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Читать книгу: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6», страница 8

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Enfin, pour ne prendre qu'un passage dans tout ce que saint François de Sales a écrit de celle qu'il nomme ailleurs l'honneur de son sexe, et à laquelle il a prodigué les noms de sainte Paule, de sainte Angèle, de sainte Catherine de Gênes, nous allons copier ces quelques lignes extraites d'une lettre qu'il adressait à l'un de ses confrères dans l'épiscopat: «Je ne parle de cette âme toute sainte qu'avec respect. On ne peut assembler une plus grande étendue d'esprit avec une plus profonde humilité; elle est simple et sincère comme un enfant, avec un jugement solide et élevé, l'âme grande, un courage pour les saintes entreprises au-dessus de son sexe; et, en un mot, je ne lis jamais la description de la femme parfaite de Salomon, que je ne pense à la mère de Chantal. Je vous dis tout cela à l'oreille du cœur, car cette âme vraiment humble seroit toute peinée si elle savoit que je vous eusse dit d'elle tant de bien234

Après avoir terminé sa station filiale dans la chambre mortuaire de son aïeule, madame de Sévigné admira le superbe mausolée que la duchesse de Montmorency avait fait élever à son époux tant aimé, dans l'église de la Visitation de Moulins235. Cinq ans auparavant, ce monument décoré de vingt magnifiques statues, sans compter celle du duc, avait aussi excité la juste admiration de madame de Grignan, se rendant de Paris en Provence236. Celle-ci avait vu alors à Moulins deux jeunes enfants, filles de la marquise de Valençay, que madame de Sévigné retrouvait au couvent de la Visitation grandies et embellies, et qui lui rappelaient à la fois et sa propre fille et son père, dont leur aïeul avait été l'ami. «Les petites filles que voilà, dit-elle, sont belles et aimables; vous les avez vues: elles se souviennent que vous faisiez de grands soupirs dans cette église; je pense que j'y avois quelque part, du moins sais-je bien qu'en ce temps j'en faisois de bien douloureux de mon côté237.» La marquise de Valençay, était la fille du frère d'armes du baron de Chantal238, ce Montmorency-Bouteville à qui Richelieu avait fait trancher la tête pour cause de duel, et dont la mort poussa à cette expédition désespérée de l'île de Rhé son malheureux ami, qui y rencontra sa glorieuse mort239.

Outre ces souvenirs, la marquise de Sévigné en trouva d'autres à Moulins, faits pour réveiller dans son cœur tout un passé d'amitié, sinon d'amour, et des sentiments qu'un malheur inflexible n'avait point effacés.

Après la chute du surintendant Fouquet, sa famille avait choisi pour lieu de résidence cette ville, dans le voisinage de laquelle elle possédait la terre de Pomé. Fidèle aux malheureux, madame de Sévigné n'était pas de ces gens qui se détournent de leur chemin pour les éviter; elle se fût plutôt dérangée pour venir apporter de nouvelles consolations aux parents d'un homme qu'elle avait pu aimer puissant, parce que ce n'était ni sa puissance si courtisée, ni ses trésors si prodigués qu'elle avait aimés en lui. Madame de Sévigné, ceci éclate dans sa correspondance, a été le caractère de femme le plus indépendant, le plus sûr de son temps. Elle n'éprouvait ni crainte ni souci de se compromettre en cultivant les disgraciés, les exilés. Dans sa station de Moulins, elle avait accepté sans hésiter l'hospitalité honorablement offerte de la famille du prisonnier de Pignerol. «Madame Fouquet, mande-t-elle avec simplicité à sa fille, son beau-frère (l'abbé Fouquet) et son fils vinrent au-devant de moi; ils m'ont logée chez eux240.» Que de retours et de réflexions sur un passé si proche et cependant si éloigné ils durent faire ensemble!

CHAPITRE IV
1676

Madame de Sévigné arrive à Vichy. – Société qu'elle y trouve. – Vie des Eaux au dix-septième siècle; madame de Sévigné en envoie à sa fille la véritable gazette. – Description du pays; promenades; danses et bourrées d'Auvergne. —La colique de madame de Brissac.– Quelques portraits d'originaux. —La charmante douche.– Madame de Sévigné reprend la route de Paris. – Elle visite la famille Fouquet; ses divers membres. – Dernière station de madame de Sévigné au château de Vaux.

Le surlendemain de son départ de Moulins, 18 mai, madame de Sévigné arriva à Vichy. Elle y resta un mois entier à prendre les eaux et les bains dans cet établissement, le plus anciennement connu en France, et le mieux disposé, quoique bien loin de ce qu'il est devenu depuis. Nous avons dix lettres d'elle, écrites pendant son séjour dans ce lieu si pittoresque: il n'est pas sans intérêt de les étudier à titre de gazette, de courrier, de Chronique des Eaux, comme nous dirions aujourd'hui. Madame de Sévigné a tous les tons, et, à coup sûr, nos chroniqueurs modernes pourraient trouver chez elle des exemples et des leçons.

La marquise de Sévigné fut reçue aux bains de Vichy par une nombreuse société arrivée avant elle, et qui l'accueillit comme l'esprit l'est toujours dans un monde plutôt réuni pour se distraire que pour se guérir. «J'arrivai ici hier au soir, écrit-elle le mardi 19 mai; madame de Brissac avec le Chanoine (madame de Longueval); madame de Saint-Hérem et deux ou trois autres me vinrent recevoir au bord de la jolie rivière d'Allier. Je crois que, si on y regardoit bien, on y trouveroit encore les bergers de l'Astrée. M. de Saint-Hérem, M. de la Fayette, l'abbé Dorat, Plancy et d'autres encore suivoient dans un second carrosse ou à cheval. Je fus reçue avec une grande joie. Madame de Brissac me mena souper chez elle; je crois avoir déjà vu que le Chanoine en a jusque-là de la duchesse: vous voyez bien où je mets la main. Je me suis reposée aujourd'hui, et demain je commencerai à boire. M. de Saint-Hérem m'est venu prendre ce matin pour la messe et pour dîner chez lui. Madame de Brissac y est venue; on a joué: pour moi, je ne saurois me fatiguer à mêler des cartes. Nous nous sommes promenés, ce soir, dans les plus beaux endroits du monde; et, à sept heures, la poule mouillée vient manger son poulet et causer un peu avec sa chère enfant: on vous en aime mieux quand on en voit d'autres. Je suis fort aise de n'avoir point ici mon Bien Bon; il y eût fait un mauvais personnage: quand on ne boit pas on s'ennuie; c'est une billebaude (une confusion) qui n'est pas agréable, et moins pour lui que pour un autre241

Il y avait à Vichy, la lettre de madame de Sévigné l'indique, plus de monde qu'elle n'en dénomme. Ceux qu'elle nous fait connaître étaient les personnes avec lesquelles elle avait de plus particulières relations. Le marquis de Saint-Hérem (Gaspard de Montmorin), commandant de Fontainebleau, recevait dans ses voyages madame de Sévigné à la Capitainerie, partie du château destiné à l'habitation des gouverneurs de cette résidence royale242. Le comte de la Fayette était le fils de la meilleure amie de la marquise. Nous ne trouvons rien sur cet abbé Dorat, cité au courant de la plume. Le marquis de Plancy avait pour père le secrétaire d'État du Plessis-Guénégaud, une victime de la chute de Fouquet, dont la femme était à Paris fidèlement visitée par madame de Sévigné. Madame de Longueval, appelée tantôt le Chanoine, tantôt le joli Chanoine, à cause de sa qualité de chanoinesse, avait pour sœurs la marquise de Senneterre et la maréchale d'Estrées. Froide, mais de rapports sûrs, elle formait avec madame de Brissac venue avec elle, «le plus bel assortiment de feu et d'eau243.» Cette dernière, sœur d'un premier lit du duc de Saint-Simon, était, d'après celui-ci, «parfaitement belle et sage.» Son mariage avec le duc de Brissac, frère de la maréchale de Villeroy, avait été brouillé de bonne heure, et chacun vivait de son côté. «Le goût de M. de Brissac, ajoute son impitoyable beau-frère, était trop italien244.» L'ignominie du mari eût, aux yeux du monde, justifié de la part de madame de Brissac de bien plus grands écarts que ceux qui lui étaient alors reprochés. Saint-Simon, qui n'aime pas la mesure, égale sa sagesse à sa beauté. On n'en parlait pas ainsi de son temps. Sa beauté était reconnue, mais sa coquetterie était passée en proverbe, et la marquise de Sévigné en a fait, dans les années qui précèdent, de plaisantes mentions. Ses amours avec le comte de Guiche avaient fort occupé la cour. On s'amusait de leur langage quintessencié et de leurs manières précieuses: «Le comte de Guiche et madame de Brissac, lit-on dans une lettre de 1672, sont tellement sophistiqués qu'ils auroient besoin d'un truchement pour s'entendre eux-mêmes245.» Y avait-il chez cette belle peu réservée autre chose que de la coquetterie? madame de Sévigné, elle, ne le pense pas: «Madame de Brissac, avait-elle écrit trois mois auparavant, a une très-bonne provision pour cet hiver, c'est-à-dire M. de Longueville et le comte de Guiche, mais en tout bien tout honneur; ce n'est seulement que pour le plaisir d'être adorée246.» Le peu de durée de sa douleur à la mort du dernier témoigne de sa sagesse ou de la légèreté de son cœur. Quant à sa coquetterie, à son ardeur et à sa passion de plaire, nous allons en voir, pendant cette campagne même de Vichy, de curieux effets, car dans ces lettres des Eaux madame de Brissac est, sans contredit, l'héroïne de la saison.

Quant à madame de Saint-Hérem, «grande sèche et point belle247,» il n'est plus question d'elle dans la suite de la correspondance. Mais elle dut contribuer, pour sa part, à l'agrément de Vichy et à l'amusement particulier de la marquise de Sévigné, s'il faut juger de son caractère par ce fait qui égayé une lettre de l'année suivante: «M. de Saint-Hérem a été adoré à Fontainebleau, tant il a bien fait les honneurs (lors du séjour de la cour): mais sa femme s'étoit mise dans la fantaisie de se parer, et d'être de tout; elle avoit des diamants et des perles; elle envoya emprunter, un jour, toute la parure de madame de Soubise248, ne doutant point qu'avec cela elle ne fût comme elle: ce fut une grande risée. N'y a-t-il, dans le monde, ni ami ni miroir249

D'autres survenants ne tardèrent pas à augmenter la société de madame de Sévigné: entre autres, Jeannin de Castille, marquis de Montjeu, beau-frère du surintendant Fouquet, ami et voisin de Bussy; l'abbé Bayard, un Sage, ami particulier de madame de la Fayette, venu de son château de Langlar, situé à quelques lieues, ce qui le fait appeler le Druide Adamas de la contrée, et madame de Péquigny, mère du duc de Chaulnes250.

Faisons connaître maintenant la vie des Eaux au dix-septième siècle, telle qu'elle se retrouve dans une correspondance qui est une source inépuisable de renseignements sur les habitudes, les usages et les mœurs du temps.

Le surlendemain de son arrivée, madame de Sévigné commence à boire, et voici l'emploi de sa première journée:

«J'ai donc pris des eaux ce matin, ma très-chère: ah! qu'elles sont mauvaises! J'ai été prendre le Chanoine, qui ne loge point avec madame de Brissac. On va à six heures à la fontaine; tout le monde s'y trouve, on boit et l'on fait une fort vilaine mine; car imaginez-vous qu'elles sont bouillantes et d'un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe… Enfin on dîne; après dîner, on va chez quelqu'un: c'étoit aujourd'hui chez moi. Madame de Brissac a joué à l'hombre avec Saint-Hérem et Plancy; le Chanoine et moi nous lisons l'Arioste; elle a l'italien dans la tête, elle me trouve bonne. Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection. C'est ici où les Bohémiennes poussent leurs agréments; elles font des dégognades où les curés trouvent un peu à redire: mais enfin, à cinq heures, on va se promener dans des pays délicieux; à sept heures on soupe légèrement, on se couche à dix. Vous en savez présentement autant que moi251

C'est une vie d'intimité comme on n'a point l'habitude de la mener à la ville, et comme on ne la rencontre plus dans nos établissements modernes.

«On est tout le jour ensemble, écrit-elle à cinq jours de là. Madame de Brissac et le Chanoine dînent ici fort familièrement: comme on ne mange que des viandes simples, on ne fait nulle façon de donner à manger… On m'accable ici de présents; c'est la mode du pays, où d'ailleurs la vie ne coûte rien du tout: enfin trois sous deux poulets, et tout à proportion252.» Les choses ont fort changé.

Surtout on va se promener, et elle, qui adore la campagne, s'y livre avec sa joie accoutumée. Madame de Sévigné, nous le dirons plus tard à propos de Livry et des Rochers, a joui et parlé de la nature comme personne de son temps. Vichy excite son enthousiasme: «La beauté des promenades est au-dessus de ce que je puis vous en dire; cela seul me redonneroit la santé.» – «Je vais être seule (ajoute-elle plus tard, à mesure que sa société la quitte), et j'en suis fort aise: pourvu qu'on ne m'ôte pas le pays charmant, la rivière d'Allier, mille petits bois, des ruisseaux, des prairies, des moutons, des chèvres, des paysannes qui dansent la bourrée dans les champs, je consens de dire adieu à tout le reste; le pays seul me guériroit253

Vichy et ses environs méritent en effet tous ces éloges. Pittoresquement assise sur l'Allier, la ville offrait encore à cette date la ceinture de remparts et de hautes tours que lui avaient donnée ses anciens maîtres les ducs de Bourbon, ainsi que ses deux vastes couvents des célestins et des capucins, qui servaient d'asile aux baigneurs pauvres et aux militaires, avant l'établissement de l'hôpital fondé par Louis XIV254. Mais c'est le site surtout qui est digne d'admiration: «Il n'y a pas dans la nature (a écrit un contemporain de madame de Sévigné, l'éloquent panégyriste de Turenne, qui avait fait le même voyage qu'elle) de paysage plus beau, plus riche et plus varié que celui de Vichy. Lorsqu'on arrive, on voit d'un côté des plaines fertiles, de l'autre des montagnes dont le sommet se perd dans les nues, et dont l'aspect forme une infinité de tableaux différents, mais qui vers leurs bases sont aussi fécondes en toute sorte de productions, que les meilleurs terrains de la contrée… Ce qu'il y a de plus remarquable en ce lieu, c'est qu'on n'y trouve pas seulement de quoi récréer la vue lorsqu'on le contemple, et s'y nourrir délicieusement lorsqu'on l'habite, mais encore à se guérir quand on est malade; en sorte que toutes les beautés de la nature semblent avoir voulu s'y réunir avec l'abondance et la santé255

Les environs les plus fréquentés alors comme aujourd'hui étaient la Montagne-Verte, où l'on arrive par un chemin qui serpente au milieu des vignes et des vergers, et d'où l'on découvre le bassin entier de Vichy, et les frais détours de l'Allier, bordés de bois et de villages, à plusieurs lieues; l'Allée des Dames, formée d'une double rangée de magnifiques peupliers cheminant dans les plus vertes prairies, le long du Sichon, dont les eaux vives se cachent sous les voûtes de verdure qui protégent son cours; Cusset, à une lieue de là, arrosé d'un côté par le Sichon, de l'autre par le Jolan, qui se jettent dans l'Allier, et dominé par les dernières chaînes du Forez; au delà de cette ville, l'Ardoisière, située à l'extrémité d'une sorte d'amphithéâtre, que forment des montagnes dignes de la Suisse, et d'où le Sichon descend en bruyantes cascades; en face, la vallée du Jolan, profonde, étroite, triste, aride, à qui son aspect lugubre a fait donner le nom de Malavaux ou Vallée maudite; les châteaux plus éloignés de Randan, de Meaumont, d'Effiat, de Busset, de Charmeil; mais surtout, dans le voisinage de Vichy, ce site privilégié, cette belle colline appelée la Côte Saint-Amand, toute couverte de cultures, vrai bouquet de feuillage, de fleurs et de fruits256.

Le grand divertissement de madame de Sévigné, au retour de ses chères promenades, c'est le spectacle des danses du pays, auxquelles elle trouve un piquant, une nouveauté champêtre, une aisance naturelle, qu'elle met au-dessus des ballets compassés de la cour. Passionnée pour la danse, elle s'en donne souvent le plaisir, et, quand elle voit toute la bonne grâce que ces restes des bergers et des bergères de l'Astrée déploient dans leurs bourrées d'Auvergne, elle ne pense pas sans soupirs aux succès de mademoiselle de Sévigné qui, à Versailles, lui faisoient rougir les yeux257.

La description de cette joie campagnarde n'est-elle pas charmante? «Il y a ici des femmes fort jolies: elles dansèrent hier des bourrées du pays, qui sont, en vérité, les plus plaisantes du monde; il y a beaucoup de mouvement, et les dégognades n'y sont point épargnées; mais, si on avoit à Versailles de ces sortes de danseuses en mascarades, on en seroit ravi par la nouveauté, car cela passe encore les bohémiennes. Il y avoit un grand garçon déguisé en femme qui me divertit fort; car sa jupe étoit toujours en l'air, et l'on voyoit dessous de fort belles jambes258…»

«…Tout mon déplaisir, c'est que vous ne voyiez point danser les bourrées de ce pays; c'est la plus surprenante chose du monde; des paysans, des paysannes, une oreille aussi juste que vous, une légèreté, une disposition; enfin j'en suis folle. Je donne tous les soirs un violon avec un tambour de basque, à très-petits frais; et dans ces prés et ces jolis bocages, c'est une joie que de voir danser les restes des bergers et des bergères du Lignon. Il m'est impossible de ne vous pas souhaiter, toute sage que vous êtes, à ces sortes de folies259…»

«…Je voudrois bien vous envoyer deux filles et deux garçons qui sont ici, avec le tambour de basque, pour vous faire voir cette bourrée. Enfin les bohémiens sont fades en comparaison. Je suis sensible à la parfaite bonne grâce: vous souvient-il quand vous me faisiez rougir les yeux à force de bien danser? Je vous assure que cette bourrée dansée, sautée, coulée naturellement et dans une justesse surprenante, vous divertiroit260…»

Madame de Sévigné n'aimait pas le jeu, rare exception à cette époque, car presque toutes les femmes en avaient le goût; de plus, elle arrivait à l'âge où cette passion d'arrière-saison prend ordinairement aux plus sages. Même aux Eaux, où tout le monde joue, elle ne peut se décider à toucher les cartes. «Si j'avois envie de faire un doux sommeil, dit-elle, je n'aurois qu'à prendre des cartes; rien ne m'endort plus sûrement261

Sa principale, sa plus chère occupation après sa santé, qu'elle soigne encore pour sa fille, c'est, comme à Paris, comme à Livry, comme en Bretagne, d'écrire à celle-ci. Elle fait pour elle une véritable gazette des Eaux, où le prochain ne trouve pas toujours son compte. Si le jeu l'endort, cette correspondance sans répit tient son esprit alerte et constamment debout: «Si je veux, ajoute-t-elle, être éveillée comme on l'ordonne, je n'ai qu'à penser à vous, à vous écrire, à causer avec vous des nouvelles de Vichy; voilà le moyen de m'ôter toute sorte d'assoupissement262.» Et comme il faut surtout amuser madame de Grignan, sa mère lui sert, dans son style mêlé de sel et de bonhomie, les originaux de Vichy après s'en être elle-même diverti. C'est un piquant album de voyage dont nous détachons quelques feuillets:

«Nous avons ici une madame de la Baroir qui bredouille d'une apoplexie: elle fait pitié; mais, quand on la voit laide, point jeune, habillée du bel air, avec de petits bonnets à double carillon, et qu'on songe de plus qu'après vingt-deux ans de veuvage, elle s'est amourachée de M. de la Baroir, qui en aimoit une autre, à la vue du public, à qui elle a donné tout son bien, et qui n'a jamais couché qu'un quart d'heure avec elle, pour fixer les donations, et qui l'a chassée de chez lui outrageusement (voici une grande période); mais quand on songe à tout cela, on a extrêmement envie de lui cracher au nez263

Après ce portrait arrive celui de la marquise de Péquigny, mère du duc de Chaulnes, le gouverneur de la Bretagne et son bon ami: «On dit que madame de Péquigny vient aussi; c'est la Sibylle Cumée. Elle cherche à se guérir de soixante-seize ans, dont elle est fort incommodée; ceci devient les Petites-Maisons.» Madame de Péquigny débarque, aussitôt la voilà produite sur la scène: «Nous avons Sibylle Cumée, toute parée, tout habillée en jeune personne; elle croit guérir, elle me fait pitié. Je crois que ce seroit une chose possible, si c'étoit ici la fontaine de Jouvence264

Mais la marquise de Sévigné la voit de plus près; elle la pratique en considération du duc son fils, et, comme elle reconnaît qu'elle est naturellement généreuse et charitable, ses ridicules disparaissent et ne l'empêchent pas de la louer de sa libéralité qu'elle lui envie. La Sibylle Cumée devient alors la bonne Péquigny: «La bonne Péquigny est survenue à la fontaine; c'est une machine étrange, elle veut faire tout comme moi, afin de se porter comme moi. Les médecins d'ici lui disent que oui, et le mien se moque d'eux. Elle a pourtant bien de l'esprit avec ses folies et ses foiblesses; elle a dit cinq ou six choses très-plaisantes. C'est la seule personne que j'aie vue, qui exerce sans contrainte la vertu de libéralité: elle a deux mille cinq cents louis qu'elle a résolu de laisser dans le pays; elle donne, elle jette, elle habille, elle nourrit les pauvres: si on lui demande une pistole, elle en donne deux; je n'avois fait qu'imaginer ce que je vois en elle. Il est vrai qu'elle a vingt-cinq mille écus de rente, et qu'à Paris elle n'en dépense pas dix mille. Voilà ce qui fonde sa magnificence; pour moi, je trouve qu'elle doit être louée d'avoir la volonté avec le pouvoir, car ces deux choses sont quasi toujours séparées265

Madame de Sévigné revient toujours à ceux dont le cœur apparaît malgré leurs ridicules. Ce qui la trouve sans pitié, c'est l'afféterie, la manière, les tons faux de l'esprit qui ne sont corrigés par aucun sentiment naturel et bon. Voilà pourquoi elle se montre spirituellement méchante pour madame de Brissac, cette sœur de Saint-Simon, que celui-ci, en bon frère, nous donne pour le modèle de toutes les vertus, ne se doutant pas que madame de Sévigné, dans des lettres destinées, à son insu, à voir plus tard le jour, nous la révélerait comme le type achevé de la franche et ridicule coquette.

 
Juste retour, monsieur, des choses d'ici-bas!
 

La colique de madame de Brissac est une des plus jolies pièces qui se jouent dans cette correspondance où il y a parfois de si bonnes scènes. Molière aurait souri.

«Madame de Brissac avoit aujourd'hui la colique; elle étoit au lit, belle et coiffée à coiffer tout le monde: je voudrois que vous eussiez vu l'usage qu'elle faisoit de ses douleurs, et de ses yeux, et des cris, et des bras, et des mains qui traînoient sur sa couverture, et les situations, et la compassion qu'elle vouloit qu'on eût: chamarrée de tendresse et d'admiration, je regardois cette pièce, et je la trouvois si belle que mon attention a dû paroître un saisissement dont je crois qu'on me saura fort bon gré; et songez que c'étoit pour l'abbé Bayard, Saint-Hérem, Montjeu et Plancy, que la scène étoit ouverte. En vérité, vous êtes une vraie pitaude, quand je pense avec quelle simplicité vous êtes malade; le repos que vous donnez à votre joli visage; et enfin quelle différence: cela me paroît plaisant.» Vient ensuite la comédie de la guérison: «Après la pièce admirable de la colique, on nous a donné d'une convalescence pleine de langueur, qui est, en vérité, fort bien accommodée au théâtre: il faudroit des volumes pour dire tout ce que je découvre dans ce chef-d'œuvre des cieux. Je passe légèrement sur bien des choses, pour ne point trop écrire266

Une fois sur pied, la jolie duchesse se livre sans remords à tous les ravages que peuvent produire ses beaux jeux. Vichy n'est pas la cour, mais tout est bon à qui veut plaire à tout prix. «La duchesse (continue madame de Sévigné, qui trouve moyen de tirer de ce qu'elle voit une louange pour sa fille) s'en va chez Bayard, parce que j'y dois aller: il s'en passeroit fort bien; il y aura une petite troupe d'infelici amanti. Ma fille, vous perdez trop, c'est cela que vous devriez regretter; il faudroit voir comme on tire sur tout, sans distinction et sans choix. Je vis l'autre jour, de mes propres yeux, flamber un pauvre célestin: jugez comme cela me paroît, à moi qui suis accoutumée à vous… Je voudrois voir cette duchesse faire main basse dans votre place des Prêcheurs267, sans aucune considération de qualité ni d'âge: cela passe tout ce que l'on peut croire. Vous êtes une plaisante idole; sachez qu'elle trouveroit fort bien à vivre où vous mourriez de faim268.» Madame de Sévigné, la bonne âme, dont la muette admiration avait fait la conquête de la duchesse cherchant à apitoyer la galerie sur ses douleurs, n'avait pu se retenir à la vue de cette inhumanité qui n'épargnait même pas la paix du cloître. «La bonne d'Escars (dit-elle à sa fille, comme ne voulant pas lui redonner d'elle-même son mot piquant) m'a fait souvenir de ce que j'avois dit à la duchesse le jour de l'embrasement du célestin; elle en rit beaucoup, et, comme vous vous attendez toujours à quelque sincérité de moi dans ces occasions, la voici. Je lui dis: «Vraiment, madame, vous avez tiré de bien près ce bon père; vous aviez peur de le manquer.» Elle fit semblant de ne pas m'entendre, et je lui dis comme j'avois vu brûler le célestin: elle le savoit bien, et ne se corrigea pas pour cela du plaisir de faire des meurtres269

La grande affaire de madame de Sévigné, nous l'avons dit, c'est toujours sa correspondance avec sa fille. C'est son besoin, son air, sa vie: «Pour vous écrire, ma chère enfant, c'est mon unique plaisir quand je suis loin de vous, et si les médecins, dont je me moque extrêmement, me défendoient de vous écrire, je leur défendrois de manger et de respirer, pour voir comme ils se trouveroient de ce régime… Je vous écrirai tous les soirs; ce m'est une consolation, et ma lettre partira quand il plaira à un petit messager qui apporte les lettres, et qui veut partir un quart d'heure après: la mienne sera toujours prête270.» Cette correspondance assidue ne l'empêche pas de tenir tête à son fils, à Coulanges, à Bussy, à d'Hacqueville et à la princesse de Tarente, son amie de Vitré, placée à Bourbon dans l'intimité de la favorite qui avait repris son empire, quand le public le croyait encore douteux ou menacé.

Jamais madame de Sévigné ne s'est plus louée des lettres de sa fille qu'à cette époque. Elle les trouve tendres, bonnes, vraies. «Vous me mandez, dit-elle, des choses trop aimables, et vous l'êtes trop aussi quand vous voulez271.» Ce qui prouve qu'elle ne le voulait pas toujours. Cette mère heureuse ne peut se tenir de communiquer sa félicité à ceux qui l'entourent: «Je suis ravie quand je reçois vos lettres, ma chère enfant; elles sont si aimables que je ne puis me résoudre à jouir toute seule du plaisir de les lire… Mais ne craignez rien (ajoute-t-elle, répondant à une appréhension souvent exprimée par madame de Grignan, qui redoutait les yeux indiscrets pour leurs mutuelles confidences), je ne fais rien de ridicule; j'en fais voir une petite ligne à Bayard, une autre au Chanoine, et en vérité on est charmé de votre manière d'écrire. Je ne fais voir que ce qui convient; et vous croyez bien que je me rends maîtresse de la lettre, pour qu'on ne lise pas sur mon épaule ce que je ne veux pas qui soit vu272

Vichy est à moitié chemin de la Provence. Sentant sa mère ainsi rapprochée d'elle, madame de Grignan, qui passait cet été dans son château, lui offrit de faire elle-même l'autre moitié de la route, et de venir la voir aux Eaux. Voilà certes une offre bien séduisante; il semble que madame de Sévigné va prendre sa fille au mot. Nullement. Sa tendresse même la rend soupçonneuse et habile. Elle flaire un piége de la part de M. de Grignan, qui ne consent aussi généreusement à lui envoyer sa femme à Vichy qu'avec l'arrière-pensée de l'empêcher de venir passer un hiver promis à Paris. Piége pour piége. Elle déclare qu'elle veut bien de sa fille, mais à une condition, c'est que madame de Grignan reviendra avec elle à Paris, et qu'elle gagnera ainsi un automne; sinon, non. M. de Grignan en fut pour sa ruse. Il avait cru, par son offre spontanée, éblouir sa belle-mère, et gagner, lui, l'année entière, moyennant quelques jours donnés à Vichy. Mais il avait affaire à forte partie: une mère vigilante et jalouse comme un amant. Il fallut donc s'en tenir à cette lutte sourde mais délicate et courtoise, poursuivie avec persévérance jusqu'à la fin par le gendre contre la belle-mère.

Le traitement des malades à Vichy, dès lors comme aujourd'hui, se composait des eaux, des bains et des douches. C'est pour ce dernier remède, surtout, que madame de Sévigné était venue. La douche de Vichy, au moyen d'une vapeur presque brûlante, était une chose fort redoutée, et on n'y avait recours que dans les cas graves. Mais madame de Sévigné était décidée à tout souffrir afin de retrouver le plein et parfait usage de ses membres, si fort endommagés par un rhumatisme tenace, qui lui rendait encore pénibles les deux choses qu'elle préférait à tout, ses promenades et sa correspondance avec sa fille. Elle nous fait connaître cette terrible douche à laquelle elle ne se résigna que sur la fin de son séjour aux Eaux: la description en est piquante et est restée dans les traditions du pays.

«J'ai commencé aujourd'hui la douche; c'est une assez bonne répétition du purgatoire. On est toute nue dans un petit lieu souterrain, où l'on trouve un tuyau de cette eau chaude qu'une femme vous fait aller où vous voulez. Cet état, où l'on conserve à peine une feuille de figuier pour tout habillement, est une chose assez humiliante. J'avois voulu mes deux femmes de chambre, pour voir encore quelqu'un de connoissance. Derrière un rideau se met quelqu'un qui vous soutient le courage pendant une demi-heure; c'étoit pour moi un médecin de Gannat, que madame de Noailles a mené à toutes ses eaux, qu'elle aime fort, qui est un fort honnête garçon, point charlatan ni préoccupé de rien, qu'elle m'a envoyé par pure et bonne amitié. Je le retiens, m'en dût-il coûter mon bonnet; car ceux d'ici me sont entièrement insupportables, et cet homme m'amuse. Il ne ressemble point à un vilain médecin, il ne ressemble point aussi à celui de Chelles273; il a de l'esprit, de l'honnêteté; il connoît le monde; enfin j'en suis contente. Il me parloit donc pendant que j'étois au supplice. Représentez-vous un jet d'eau contre quelqu'une de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous imaginer. On met d'abord l'alarme partout, pour mettre en mouvement tous les esprits, et puis on s'attache aux jointures qui ont été affligées; mais, quand on vient à la nuque du cou, c'est une sorte de feu et de surprise qui ne se peut comprendre; c'est là cependant le nœud de l'affaire. Il faut tout souffrir, et l'on souffre tout, et l'on n'est point brûlée, et on se met ensuite dans un lit chaud, où l'on sue abondamment, et voilà ce qui guérit. Voici encore où mon médecin est bon; car, au lieu de m'abandonner à deux heures d'un ennui qui ne peut se séparer de la sueur, je le fais lire, et cela me divertit. Enfin je ferai cette vie sept ou huit jours, pendant lesquels je croyois boire, mais on ne veut pas, ce seroit trop de choses; de sorte que c'est une petite allonge à mon voyage. C'est principalement pour finir cet adieu, et faire une dernière lessive, que l'on m'a envoyée ici, et je trouve qu'il y a de la raison: c'est comme si je renouvelois un bail de vie et de santé; et si je puis vous revoir, ma chère, et vous embrasser encore d'un cœur comblé de tendresse et de joie, vous pourrez peut-être encore m'appeler votre bellissima madre, et je ne renoncerai pas à la qualité de mère-beauté, dont M. de Coulanges m'a honorée274

234.Abrégé, etc., p. 56.
  A la mort de madame de Chantal on comptait quatre-vingt-sept monastères de la Visitation, et en 1792, à l'époque de la suppression des ordres religieux, cent soixante-sept. Il en existe aujourd'hui cent huit, tant en France qu'à l'étranger. (Tableau placé par M. l'abbé Boulangé à la fin de son édition des Mémoires de madame de Chaugy, sur l'histoire de la mère de Chantal.)
235.SÉVIGNÉ, Lettres (17 mai, 1676), t. IV, p. 298.
236.Conf. WALCKENAER, Mémoires sur madame de Sévigné, t. III, p. 325. Voy. la description de ce tombeau dans AMÉDÉE RENÉE, Madame de Montmorency, p. 321.
237.Lettres, t. IV, p. 299.
238.Conf. WALCKENAER, t. III, p. 324.
239.Voy. sur la marquise de Valençay et ses filles, SAINT-SIMON, t. VII, p. 110, et Mémoires de Dangeau, t. Ier, p. 48 (éd. Didot).
240.Lettres (1676), t. IV, p. 298.
241.Lettres, t. IV, p. 303.
242.Lettres, t. IV, p. 305 et 355. – Sur M. de Saint-Hérem, voir Mémoires du duc de Saint-Simon, t. III, p. 206; XII, p. 396, et XIX, p. 307.
243.Sur madame de Longueval, conf. SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 308, 314, 322 et 431; VI, p. 476; VII, p. 419, et VIII, p. 117 et 135.
244.Mémoires, t. Ier, p. 115, et II, p. 230.
245.Lettres (16 mars 1672), t. II, p. 365. Voy. aussi même volume, p. 296 et 414.
246.Ibid., p. 292.
247.SAINT-SIMON, t. III, p. 206.
248.Citée aussi pour sa beauté.
249.SÉVIGNÉ, Lettres (12 octobre 1677), t. V, p. 253.
250.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 306, 325.
251.SÉVIGNÉ, Lettres (1676), t. IV, p. 304.
252.SÉVIGNÉ, Lettres (24 mai 1676), ibid., p. 310.
253.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 309 et 323.
254.Histoire et Topographie de Vichy et de ses environs, par le docteur Barthez. Vichy, 1856, p. 17.
255.Paroles de Fléchier, dans M. Barthez, p. 19.
256.Histoire et Topographie de Vichy et de ses environs, par M. Barthez, p. 39-50.
257.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 337.
258.SÉVIGNÉ, Lettres (26 mai 1676), t. IV, p. 314.
259.SÉVIGNÉ, Lettres (8 juin 1676), t IV, p. 331.
260.SÉVIGNÉ, Lettres (12 juin 1676), t. IV, p. 337.
261.SÉVIGNÉ, Lettres (11 juin 1676), ibid., p. 333.
262.SÉVIGNÉ, Lettres, ibid., p. 334.
263.SÉVIGNÉ, Lettres (4 juin 1676), t. IV, p. 325. – Sur cette famille de la Baroir, voir Tallemant des Réaux, t. IX, p. 69.
264.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 325 et 331.
265.SÉVIGNÉ, Lettres (11 juin 1676), t. IV, p. 333.
266.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 306 et 310.
267.C'était la promenade du bel air, à Aix.
268.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 314 et 322.
269.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 335.
270.SÉVIGNÉ, Lettres, ibid., p. 304 et 305.
271.SÉVIGNÉ, Lettres, ibid., p. 324.
272.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 307.
273.Renommé pour sa beauté.
274.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 316.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
510 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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