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Читать книгу: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1», страница 22

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«La détresse influe prodigieusement sur les tables de la mortalité. En thèse générale, on peut dire que, dans notre espèce, il existe toujours des hommes autant et en proportion qu'ils savent et qu'ils peuvent se procurer des moyens de subsistance.»

«Il est certain que l'augmentation du nombre des individus est une conséquence de leur bien-être.» (Destutt de Tracy, Commentaire de l'Esprit des Lois; chap. XXII, liv. XXIII.)

«La population d'un pays n'est jamais bornée que par ses produits; la production est la mesure de la population.» (J. B. Say, Cours d'économie politique, 6e partie, chap. II.)

«Le revenu est la mesure de la subsistance et de l'aisance. Le revenu est la mesure de l'accroissement de la population pour la société comme pour la famille.» (Simonde de Sismondi, Études sur l'économie politique, vol. II, p. 128.)

«La population croît naturellement à mesure que les ressources pour exister augmentent.» (Droz, Économie politique, liv. III, chap. VI.)

«Tant que les moyens de vivre s'accroissent, la population se multiplie; quand ils restent stationnaires, la population reste stationnaire; aussitôt qu'ils diminuent, la population diminue dans la même proportion.» (Ch. Comte, vol. VII, pag. 6.)

Qu'on me pardonne ce nombre inusité de citations; j'ai cru ne pouvoir trop solidement établir un principe qui sert de base aux plaintes et aux réclamations de mon pays.

Mais après tout, et science à part, soutiendrait-on sérieusement qu'il n'y a pas eu amélioration dans les revenus de la Lande et du Maransin, détérioration dans ceux du Condomois et de la Chalosse? Est-ce que le prix des matières résineuses et des vins est un mystère? ou bien peut-il s'élever ou s'avilir d'une manière permanente, sans que la condition des propriétaires et des métayers s'en ressente? Prétendra-t-on que 156 individus vivent aujourd'hui dans le canton de Castets sur un revenu identique à celui qu'on proclamait autrefois insuffisant pour 100 personnes? Ils sont donc bien misérables, forcés qu'ils sont de retrancher un tiers de leurs dépenses, de se réduire d'un tiers dans toutes leurs consommations? Eh bien, examinons encore la question sous ce point de vue. Voyons si le nombre des hommes ne s'est accru, dans une portion du département, que par des retranchements que chacun se serait imposés sur ses consommations. Si nous venons à découvrir que les habitants de la Lande sont pourvus de toutes choses aussi bien et mieux que ceux de la Chalosse, il faudra bien reconnaître que cette population additionnelle n'est pas venue partager des revenus immuables, mais vivre sur des revenus nouveaux, qui se sont formés à mesure, lesquels, en toute justice, doivent leur part d'impôt.

M. le Ministre de l'agriculture et du commerce a fait publier une statistique de la France. J'y ai relevé avec soin l'état de la consommation, dans chacun de nos trois arrondissements. Il est à regretter, sans doute, que nous ne puissions pas faire de semblables relevés pour chaque canton, et même pour chaque commune; car plus nous arriverions à une circonscription qui présentât d'une manière tranchée une culture dominante, plus l'effet se rapprocherait de la cause. Quoi qu'il en soit, le tableau suivant suffit pour éclairer la question qui nous occupe.

CONSOMMATION PAR HABITANT35.



Ce qu'il faut surtout comparer, c'est les consommations du premier et du deuxième arrondissement, qui puisent leurs revenus, au moins dans une forte proportion, à des sources différentes, puisque l'un paie le double pour ses pins que pour ses vignes, et l'autre le triple pour ses vignes que pour ses pins.

Or, nous voyons que la consommation annuelle de chaque habitant du premier arrondissement dépasse celle de chaque habitant du second, de 54 litres pour les céréales, de 2 kil. 40 pour la viande, de 152 litres pour le vin, et de 21 centilitres pour l'eau-de-vie.

En argent la différence est moins forte, parce que, par des motifs dont je ne me rends pas compte, le document officiel porte le seigle, le maïs et le vin, à des prix beaucoup plus élevés à Saint-Sever qu'à Mont-de-Marsan. Mais cette différence est encore de 8 fr. 87 c., en faveur de l'habitant des Landes; et cette somme, multipliée par le chiffre de la population du premier arrondissement, en 1836, établit une supériorité de consommation, et par conséquent de revenu, de plus de 800,000 fr. du côté de l'arrondissement qui paie 35,000 fr. de moins de contributions en principal.

Cette inégalité dans la répartition de l'impôt se déduit plus clairement encore de l'état ci-dessous, qui présente la valeur totale des consommations pour les trois arrondissements.



On voit combien était dans l'erreur M. le Ministre de l'intérieur lorsque, pour dissuader le Conseil général de reviser la sous-répartition actuelle, il écrivait, le 14 octobre 1836, qu'il n'était pas probable qu'il fût survenu de changements marqués dans le produit des vignes et des pins. Les faits révèlent une inégalité sérieuse et profonde. Ainsi, en céréales, viandes et boissons, il est consommé pour une valeur de



Et cependant, dans les cantons de Saint-Sever, Mugron, Aire, chaque habitant paie 3 fr. 24 c. de contribution en moyenne; tandis que dans les cantons de Labrit, Parentis, Sore, Mimizan, Sabres, Pissos, il ne paie que 1 fr. 86 c., d'où il résulte que pour les premiers de ces cantons, le rapport de l'impôt à la consommation est de 5 fr. 93 c. à 100, tandis qu'il n'est que de 2 fr. 56 c. à 100 pour les seconds.

Et il ne faut pas perdre de vue que chacune des trois grandes circonscriptions du département admettant les trois cultures dont nous recherchons l'influence, ces influences ne nous apparaissent que confondues. Il est clair que dans le premier arrondissement, la moyenne de 72 fr. 56 c. a été nécessairement dépassée à Parentis, Sabres, Arjuzanx, Pissos, etc., si, comme il est permis de le croire, elle n'a pas été atteinte à Gabarret et Villeneuve. Ce que nous avons dit à cet égard, à propos de la population, s'applique, par les mêmes motifs, à la consommation.

Si l'on voulait se donner la peine de condenser en chiffres toutes les considérations qui précèdent, voici les résultats auxquels on arriverait:

Le contingent de chacune des trois grandes cultures du département est de



Ce qui implique que chacune d'elles concourt à un revenu de 1,000 fr., selon le rapport des nombres:

663 – 157 – 180

C'est là le rapport qu'il s'agit de rectifier conformément aux observations contenues dans les deux paragraphes de cet écrit.

Dans le premier, nous avons vu que les évaluations avaient été viciées par l'application de prix moyens inexacts, et d'un taux d'intérêt uniforme.

Pour les céréales, on avait adopté le prix commun de 14 fr. 28 c., tandis que les mercuriales, de 1828 à 1836, n'accusent que 12 fr. 52 c. – Préjudice fait aux labourables: 12-1/3 p. 100.

Pour les vins rouges, on a opéré sur un prix moyen supposé de 42 fr. Si l'on veut bien se reporter à ce que nous avons dit à ce sujet (p. 286), on reconnaîtra qu'il n'y a certes pas exagération à évaluer le préjudice fait aux vignes à 10 p. 100.

Pour les résines, on a établi le prix de 2 fr. 50 les 50 kil.

– En le portant à 3 fr. 50 c. on serait encore resté au-dessous de la vérité. Les pins ont donc été favorisés dans la proportion de 40 p. 100.

Rectifiant le revenu des trois cultures selon ces bases, ils sont entre eux comme:

582 – 141 – 252

D'un autre côté, si l'intérêt à 3 p. 100 pour les labourables et les vignes, et 4 p. 100 pour les pins, eût prévalu sur le taux uniforme de 3-½ p. 100, le revenu des deux premières cultures eût été évalué à 16-2/3 p. 100 de moins, et celui de la troisième à 16-2/3 p. 100 de plus; et leurs forces contributives se seraient trouvées proportionnelles aux nombres:

553 – 131 – 210

La moyenne entre ces deux bases d'opération est de:

567 – 136 – 231

Et par conséquent le contingent de 422,008 fr. se serait réparti comme suit:



Telle eût dû être la répartition originaire, en supposant qu'il n'a pas été commis, sur les quantités produites, des erreurs analogues à celles que nous avons relevées sur les prix moyens et le taux de l'intérêt.

Telle elle devrait être encore, s'il n'était survenu aucun changement dans la valeur productive des trois natures de cultures.

Mais dans le second paragraphe de ce travail, nous avons constaté que la population, et par induction le revenu, a varié comme suit:



Les trois rapports ci-dessus: 567 – 136 – 231 – doivent donc être modifiés selon ces nouvelles données, et remplacés par ceux-ci:

657 – 110 – 395

D'où il suit, qu'en définitive le contingent de 422,008 fr. devrait se répartir ainsi:



En d'autres termes, l'impôt est trop élevé:



Je ne puis m'empêcher de soumettre au lecteur, en terminant, quelques réflexions qui ne s'écartent pas trop du sujet que je traite.

Une détresse effrayante s'est étendue sur une portion considérable de notre département et y a si profondément affecté les moyens d'existence, que les sources mêmes de la vie en ont été altérées. Nous n'avons pas la statistique de toutes les consommations de notre arrondissement, mais nous savons que la population ne consacre à ses aliments, que 54 fr. au lieu de 72 fr. qu'on y affecte ailleurs. Cependant les aliments sont la dernière chose sur laquelle on s'avise d'opérer des retranchements. Et comme, d'ailleurs, il existe parmi nous une classe aisée qui n'en est pas encore réduite à se priver de pain et de vin, il faut en conclure qu'autant cette classe dépasse la moyenne de 54 fr., autant les classes laborieuses sont éloignées de l'atteindre.

C'est ainsi que s'explique la dépopulation que constatent les dénombrements et les actes de l'état civil.

Ce lamentable phénomène se lie à une révolution agricole qui s'opère sous nos yeux et qu'on n'a pas assez remarquée.

La superficie des métairies s'était naturellement proportionnée à ce qui était nécessaire, pour que la part colone pût faire vivre une famille de cultivateurs.

Lorsque, par suite de la dépréciation des produits, cette part est devenue insuffisante, le métayer est tombé à la charge du propriétaire; et celui-ci s'est vu dans l'alternative ou de laisser le domaine sans culture ou de prendre sur sa propre part, déjà réduite, de quoi suppléer à celle du colon.

Dès ce moment, l'aliment du métayer a été pesé, mesuré, restreint au strict nécessaire. De plus, une tendance prononcée s'est manifestée vers l'agrandissement des métairies. Ici des réunions se sont opérées; là on a arraché des vignes pour agrandir les labourables. Tous ces expédients ont un résultat et même un but commun: diminuer le nombre d'hommes, rétablir l'équilibre entre la population et les subsistances.

Si cette évolution, avec les conséquences qu'elle entraîne, avait pour cause quelque cataclysme physique, il faudrait gémir et baisser la tête. Mais il n'en est pas ainsi; la Providence ne nous a pas retiré ses dons, le ciel de la Chalosse n'est pas devenu d'airain, le soleil et la rosée n'ont pas cessé de la féconder. Pourquoi donc ne peut-elle plus nourrir ses habitants?

Il ne faut pas aller bien loin pour en trouver la raison. C'est qu'ils ont été dépouillés de la liberté d'échanger, la plus immédiatement utile à l'homme après la liberté de travailler.

C'est donc la législation qui est la cause de nos maux. Les manufacturiers nous ont dit: «Vous n'achèterez qu'à nous et à notre prix.» Le fisc: «Vous ne vendrez qu'après que j'aurai pris la moitié de votre produit.»

La législation nous tue, dans le sens le plus absolu du mot; et si nous voulons vivre, il faut réformer la législation. (V. le Discours sur l'impôt des boissons, t. V, p. 468.)

Or une réforme dans la législation ne peut émaner que du corps électoral.

Mais comment remplit-il sa mission?

En présence des maux sans nombre qui dépeuplent nos champs et nos villes, que fait-il pour modérer l'action du fisc, pour restituer aux hommes la faculté d'échanger entre eux, selon leurs intérêts, le fruit de leurs sueurs?

Ce qu'il fait? Il remet le mandat législatif à nos adversaires; il va chercher des représentants dans les forges, dans les fabriques et jusque dans les antichambres.

On entend de toute part proclamer cette doctrine: «Les faveurs sont au pillage; bien fou celui qui ne fait pas comme les autres.»

Parmi les hommes qui tiennent ce langage, il en est qui ne songent qu'à eux, – je n'ai rien à leur dire. Mais d'autres ne peuvent être soupçonnés d'un tel égoïsme; leur fortune les met au-dessus des combinaisons d'une ambition mesquine. Une raison sans réplique constate, d'ailleurs, leur désintéressement personnel: s'ils cherchaient leur propre avancement, ce n'est pas du droit électoral, mais de la députation qu'ils se feraient un marchepied; et on les voit décliner la candidature.

Ce n'est donc pas à eux-mêmes, mais à l'esprit de localité qu'ils sacrifient l'intérêt général. L'intérêt général est une chose inaccessible, disent-ils. La machine est montée pour épuiser nos malheureux compatriotes; il n'est pas en notre pouvoir de suspendre son action, faisons du moins retomber sur eux, sous forme de grâces, une partie de ce qu'elle leur arrache.

Mais, je le demande, ces grâces, ces faveurs, quelque multipliées qu'on les suppose, ont-elles aucune proportion avec les maux que je viens de décrire? Qu'importe à ces paysans que l'inanition décime, à ces artisans sans ouvrage, à ces propriétaires dont la plus âpre parcimonie peut à peine retarder la ruine, qu'importe à ces victimes du fisc et du monopole qu'une sous-préfecture, un siége au Palais, aillent payer à l'Électeur en évidence le salaire de son apostasie? – Rendez-leur le droit d'échanger, et vous aurez plus fait pour votre pays que si vous lui aviez concilié la faveur du duc de Nemours en personne, ou celle du Roi lui-même!

Vous vous proclamez conservateurs. Vous vous opposez à ce que le droit électoral pénètre jusqu'aux dernières couches sociales. Mais alors soyez donc les tuteurs intègres de ces hommes frappés d'interdiction. Vous ne voulez ni stipuler loyalement pour eux, ni qu'ils stipulent légalement pour eux-mêmes, ni qu'ils s'insurgent contre ce qui les blesse. Que voulez-vous donc?...... Il n'y a qu'un terme possible à leurs souffrances, – et ce terme, les tables de la mortalité le laissent assez entrevoir.


RÉGION DES PINS.




RÉGION DES VIGNES.

MÉLANGES

DE L'INFLUENCE DES TARIFS FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR L'AVENIR DES DEUX PEUPLES 36

«Que si, pour démentir mes assertions, on les appelait du nom d'utopies, nom merveilleusement propre à faire reculer les esprits timides et à les enfoncer dans l'ornière de la routine, j'inviterais ceux qui me répondraient ainsi à considérer attentivement tout ce qui s'est fait depuis quelques années et ce qui se fait encore aujourd'hui en Angleterre, et à dire ensuite si, de bonne foi, on ne peut aussi bien le réaliser en France.» (Prince de Joinville, Notes sur l'état des forces navales, etc.)

La France s'engage chaque année davantage dans le régime protecteur.

L'Angleterre s'avance, de session en session, vers le régime de la liberté du commerce.

Je me pose cette question:

Quelles seront pour ces deux nations les conséquences de deux politiques si opposées?

Une explication préliminaire est nécessaire.

On verra, dans la suite de cet écrit, que je ne sépare pas le régime protecteur du système des colonies à monopole réciproque. Voici pourquoi:

La protection a pour objet d'assurer des consommateurs à l'industrie nationale. Or, «les gouvernements, disait M. de Saint-Cricq, alors ministre du commerce, ne pouvant disposer que des consommateurs soumis à leurs lois, ce sont ceux-là qu'ils s'efforcent de réserver au travail de leurs producteurs.» Si, par la protection, les gouvernements entendent disposer des consommateurs soumis à leurs lois, par les colonies ils s'efforcent de soumettre à leurs lois des consommateurs dont ils puissent disposer. Une de ces politiques conduit à l'autre; toutes deux émanent de la même idée, procèdent de la même théorie, et ne sont, si je puis le dire, que les deux aspects, intérieur et extérieur, d'une combinaison identique.

Cela posé, j'ai à établir deux faits.

1° La France s'engage de plus en plus dans la vie artificielle de la protection.

2° L'Angleterre s'avance graduellement vers la vie naturelle de la liberté.

J'aurai ensuite à résoudre cette question:

3° Quelles seront, sur la prospérité, la sécurité et la moralité des deux peuples, les conséquences de la situation dans laquelle ils aspirent à se placer?

§ I. – Que la France développe, à chaque session, le régime protecteur, c'est ce qui résulte surabondamment des dispositions qui viennent périodiquement prendre place dans le vaste Bulletin de ses lois.

Depuis deux ans, elle a exclu les tissus étrangers de l'Algérie, élevé les droits sur les fils anglais, renforcé le monopole du sucre au profit des Antilles, et la voilà sur le point de repousser, par aggravation de taxes, les machines et le sésame.

Un mot sur chacune de ces mesures.

On a repoussé de l'Algérie les produits étrangers. «C'est bien le moins, dit-on, que nous exploitions exclusivement une conquête qui nous coûte si cher.» Mais, en premier lieu, forcer la jeune colonie d'acheter cher ce qu'elle pourrait obtenir à bon marché, restreindre ses échanges et par suite ses exportations, est-ce bien là favoriser sa prospérité? D'un autre côté, une telle mesure n'est-elle pas le germe du contrat colonial, de ce contrat que j'ai nommé à monopole réciproque, honte et fardeau des peuples modernes, si inférieurs à cet égard aux nations antiques? Nous nous réservons le monopole en Algérie; c'est fort bien. Mais qu'aurons-nous à répondre aux colons, quand ils demanderont, par réciprocité, à exercer un semblable monopole chez nous? Manquaient-ils déjà de raisons spécieuses à faire valoir, et fallait-il leur en fournir d'irrécusables? Le jour n'est pas éloigné où ils nous diront: Vous nous forcez à acheter vos tissus; achetez donc nos laines; nos soies, nos cotons. Vous ne voulez pas que vos produits rencontrent chez nous de concurrence; éloignez donc la concurrence qui attend les nôtres sur vos marchés. Ne sommes-nous pas Français? N'avons-nous pas autant de droits que les planteurs des Antilles à une juste réciprocité? Nous payons les capitaux à 10 pour 100; nous travaillons d'un bras et combattons de l'autre: comment pourrions-nous lutter contre des concurrences prospères et paisibles? Prohibez donc les cotons des États-Unis, les soies d'Italie, les laines d'Espagne, si vous ne voulez étouffer dans son berceau une colonie arrosée de tant de sueurs, de tant de sang et de tant de larmes. – En vérité, j'ignore ce que la métropole aura à répondre. Sans cette malencontreuse ordonnance, nous aurions résisté à de telles exigences sans blesser la justice ni l'équité.

Vous êtes libres, dirions-nous aux colons, de porter ou de ne pas porter vos capitaux en Afrique; c'est à vous de calculer les chances relatives de leur placement au delà ou en deçà de la Méditerranée. Libres d'acheter et de vendre selon vos convenances, vous êtes sans droit pour réclamer de notre part l'aliénation d'une semblable liberté.

Aujourd'hui de telles paroles ne seraient que mensonge et dérision.

Mais qu'ai-je besoin de prévoir l'avenir? Il est si vrai que tout privilége métropolitain implique un privilége colonial correspondant, que l'ordonnance à laquelle je fais allusion nous a déjà engagés dans cette voie. Écoutons M. le ministre du commerce (Exposé des motifs de la loi des douanes, page 37; séance du 26 mars 1844).

«Pour nos produits, le régime de l'Algérie est la franchise entière de toute taxe d'importation. Pour les marchandises étrangères, le tarif était en général du quart du tarif métropolitain; il a été élevé au tiers… En outre, plusieurs produits fabriqués (étrangers)… ont reçu des taxes particulières propres à donner une impulsion nouvelle à nos exportations.»

Voilà pour le privilége de la métropole à l'égard de la colonie. Voici maintenant pour le privilége de la colonie vis-à-vis de la métropole:

«Pour imprimer à nos transactions commerciales, en Afrique, l'activité qu'elles peuvent avoir, il ne suffit pas d'y protéger nos produits, il faut encore que la consommation française s'ouvre aux principales denrées que peuvent nous fournir et la colonisation européenne qui se développe, et la population indigène rangée sous nos lois. Nous avons dans ce but, par une autre ordonnance, dégrévé de moitié la généralité des produits dont la culture et le commerce de l'Algérie sont en mesure de pourvoir la métropole.

Ainsi la première mesure que j'examine, quoiqu'en elle-même elle puisse paraître de peu d'importance, a cependant une immense gravité; car elle est la première pierre d'un édifice monstrueux qui, je le crains, prépare à la France un long avenir de difficultés et d'injustices.

On a élevé les droits sur les fils et tissus de lin de provenance anglaise. Ici c'est plus que de la protection, c'est de l'hostilité. Quelle arme dangereuse que celle des droits différentiels! quelle source de jalousies, de rancunes, de représailles! quel arsenal de notes diplomatiques! quel fardeau, quelle responsabilité pour les ministres! Que dirions-nous si les Espagnols décrétaient que les draps du monde entier seront reçus chez eux au droit de 25 pour 100, excepté les draps français, qui payeront 50 pour 100?

Cette seconde mesure a donc, de même que la précédente, une haute portée comme doctrine, comme symptôme, à cause du nouveau droit public qu'elle introduit dans les relations internationales. Puisse-t-il n'être pas fécond en tempêtes!

Je ne reviendrai pas sur la lutte des deux sucres et sur la loi qui leur a imposé une trêve éphémère plutôt qu'une paix durable. Je dirai seulement que, puisqu'on trouvait que les prix du monopole étaient un trop puissant excitant pour le sucre indigène, une chaude atmosphère dans laquelle il se développait avec trop de rapidité, il y avait un moyen simple de faire rentrer la jeune industrie dans le droit commun et dans les conditions naturelles; c'était d'abolir ou du moins d'amoindrir le monopole; c'est-à-dire de diminuer les droits sur les sucres coloniaux et étrangers. Par là, on aurait satisfait les colonies, étendu nos relations commerciales, favorisé la consommation et par suite le placement des sucres rivaux; enfin, et par-dessus tout, on aurait fait justice au public, que malheureusement on oublie sans cesse dans ces sortes de questions, ou dont on ne se souvient que pour en disposer, selon l'heureuse expression de M. de Saint-Cricq, et le réserver, comme une proie, aux producteurs. Cette mesure n'aurait pas froissé les fabricants de sucre de betterave plus que celle qu'on a adoptée, et elle aurait eu l'avantage, comme tout ce qui porte un caractère évident de justice et d'utilité générale, d'arrêter la plainte sur les lèvres de ceux-là mêmes qu'elle aurait atteints. La nouvelle industrie se serait tenue pour avertie que le public n'avait pas d'engagement envers elle; et ayant en perspective le régime de la liberté, elle aurait su du moins dans quelles conditions elle devait vivre. C'eût été à elle à s'y renfermer, et il eût été bien entendu que s'il lui convenait de s'étendre au delà, c'était à ses périls et risques. L'État anéantissait ainsi toutes les difficultés ultérieures. Au lieu de cela, on a mieux aimé maintenir le monopole au sucre colonial et étouffer le sucre indigène sous le fardeau des taxes37.

Bien plus, le gouvernement français n'a pas craint de proposer l'interdiction absolue de cette fabrication, principe monstrueux qui renferme virtuellement la mort légale de toute liberté industrielle et de tous les progrès de l'esprit humain. Je sais qu'on me dira que l'abaissement des droits sur les sucres étrangers et coloniaux eût laissé un vide au Trésor. J'en doute; mais, après tout, c'est précisément ce que je veux prouver, savoir: qu'en France, on fait si bon marché de la liberté du travail et de l'échange, qu'on la sacrifie en toute rencontre et à la plus frivole considération.

Voici maintenant qu'on propose d'augmenter les droits sur les machines. Sans doute on trouve que notre industrie manufacturière n'a pas assez de difficultés à vaincre, puisqu'on veut lui imposer des machines coûteuses et imparfaites? «Mais, dit-on, on fait en France des machines excellentes et à bon marché.» Alors, à quoi bon la protection? Messieurs les industriels ont double face, comme Janus. S'agit-il d'obtenir des médailles, des primes d'encouragement ou simplement de recruter des actionnaires, oh! alors ils sont magnifiques; ils ont poussé leurs procédés à un point de perfection inespéré; il n'y a pas de rivalité possible, et ils auront chaque année 100 pour 100 à donner à leurs bailleurs de fonds. Mais est-il question de monopole, de protection, ils se font petits, malhabiles, inintelligents, toute concurrence les importune; et s'il fallait en croire leur modestie, il y aurait plus de science dans le petit doigt d'un ouvrier anglais que dans toutes les têtes du comité Mimerel.

Ce qui s'est passé à l'occasion des machines vaut la peine d'être raconté. Il y a trois ans, un membre du Parlement anglais vint à Paris pour négocier le traité de commerce. À cette époque, l'Angleterre prélevait des droits élevés sur l'exportation des machines. Le négociateur français vit là un obstacle au traité. On était d'accord sur le reste: l'Angleterre recevait nos vins; nous admettions sa poterie et sa coutellerie. «Mais, disait-on au député de la Grande-Bretagne, la France manque de machines, surtout de métiers à filer et à tisser le lin. Pour le coton, nous pourrions à la rigueur nous suffire; mais pour le lin, il est indispensable que vous nous laissiez arriver vos métiers francs de droits.» M. Bowring revint en Angleterre. On réunit les filateurs de lin, et on leur demanda s'ils renonceraient au monopole des machines anglaises. Ils y consentirent, et la difficulté était levée, lorsque, comme on le sait, le traité échoua devant la résistance des fabricants du Nord et par des considérations politiques qu'il est inutile de rappeler.

Qu'est-il arrivé cependant? La réforme commerciale de 1842 a balayé, en Angleterre, les droits d'exportation sur les machines. Nous voilà, sans condition, en possession de cet avantage que nous réclamions avec tant d'insistance. Nos filatures de lin et de coton vont avoir enfin des machines excellentes, franches de droit. Mais voici bien une autre affaire. M. Cunin-Gridaine réclame un droit prohibitif sur ces machines tant désirées, et, chose qui passe toute croyance, les métiers à filer le coton, dont on pouvait se passer, ne payeront que 30 francs par 100 kilogrammes, et les métiers à filer le lin, dont on était si envieux, auront à supporter un droit de 50 francs! Mais telle est la nature de la protection: elle laisse entrer ce dont nous n'avons que faire et repousse ce dont nous avons le plus besoin.

Je ne rappellerai ici la proposition faite par le ministre des finances, d'élever les droits sur le sésame, que parce que le génie de la protection, ou plutôt du monopole, s'y montre dans toute sa nudité. C'est lui sans doute qui a inspiré les mesures que je viens d'examiner, mais secrètement pour ainsi dire, en s'environnant de prétextes, en mettant ses intérêts et ses vues derrière des questions fiscales et coloniales. Mais quant au sésame, il n'y a pas moyen d'invoquer le patriotisme, l'orgueil national, les besoins de la navigation, la haine de l'étranger, etc., etc. Il faut bien avouer franchement qu'on élève le droit uniquement parce que le sésame rend plus d'huile que le colza. On avait cru que cette graine rendait 20 pour 100 d'huile, et on l'avait soumise à un droit égal à 1. On s'aperçoit que ce rendement est de 40 pour 100, et l'on élève le droit à 2. Si plus tard une autre plante se présente qui donne 60 pour 100, on portera le droit à 3 ou 4, et ainsi de suite, repoussant les produits en proportion de ce qu'ils sont riches et précisément parce qu'ils sont riches. C'est bien là le caractère de la protection dans toute sa sincérité, débarrassée des prétextes, des sophismes, des faux exposés sous lesquels elle se déguise quand elle le peut. Ici elle se présente toute franche et toute nue. Ici le monopole ne prend pas des voies tortueuses; il dit: L'étranger possède un végétal riche et productif; c'est un bienfait de la nature qu'il veut partager avec mon pays. Mais moi j'ai une plante relativement pauvre, inféconde, et je veux forcer mon pays à s'en contenter. Le consommateur est une matière inerte dont le gouvernement dispose; j'entends qu'il le réserve à mes produits. – Et le gouvernement d'accéder à l'injonction.

J'ai examiné la politique du gouvernement français, en matière de douanes et d'échanges internationaux, politique manifestée par une foule de mesures restrictives; et comme, à ce que je crois, on ne pourrait pas en citer une seule prise par lui dans un sens libéral, je suis fondé à dire que la France s'engage chaque année davantage dans le régime de la protection. C'est la première proposition que j'avais à établir.

Toutefois ce n'est point en vue de ces modifications rétrogrades que j'énonce cette proposition, sous une forme aussi générale. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'on peut conclure de quelques actes du gouvernement à la persistance d'un système. Les gouvernements ne sont pas toujours l'expression de l'opinion publique. Souvent même ces deux puissances agissent momentanément en sens contraire; et comme nos constitutions modernes ont pour objet de faire tôt ou tard triompher l'opinion, je ne me hasarderais pas à dire, en vue de quelques ordonnances restrictives, que la France tend à s'isoler des autres nations, si je pouvais penser que l'opinion désapprouve ces mesures.

Mais il n'en est pas ainsi. Loin que les mesures dont je viens de parler aient été prises contrairement au vœu public, je suis porté à croire qu'en les adoptant, l'administration a obéi, et peut-être avec répugnance, à la toute-puissance de l'opinion; et puisque c'est à elle surtout qu'appartient l'avenir, il doit m'être permis d'étudier le rôle qu'elle joue dans la question qui nous occupe.

35.Il va sans dire que je n'assume pas sur moi la responsabilité des faits statistiques consignés dans le document officiel.
36.Extrait du Journal des Économistes, no d'octobre 1844. (Note de l'éditeur.)
37.V. Deux modes d'égalisation des taxes, t. II, p. 222. (Note de l'éditeur.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
03 июля 2017
Объем:
633 стр. 40 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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