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Читать книгу: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6», страница 11

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On croyait peu à son abnégation et à la sincérité de ce projet de retraite. Madame de Sévigné, qui prend toujours feu pour ceux qu'elle aime, ne supportait pas patiemment de telles irrévérences. «Le monde, écrit-elle à Bussy, par rage de ne pouvoir mordre sur un si beau dessein, dit qu'il en sortira. Eh bien, envieux, attendez donc qu'il en sorte, et en attendant taisez-vous; car, de quelque côté qu'on puisse regarder cette action, elle est belle; et, si on savoit comme moi qu'elle vient purement du désir de faire son salut et de l'horreur de sa vie passée, on ne cesserait point de l'admirer.» Quant à l'offre du chapeau, tout en affirmant la sincérité de son ami, madame de Sévigné affiche alternativement la crainte que le pape ne l'accepte, et l'espoir qu'il n'en voudra pas. Quelle joie quand elle apprend que le saint-père et le sacré collége ont refusé cette démission, habilement ou sérieusement offerte par son cher cardinal! «Voilà notre cardinal recardinalisé, mande-t-elle à sa fille! – Notre cardinal l'est à fer et à clou!» – «Sa Sainteté a parfaitement bien fait, ce me semble, ajoute-t-elle; la lettre du consistoire est un panégyrique: je serois fâchée de mourir sans avoir encore une fois embrassé cette chère Éminence. Vous devez lui écrire et ne le point abandonner, sous prétexte qu'il est dans la troisième région: on n'y est jamais assez pour aimer les apparences d'oubli de ceux qui nous doivent aimer338

Ici se manifeste une fois de plus la nuance bien tranchée qui existe entre les sentiments de la mère et ceux de la fille à l'égard de la chère Éminence. Soit défaut de sympathie, au fond, soit effet de sa tiède nature, ou plutôt circonspection excessive de la part d'une gouvernante de province pour le roi, madame de Grignan mettait dans ses rapports avec le chef mal amnistié de la Fronde, une réserve, une froideur qui contrastaient essentiellement avec la franche amitié, l'admiration publique de sa mère. Aussi, quand la première, un peu trop rudement peut-être, refusait une pièce d'argenterie que le prélat, partant pour sa retraite définitive, avait voulu envoyer comme souvenir à sa chère nièce339, madame de Sévigné, toute pleine de son affection admirative, écrivait de Retz, au milieu de sa douleur de la mort de Turenne, ces mots qu'on lui a avec raison reprochés: «On disoit l'autre jour, en bon lieu, que l'on ne connoissoit que deux hommes au-dessus des autres hommes, lui et M. de Turenne: le voilà donc seul dans ce point d'élévation340!» Et dans une lettre suivante, par opposition au héros de la guerre, elle l'appelle résolûment le héros du Bréviaire, car, auprès d'elle, rien ne diminue l'importance pourtant évanouie de cet homme dont la renommée a ébloui sa jeunesse, et dont l'amitié fut le charme durable de sa vie.

Le cardinal de Retz passa un an dans la plus absolue retraite, accomplissant, au milieu des œuvres les plus édifiantes de piété et de charité, le programme qu'il s'était tracé, et demandant à la lecture et à l'étude les occupations nécessaires à sa dévorante activité. Une maladie assez semblable à celle qui avait failli emporter son amie vint l'affliger, et alarmer celle-ci au printemps de 1676. «Je suis toujours en peine, écrit-elle à madame de Grignan le 28 mai, de la santé de notre cardinal; il s'est épuisé à lire: eh! mon Dieu, n'avoit-il pas tout lu341?» Et la semaine suivante: «M. le cardinal me mandoit, l'autre jour, que les médecins avoient nommé son mal de tête un rhumatisme de membranes: quel diantre de nom! A ce mot de rhumatisme je pensai pleurer342

Cependant, le pape Clément X étant mort, le cardinal de Retz, malgré ses réelles souffrances, dut, sur l'invitation personnelle du roi, se rendre au conclave afin d'y faire prévaloir les intérêts de la France. En partant pour Rome, le 2 août, il écrivit à madame de Sévigné pour lui dire adieu. Elle avait espéré qu'il irait s'embarquer à Marseille, et alors elle recommandait à sa fille «de faire toute chose pour avoir encore la joie de le voir en passant343.» Mais les cardinaux français prirent, à l'aller et au retour, la voie de terre, et passèrent par Grenoble, ce qui priva madame de Grignan du plaisir que sa mère s'était promis pour elle. «Vous n'aurez pas le plaisir d'avoir cette chère Éminence (écrit madame de Sévigné le 5 août, en annonçant à sa fille ce contre-temps qui est bien plutôt une déception pour elle-même que pour la gouvernante de la Provence); je suis en peine de sa santé: il étoit dans les remèdes, mais il a fallu céder aux instantes prières du maître, qui lui écrivit de sa propre main344.» Louis XIV avait, à bon droit, grande confiance dans les lumières, l'habileté et le patriotisme du cardinal de Retz, et celui-ci arrivait à Rome en quelque sorte comme le chef du parti français, qui alors avait fort à lutter contre celui de l'Empire, son adversaire traditionnel en Italie.

Le cardinal écrivit exactement à la marquise de Sévigné, de Lyon, de Turin, de Rome, et, contre les prévisions de tous et les craintes de son amie, il ne tarda pas à lui annoncer que «sa santé étoit bien meilleure qu'il n'eût osé l'espérer345.» Les opérations du conclave furent longues. Enfin, dans les derniers jours de septembre, Retz put mander, et il le fit avec empressement, à madame de Sévigné l'élection du cardinal Odescalchi, sous le nom d'Innocent XI. «M. le cardinal, dit-elle, m'écrit du lendemain qu'il a fait un pape, et m'assure qu'il n'a aucun scrupule… Il me mande que le pape est encore plus saint d'effet que de nom; qu'il vous a écrit de Lyon en passant, et qu'il ne vous verra point en repassant, dont il est très-fâché; de sorte qu'il se retrouvera dans peu de jours chez lui, comme si de rien n'étoit. Ce voyage lui a fait bien de l'honneur, car il ne se peut rien ajouter au bon exemple qu'il a donné. On croit même que, par le bon choix du souverain pontife, il a remis dans le conclave le Saint-Esprit, qui en étoit exilé depuis tant d'années346.» Le savant éditeur de la correspondance fait remarquer avec raison qu'il est probable que Retz avait combattu l'élection du nouveau pontife, mais que «le pape une fois nommé, il devait paraître de l'avis du conclave347.» Une première fois, en 1669, le cardinal de Retz s'était montré opposé à l'exaltation d'Odescalchi, et le parti français était parvenu à faire nommer le cardinal Altieri, devenu Clément X. En 1676, la défection du cardinal d'Estrées fit passer celui que la France croyait lui être hostile, mais à la vertu duquel tout le monde rendait hommage. C'est ce qui résulte de la Relation des conclaves de 1689 et de 1691, que nous a laissée M. de Coulanges, le cousin de la marquise de Sévigné, lequel tenait ces détails rétrospectifs de la bouche du cardinal de Bouillon, qu'il avait accompagné à Rome348.

Le cardinal de Retz rentra vers le milieu de novembre dans sa retraite de Commercy, mais sans repasser par Paris, dont il s'était lui-même exilé, à la grande douleur de son amie, qui ne pouvait se faire à cette idée de ne plus le voir. «M. de Pomponne, écrit-elle le 18, m'a dit qu'à Rome il n'est question que de notre cardinal; il n'en vient point de lettres qui ne soient pleines de ses louanges: on vouloit l'y retenir pour être le conseil du pape; il s'est encore acquis une nouvelle estime dans ce dernier voyage; il a passé par Grenoble, pour voir sa nièce (la duchesse de Sault-Lesdiguières), mais ce n'est pas sa chère nièce: c'est une chose bien cruelle de ne plus espérer la joie de le revoir; savez-vous bien que cela fait une de mes tristes pensées?» – «Je souhaite, redit-elle à sa fille le surlendemain, que vous vous accommodiez mieux que moi de la pensée de ne le voir jamais; je ne puis m'y accoutumer;» et mêlant à l'idée de cette séparation d'un ami la pensée d'un éloignement bien plus pénible encore: «Je suis destinée, ajoute-t-elle avec mélancolie, à périr par les absences349

Aussi madame de Sévigné ne s'occupe-t-elle que des moyens de posséder au plus tôt cette fille dont déjà depuis deux ans elle se trouvait séparée. Forte de son sacrifice de Vichy, elle insiste auprès de M. de Grignan pour qu'une satisfaction si nécessaire à sa vie ne lui soit pas plus longtemps refusée. Toutes ses lettres portent la trace de ce désir devenu chez elle une idée fixe. Désireuse, de son côté, de revoir sa mère, mais retenue par les devoirs de sa situation et les exigences de ses affaires domestiques, madame de Grignan, en septembre, en octobre, en novembre, annonça successivement son arrivée, sans pouvoir réaliser ses projets sincères à cet égard. Ainsi renvoyée de mois en mois, cette pauvre mère en vient à un état d'accablement et de tristesse qui serait une preuve, pour ceux qui en auraient besoin, de l'étendue et de la sincérité d'une tendresse dont on a dit l'expression exagérée, tandis qu'elle n'est que passionnément vraie350.

En attendant, madame de Sévigné cherche et trouve une occupation du goût de son cœur dans la poursuite des affaires de son gendre et de son fils. Après avoir pris une honorable part aux événements de la campagne dont nous avons rappelé les principaux faits, le baron de Sévigné, malade d'un rhumatisme à la cuisse, et croyant toute opération sérieuse ajournée, était revenu de lui-même à Paris, sans congé, le 22 octobre351. Ce retour justifié, mais irrégulier quant à la forme, ne laissa pas que de causer quelques ennuis à sa mère. Sévigné montrait en effet, par là, qu'il n'était pas trop esclave de la discipline militaire, et le roi n'aimait guère qu'on prît de telles libertés avec la hiérarchie. Madame de Sévigné jugea prudent de garder son fils en quelque sorte caché à Livry, jusqu'à ce que sa position eût été régularisée. «Le Frater est toujours ici, mande-t-elle à madame de Grignan, attendant ses attestations qui lui feront avoir son congé. Il clopine, il fait des remèdes; et quoique on nous menace de toutes les sévérités de l'ancienne discipline, nous vivons en paix, dans l'espérance que nous ne serons point pendus. Nous causons et nous lisons: le compère, qui sent que je suis ici pour l'amour de lui, me fait des excuses de la pluie, et n'oublie rien pour me divertir; il y réussit à merveille; nous parlons souvent de vous avec tendresse.» Et le Frater, de ce charmant esprit qui contraste avec le ton un peu tendu de sa sœur, continue: «Ma mère est ici pour l'amour de moi; je suis un pauvre criminel, que l'on menace tous les jours de la Bastille ou d'être cassé. J'espère pourtant que tout s'apaisera par le retour prochain de toutes les troupes. L'état où je suis pourrait tout seul produire cet effet; mais ce n'est plus la mode. Je fais tout ce que je puis pour consoler ma mère, et du vilain temps, et d'avoir quitté Paris: mais elle ne veut pas m'entendre quand je lui parle là-dessus. Elle revient toujours sur les soins que j'ai pris d'elle pendant sa maladie, et, à ce que je puis juger par ses discours, elle est fort fâchée que mon rhumatisme ne soit pas universel, et que je n'aie pas la fièvre continue, afin de pouvoir me témoigner toute sa tendresse et toute l'étendue de sa reconnoissance. Elle seroit tout à fait contente si elle m'avoit seulement vu en état de me faire confesser; mais, par malheur, ce n'est pas pour cette fois: il faut qu'elle se réduise à me voir clopiner comme clopinoit jadis M. de la Rochefoucauld, qui va présentement comme un Basque352

En même temps qu'elle poursuivait le congé de son fils auprès de Louvois, qui, à cause de sa parenté avec madame de Coulanges, se montrait gracieux pour elle, la marquise de Sévigné sollicitait de Colbert le renouvellement de la faible indemnité que le roi avait l'habitude d'accorder, à titre de gratification, aux gouverneurs de province dont il était satisfait. Louvois était rude dans le service, mais galant pour les dames. Il n'en était pas de même de Colbert: celui-ci faisait toujours mauvais visage à qui venait lui demander de l'argent353. Madame de Sévigné l'éprouva pour son compte en allant l'entretenir des intérêts de son gendre et de sa fille. «J'ai voulu aller à Saint-Germain parler à M. Colbert de votre pension, écrit-elle à cette dernière; j'y étois très-bien accompagnée: M. de Saint-Géran, M. d'Hacqueville et plusieurs autres me consoloient par avance de la glace que j'attendois. Je lui parlai donc de cette pension, je touchai un mot des occupations continuelles et du zèle pour le service du roi; un autre mot des extrêmes dépenses à quoi l'on étoit obligé, et qui ne permettoient pas de rien négliger pour les soutenir; que c'étoit avec peine que M. l'abbé de Grignan et moi nous l'importunions de cette affaire: tout cela étoit plus court et mieux rangé; mais je n'aurai nulle fatigue à vous dire la réponse: Madame, j'en aurai soin; et il me ramène à la porte; et voilà qui est fait354.» Toutefois madame de Sévigné fut plus heureuse que madame Cornuel. On sait, que ne pouvant tirer du ministre austère ni un mot de réponse, ni même une marque d'attention: «Monseigneur, lui dit celle-ci, faites au moins signe que vous m'entendez355

Enfin madame de Grignan se décida à venir à Paris aussitôt que son mari auroit obtenu des États de Provence le don extraordinaire de huit cent mille francs que le roi leur demandait pour cette année (un tiers de plus que les années précédentes), et fait nommer M. de Saint-Andiol, son beau-frère, procureur du pays, c'est-à-dire chargé d'aller porter à Versailles le vote de l'assemblée. C'est dans cette circonstance qu'il faut voir toute la tendresse maternelle de madame de Sévigné. «Je suis vraiment bien contente, dit-elle à sa fille en recevant cette nouvelle, de la bonne résolution que vous prenez; elle sera approuvée de tout le monde, et vous êtes fort loin de comprendre la joie qu'elle me donne356

Mais voici un messager envoyé devant, qui accourt annonçant cette chère venue. Quel feu! quelle allégresse, quel trouble!

«Livry, mercredi 25 novembre 1676.– Je me promène dans cette avenue; je vois venir un courrier. Qui est-ce? C'est Pomier: ah! vraiment, voilà qui est admirable. Et quand viendra ma fille? – Madame, elle doit être partie présentement. – Venez donc que je vous embrasse. Et votre don de l'assemblée? – Madame, il est accordé. – A combien? – A huit cent mille francs. – Voilà qui est fort bien, notre pressoir est bon, il n'y a rien à craindre, il n'y a qu'à serrer, notre corde est bonne. Enfin j'ouvre votre lettre, et je vois un détail qui me ravit. Je reconnois aisément les deux caractères, et je vois enfin que vous partez. Je ne vous dis rien sur la parfaite joie que j'en ai. Je vais demain à Paris avec mon fils; il n'y a plus de danger pour lui. J'écris un mot à M. de Pomponne pour lui présenter notre courrier. Vous êtes en chemin par un temps admirable, mais je crains la gelée. Je vous enverrai un carrosse où vous voudrez. Je vais renvoyer Pomier, afin qu'il aille, ce soir, à Versailles, c'est-à-dire à Saint-Germain. J'étrangle tout, car le temps presse. Je me porte fort bien; je vous embrasse mille fois, et le Frater aussi357

Avant l'arrivée de sa fille, madame de Sévigné n'écrit plus que trois lettres, trois billets de ce même style, rapide, coupé, joyeux. On voit qu'à la veille de jouir de cette chère présence, elle n'a plus le cœur à l'écriture. «Je ne sais ce que j'ai, dit-elle à son idole, je n'ai plus de goût à vous écrire: d'où vient cela? seroit-ce que je ne vous aime plus358?» Elle annonce aux gouverneurs de la Provence que «la nouvelle des huit cent mille francs a été très-agréable au roi et à tous ses ministres»; et, pour compléter cette bouffée de contentement, voilà que le maître accorde à M. de Grignan cette gratification modeste, mais indispensable au voyage de Paris, tant était grande alors la gêne de la noblesse provinciale, et si avancée la ruine latente d'une maison dont le faste apparent ne se soutenait qu'à force d'artifices et d'héroïques expédients. «M. de Pomponne, ajoute cette mère heureuse, le 9 décembre, a glissé fort à propos nos cinq mille francs. Le roi dit, en riant: On dit tous les ans que ce sera pour la dernière fois. M. de Pomponne, en riant, répliqua: Sire, ils sont employés à vous bien servir. Sa Majesté apprit aussi que le marquis de Saint-Andiol étoit procureur du pays; le sourire continua, comme disant qu'on voyoit bien la part qu'avoit M. de Grignan à cette nomination. M. de Pomponne lui dit: Sire, la chose a passé d'une voix, sans aucune contestation ni cabale. Cette conversation finit, et se passa fort bien359

Partie d'Aix le 1er décembre, la comtesse de Grignan, seule, car son mari était encore retenu par ses fonctions, cheminait lentement à travers la neige et la glace qu'elle avait trouvées sur sa route, au lieu du beau temps que lui prédisait sa mère, d'abord parce qu'elle le souhaitait, mais aussi pour l'encourager à entreprendre cette longue et fastidieuse marche. Son cœur suit sa fille dans ses pénibles étapes. Elle ne veut pas qu'elle arrive sans trouver sur sa route des excuses de tout ce mauvais temps: «Que ne vous dois-je point, ma chère enfant, pour tant de peines, de fatigues, d'ennuis, de froid, de gelée, de frimas, de veilles? Je crois avoir souffert toutes ces incommodités avec vous; ma pensée n'a pas été un moment séparée de vous, je vous ai suivie partout, et j'ai trouvé mille fois que je ne valois pas l'extrême peine que vous preniez pour moi; c'est-à-dire, par un certain côté, car celui de la tendresse et de l'amitié relève bien mon mérite à votre égard. Quel voyage, bon Dieu! et quelle saison! vous arriverez précisément le plus court jour de l'année, et par conséquent vous nous ramènerez le soleil. J'ai vu une devise qui me conviendroit assez; c'est un arbre sec et comme mort, et autour ces paroles: fin che sol ritorni. Qu'en dites-vous, ma fille? Je ne vous parlerai donc point de votre voyage, nulle question là-dessus; nous tirerons le rideau sur vingt jours d'extrêmes fatigues, et nous tâcherons de donner un autre cours aux petits esprits, et d'autres idées à votre imagination360… Je vous attendrai à dîner à Villeneuve Saint-Georges; vous y trouverez votre potage tout chaud; et, sans faire tort à qui que ce puisse être (ceci pour vous, monsieur de Grignan), vous y trouverez la personne du monde qui vous aime le plus parfaitement. L'abbé vous attendra dans votre chambre bien éclairée avec un bon feu. Ma chère enfant, quelle joie! Puis-je en avoir jamais une plus sensible361

Madame de Grignan arriva à Paris le 22 décembre. On peut se figurer les transports de madame de Sévigné de revoir sa fille après deux années entières d'absence, et il faut affirmer aussi la joie de celle-ci, de se retrouver enfin auprès d'une telle mère. Mais, vanité des projets humains, même des plus légitimes rêves de l'amour maternel, ce séjour commun à Paris, que madame de Sévigné avait tant souhaité, fut pour elle l'époque la plus pénible, la plus agitée et la plus douloureuse de son existence, et cela à cause de sa fille et par sa fille, ainsi que nous le verrons dans le chapitre suivant.

CHAPITRE VI
1677

Madame de Grignan trouve à Paris son frère, son beau-frère et Bussy. – Moment de la plus grande intimité entre madame de Sévigné et son cousin. – Ils se conviennent et se plaisent. – Vanité, extravagances de Bussy-Rabutin. – Il refuse le Monseigneur aux maréchaux. – Il se crée lui-même maréchal de France in petto. – Ne pouvant être duc, il ne veut plus qu'on l'appelle comte. – Le roi lui permet de revenir une seconde fois à Paris. – Sa cousine désire connaître ses Mémoires; ils les lisent ensemble. – Position de madame de Montespan à la cour. – Le roi distingue madame de Ludre. – On attribue à Bussy des couplets satiriques; sa justification. – La guerre recommence. – Louis XIV se met en campagne avant la fin de l'hiver. – Siége et prise de Valenciennes. – Le baron de Sévigné y est blessé. – Saint-Omer et Cambrai sont obligés de se rendre. – MONSIEUR gagne la bataille de Cassel. – Retour triomphant du roi; ovations qui lui sont faites: l'année 1677 appelée l'année de Louis le Grand. – Corneille chante les victoires du roi. – Madame de Sévigné achète à son fils la sous-lieutenance des gendarmes-Dauphin. – Maladie de madame de Grignan. – Appréhensions de sa mère. – Quelques troubles surviennent entre la mère et la fille. – Malentendus expliqués.

Madame de Grignan resta six mois à Paris. Pour cette période, nous ne trouvons que deux lettres de sa mère, l'une à Bussy, l'autre au comte de Guitaud. Toutefois, au moyen d'une correspondance qui recommence avec l'exactitude accoutumée, au lendemain de la séparation, il nous sera possible de connaître quelle fut, durant cette première moitié de l'année 1677, l'existence de la mère et de la fille.

En arrivant à Paris, madame de Grignan, indépendamment des amis de sa mère, qui étaient aussi les siens et que nous connaissons, retrouva son frère, guéri de son rhumatisme; le chevalier, son beau-frère, qui avait fait tout entière la longue campagne de 1676, sans y rencontrer d'occasion particulière d'accroître une fort jolie réputation que l'on tardait bien à récompenser; M. de la Garde, ce cousin à héritage des Grignan, qui, quelques mois auparavant, avait failli, à cinquante-six ans, épouser une jeune fille dont il eût pu être l'aïeul, et avait eu le bon esprit d'y renoncer, à la grande approbation de madame de Sévigné, qui, pour cela, lui restitue le nom de sage; et enfin Bussy-Rabutin, venu à Paris au mois de juin précédent avec une permission de deux mois, successivement prorogée jusqu'en mai 1677, par un accès de commisération royale, où la vanité de plus en plus vivace de ce disgracié satisfait voulait presque voir un retour de faveur.

M. a fait connaître en détail le premier voyage effectué par Bussy en 1674, après sept années d'exil, et ses tentatives infructueuses de réconciliation auprès de ses principaux ennemis, tels que Condé, la Rochefoucauld, Marsillac362. Lorsque madame de Sévigné, en juin 1676, retourna de Vichy à Paris, elle y trouva son cousin déjà installé depuis quelques jours. Il y avait deux ans qu'ils ne s'étaient revus; mais ils n'avaient point interrompu une correspondance qui chez eux paraissait un besoin, comme elle était un plaisir. Bussy disait plus tard à sa cousine que les lettres qu'elle lui avait écrites pendant les années 1674, 1675 et 1676, étaient celles qu'il trouvait le plus à son goût363. A ces diverses dates, ce quinteux parent en est revenu aux tendresses. Tantôt il lui écrit: «Vous êtes de ces gens qui ne devraient jamais mourir, comme il y en a qui ne devroient jamais naître364.» Tantôt il lui proteste que, «comme il ne trouve aucune conversation qui lui plaise autant que la sienne, il ne trouve aussi point de lettres si agréables que celles qu'elle lui écrit365.» Le 11 août 1675, il lui adresse cet éloge plus complet et plus cordial encore de sa façon d'écrire: «J'ai reçu votre lettre, madame, elle est assez longue, et je vous assure que je l'ai trouvée trop courte. Soit que votre style, comme vous dites, soit laconique, soit que vous vous étendiez davantage, il y a, ce me semble, dans vos lettres, des agréments qu'on ne voit point ailleurs; et il ne faut pas dire que c'est l'amitié que j'ai pour vous qui me les embellit, puisque de fort honnêtes gens, qui ne vous connoissent pas, les ont admirées366

La correspondance de madame de Sévigné et de Bussy, pendant ces deux années écoulées sans se voir, se compose de trente-cinq lettres, dix-neuf écrites par celui-ci et seize par sa cousine. Le ton de cordialité qui y règne fait contraste avec le style de bec et d'ongles qui semble l'allure naturelle de cet esprit aigu, pointilleux, mieux disposé à rendre un coup qu'une tendresse, et n'ayant qu'un souci, dans les petites comme dans les grandes luttes, avec une femme et une parente comme avec un ennemi bardé de fer, ne pas avoir le dernier. Il est quelques parties de leur correspondance que nous voulons relever, car on y rencontre de nouveaux traits des deux principales figures de ces Mémoires, et de plus elles caractérisent des relations dont l'historique fait partie du plan dont nous achevons l'exécution.

Le faux bruit avait couru d'une première maladie sérieuse de madame de Sévigné avant celle de Bretagne. Se faisant de la nature et de la cause du mal de bizarres idées, et imaginant à ce sujet de plus singuliers remèdes, Bussy adresse à sa cousine cette lettre d'un ton qu'il se permet volontiers avec elle et que celle-ci sait entendre et pardonner: «J'ai appris que vous aviez été fort malade, ma chère cousine; cela m'a mis en peine pour l'avenir, et j'ai appréhendé une rechute. J'ai consulté votre mal à un habile médecin de ce pays-ci. Il m'a dit que les femmes d'un bon tempérament comme vous, demeurées veuves de bonne heure, et qui s'étoient un peu contraintes, étoient sujettes à des vapeurs. Cela m'a remis de l'appréhension que j'avois d'un plus grand mal; car enfin, le remède étant entre vos mains, je ne pense pas que vous haïssez assez la vie pour n'en pas user, ni que vous eussiez plus de peine à prendre un galant que du vin émétique. Vous devriez suivre mon conseil, ma chère cousine, d'autant plus qu'il ne sauroit vous paroître intéressé; car, si vous aviez besoin de vous mettre dans les remèdes, étant à cent lieues de vous, comme je suis, vraisemblablement ce ne seroit pas moi qui vous en servirois.» – «Votre médecin (lui répond madame de Sévigné de la même plume, mais plus finement taillée) qui dit que mon mal sont des vapeurs, et vous qui me proposez le moyen d'en guérir, n'êtes pas les premiers qui m'avez conseillé de me mettre dans les remèdes spécifiques; mais la raison de n'avoir point eu de précaution pour prévenir ces vapeurs par les remèdes que vous me proposez m'empêchera encore d'en user pour les guérir. Le désintéressement dont vous voulez que je vous loue dans le conseil que vous me donnez n'est pas si estimable qu'il l'auroit été du temps de notre belle jeunesse: peut-être qu'en ce temps-là vous auriez eu plus de mérite. Quoi qu'il en soit, je me porte bien, et, si je meurs de cette maladie, ce sera d'une belle épée, et je vous laisserai le soin de mon épitaphe367

Cet accent de jovialité un peu crue revient quelquefois dans le commerce de ces deux esprits prompts à la riposte, et qui ne dédaignent pas ce qu'on appelle le mot pour rire. Madame de Sévigné ne s'en fait nullement faute. Le marquis de Coligny, avant d'épouser mademoiselle de Bussy, lui avait écrit, comme à une parente considérable et considérée, afin de lui demander en quelque sorte son consentement. «J'ai reçu, mande-t-elle au père, un compliment très-honnête de M. de Coligny. Je vois bien que vous n'avez pas manqué de lui dire que je suis l'aînée de votre maison, et que mon approbation est une chose qui tout au moins ne sauroit lui faire de mal.» Et, sur ce, elle décoche à son cousin, friand de telles épices, cette historiette un peu gauloise: «A propos de cela, je veux vous faire un petit conte qui me fit rire l'autre jour. Un garçon, étant accusé en justice d'avoir fait un enfant à une fille, il s'en défendoit à ses juges, et leur disoit: «Je pense bien, messieurs, que je n'y ai pas nui, mais ce n'est pas à moi l'enfant.» Mon cousin, je vous demande pardon, je trouve ce conte naïf et plaisant. S'il vous en vient un à la traverse, ne vous en contraignez pas368.» Mis en goût et en gaieté, Dieu sait si Bussy s'en contraint, et il répond à sa cousine par une anecdote sur le chevalier de Rohan et madame d'Heudicourt que nous devons laisser (telle est chez nous le changement du langage, je ne dis pas des mœurs) à la place qu'elle occupe dans la correspondance de l'historien de la Gaule amoureuse369.

La vanité de Bussy doit se dire comme on a dit, dans ce temps, l'héroïsme de Condé, l'éloquence de Bossuet, la sagesse de Catinat, la douceur de Fénelon. Bussy est une des curiosités du règne de Louis XIV. Ses lettres de la période qui nous occupe nous offrent deux remarquables exemples de cet orgueil à la fois triste et bouffon qui a dirigé et perdu sa vie.

On a vu qu'à la mort de Turenne, Louis XIV fit d'un seul coup huit maréchaux de France. C'était pour Bussy, leur doyen à tous, une belle occasion manquée, de parvenir à cette dignité, jusque-là le vif objet de son envie. «Dieu, écrit-il à sa cousine, n'a pas voulu que cela fût, ou que cela fût encore; je n'en murmure point, et, au contraire, je lui rends mille grâces du repos d'esprit qu'il m'a donné sur cela, et de ce qu'il m'a fait le courage encore plus grand que mes malheurs370.» Résignation factice, paroles arrangées qui masquent le dépit le plus amer, et bientôt le plus injurieux pour autrui, ainsi qu'on va le voir dans une lutte que le mestre de camp général de la cavalerie légère soutint avec la plupart des nouveaux élus, et que l'on peut appeler sa campagne du monseigneur.

Quelle que fût sa pensée sur cette fournée de maréchaux, qu'il appelait maréchaux à la douzaine, Bussy, courtisan lors même qu'il n'affectionne ni n'estime, crut devoir faire son compliment à ceux qui lui étaient particulièrement connus, mais il omit de leur donner le titre de monseigneur, auquel les maréchaux de France pensaient avoir droit, et qui, en effet, était passé en tradition et en habitude. Par une théorie nouvelle et subtile, il entendait ne rendre cet hommage qu'à ceux qui étaient ses anciens comme lieutenants généraux, et il le refusait à ses cadets.

Il est curieux, d'abord, de comparer les termes de ses compliments avec sa méprisante façon de penser sur ses heureux rivaux. «Je me réjouis avec vous, monsieur, écrit-il au maréchal de Navailles, qu'enfin l'on vous ait fait justice; il y a longtemps que vous devriez avoir reçu celle-ci: le mérite a forcé les étoiles. Vous êtes en bonne et nombreuse compagnie371.» A Vivonne il dit: «Enfin, monsieur, vous voilà parvenu aux grands honneurs de la guerre. Il n'y a guère plus d'un an que vous n'aviez ni établissement ni titre. La fortune avoit été un peu lente à vous récompenser, mais elle s'est assez bien remise en son devoir, et elle n'a plus qu'à vous donner les moyens d'augmenter la gloire que vous avez acquise… Je vous assure que je le souhaite de tout mon cœur; car personne ne vous honore, ne vous estime et ne vous aime plus que je ne fais372.» Et à M. de Duras, il témoigne toute «sa joie de la justice que le roi vient de lui faire373

338.Pour ces citations, V. SÉVIGNÉ, t. IV, p. 30, 45, 54 et 55. – Sur la démission du cardinal de Retz, voir ses Mémoires (coll. Michaud, t. XXV, p. 612).
339.Nièce à la mode de Bretagne. (Conf. WALCKENAER, t. V, p. 167.)
340.SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 357.
341.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 320.
342.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 327.
343.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 405.
344.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 410.
345.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 443.
346.SÉVIGNÉ, lettre du 7 octobre 1676, t. V, p. 17.
347.Note de M. Monmerqué à la lettre du 7 octobre.
348.Mémoires de Coulanges, formant le t. XI de l'édition de M. Monmerqué, p. 65. —Mémoires du cardinal de Retz, p. 614.
349.Lettres, t. V, p. 64 et 68.
350.V. Lettres de madame de Sévigné, t. IV, p. 477; V, p. 19, 25, 32, 45, 47, 48, 59 et 62.
351.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 39.
352.SÉVIGNÉ, Lettres (28 octobre 1676), t. V, p. 43.
353.Vie de Colbert par M. Pierre Clément, p. 106.
354.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 63.
355.Biographie Michaud, art. Colbert, par M. Villenave.
356.SÉVIGNÉ, lettre du 18 novembre, t. V, p. 66.
357.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 70.
358.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 71.
359.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 73.
360.Allusion au langage de la philosophie cartésienne, familière à madame de Grignan.
361.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 74.
362.Mémoires sur madame de Sévigné, t. V, p. 147.
363.SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 147.
364.Correspondance de Bussy-Rabutin (lettre du 16 août 1674), t. II, p. 385.
365.Corr. de Bussy, t. II, p. 396 (lettre du 19 septembre 1674).
366.Corr. de Bussy, t. III, p. 401.
367.Correspondance de Bussy-Rabutin (lettres des 16 août et 5 septembre 1674), t. III, p. 385 et 393.
368.SÉVIGNÉ (lettre du 8 octobre 1675), t. IV, p. 28.
369.Correspondance de Bussy-Rabutin, t. III, p. 108.
370.Corr. de Bussy, t. III, p. 67.
371.Correspondance de Bussy, t. III, p. 72.
372.Correspondance de Bussy, t. III, p. 73.
373.Corr. de Bussy, t. III, p. 78.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
05 июля 2017
Объем:
510 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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