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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1», страница 30

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Je ne terminerai pas sans rendre à M. Vidal la justice qui lui est due. S'il a épousé les théories des socialistes, il n'a pas emprunté leur style. Son livre est écrit en français, et même en bon français. Le néologisme s'y montre, mais il n'y déborde pas. M. Vidal nous fait grâce du vocabulaire fouriériste, et des gammes et des pivots, et des amitiés en quinte superflue, et des amours en tierce diminuée. S'il voit la science sous un autre aspect que ses devanciers, il la prend du moins au sérieux, il ne méprise pas son public au point de vouloir lui en imposer par des phrases d'Apocalypse. C'est d'un bon augure, et si jamais il fait une seconde édition de son livre, je ne doute pas qu'il n'en retranche, sinon ce qu'il y a d'erroné dans la partie systématique, du moins ce que la partie critique offre d'exagéré et même d'injuste.

SECONDE LETTRE À M. DE LAMARTINE 50

Monsieur,

Je viens de lire l'article qui, du Bien public de Mâcon, a passé dans tous les journaux de Paris; vous dire combien cette lecture m'a surpris et affligé, cela me serait impossible.

Il n'est donc que trop vrai! aucun homme sur la terre n'a le privilége de l'universalité intellectuelle. Il est même des facultés qui s'excluent, et il semble que l'aride domaine de l'économie politique vous soit d'autant plus interdit que vous possédez à un plus haut degré l'art enchanteur, l'art suprême

 
De penser par image ainsi que la nature.
 

Cet art, ou plutôt ce don divin, pourquoi l'avez-vous dédaigné? Ah! vous avez beau dire, vous aviez reçu la plus noble, la plus sainte mission du génie dans ce monde. Qu'est devenu le temps où, esprits froids et méthodiques, natures encore alourdies par le poids de la matérialité, nous nous arrachions avec délices à ce monde positif pour suivre votre vol dans la vague et poétique région de l'idéal? où vous nous révéliez des pensées, des doutes, des désirs et des espérances qui sommeillaient au fond de nos cœurs, comme ces échos qui dorment dans les grottes de nos Pyrénées tant que la voix du pâtre ne les réveille pas? Qui nous ouvrira désormais d'autres horizons et d'autres cieux, séjours adorés qu'habitent l'Amour, la Prière et l'Harmonie? Combien de fois, quand vous me faisiez entrevoir ces vaporeuses demeures, me suis écrié: «Non, ce monde n'embrasse pas tout; la science ne révèle pas tout; il y a l'infini au delà, et l'imagination a aussi son flambeau!»

Oh! qu'elle est grande la puissance du poëte! – Je ne dis pas du versificateur; de quelle licence, de quelle tyrannie n'est-il pas le complaisant? – Mais cette perception du Beau et du Sublime dans la nature, cette forte émotion éveillée dans l'âme à leur aspect, ce don de les revêtir d'un mélodieux langage pour y faire participer le vulgaire, voilà la Poésie. – Et à mesure qu'elle s'élève, elle se détache de tout élément égoïste ou pervers; car elle ne saurait partager les tristes infirmités d'ici-bas sans perdre le sentiment de ce qui est vrai, aimable et grand, c'est-à-dire sans cesser d'être Poésie. Tant que le rayon divin luit sur son front, ses tendances sont de purifier, spiritualiser, illuminer, élever. Aussi le vrai poëte, qu'il en ait ou non la conscience, est par excellence l'ami de l'humanité, le défenseur de ses droits, de ses priviléges et de ses progrès. Que dis-je? nul plus que lui ne l'entraîne dans la voie du progrès. N'est-ce pas lui en effet qui, en offrant sans cesse à notre contemplation la perfection idéale, nous la fait aimer, verse dans nos cœurs l'aspiration vers le Beau, et élève ainsi le diapason de notre âme jusqu'à ce qu'elle se sente en consonnance avec les types éternels dont il compose sa céleste harmonie?

Cette mission sublime, vous la remplissiez dans toute son étendue, et voilà pourquoi, Lamartine, vous étiez notre poëte de prédilection. Et maintenant, serons-nous condamnés à être les témoins de votre déchéance, à vous voir descendre vivant du haut de votre gloire, et à douter si ces émotions délicieuses, dont vous berciez notre jeunesse, étaient autre chose que de trompeuses illusions?

Car voilà qu'ambitionnant la royauté de la science, vous avez abdiqué votre royauté à vous, celle de la poésie. Vous avez voulu faire de la méthode avec l'imagination et de l'analyse avec des figures. Où cela vous a-t-il mené? à ressusciter l'empirisme économique de la Rome impériale; à exhumer des théories cent fois condamnées par l'expérience et qu'on croyait ensevelies pour toujours dans les profondeurs de l'oubli. – Au moment de succomber, quand il est naturel, pour me servir d'une expression vulgaire, de se prendre à toutes les branches, le monopole terrien, par l'organe des Bentinck et des Buckingham, n'a pas essayé de demander son salut ou un répit momentané à ces théories vermoulues; et le monde s'étonnera que ce soit vous, le grand poëte du siècle, qui soyez allé les déterrer on ne sait où, pour les exposer encore une fois, revêtues d'un magnifique langage, à la risée publique.

Décidément, votre muse s'est faite économiste; elle ne s'est pas effarouchée de cette bizarre transformation. Un moment j'ai cru que ce caprice allait lui réussir; c'est quand vous avez dit: «Laissons les capitaux, les industries et les salaires se faire, par la liberté, une justice que nos lois arbitraires ne leur feraient pas.»

Il me semblait qu'on ne pouvait émettre une pensée si vraie, sous une forme si précise, sans avoir suivi des deux côtés, dans leur long enchaînement, les effets de l'arbitraire et de la liberté. Et je disais à mes graves collègues: Miracle! triomphe! le grand poëte est à nous!

Hélas! je vois bien que vous deviez à vos puissants et généreux instincts cet éclair de vérité, et je serais tenté de vous demander:

 
Si quand vous avez fait ce charmant quoi qu'on die,
Vous avez bien senti toute son énergie;
 

car voilà que, d'un trait de plume, vous renversez aujourd'hui vos doctrines économiques de l'an dernier.

Voyons, avec quelque détail, ce que vous y substituez cette année.


Mais il serait peut-être inconvenant de prolonger cette discussion pied à pied. Je me demande quelquefois comment il est possible que deux esprits arrivent, sur la même question, à des solutions si opposées. Est-ce l'intérêt personnel qui m'aveugle? non, assurément. Je n'ai d'autres moyens d'existence qu'une terre, et cette terre ne produit que des céréales. Qu'on laisse entrer les céréales étrangères, et je ne crains pas que ma terre perde de sa valeur, je ne crains pas que mes bras restent oisifs. Non, je ne le crains pas, alors même que le blé étranger se vendrait, ainsi que vous le dites, relativement au nôtre, comme dix est à trente, alors même qu'il se donnerait pour rien; car dans cette supposition extrême, ce que le peuple dépense aujourd'hui en pain, il le dépenserait en viande, en beurre, en légumes, en fil, en laine et autres produits agricoles. Ma terre ne serait pas plus sans valeur, parce que chacun aurait gratuitement du pain pour son estomac, qu'elle n'est sans valeur aujourd'hui, parce que chacun a gratuitement de l'air pour ses poumons.

Et, après tout, quel droit avons-nous, nous propriétaires, sur les estomacs de ceux qui ne le sont pas? Leur faim est-elle faite pour notre blé, ou notre blé pour leur faim? Ne renversons pas le monde. Vivre, c'est le but, cultiver la terre, ce n'est que le moyen; c'est à nous de subordonner les convenances de notre production à la vie de nos frères, et il ne nous est pas permis de subordonner au contraire leur vie à nos convenances bien ou mal entendues. C'est pour moi une bien douce consolation que la doctrine de la liberté ne me montre qu'harmonie entre ces divers intérêts; et, avec votre âme, vous devez être bien malheureux, puisque vous ne voyez entre eux qu'une irrémédiable dissonance. Propriétaire, vous invoquez aujourd'hui la générosité des possesseurs du sol. Ah! c'est à leur justice qu'il fallait en appeler! Vous avez écrit sur la charité une page que j'admire comme tout le monde. Mais je l'admirerais bien davantage si je ne la voyais se terminer par cette amère conclusion: Le blé, c'est la vie; que la loi le maintienne à un maximum qui donne de la valeur à nos terres! – Et quelle est la main qui écrit ces lignes? C'est la même qui se lèvera à la Chambre pour le maximum, et qui s'ouvrira ensuite pour recevoir du pauvre l'injuste denier qui en est la conséquence. – Ah! croyez-moi, ainsi comprise, la charité perd bien de son prestige. Quand on demande l'exclusion du blé étranger pour mieux vendre le sien, on a beau parler de charité, on a beau porter ce mot devant soi comme une bannière, on n'a pas droit à la popularité, au moins à une popularité de bon aloi. Non, on n'y a pas droit, alors même qu'on ferait retentir, devant une population alarmée, de banales déclamations contre les doctrines meurtrières des amis de la liberté, contre les fautes et les crimes du gouvernement et des Chambres, contre la cupidité des spéculateurs et l'égoïsme du commerce. Avant de semer ainsi de dangereuses, et j'ose dire, injustes préventions populaires, il faudrait au moins ne pas venir dire: Que la loi irrite de quelques degrés la faim du peuple par l'exclusion du blé étranger, afin que nous, législateurs-propriétaires, tirions un meilleur parti de notre blé.

À Dieu ne plaise, monsieur, que je révoque en doute la pureté de vos intentions. Elle éclate dans tous vos écrits. En vous lisant, on sent que vous aimez le peuple. C'est vous, je crois, qui avez le premier employé cette expression: «la vie à bon marché,» qui pourrait être le titre de notre association du Libre-Échange; car la vie à bon marché, c'est la vie plus facile, plus douce, moins traversée de fatigues et d'angoisses, plus digne, plus intellectuelle et plus morale. La vie à bon marché, c'est le résultat que l'échange, et surtout l'échange libre, tend à produire. Assez de monopoleurs cherchent, sur cette question, à égarer le peuple; chose facile, car tout obstacle attirant à lui une portion de travail national, il est aisé de tourner contre le progrès, sous quelque forme qu'il se présente, – Liberté, Inventions, ou Épargnes, – le sentiment des masses. Vous, monsieur, qui savez leur parler, qu'elles écoutent et qu'elles aiment, aidez-nous à les dissuader. Mais ne soyez pas surpris que le zèle contre le monopole nous emporte, quand nous avons à craindre qu'il n'ait trouvé un champion tel que vous.

Je suis, monsieur, votre dévoué serviteur.

PROFESSION DE FOI ÉLECTORALE. À MM. LES ÉLECTEURS DE L'ARRONDISSEMENT DE SAINT-SEVER (1846)

Mes chers Compatriotes,

Encouragé par quelques-uns d'entre vous à me présenter aux prochaines élections, et voulant pressentir le concours sur lequel je pouvais compter, je me suis adressé à quelques électeurs. Hélas! l'un me trouve trop avancé, l'autre pas assez; celui-ci rejette mes opinions anti-universitaires, celui-là mes répugnances algériennes, qui mes convictions économiques, qui mes vues de réforme parlementaire, etc.

Ceci prouve que la meilleure tactique, pour un candidat, c'est de cacher ses opinions, ou, pour plus de sûreté, de n'en point avoir, et de s'en tenir prudemment au banal programme: «Je veux la liberté sans licence, l'ordre sans tyrannie, la paix sans honte et l'économie sans compromettre aucun service.»

Comme je n'aspire nullement à surprendre votre mandat, je continuerai à vous exposer sincèrement mes pensées, dussé-je par là m'aliéner encore bien des suffrages. Veuillez m'excuser si le besoin d'épancher des convictions qui me pressent me fait dépasser les limites que l'usage assigne aux professions de foi.

J'ai vu beaucoup de conservateurs, je me suis entretenu avec beaucoup d'hommes de l'opposition, et je crois pouvoir affirmer que ni l'un ni l'autre de ces deux grands partis qui divisent le Parlement n'est satisfait de lui-même.

 
On combat à la Chambre avec des boules molles.
 

Les conservateurs ont la majorité officielle; ils règnent, ils gouvernent. Mais ils sentent confusément qu'ils perdent le pays et qu'ils se perdent eux-mêmes. Ils ont la majorité, mais le mensonge notoire des scrutins élève au fond de leur conscience une protestation qui les importune. Ils règnent, mais ils voient que, sous leur règne, le budget s'accroît d'année en année, que le présent est obéré, l'avenir engagé, que la première éventualité nous trouvera sans ressources, et ils n'ignorent pas que l'embarras des finances fut toujours l'occasion des explosions révolutionnaires. Ils gouvernent, mais ils ne peuvent pas nier qu'ils gouvernent les hommes par leurs mauvaises passions, et que la corruption politique pénètre dans toutes les veines du pays légal. Ils se demandent quelles seront les conséquences d'un fait aussi grave, et ce qui doit advenir d'une nation où l'immoralité est en honneur et où la foi politique est un objet de dérision et de mépris. Ils s'inquiètent de voir le régime constitutionnel faussé dans son essence, jusque-là que le pouvoir exécutif et l'assemblée nationale ont publiquement échangé leurs attributions, les ministres cédant aux députés la nomination à tous les emplois, les députés abandonnant aux ministres leur part du pouvoir législatif. Ils voient, par cet ordre, un profond découragement s'emparer des serviteurs de l'État, alors que la faveur et la docilité électorale sont les seuls titres à l'avancement, et que les plus longs et les plus dévoués services sont comptés absolument pour rien. Oui, l'avenir de la France trouble les conservateurs; et combien n'y en a-t-il pas parmi eux qui passeraient à l'opposition, s'ils y trouvaient quelques garanties pour cette paix intérieure et extérieure qui est l'objet de leur prédilection!

D'un autre côté, l'opposition, comme parti, a-t-elle confiance dans la solidité du terrain où elle s'est placée? Que demande-t-elle? que veut-elle? quel est son principe? son programme? Nul ne le sait. Son rôle naturel serait de veiller au dépôt sacré de ces trois grandes conquêtes de la civilisation: paix, liberté, justice. Et elle ne respire que guerres, prépondérance, idées napoléoniennes. Et elle déserte la liberté du travail et des échanges comme la liberté de l'intelligence et de l'enseignement. Et, dans son ardeur conquérante, à l'occasion de l'Afrique et de l'Océanie, il est sans exemple que le mot justice se soit jamais présenté sur ses lèvres. Elle sent qu'elle travaille pour des ambitieux et non pour le public; que la multitude ne gagnera rien au succès de ses manœuvres. Nous avons vu une opposition de quinze membres soutenue autrefois par l'enthousiaste assentiment d'un grand peuple. Mais l'opposition de nos jours n'a point enfoncé ses racines dans les sympathies populaires; elle se sent séparée de ce principe de force et de vie, et, sauf l'ardeur que des vues personnelles inspirent à ses chefs, elle est pâle, confuse, découragée, et la plupart de ses membres sincères passeraient au parti conservateur, s'ils ne répugnaient à s'associer à la direction perverse qu'il a imprimée aux affaires.

Étrange spectacle! D'où vient qu'au centre comme aux extrémités de la Chambre, les cœurs honnêtes se sentent mal à l'aise? Ne serait-ce pas que la conquête des portefeuilles, but plus ou moins avoué de la lutte où ils sont engagés, n'intéresse que quelques individualités et reste complétement étranger aux masses? Ne serait-ce point qu'un principe de ralliement leur manque? Peut-être suffirait-il de jeter au sein de cette assemblée une idée simple, vraie, claire, féconde, pratique, pour y voir surgir ce qu'on y cherche en vain, un parti représentant exclusivement, dans toute leur étendue et dans tout leur ensemble, les intérêts des administrés, des contribuables.

Cette féconde idée, je la vois dans le symbole politique d'illustres publicistes dont la voix n'a malheureusement pas été écoutée. J'essayerai de le résumer devant vous.

Il est des choses qui ne peuvent être faites que par la force collective ou le pouvoir, et d'autres qui doivent être abandonnées à l'activité privée.

Le problème fondamental de la science politique est de faire la part de ces deux modes d'action.

La fonction publique, la fonction privée ont toutes deux en vue notre avantage. Mais leurs services diffèrent en ceci, que nous subissons forcément les uns et agréons volontairement les autres; d'où il suit qu'il est raisonnable de ne confier à la première que ce que la seconde ne peut absolument pas accomplir.

Pour moi, je pense que lorsque le pouvoir a garanti à chacun le libre exercice et le produit de ses facultés, réprimé l'abus qu'on en peut faire, maintenu l'ordre, assuré l'indépendance nationale et exécuté certains travaux d'utilité publique au-dessus des forces individuelles, il a rempli à peu près toute sa tâche.

En dehors de ce cercle, religion, éducation, association, travail, échanges, tout appartient au domaine de l'activité privée, sous l'œil de l'autorité publique, qui ne doit avoir qu'une mission de surveillance et de répression.

Si cette grande et fondamentale ligne de démarcation était ainsi établie, le pouvoir serait fort, il serait aimé, puisqu'il ne ferait jamais sentir qu'une action tutélaire.

Il serait peu coûteux, puisqu'il serait renfermé dans les plus étroites limites.

Il serait libéral, car, sous la seule condition de ne point froisser la liberté d'autrui, chaque citoyen jouirait, dans toute sa plénitude, du franc exercice de ses facultés industrielles, intellectuelles et morales.

J'ajoute que la puissance de perfectibilité qui est en elle étant dégagée de toute compression réglementaire, la société serait dans les meilleures conditions pour le développement de sa richesse, de son instruction et de sa moralité. Mais, fût-on d'accord sur les limites de la puissance publique, ce n'est pas une chose aisée que de l'y faire rentrer et de l'y maintenir.

Le pouvoir, vaste corps organisé et vivant, tend naturellement à s'agrandir. Il se trouve à l'étroit dans sa mission de surveillance. Or, il n'y a pas pour lui d'agrandissements possibles en dehors d'empiétements successifs sur le domaine des facultés individuelles. Extension du pouvoir, cela signifie usurpation de quelque mode d'activité privée, transgression de la limite que je posais tout à l'heure entre ce qui est et ce qui n'est pas son attribution essentielle. Le pouvoir sort de sa mission quand, par exemple, il impose une forme de culte à nos consciences, une méthode d'enseignement à notre esprit, une direction à notre travail ou à nos capitaux, une impulsion envahissante à nos relations internationales, etc.

Et veuillez remarquer, messieurs, que le pouvoir devient coûteux à mesure qu'il devient oppressif. Car il n'y a pas d'usurpations qu'il puisse réaliser autrement que par des agents salariés. Chacun de ses envahissements implique donc la création d'une administration nouvelle, l'établissement d'un nouvel impôt; en sorte qu'il y a entre nos liberté et nos bourses une inévitable communauté de destinées.

Donc si le public comprend et veut défendre ses vrais intérêts, il arrêtera la puissance publique dès qu'elle essayera de sortir de sa sphère; et il a pour cela un moyen infaillible, c'est de lui refuser les fonds à l'aide desquels elle pourrait réaliser ses usurpations.

Ces principes posés, le rôle de l'opposition, et j'ose dire de la Chambre tout entière, est simple et bien défini.

Il ne consiste pas à embarrasser le pouvoir dans son action essentielle, à lui refuser les moyens de rendre la justice, de réprimer les crimes, de paver les routes, de repousser l'agression étrangère.

Il ne consiste pas à le décréditer, à l'avilir dans l'opinion, à le priver des forces dont il a besoin.

Il ne consiste pas à le faire passer de main en main, par des changements de ministères, et, encore moins, de dynasties.

Il ne consiste pas même à déclamer puérilement contre sa tendance envahissante; car cette tendance est fatale, irrémédiable, et se manifesterait sous un président comme sous un roi, dans une république comme dans une monarchie.

Il consiste uniquement à le contenir dans ses limites; à maintenir, dans toute son intégrité et aussi vaste que possible, le domaine de la liberté et de l'activité privée.

Si donc vous me demandiez: Que, feriez-vous comme député? je répondrais: Eh! mon Dieu, ce que vous feriez vous-mêmes en tant que contribuables et administrés.

Je dirais au pouvoir: Manquez-vous de force pour maintenir l'ordre au dedans et l'indépendance au dehors? Voilà de l'argent et des hommes, car c'est au public et non au pouvoir que l'ordre et l'indépendance profitent.

Mais prétendez-vous nous imposer un symbole religieux, une théorie philosophique, un système d'enseignement, une méthode agricole, un courant commercial, une conquête militaire? Point d'argent ni d'agents; car ici, il nous faudrait payer non pour être servis mais asservis, non pour conserver notre liberté mais pour la perdre.

Cette doctrine se résume en ces simples mots: Tout pour la masse des citoyens grands et petits. Dans leur intérêt, bonne administration publique en ce qui, par malheur, ne se peut exécuter autrement. Dans leur intérêt encore, liberté pleine et entière pour tout le reste, sous la surveillance de l'autorité sociale.

Une chose vous frappera, messieurs, comme elle me frappe, et c'est celle-ci: pour qu'un député puisse tenir ce langage, il faut qu'il fasse partie de ce public pour qui l'administration est faite et qui le paye.

Il faut bien admettre qu'il appartient exclusivement au public de décider comment, dans quelle mesure, à quel prix il entend être administré, sans quoi le gouvernement représentatif ne serait qu'une déception, et la souveraineté nationale un non-sens. Or, la tendance du gouvernement à un accroissement indéfini étant admise, si, quand il vous interroge par l'élection, sur ses propres limites, vous lui laissez le soin de se faire lui-même la réponse, en chargeant ses propres agents de la formuler, autant vaudrait mettre vos fortunes et vos libertés à sa discrétion. Attendre qu'il puise en lui-même la résistance à sa naturelle expansion, c'est attendre de la pierre qui tombe une énergie qui suspende sa chute.

Si la loi d'élection portait: «Les contribuables se feront représenter par les fonctionnaires;» vous trouveriez cela absurde et comprendriez qu'il n'y aurait plus aucune borne à l'extension du pouvoir, si ce n'est l'émeute, et à l'accroissement du budget, si ce n'est la banqueroute; mais les résultats changent-ils parce que les électeurs suppléent bénévolement à une telle prescription?

Ici, messieurs, je dois aborder la grande question des incompatibilités parlementaires. J'en dirai peu de chose, me réservant d'adresser des observations plus étendues à M. Larnac. Mais je ne puis la passer entièrement sous silence, puisqu'il a jugé à propos de faire circuler parmi vous une lettre, dont je n'ai pas gardé copie, et qui, n'étant pas destinée à la publicité, ne faisait qu'effleurer ce vaste sujet.

Selon l'interprétation qu'on a donnée à cette lettre, je demanderais que tous les fonctionnaires fussent exclus de la Chambre.

J'ignore si ma lettre laisse apercevoir un sens aussi absolu. En ce cas, l'expression aurait été au delà de ma pensée. Je n'ai jamais cru que l'assemblé où s'élaborent les lois pût se passer de magistrats; qu'on y pût traiter avec avantage des questions maritimes en l'absence de marins; des questions militaires en l'absence de militaires; des questions de finances, en l'absence de financiers.

J'ai dit ceci et je le maintiens. Tant que la loi n'aura pas réglé la position des fonctionnaires à la Chambre, tant que leurs intérêts de fonctionnaires ne seront pas, pour ainsi dire, effacés par leurs intérêts de contribuables, ce que nous avons de mieux à faire, nous électeurs, c'est de n'en pas nommer; et j'aimerais mieux, je l'avoue, qu'il n'y en eût pas un seul au Palais-Bourbon que de les y voir en majorité, sans que des mesures de prudence, réclamées par le bon sens public, les aient mis et nous aient mis à l'abri de l'influence que l'espoir et la crainte doivent exercer sur leurs votes.

On a voulu voir là une jalousie mesquine, une défiance presque haineuse contre les fonctionnaires.

Il n'en est rien. Je connais beaucoup de fonctionnaires, presque tous mes amis le sont (car qui ne l'est aujourd'hui?), je le suis moi-même; et, dans mes essais d'économie politique, j'ai soutenu, contre l'opinion de mon maître, M. Say, que leurs services étaient productifs au même titre que les services privés. Mais il n'en est pas moins vrai qu'ils en diffèrent en ce que nous ne prenons de ceux-ci que ce que nous voulons, et à prix débattu, tandis que ceux-là nous sont imposés ainsi que la rémunération qui y est afférente. Ou, si l'on prétend que les services publics et leur rémunération sont volontairement agréés par nous, parce que nos députés les stipulent, on conviendra que notre acquiescement ne résulte que de cette stipulation même. Ce n'est donc pas aux fonctionnaires de la faire. Il ne leur appartient pas plus de régler l'étendue du service et sa rémunération, qu'il n'appartient à mon fournisseur de vin de régler la quantité que j'en dois prendre et le prix que je dois y mettre. Ce n'est pas des fonctionnaires que je me défie, c'est du cœur humain; et je puis estimer les hommes qui vivent sur les impôts tout en les croyant peu propres à les voter, tout comme M. Larnac estime probablement les juges, tout en regardant leurs fonctions comme incompatibles avec le service de la garde nationale.

On a aussi présenté ces vues de réforme parlementaire comme entachées d'un radicalisme outré.

J'avais cependant eu soin de préciser que, dans ma pensée, elle est plus nécessaire encore à la stabilité du pouvoir qu'à la sauvegarde de nos libertés. Les hommes les plus dangereux à la Chambre, disais-je, ne sont pas les fonctionnaires, mais ceux qui aspirent à le devenir. Ceux-là sont entraînés à faire au cabinet, quel qu'il soit, une guerre incessante, tracassière, factieuse, sans aucune utilité pour le pays; ceux-là exploitent les événements, faussent les questions, égarent l'esprit public, entravent les affaires, troublent le monde, car ils n'ont qu'une pensée: renverser les ministres pour se mettre à leur place. Pour nier cette vérité, il faudrait n'avoir jamais ouvert les yeux sur les annales de la Grande-Bretagne, il faudrait repousser volontairement les enseignements de notre histoire constitutionnelle tout entière.

Ceci me ramène à la pensée fondamentale de cette adresse, car vous voyez que l'opposition peut être conçue sous deux aspects très-différents.

L'opposition, telle qu'elle est, résultat infaillible de l'admissibilité des députés au pouvoir, c'est l'effort désordonné des ambitions. Elle attaque violemment les hommes et mollement les abus; c'est tout simple, puisque les abus composent la plus grande part de l'héritage qu'elle s'efforce de recueillir. Elle ne songe pas à circonscrire le domaine administratif. Elle se donnerait bien garde de supprimer quelques rouages à la vaste machine dont elle convoite la direction. Au reste, nous l'avons vue à l'œuvre. Son chef a été premier ministre; le premier ministre a été son chef. Elle a gouverné sous l'une et l'autre bannière. Qu'y avons-nous gagné? À travers ces évolutions, jamais le mouvement ascensionnel du budget a-t-il été suspendu une minute?

L'opposition, telle que je la conçois, c'est la vigilance organisée du public. Elle est calme, impartiale, mais permanente comme la réaction du ressort sous la main qui le presse. Pour que l'équilibre ne soit pas rompu, ne faut-il pas que la force résistante des administrés soit égale à la force expansive des administrateurs? Elle n'en veut point aux hommes, elle n'a que faire de les déplacer, elle les aide même dans le cercle de leurs légitimes fonctions; mais elle les y renferme sans pitié.

Vous croyez peut-être que cette opposition naturelle, qui n'a rien de dangereux ni de subversif, qui n'attaque le pouvoir ni dans ses dépositaires, ni dans son principe, ni dans son action utile, mais seulement dans son exagération, est moins antipathique aux ministres que l'opposition factieuse. Détrompez-vous. C'est celle-là surtout qu'on craint, qu'on hait, qu'on fait avorter par la dérision, qu'on empêche de se produire au sein des colléges électoraux, parce qu'on voit bien qu'elle va au fond des choses et poursuit le mal dans sa racine. L'autre opposition, l'opposition personnelle, n'est pas aussi redoutable. Entre les hommes qui se disputent les portefeuilles, quelque acharnée que soit la lutte, il y a toujours un pacte tacite, en vertu duquel le vaste appareil gouvernemental doit être laissé intact. «Renversez-moi si vous pouvez, dit le ministre, je vous renverserai à votre tour; seulement, ayons soin que l'enjeu reste sur le bureau, sous forme d'un budget de quinze cents millions.» Mais le jour où un député, parlant au nom des contribuables et comme contribuable, ayant donné des garanties qu'il ne veut et ne peut pas être autre chose, se lèvera à la Chambre pour dire soit aux ministres en titre, soit aux ministres en expectative: Messieurs, disputez-vous le pouvoir, je ne cherche qu'à le contenir; disputez-vous la manipulation du budget, je n'aspire qu'à le diminuer; ah! soyez sûr que ces furieux athlètes, si acharnés en apparence, sauront fort biens s'entendre pour étouffer la voix du mandataire fidèle. Ils le traiteront d'utopiste, de théoricien, de réformateur dangereux, d'homme à idée fixe, sans valeur pratique; ils l'accableront de leur mépris; ils tourneront contre lui la presse vénale. Mais si les contribuables l'abandonnent, tôt ou tard ils apprendront qu'ils se sont abandonnés eux-mêmes.

Voilà ma pensée tout entière, messieurs; je l'ai exposée sans déguisement, sans détour, tout en regrettant de ne pouvoir la corroborer de tous les développements qui auraient pu entraîner vos convictions. J'espère en avoir assez dit, cependant, pour que vous puissiez apprécier la ligne de conduite que je suivrais si j'étais votre mandataire, et il est à peine nécessaire d'ajouter que mon premier soin serait de me placer, à l'égard du pouvoir et de l'opposition ambitieuse, dans cette position d'indépendance qui seule peut donner des garanties, et qu'il faut bien s'imposer, puisque la loi n'y a pas pourvu.

50.Extrait du Journal des Économistes, no d'octobre 1846. (Note de l'éditeur.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
03 июля 2017
Объем:
633 стр. 40 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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