idée de vivre dans son appartement. Il s’y était passé trop de choses horribles.

Elle avait promis à Kat qu’elles ne resteraient pas plus d’un mois et, même si elles n’avaient emménagé que depuis deux semaines, elle sentait la pression. C’était en partie parce qu’elle se sentait coupable que Kat ne puisse plus accueillir confortablement son petit ami, un shérif adjoint de Lake Arrowhead du nom de Mitch Connor. D’habitude, ils ne se voyaient déjà que le week-end et, maintenant, ils ne pouvaient même plus le faire.

Cependant, au-delà de ça, trouver un nouveau logement qui ait assez de place pour deux personnes (et, espérait-elle, trois un jour) et qui puisse satisfaire ses exigences en matière de sécurité n’était pas facile. Bien que son ex-mari, Kyle Voss, ne soit plus une menace, Jessie avait encore beaucoup d’autres ennemis et beaucoup d’entre eux adoreraient avoir la possibilité de s’en prendre à elle.

Elle se rappela qu’il y avait une nécessité supplémentaire. Il faudrait aussi que le logement en question soit accessible aux handicapés. Le petit copain de Jessie, Ryan Hernandez, policier de la Police de Los Angeles, avait vécu avec elle avant leur dernière affaire, mais il était loin de pouvoir quitter l’hôpital. En vérité, elle n’était pas sûre qu’il puisse le quitter un jour. Cependant, si on l’y autorisait, il aurait besoin de rampes pour fauteuils roulants, de barres de sécurité et de nombreux autres équipements auxquels elle n’avait pas commencé à penser.

Jessie se regarda dans le miroir avant de se laver le visage. Elle n’avait pas l’air détendu d’une femme en congé. Les cernes qu’elle avait eues sous ses yeux vert vif avaient disparu, mais ses yeux avaient encore une rougeur qui suggérait qu’elle passait des nuits troublées. Ses cheveux marrons mi-longs n’étaient pas attachés pour former sa queue de cheval standard et professionnelle mais avaient l’air aussi fatigués qu’elle avait la sensation de l’être. Comme elle était penchée au-dessus du lavabo, son corps athlétique d’un mètre soixante-dix-sept paraissait beaucoup plus petit. D’une façon ou d’une autre, même ses pommettes ciselées semblaient moins marquées que d’habitude. Elle n’avait trente ans que depuis peu mais, ce matin, elle se sentait environ dix ans plus vieille.

Elle finit de se laver et sortit de la salle de bains. Dehors, elle trouva Kat qui attendait patiemment. Son amie était habillée de façon décontractée avec un jean et un haut ample qui cachait son physique ciselé. Bien qu’elle ne soit plus Ranger de l’armée américaine ou à la tête de la sécurité d’un service de psychiatrie pénitentiaire, elle semblait encore être une personne qu’il valait mieux éviter de contrarier. C’était probablement une bonne chose, parce que, dans le cadre de son nouveau travail de détective privé, elle devait encore se défendre de temps à autre.

– Tu as attendu longtemps ? demanda Jessie d’un air coupable.

– Juste quelques minutes, lui assura Kat. Je ne suis pas pressée. J’ai juste besoin de me passer une brosse dans les cheveux. Si tu veux du café, j’en ai préparé.

– Merci. Il m’en faudra.

– La nuit a encore été dure ? demanda Kat avec compassion, tout à fait consciente des épreuves récentes de Jessie.

Jessie hocha la tête.

– Cette fois-ci, je ne me souviens pas des détails des cauchemars, mais j’ai encore des images qui me flottent dans la tête.

– Veux-tu en décrire quelques-unes ? demanda Kat avec délicatesse.

Jessie réfléchit. Elle craignait que ses cauchemars ne deviennent plus puissants si elle en discutait, mais tout garder pour elle-même, comme elle l’avait souvent fait autrefois, ne l’avait pas non plus beaucoup aidée. Finalement, elle décida de se livrer à son amie.

– C’est toujours la même chose. J’imagine Kyle en train d’étrangler Garland Moses dans cette maison de plage. Je le vois enfoncer le couteau dans la poitrine de Ryan. Je me vois faire un massage cardiaque à Ryan jusqu’à ce que mes bras refusent de bouger. Alors, je vois Kyle projeter Hannah contre le sofa, où elle s’affale. Je revis les sensations que j’ai eues quand j’ai étouffé Kyle, le plaisir que j’ai ressenti quand j’ai entendu craquer sa trachée. Tu sais, des trucs marrants comme ça.

Kat resta muette pendant un moment. Jessie savait qu’elle se demandait comment répondre. Son amie savait incontestablement comment on traitait les traumatismes. Elle avait vu la plus grande partie de son unité déchiquetée par un engin explosif improvisé pendant qu’elle servait en Afghanistan. L’incident lui avait laissé des maux de tête récurrents et une longue cicatrice verticale qui lui traversait le visage en descendant de l’œil gauche. Jessie ne connaissait toujours pas les détails de ce qui s’était passé ce jour-là.

– Vois-tu encore la docteure Lemmon ? demanda finalement Kat.

La docteure Lemmon était la psychothérapeute de Jessie et cela faisait maintenant des années qu’elle l’aidait à traverser toutes ses épreuves.

– Moi et Hannah, on la voit toutes les deux, confirma Jessie. En fait, je l’ai vue vendredi dernier.

– Est-ce qu’elle t’a donné des conseils spéciaux ? demanda Kat.

– Bien sûr, comme d’habitude : ne gardez pas tout pour vous, parlez-en mais sans vous vautrer dedans, occupez-vous tout le temps et faites autant d’exercices physiques que vos blessures vous le permettent.

Les blessures dont elle parlait concernaient aussi bien l’épaule gauche qu’elle s’était luxée en affrontant Kyle jusqu’à la mort que les brûlures au dos qu’elle avait eues en sauvant une femme d’une maison en feu où se trouvait un tueur en série.

– Combien peux-tu en faire ? demanda Kat.

– Tout ce que ma tolérance à la douleur me permet. Les brûlures ne sont plus si graves. La docteure a dit qu’elles guérissaient bien et que je devrais pouvoir arrêter de porter des bandages dans une semaine environ. L’épaule me fait encore mal mais, au moins, je ne suis plus obligée de porter l’écharpe. Cependant, je suis censée aller en kinésithérapie de deux à quatre semaines de plus.

– Eh bien, au moins, tu n’auras plus de distractions professionnelles pour compliquer ta prise de rendez-vous, dit Kat avec optimisme. C’est le premier jour officiel où tu es au chômage, n’est-ce pas ?

Jessie hocha la tête. C’était théoriquement vrai. Vendredi dernier avait été son dernier jour en tant que profileuse criminelle pour la Police de Los Angeles, mais elle n’avait pas beaucoup travaillé ces derniers temps. Elle avait donné sa démission, à la grande déception de son capitaine, deux semaines auparavant.

Le capitaine l’avait suppliée de prendre un congé sabbatique et de voir comment elle se sentirait à la fin, mais Jessie avait été inflexible. Elle avait besoin de se libérer du cycle de violence qui avait dominé ses vies professionnelle et personnelle ces dernières années. De plus, quand elle parcourait les bureaux où elle avait vu Garland tous les jours, la blessure occasionnée par sa perte lui faisait trop mal.

Comme elle s’était occupée de ses blessures et de l’hospitalisation de Ryan, avait aidé à conclure les affaires de Garland, rendu l’appartement et soutenu Hannah, elle n’était en fait allée au bureau que deux ou trois fois. La dernière fois avait été vendredi, quand elle avait vidé son bureau.

– J’espère que je ne serai au chômage que peu de temps, dit Jessie. La semaine prochaine, j’ai des entretiens d’embauche à plusieurs universités pour des postes d’enseignante à l’automne. Entre temps, j’essaie d’apprécier de ne pas avoir tant de choses à faire.

Aucune des deux femmes ne mentionna les raisons principales pour lesquelles elle n’avait pas besoin de se presser à chercher un travail. Son divorce avait été lucratif. Avant d’être condamné, Kyle avait aidé à gérer une activité prospère de gestion de fortunes, donc, Jessie aurait quand même gagné beaucoup d’argent lors de son divorce quoi qu’il arrive, mais le fait que Kyle ait tenté de la faire accuser de son propre assassinat puis de la tuer avait permis à Jessie de gagner un maximum.

En dehors de ça, elle avait aussi reçu un héritage généreux de la part de ses parents adoptifs, qui avaient été assassinés par son père biologique tueur en série quelques années auparavant. L’avocat de Garland lui avait aussi dit qu’elle devrait s’attendre à recevoir un cadeau substantiel quand le testament de ce dernier serait lu cette semaine. Jessie se sentait coupable de vivre confortablement à cause de tant de douleur et de souffrances mais, comme il fallait qu’elle s’occupe de Hannah, qu’elle paye des factures médicales toujours plus élevées et des équipements de sécurité domestique complexes, elle avait accepté cet état de choses.

Avant qu’elle n’ait pu parler plus longtemps de ses perspectives professionnelles, la porte de sa chambre s’ouvrit. Elle vit sortir une Hannah aux yeux pris par le sommeil, vêtue d’une culotte et d’un débardeur et décoiffée par la nuit.

– Vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau, dit Kat d’un air narquois.

Malgré la gentillesse de la pique de son amie, Jessie ne put nier que c’était vrai. Même sans les dix centimètres supplémentaires que ses cheveux en bataille lui offraient, Hannah, qui mesurait un mètre soixante-quinze, était presque aussi grande que Jessie. Elles avaient le même corps mince et athlétique. De plus, quand Hannah finirait par ouvrir complètement les yeux, elle regarderait Jessie et Kat avec le même regard vert et intense que Jessie.

– Comment ça va, la Belle au bois dormant ? demanda Jessie.

– Quels projets pour aujourd’hui, princesse ? ajouta Kat.

Hannah les regarda toutes les deux d’un air renfrogné avant d’entrer dans la salle de bains et de refermer la porte sans dire un seul mot.

– Elle est adorable, dit sèchement Kat.

– Un vrai rayon de lumière, convint Jessie d’un ton sarcastique. Elle est maussade parce que ses vacances d’été sont presque finies. Elle doit aller à l’école d’été la semaine prochaine et ça ne lui plaît pas.

– Il ne lui reste qu’une semaine à se prélasser, fit remarquer Kat. Pauvre chérie. J’aimerais pouvoir en faire autant.

– Qu’as-tu de prévu, aujourd’hui ? demanda Jessie.

– Rien de passionnant. Je dois relire une documentation judiciaire ce matin. Ensuite, un couple riche veut que je découvre qui vend de la drogue à leur fils. Je suis loin d’être Philip Marlowe, le grand détective.

– Tu veux de l’aide ? Je pourrais lire les documents et —

– Non, ma belle, interrompit Kat. Tu es censée te reposer aussi bien le corps que le cerveau. Va marcher, regarde un mauvais film mais ne travaille pas.

Alors que Jessie allait répondre, son téléphone sonna. À présent, elle connaissait bien ce numéro. Elle répondit immédiatement.

– Jessie Hunt à l’appareil.

– Bonjour, Mme Hunt. Je suis l’infirmière Janelle de l’Unité des Soins Intensifs du Centre Médical. Le Dr Badalia aimerait que vous passiez pour qu’il puisse vous parler. Quand êtes-vous disponible ?

– Je serai là dans quinze minutes, dit-elle avant de raccrocher.

Elle regarda Kat, qui semblait comprendre de quoi il s’agissait.

– Habille-toi, dit son amie. Je te verse un café et je te fais griller un bagel. Tu pourras partir dans cinq minutes.

– Et Hannah ?

– Ne te soucie pas d’elle. Je la surveillerai ce matin. Quand je devrai partir, Instagram pourra prendre le relais.

Jessie cria « Merci ! » alors qu’était déjà au milieu du couloir et se dirigeait vers sa chambre.

CHAPITRE TROIS

L’hôpital s’assurait que la chambre de Ryan reste sombre et fraîche. Le sifflement du respirateur artificiel produisait un rythme régulier. Jessie aurait presque pu le trouver apaisant si elle avait pu oublier pourquoi il était là. L’infirmière lui avait dit que le Dr Badalia arriverait bientôt. En attendant, Jessie examina Ryan.

Il avait meilleure mine qu’avant. Son visage était un peu moins pâle que lors de la dernière visite de Jessie et il avait un teint moins cireux. Si elle plissait les yeux, elle pouvait imaginer qu’il était juste assoupi. Il avait encore son charme ténébreux et, avec le drap qui le couvrait jusqu’au cou, on ne voyait pas que le corps qu’il avait entretenu de son mieux avait déjà commencé à s’atrophier.

Cependant, c’était juste une illusion. Guère plus de deux semaines auparavant, Ryan Hernandez avait été le meilleur inspecteur de la SSH, la Section Spéciale Homicides de la Police de Los Angeles, celle qui enquêtait sur les affaires bien en vue ou très suivies par les médias, souvent avec plusieurs victimes et des tueurs en série. Maintenant, il était allongé dans un lit d’hôpital, sans défense, poignardé à la poitrine par l’ex-mari de Jessie pendant qu’il était chez eux. C’était un souvenir trop lourd et elle l’écarta de ses pensées.

Le Dr Badalia arriva à la porte et elle se leva pour aller le retrouver dans le hall. C’était un homme grand et mince qui approchait de la quarantaine. Comme il avait toujours une expression austère, Jessie ne pouvait jamais dire s’il allait lui annoncer de bonnes ou de mauvaises nouvelles.

– Merci d’être venue, Mme Hunt, dit-il doucement.

– Pas de problème. Avez-vous des nouvelles ?

– Oui. Comme vous le savez, nous avons sorti Ryan de son coma artificiel la semaine dernière. La nuit dernière, pour la première fois, il a un peu réagi aux stimuli. Donc, nous avons légèrement réduit sa sédation pour voir si nous pouvions répéter l’expérience. Nous avons réussi. Il a pu ouvrir les yeux et répondre à quelques questions fermées en clignant des yeux. Nous avons pu lui expliquer brièvement sa situation, pourquoi il était en respiration artificielle et ainsi de suite.

D’abord, Jessie ne put rien dire. L’émotion du moment la submergea de manière inattendue et une boule lui remplit la gorge. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se rendit compte à quel point elle avait refoulé son anxiété et sa terreur pendant toutes ces semaines. Ce qui ne s’était introduit dans sa conscience qu’à ses moments de fatigue ou d’énervement venait maintenant de s’y déverser en force.

– Vous êtes sérieux ? dit-elle. C’est fantastique. Pourquoi ne m’a-t-on pas appelée ?

– Il était très tard, après minuit. De plus, honnêtement, l’effort a semblé l’épuiser. Au bout d’environ six minutes, il s’est endormi.

– Oh. Et ce matin ? S’est-il réveillé, aujourd’hui ?

– En fait, nous avons diminué le niveau de sédation il y a environ une heure parce que nous voudrions réessayer. C’est pour cela que nous vous avons appelée. J’espère que, s’il reprend conscience et si vous êtes là, il pourra communiquer un peu plus.

– Ça serait formidable, dit Jessie. On le fait dans combien de temps ?

Le Dr Badalia jeta un coup d’œil dans la chambre.

– Pourquoi pas maintenant ? proposa-t-il. On dirait qu’il est en train d’essayer de se réveiller.

Jessie se tourna et vit que Ryan était effectivement en train d’ouvrir les yeux. Il semblait avoir du mal, comme s’ils étaient collés et qu’il essayait de les ouvrir par la seule force de sa volonté. Cependant, cela semblait fonctionner. Ils retournèrent dans la chambre.

– Ryan, dit le Dr Badalia, vous avez de la visite.

Les yeux plissés, Ryan regarda Jessie traverser la pièce et approcher de lui. Alors, elle prit sa main droite dans les siennes.

– Salut, mon chéri, chuchota-t-elle. Je suis heureuse de te voir réveillé. Est-ce que tu m’entends ?

Il sembla avoir envie de hocher la tête mais, que ce soit à cause du gros tube qu’il avait dans la bouche ou par faiblesse, il n’y arriva pas.

– Un clin d’œil pour oui et deux pour non, lui rappela le Dr Badalia.

Il cligna des yeux une fois. Jessie toussa pour cacher le sanglot de joie qui lui monta dans la gorge.

– Je sais que c’est un long chemin, dit-elle, mais nous allons te sortir d’ici. Il va juste te falloir un peu de patience, d’accord ?

Ryan cligna à nouveau des yeux. Le Dr Badalia avança.

– Ryan, accepteriez-vous d’essayer un petit exercice ?

Ryan cligna des yeux une fois.

Jessie était légèrement agacée. Elle avait espéré qu’elle pourrait avoir un peu de temps pour parler à Ryan en privé, mais elle refoula son irritation. L’exercice était plus important. Le Dr Badalia poursuivit.

– Je vais demander à Jessie de poser la paume de sa main à plat et de poser votre paume par-dessus. Ensuite, je vais vous demander de lever un doigt précis. Est-ce que ça vous semble faisable ?

Ryan cligna des yeux. Jessie sortit sa main de celle de Ryan, posa la paume de sa main gauche sur le matelas puis celle de Ryan directement sur la sienne. Elle leva les yeux vers lui et sourit. Il plissa les yeux et elle considéra que cela signifiait qu’il essayait de sourire lui aussi.

– J’aimerais que vous essayiez de lever l’index droit en l’air. Pouvez-vous le faire ?

Au bout de ce qui leur parut être une attente interminable, il leva légèrement le doigt avant de le laisser retomber.

– C’est formidable, Ryan. Maintenant, pensez-vous que vous pourriez essayer de faire la même chose avec seulement votre petit doigt ?

Ryan plissa les yeux et Jessie sentit sa paume appuyer faiblement contre la sienne. Alors, il réussit à lever le doigt juste un petit peu avant de le laisser retomber.

– Vous vous débrouillez très bien, Ryan, lui assura le Dr Badalia. Pourrions-nous essayer un autre exercice ?

Ryan cligna une fois des yeux.

– OK. Celui-là est un peu plus difficile. J’aimerais que vous essayiez de retrousser tous les doigts de votre main droite pour serrer le poing sur la paume de Jessie. Commencez quand vous êtes prêt.

Jessie sentit la main de Ryan trembler légèrement quand il essaya de crisper les doigts afin de serrer le poing. Cependant, rien ne se produisit. Il ferma les yeux. Visiblement, il faisait un gros effort. Un des moniteurs qui se trouvaient à côté commença à biper plus vite qu’avant.

– C’est bon, Ryan, dit le Dr Badalia d’un ton apaisant. Vous avez fait un grand effort. Ça viendra, avec le temps. Vous pouvez vous reposer, maintenant.

Cependant, il était clair que Ryan refusait de s’arrêter. Il avait encore les yeux plissés et sa paume ouverte vibrait sur celle de Jessie. Il ouvrit les yeux et Jessie vit immédiatement que la frustration le rendait furieux. Le moniteur bipait encore plus vite.

– OK, Ryan, dit le Dr Badalia d’une voix aussi calme que toujours en allant vers la série de machines. On dirait que vous vous agitez un peu. Donc, je vais vous donner quelques sédatifs pour vous détendre et vous aider à dormir.

Ryan tourna les yeux vers Jessie. Il avait l’air paniqué, comme s’il la priait silencieusement de ne pas accepter qu’on le replonge dans le sommeil.

– Ne t’en fais pas, mon chéri, dit-elle en essayant de cacher son angoisse intérieure. Il faudra juste être patient. Repose-toi un peu. Nous pourrons réessayer plus tard.

Il cligna deux fois des yeux, s’arrêta puis recommença à plusieurs reprises. Ce ne fut que la quatrième fois où il essaya désespérément de lui demander d’interdire qu’on le replonge dans le sommeil que les sédatifs commencèrent à faire effet. Son clignement des yeux ralentit avant de s’arrêter complètement. Ses yeux se refermèrent.

Jessie se tourna vers le docteur en s’essuyant les larmes des yeux.

– On va parler dehors, dit-il gentiment. On ne sait jamais ce qu’ils entendent.

Jessie le suivit dans le hall et jusque dans la salle d’attente, où il s’assit. Elle l’imita.

– Comment tenez-vous ? demanda-t-il.

– Je me débrouille, dit-elle vite. Vous n’avez pas besoin de me réconforter ou de minimiser les faits, docteur. Dites-moi seulement où nous en sommes.

– OK. Ce que nous venons de voir a été prometteur. Je sais que Ryan s’est agacé à la fin. Cependant, vu ce qu’il a subi, avoir de la mobilité à ce stade est un signe positif. Cela dit, une route longue et difficile l’attend. Même s’il ne subit aucun dégât à long terme, rien que le fait d’être alité et sous respiration artificielle si longtemps peut entraîner des séquelles. Il aura besoin de beaucoup de kinésithérapie pour récupérer son habileté motrice de base. Il aura beaucoup de mal à marcher. Cela lui prendra peut-être de nombreux mois. De plus, il risquera d’avoir des dégâts permanents aux cordes vocales.

Jessie soupira mais, comme elle ne dit rien, le Dr Badalia poursuivit.

– C’est le scénario le plus optimiste, mais il faut que vous vous prépariez à d’autres. Il pourra subir d’autres dégâts que nous ne sommes pas encore capables de déterminer.

– Comme quoi ?

– Comme des affections nerveuses dues à la blessure causée par le couteau. De plus, il pourrait souffrir de lésions permanentes aux poumons. Certaines personnes guérissent complètement de cette sorte de chose, mais d’autres ont besoin d’une assistance constante, comme des réservoirs d’oxygène, des tuyaux respiratoires, cette sorte de chose. Enfin, il reste le risque qu’il ait subi une certaine quantité de lésions cérébrales.

Jessie le regarda, interloquée. C’était la première fois qu’elle entendait quelqu’un dire ça.

– Avez-vous vu des signes de cela ?

– C’est encore trop tôt pour le dire. Je sais que vous avez commencé à effectuer un massage cardiaque peu après son coup de poignard mais, au moins quelques fois, il a eu un accès limité à l’oxygène. Ses réactions de la nuit dernière et d’aujourd’hui sont prometteuses. Il a semblé comprendre ce que nous disions et répondre en conséquence, mais nous lui avons posé des questions simples et demandé d’effectuer des tâches élémentaires. Nous devrons attendre longtemps avant de pouvoir vérifier s’il a subi des pertes dans ses fonctions cérébrales supérieures ou dans sa mémoire.

– Dans sa mémoire ? répéta Jessie, de plus en plus choquée.

– Oui. Parfois, les blessures traumatiques, les comas artificiels ou la privation d’oxygène peuvent causer une perte de mémoire à court terme ou même permanente. Comme il a subi ces trois choses, nous ne pouvons pas éliminer ces risques.

Jessie resta assise en silence et essaya de digérer toutes ces terribles éventualités.

– Écoutez, vous m’avez demandé de ne pas minimiser les faits, donc, je vous ai tout dit. Cependant, aucune de ces issues n’est certaine. Il pourrait repartir travailler dans la police, en pleine forme, dans huit à douze mois.

– Ou alors ? insista Jessie, sentant qu’il n’avait pas tout dit.

– Ou alors, il pourra avoir besoin de soins permanents et continus dans un établissement de soins de longue durée. De plus, il peut aussi régresser et nous serions confrontés au pire des scénarios. La période actuelle est très imprévisible.

– Ouah, dit Jessie en secouant la tête, incrédule. J’ai pu lui tenir la main et le regarder dans les yeux. Je ne m’attendais pas à découvrir des perspectives aussi sombres.

Ils restèrent silencieux pendant un moment.

– Mme Hunt, puis-je vous donner un conseil ?

Jessie leva les yeux. L’expression habituellement austère du docteur s’était légèrement adoucie.

– Bien sûr.

– Je connais votre métier et je sais donc que vous avez l’habitude d’analyser vos problèmes actuels de manière méthodique et d’avoir au moins un certain degré de contrôle sur votre situation. En tant que docteur, j’aime moi aussi contrôler la situation. Cependant, en vérité, dans cette situation-là, on a très peu de contrôle. Vous pouvez venir, le soutenir, lui montrer que vous l’aimez et que vous êtes là pour lui mais, à ce stade du processus, vous n’avez aucun intérêt à vous inquiéter de ce qui pourrait se passer. Vous n’y pouvez rien. De plus, toute cette inquiétude vous épuiserait et vous auriez du mal à être là pour Ryan de la façon dont il en a besoin.

– Donc, voici ce que je vous conseille : quand vous êtes avec lui, soyez entièrement dans le moment présent mais, quand vous n’êtes pas avec lui, vivez votre vie. Voyez vos amis. Buvez du vin. Partez en randonnée. Enfin, ne vous sentez pas coupable de le faire. Ces moments de repos vous donneront la force d’être là pour lui quand il aura vraiment besoin de vous. Selon mon expérience, la meilleure façon que vous ayez de prendre soin de lui, c’est de prendre soin de vous-même.

Il sourit presque chaleureusement.

– Merci, docteur, dit-elle.

– Pas de problème. Il faut que j’y aille, mais je vous tiendrai au courant.

Il quitta la salle d’attente. Jessie y resta et regarda autour d’elle d’un air distrait. Il y avait une demi-douzaine d’autres personnes et elles donnaient toutes la même impression d’être sous le choc qu’elle, comme elle le savait. Elle se demanda brièvement quelle horreur personnelle les avait emmenées là. Est-ce que l’une d’entre elles avait perdu son mentor et presque perdu son âme-sœur dans la même semaine ? Avant qu’elle n’ait pu broyer du noir plus longtemps, son téléphone sonna. C’était le capitaine Decker, qui avait encore été son patron trois jours auparavant. Elle refusa l’appel, se leva et se rendit au parking couvert.

Alors qu’elle montait dans sa voiture, elle sentit la vibration qui indiquait qu’elle avait un message vocal. Elle fut tentée de le supprimer sans l’écouter mais ne put s’y résoudre. Cela aurait été vraiment impoli et, de plus, une partie d’elle-même avait très envie de savoir ce que le capitaine voulait. Elle écouta le message.

– Bonjour, Hunt. J’espère que vous allez bien. Je prévois d’aller rendre visite à Hernandez à l’hôpital cet après-midi. J’ai entendu dire qu’il s’était brièvement réveillé la nuit dernière. C’est une bonne chose, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’appelle. Je sais que vous nous avez quittés vendredi et je m’excuse de vous demander ça, mais j’ai besoin d’aide. On vient de nous confier une affaire énorme, incroyablement médiatisée. Normalement, j’y aurais assigné Hernandez mais, comme il n’est pas disponible, je vais y assigner Trembley, qui n’a jamais eu d’affaire aussi importante. De plus, la section a beaucoup trop peu de profileurs qualifiés depuis que vous êtes partie et depuis que … vous savez … Moses. Si vous pouviez juste m’aider sur cette affaire-là, même à titre consultatif, je vous en serais éternellement reconnaissant. Tenez-moi au courant.

Jessie effaça le message, rangea son téléphone et sortit du parking couvert.

Elle avait de la peine pour Decker, mais il y aurait toujours une autre grande affaire qu’il faudrait résoudre. Jessie voulait préserver sa santé mentale et cela supposait ne plus effectuer ce travail-là.

En outre, pour l’instant, elle avait une autre tâche à accomplir, une tâche qu’elle redoutait.

399
599 ₽
Возрастное ограничение:
18+
Дата выхода на Литрес:
04 января 2021
Объем:
302 стр. 4 иллюстрации
ISBN:
9781094342634
Правообладатель:
Lukeman Literary Management Ltd
Формат скачивания:
epub, fb2, fb3, ios.epub, mobi, pdf, txt, zip

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