Voici les députés de Spartè: ils viennent avec leurs barbes traînantes: on dirait qu'ils ont une cage à porcs entre les cuisses. Hommes Lakoniens, tout d'abord, salut; puis, dites-nous comment vous allez.
Il n'est pas besoin de vous dire beaucoup de paroles: vous pouvez voir dans quel état nous sommes.
Oh! oh! le mal acquiert une intensité effrayante; on dirait une inflammation de la pire espèce.
C'est à n'y pas croire. Mais que dire? Envoyez-nous quelqu'un qui, à n'importe quelle condition, traite avec nous de la paix.
Mais je vois aussi de nos compatriotes qui, en vrais lutteurs, écartent les vêtements de leurs ventres, si bien qu'on dirait une maladie d'athlètes.
Qui me dira où est Lysistrata? voilà où nous en sommes, nous autres hommes.
Autre chanson sur la même maladie. Êtes-vous pris de tensions de nerfs le matin?
Oui, de par Zeus! et cet état-là nous tue. Si on ne conclut pas la paix au plus vite, il nous faudra nous rabattre sur Klisthénès.
Si vous êtes sages, remettez vos vêtements, afin de n'être pas vus par quelque mutilateur de Hermès.
De par Zeus! tu parles d'or.
Au nom des Gémeaux, c'est tout à fait cela. Voyons, remettons nos vêtements.
Salut, Lakoniens; nous sommes dans un piteux état.
Oui, mon très cher, c'eût été une triste chose, si des hommes m'avaient vu ainsi la lance en arrêt.
Voyons, Lakonien, il faut dire carrément ce qui est. Pourquoi êtes-vous ici?
On nous envoie traiter de la paix.
Bien dit, et nous aussi. Que n'appelons-nous donc Lysistrata, qui seule peut nous mettre d'accord?
Oui, au nom des Gémeaux, appelez même Lysistratos.
Nous n'avons pas besoin, ce me semble, de l'appeler: elle nous a entendus, elle vient d'elle-même.
Salut à la plus courageuse de toutes. Voici l'instant de te montrer redoutable et bonne, humble et vénérable, sévère et indulgente, afin que les chefs des Hellènes, séduits par tes charmes, s'abandonnent à toi et te remettent, d'un commun accord, le jugement de leurs griefs.
La besogne n'est pas difficile, si on les prend au milieu de leurs désirs et n'essayant pas de se consoler les uns les autres. Je le saurai bientôt. Où est la Paix?–Va prendre et amène-moi d'abord les Lakoniens, mais pas d'une main rude et arrogante: ne fais pas comme nos hommes les malappris, mais comme il convient aux femmes, en toute douceur. S'ils ne t'offrent pas la main, amène-les par où tu sais. Amène-moi aussi les Athéniens, et prends-les par où ils se donneront.–Lakoniens, tenez-vous près de moi.–Vous, de ce côté.–Écoutez ce que j'ai à dire. Je ne suis qu'une femme, mais j'ai du bon sens. De moi-même, je ne suis pas mal partagée en fait de raison; et de la bouche de mon père et des vieillards j'ai recueilli beaucoup de discours, qui ne m'ont pas mal instruite. Je veux vous adresser à tous en commun des railleries que vous méritez, vous qui, arrosant les autels de la même eau lustrale, en vrais parents, à Olympia, aux Thermopyles, à Pytho (et combien d'autres localités je pourrais citer, si je voulais m'étendre!), perdez, sous les yeux de l'armée des Barbares, vos ennemis, et les Hellènes et leurs villes! Voilà déjà une partie de ce que j'ai à vous dire.
Moi, je meurs de désirs.
Pour vous, Lakoniens, car je m'adresse à vous, ne vous souvient-il plus comment le Lakonien Périklidas vint un jour à Athènes, en suppliant, et s'assit auprès des autels, pâle, vêtu de pourpre, demandant des secours? Car alors Messènè vous inquiétait, et un dieu ébranlait votre terre. Parti avec mille hoplites, Kimôn sauva Lakédæmôn entière. Traités ainsi par les Athéniens, vous ravagez le pays qui vous a rendu ce bon service.
Oui, de par Zeus! ils ont tort, Lysistrata.
Nous avons tort; mais impossible de dire combien son derrière est beau.
Et vous, Athéniens, pensez-vous que je vais vous passer sous silence? Ne vous souvenez-vous plus que les Lakoniens, au temps où vous portiez la peau de mouton, venant, à leur tour, la lance en main, mirent à mort un grand nombre de Thessaliens, un grand nombre d'amis ou d'alliés de Hippias? Se faisant seuls vos champions dans cette journée, ils vous rendirent la liberté, qui permit au peuple de quitter la peau de mouton, pour revêtir la læna retrouvée.
Je n'ai jamais vu plus digne femme.
Ni jamais de plus beaux appas.
Pourquoi donc, après vous être rendu de si nombreux services, vous faites-vous la guerre et ne mettez-vous pas fin à votre méchanceté? Pourquoi ne pas conclure la paix? Qui vous empêche?
Nous le voulons bien, si l'on veut nous rendre l'enkyklos.
Lequel, mon cher?
Pylos, que, depuis longtemps, nous demandons et convoitons.
Par Poséidôn! nous ne ferons jamais cela.
Laissez-la-leur, mes amis.
Alors où mettrons-nous le désordre?
Demandez une autre place en échange.
Eh bien! donnez-nous donc Ékhinousa, et le golfe Maliaque, qui est derrière, et les Jambes de Mégara.
Par les Gémeaux! pas tout cela, espèce de fou!
Laissez donc cela: ne disputez pas à propos de jambes.
Je voudrais déjà mettre habit bas et labourer la terre.
Et moi tout d'abord la fumer, j'en prends les Gémeaux à témoin.
Commencez par faire la paix, et puis vous agirez. Si donc vous désirez la conclure, mettez l'affaire en délibération et communiquez-la à nos alliés.
A quels alliés, ma chère? Nous n'en pouvons plus. Crois-tu que tous nos alliés ne soient d'avis de coucher avec leurs femmes?
Et les nôtres aussi, j'en atteste les Gémeaux.
Et les Karystiens également, de par Zeus!
Bien dit. Maintenant purifiez-vous, et nous, femmes, nous vous recevrons dans l'Akropolis, avec les paniers que nous avons. Là, engagez les uns aux autres vos serments et votre foi; puis chacun prendra sa femme et s'en ira avec elle.
Allons-y au plus vite.
J'irai où tu voudras.
De par Zeus! au plus tôt, dépêchons.
Stromates bigarrés, lænas, xystis, bijoux d'or à moi, je n'ai nul regret à les offrir à tous vos enfants, pour qu'ils les portent, si l'une de vos filles est kanéphore. Oui, je vous permets à tous de prendre chez moi ce qui s'y trouve: il n'y a rien de si bien scellé, dont on ne puisse rompre les cachets, et emporter ce qu'il y a dedans. Personne, en cherchant, n'y verra rien, quelqu'un de vous fût-il plus clairvoyant que moi. Si quelqu'un de vous n'a pas de provisions pour nourrir ses serviteurs et ses nombreux petits-enfants, il peut prendre chez moi du grain tout broyé, et y voir un pain d'un boisseau, d'une belle venue. Ainsi, que ceux des pauvres qui le veulent viennent chez moi avec des sacs et des besaces, ils recevront du blé. Manès, un esclave à moi, leur en fournira. Toutefois, je vous préviens de ne pas approcher de ma porte: autrement, gare au chien!
Ouvre la porte, toi.
Veux-tu bien t'en aller? Pourquoi restez-vous là? Moi, je vais prendre une torche et vous brûler. Le poste est désagréable.
Je n'en ferai rien.
S'il faut absolument le faire pour vous plaire, cela nous portera malheur.
Et nous serons malheureux avec toi.
Vous ne partez pas? Vos cheveux en pâtiront. Partez donc pour que les Lakoniens s'en aillent tranquillement d'ici, après avoir fait bonne chère.
Je ne vis jamais pareil festin. Les Lakoniens mêmes y étaient charmants. Nous étions, dans le vin, des convives très sages.
C'est justice; à jeun nous n'avons pas le sens commun. Si les Athéniens veulent croire à mes paroles, nous nous enivrerons dans toutes nos députations. Maintenant, quand nous entrons à jeun à Lakédæmôn, nous regardons aussitôt par où jeter le désordre; si bien que ce qu'ils disent nous ne l'entendons pas, et ce qu'ils ne disent pas, nous l'interprétons mal. Aussi nos rapports sur ce qui est ne sont pas conformes à ce qui est. Mais aujourd'hui tout nous plaît. Qu'on chante la chanson de Télamôn, au lieu de chanter celle de Klitagoras, nous applaudirons tout de même, et nous n'hésiterons pas à nous parjurer.
Mais voilà ces gens qui pour la seconde fois reviennent ici. Ne décampez-vous pas, gibier d'étrivières?
De par Zeus! les voilà qui sortent déjà.
Mon tendre ami, prends tes flûtes, afin que je danse et que je chante quelque chose de beau en l'honneur des Athéniens et de nous-mêmes.
Oui, prends tes flûtes, au nom des dieux. Rien ne me réjouit plus que de vous voir danser.
Inspire ces jeunes gens, Mnémosynè, ainsi que la Muse, qui me connaît et qui connaît les Athéniens. Ceux-ci, près d'Artémision, s'élancèrent, semblables à des dieux, sur les vaisseaux des Mèdes et les vainquirent. Pour nous, Léonidas nous conduisit, pareils, ce semble, à des sangliers aiguisant leurs défenses: une sueur abondante florissait le long de nos joues et coulait abondamment de nos jambes. C'est que les Perses étaient aussi nombreux que les sables du rivage. Souveraine des bois, Artémis chasseresse, viens ici, vierge divine, présider à notre alliance, pour qu'elle dure longtemps. Qu'aujourd'hui une amitié éternelle résulte de nos traités; et mettons fin à nos ruses de renard. Viens ici, vierge chasseresse.
Voyons maintenant, puisque tout est pour le mieux, Lakoniens, emmenez vos femmes; que le mari se tienne près de sa femme et la femme près de son mari; ensuite, pour cet heureux événement, formons des danses en l'honneur des dieux, et gardons-nous à l'avenir de retomber dans les mêmes fautes.
Introduis le choeur, fais appel aux Kharites, invoque Artémis et son jumeau, l'aimable dieu des choeurs qu'on appelle à grands cris, puis le dieu de Nysa, suivi des Mænades, Bakkhos au regard étincelant, et Zeus qui fait briller la flamme, et son épouse auguste et bienheureuse, et les dæmones, que nous prenons pour témoins, toujours présents, de la noble paix conclue sous les auspices de la divine Kypris. Alala! Io! Pæan! Sautez! Iè! comme pour une victoire, Iè! Evoé! Evoé! Evoé! Evoé!
Lakonien, après ta nouvelle chanson, fais entendre une chanson nouvelle.
Le Taygéton à l'aimable sommet, quitte-le, Muse lakonienne, et viens célébrer avec nous Apollôn, dieu souverain d'Amyklæ, Athèna Khalkioeque, et les vaillants Tyndarides, qui s'exercent sur les bords de l'Eurotas. Voyons, élance-toi, bondis d'un vol léger: chantons Spartè, qui aime les choeurs des dieux et le bruit des pas. Comme des coursiers, les jeunes filles, sur les bords de l'Eurotas, bondissent et frappent la terre d'un pied rapide, laissant aller leurs chevelures, ainsi que des bakkhantes qui agitent leurs thyrses, en se jouant. A la tête du choeur est la fille de Lèda, chaste et belle. Allons, rattache ta chevelure avec une bandelette, et bondis comme une biche. Que tes applaudissements animent la danse, et chante la plus puissante des divinités, Khalkioeque, déesse des combats.
(L'AN 412 AVANT J.-C.)
S'emparant du bruit qui faisait d'Euripide un misogyne, Aristophane, dans les Thesmophoriazouses, s'amuse à le tourner en ridicule. Euripide, averti que les femmes méditent un complot contre lui et que, enfermées dans le temple des Thesmophores, elles délibèrent sur sa perte, envoie pour prendre sa défense son beau-père Mnèsilokhos, déguisé en femme. Celui-ci est vite reconnu et maltraité. Euripide, déguisé successivement en Ménélas, en Persée, en nymphe Écho et en vieille femme, finit par se dérober aux coups qui le menacent et aux étreintes d'un archer scythe, dont le bredouillement et la grossièreté, violemment épicées, provoquent des accès de grosse gaieté, comme les facéties drolatiques des deux Suisses dans Monsieur de Pourceaugnac.
PERSONNAGES DU DRAME
MNÈSILOKHOS, beau-père d'Euripidès.
EURIPIDÈS.
UN SERVITEUR D'AGATHÔN.
AGATHÔN.
CHOEUR D'AGATHÔN.
UN HÉRAUT.
CHOEUR DES THESMOPHORIAZOUSES.
SEPT FEMMES.
KLISTHÉNÈS.
UN PRYTANE.
UN ARCHER SKYTHE.
THRATTA.
ÉLAPHIÔN, courtisane et danseuse. Personnage muet.
TÉRÈDÔN, joueuse de flûte. Personnage muet.
La scène se passe devant la maison d'Agathôn, et ensuite dans le Thesmophorion ou Temple de Dèmètèr.
O Zeus! l'hirondelle, quand paraîtra-t-elle? Cet homme me tuera en me mettant en mouvement dès le matin. Puis-je, avant que la rate me crève, savoir de toi où tu me conduis, Euripidès?
Il est inutile que tu entendes tout ce que tu vas bientôt voir de tes yeux devant toi.
Comment dis-tu? Répète? Il est inutile que j'entende?…
Ce que tu dois voir.
Et inutile que je voie?…
Ce que tu dois entendre.
Que me contes-tu là? Cependant tu parles à merveille. Tu prétends que je ne dois ni entendre, ni voir.
Ce sont, en effet, deux fonctions naturelles distinctes.
Ne pas entendre et ne pas voir?
C'est bien cela.
Comment distinctes?
Voici comment cette distinction s'est faite. Lorsque l'æther se mit à fonctionner à part et à engendrer des animaux doués du mouvement, afin de leur donner la vue, il imagina d'abord de faire l'oeil rond comme le disque du soleil, et puis il creusa les oreilles en guise d'entonnoir.
Et c'est grâce à cet entonnoir que je n'entends ni ne vois. De par Zeus! je suis bien aise de savoir cela. La belle chose que les entretiens avec les sages!
Tu pourrais en apprendre bien d'autres de ma bouche.
Que ne peux-tu, outre ces bienfaits, trouver à m'enseigner le moyen de ne plus clocher de la jambe!
Viens ici, et prête attention.
Voici.
Vois-tu cette petite porte?
Oui, par Hèraklès! Je le crois du moins.
Fais silence maintenant.
Que je fasse silence sur la porte?
Écoute.
J'écoute et fais silence sur la porte.
C'est là que se trouve habiter l'illustre Agathôn, le poète tragique.
Qu'est-ce que cet Agathôn?
C'est un certain Agathôn.
Le basané, le vigoureux?
Non pas, mais un autre. Ne l'as-tu jamais vu?
Il a une barbe épaisse.
Ne l'as-tu jamais vu?
Non, de par Zeus! que je sache.
Tu t'es pourtant rencontré de près avec lui; mais peut-être sans le connaître.... Retirons-nous à l'écart. Voici un de ses serviteurs qui sort, portant du feu et des branches de myrte: c'est sans doute un sacrifice pour sa poésie.
Silence dans tout le peuple: bouche close. Car le thiase des Muses a élu domicile dans la demeure de mon maître et y module ses chants. Que le paisible æther retienne l'haleine des vents, et que le calme règne sur l'azur des flots.
Bombax!
Tais-toi. Que dis-tu?
Que la gent ailée s'endorme: que les pieds des bêtes sauvages errant dans les bois perdent leur agilité.
Bombalobombax!
Le poète harmonieux Agathôn, notre maître, se dispose....
A se prostituer?
Qui donc a parlé?
Le paisible æther.
A charpenter les assises d'un drame. Il équarrit de nouvelles tirades poétiques: il tourne tels vers et coud ensemble tels autres; il forge des pensées, invente des antonomases, les coule en cire, les arrondit, les met au creuset.
Et joue de l'arrière-train.
Quel rustre approche de cette enceinte?
Un homme, tout prêt, avec toi et avec ton poète harmonieux, sous votre enceinte, d'arrondir, de tourner cet engin et de le mettre au creuset.
Quand tu étais jeune, tu devais être un joli drôle, vieillard!
Mon brave, laisse cet homme tranquille; et toi, fais-moi venir ici Agathôn par tous les moyens.
Inutile de m'en prier: il va lui-même sortir bientôt, car il s'est mis à versifier et, en hiver, il n'est pas facile d'arrondir des strophes sans venir devant la porte, au soleil.
Alors, que dois-je faire?
Attends qu'il sorte.
O Zeus! que songes-tu que j'aie à faire aujourd'hui?
Par les dieux! je veux savoir ce que cela signifie. Pourquoi tes gémissements, tes lamentations? Tu ne dois me cacher rien, à moi ton beau-père.
Un grand malheur se manigance contre moi.
Lequel?
Ce jour va décider si Euripidès doit vivre ou mourir.
Et comment? Aujourd'hui les tribunaux ne doivent pas juger; le Conseil n'a pas de séance parce que c'est le troisième jour, le jour du milieu des Thesmophoria.
C'est précisément là ce qui présage ma perte. Les femmes ont tramé un complot contre moi, et elles vont, aujourd'hui même, se réunir dans le Thesmophorion, pour délibérer sur ma ruine.
Et pour quel motif?
Parce que dans mes tragédies je dis du mal d'elles.
Par Poséidôn! tu n'as que ce que tu mérites! Mais quel expédient as-tu pour te tirer de là?
Engager le poète tragique Agathôn à se rendre aux Thesmophoria.
Pourquoi faire? dis-moi.
Il se mêlerait à l'assemblée des femmes et, s'il le fallait, il parlerait.
Ouvertement ou par ruse?
Par ruse, revêtu d'une robe de femme.
Le procédé est joli, et tout à fait dans ta manière. En fait d'astuce, à nous le gâteau!
Silence!
Qu'y a-t-il?
Agathôn sort.
Où est-il?
L'homme roulé dans la machine.
Je suis donc aveugle. Je ne vois pas un homme ici, je vois Kyrènè.
Silence! Il se prépare à mélodier.
Des sentiers de fourmis ou des gazouillements plaintifs?
Prenez la torche consacrée aux Déesses souterraines, jeunes filles, et, au sein de votre patrie et de la liberté, mêlez les danses aux cris.
De quelle divinité est-ce la fête? Dis-le-moi. La foi me rend prêt à honorer les dieux.
Voyons, Muse, célèbre maintenant le lanceur de flèches d'or, Phoebos, qui a fondé les remparts d'une cité sur la terre du Simoïs.
Salut à Phoebos dans mes chants les plus beaux, à Phoebos vainqueur dans les combats poétiques.
Chantez aussi celle qui se plaît aux chênaies montagneuses, Artémis la vierge chasseresse.
A mon tour, je chante et je glorifie l'auguste fille de Lèto, Artémis, qui ne connaît point la couche nuptiale.
Et Lèto, et les sons de la lyre asiatique imitant par le rhythme les mouvements rhythmés des Kharites Phrygiennes.
J'honore la puissante Lèto, et la kithare, mère des hymnes, aux mâles et nobles accents, dont l'éclat fait étinceler les yeux de la Déesse, émue par la soudaineté de notre voix. En retour, chante le souverain Phoebos. Salut, heureux fils de Lèto.
Combien est douce cette mélodie, ô vénérable Génétyllidès! Elle est féminine, voluptueuse comme un baiser à bouche demi-close, si bien qu'en l'écoutant, un chatouillement m'a saisi par-dessous mon siège. Et toi, jeune homme, qui que tu sois, je veux t'interroger à la manière d'Æskhylos, dans sa Lykourgia… D'où vient cet efféminé? Quelle est sa patrie? Son vêtement? Pourquoi cette vie désordonnée? Un luth et une robe couleur de safran? Une lyre et une résille? Une lékythe et une ceinture? N'est-ce pas un contraste? Qu'y a-t-il de commun entre un miroir et une épée? Toi-même, enfant, qui es-tu? Prétends-tu être un homme? Où est ce qui fait l'être viril? Où est ta læna? ta chaussure lakonienne? Serais-tu une femme? Alors où est ta gorge? Que réponds-tu? Pourquoi garder le silence? D'ailleurs, je te devine à ton chant, puisque toi-même tu ne veux rien dire.
O vieillard, vieillard, c'est de la jalousie que provient le blâme que je viens d'entendre; mais je n'en éprouve aucune douleur. Je porte un costume en rapport avec ma pensée. Il faut qu'un poète s'ajustant aux drames qu'il doit composer, y adapte son caractère. Si on compose des drames à femmes, il faut que le corps prenne des manières féminines.
Ainsi tu chevauches, quand tu composes Phædra?
Si on fait des drames à hommes, il faut que le corps soit viril. Ce que nous n'avons pas, l'imitation doit en suivre la piste.
Si tu mets en scène des satyres, appelle-moi, je collaborerai derrière toi dans la posture requise.
D'ailleurs, il est de mauvais goût qu'un poète se montre grossier et velu. Vois Ibykos, Anakréôn de Téos, Alkæos, qui ont donné de la saveur à l'harmonie, ils portaient des mitres et dansaient l'Ionienne. Et Phrynikhos, que tu as entendu, il était beau et couvert de beaux vêtements; et voilà pourquoi beaux également étaient ses drames. La nécessité veut que les oeuvres reproduisent la nature de l'ouvrier.
Philoklès était laid: il a fait des pièces laides; Xénoklès était méchant: il a fait des pièces méchantes; Théognis était froid: froids ses vers.
Absolue nécessité: et c'est parce que je le savais que j'ai soigné ma personne.
Comment cela, au nom des dieux?
Cesse d'aboyer: j'étais comme lui à son âge, quand je commençais à écrire.
De par Zeus! je ne suis pas jaloux de ton éducation.
Mais le motif pour lequel je suis venu, laisse-le-moi dire.
Parle.
Agathôn, sage est l'homme, qui a le talent de bien resserrer beaucoup de pensées en peu de mots. Or, frappé d'un étrange malheur, je suis venu en suppliant vers toi.
De quoi as-tu besoin?
Les femmes doivent me tuer aujourd'hui pendant les Thesmophoria, parce que je dis du mal d'elles.
En quoi pouvons-nous t'être utiles?
En tout. Si, t'asseyant en secret au milieu des femmes et ayant l'air d'en être une, tu prends ma défense, il est clair que tu me sauves. Seul tu es en état de parler convenablement en ma faveur.
Mais pourquoi ne vas-tu pas toi-même te défendre en personne?
Je vais te le dire. D'abord je suis connu, ensuite je grisonne et j'ai de la barbe; toi tu es joli garçon, le teint blanc, rasé de près, voix de femme, délicat, charmant à voir.
Euripidès.
Qu'est-ce à dire?
N'as-tu pas écrit quelque part: «Tu aimes à voir la lumière, crois-tu que ton père ne l'aime pas aussi?»
Oui.
N'espère donc pas qu'aujourd'hui nous nous exposions à ton mal: nous serions fous. Mais ce qui t'est personnel, supporte-le toi-même. C'est justice de supporter les malheurs, non par la ruse, mais par la patience.
En effet, toi, débauché, tu t'es élargi le derrière, non par des paroles, mais par la patience.
Qu'est-ce qui te fait craindre de te rendre là-bas?
Il m'arriverait encore pire qu'à toi.
Comment?
Comment? J'aurais l'air de dérober les mystères nocturnes des femmes, et de leur ravir la Kypris féminine.
Allons donc! Dérober! De par Zeus! tu veux dire être cajolé. Mais, de par Zeus! le prétexte est spécieux.
Eh bien! Le feras-tu?
Ne t'en flatte pas.
O trois fois malheureux! C'est fait de moi.
Euripidès, mon bon ami, mon gendre, ne t'abandonne pas toi-même.
Comment donc vais-je faire?
Envoie cet homme où l'on gémit longuement, et fais de moi ce que tu veux, je suis à toi.
Voyons alors, puisque tu te livres à moi. Quitte ce vêtement.
Il est par terre. Et que veux-tu faire de moi?
Raser ce poil et brûler celui d'en bas.
Fais-le, si bon te semble, puisque j'ai tant fait que de me dévouer.
Agathôn, tu portes toujours sur toi quelque rasoir, prête-nous-en un maintenant.
Prends-en un toi-même dans l'étui.
Tu es un brave homme. (A Mnèsilokhos.) Assieds-toi: enfle la joue droite.
Holà là!
Pourquoi cries-tu? Je t'enfonce une broche dans le gosier, si tu ne te tais pas.
Attatata, iattatata!
Où cours-tu?
Au temple des Déesses Vénérables. Par Dèmètèr! je ne reste pas ici pour être mutilé.
Mais tu vas être un comble de ridicule, avec la moitié de ta figure rasée!
Je n'en ai cure.
Au nom des dieux, ne m'abandonne pas. Viens ici.
Suis-je assez malheureux!
Ne bouge pas: lève la tête. Par où te tournes-tu?
Mu, mu!
Pourquoi ces mu, mu? Tout va pour le mieux.
Hélas! Quel malheur! Je suis engagé dans les troupes légères.
Ne t'inquiète pas: tu es charmant tout à fait. Veux-tu te regarder?
Oui, apporte un miroir.
Te vois-tu?
De par Zeus! ce n'est pas moi; c'est Klisthénès.
Lève-toi, que je te brûle les poils: penche-toi.
Malheur des malheurs! je vais être pourceau.
Qu'on m'apporte de l'intérieur une torche ou une lampe! Penche-toi. Prends garde à l'extrémité de la queue.
Oui, de par Zeus! Mais tu me brûles. Malheur à moi! De l'eau! de l'eau! voisins, ou mon derrière va prendre feu.
Courage!
Courage, quand on m'incendie?
Allons donc! ce n'est pas une affaire pour toi: le plus pénible est fait.
Hélas! Quelle suie! Je suis tout noir dans la région des fesses.
Sois sans crainte: on va te laver cela à l'éponge.
Il gémira, celui qui me lavera le derrière!
Agathôn, puisque tu refuses de te dévouer toi-même, prête-nous du moins cette robe et cette ceinture: car tu ne peux pas dire que tu n'en as pas.
Prenez et usez-en; je ne refuse pas.
Que dois-je prendre?
Que prendre? Prends d'abord et mets cette robe jaune. Par Aphroditè! elle a une bonne odeur de mâle.
Passe-la-moi vite. Donne maintenant la ceinture.
Voici.
Allons, maintenant, mets-moi des anneaux aux jambes.
Il te faut encore une résille et une mitre.
Voici le couvre-tête que je porte la nuit.
De par Zeus! c'est tout à fait ce qu'il faut.
M'ira-t-il bien?
Oui, de par Zeus! c'est à merveille. Voyons, où y a-t-il un mantelet?
Prends celui qui est sur le lit.
Il faut des chaussures.
Prends les miennes.
M'iront-elles?
Tu aimes, il est vrai, à te chausser large.
Essaie-les. Et maintenant que tu as tout ce qu'il te faut, qu'on me roule au plus vite à l'intérieur.
Cet homme nous a vraiment l'air d'une femme. Si tu parles, prends bel et bien le son de voix féminin.
J'essaierai.
Va donc.
Non, par Apollôn! à moins que tu ne me jures…
Quoi?
De me sauver par tous les moyens, s'il fond sur moi quelque chose de fâcheux.
Je le jure par l'Æther, séjour de Zeus.
Pourquoi pas plutôt par la famille de Hippokratès?
Eh bien! je jure par tous les dieux sans exception.
Souviens-toi donc que «c'est le coeur qui a juré et que la langue n'a point juré». Moi, je ne me suis pas lié par un serment.
Hâte-toi: pars vite. Le signal de l'assemblée paraît sur le Thesmophorion. Moi, je m'en vais.
Viens donc, Thratta, suis-moi. Thratta, regarde ces torches embrasées: quelle épaisse fumée elles répandent! Ah! belles Thesmophores, accordez-moi une heureuse fortune ici et puis dans ma maison. Thratta, dépose la corbeille, tires-en le gâteau, afin que je le prenne pour sacrifier aux deux Déesses. Souveraine vénérée, Dèmètèr chérie, et toi, Perséphonè, fais que, maintes fois, je t'offre maints sacrifices, et surtout qu'aujourd'hui je me dérobe aux regards. Puisse ma fille nubile épouser un homme riche, d'ailleurs sot et niais, et qu'elle tourne son esprit et son coeur du côté de la gaudriole. Mais où donc, où m'assoirai-je en bonne place, afin d'entendre les oratrices? Toi, va-t'en, Thratta; détale. Il n'est pas permis aux esclaves d'écouter les discours.
Observez, observez un religieux silence. Implorez les deux Thesmophores Dèmètèr et Kora, Ploutos, Kalligénéia, Kourotrophos, Hermès, les Kharites, pour que l'assemblée et la réunion actuelle produisent les plus beaux et les meilleurs effets, très utiles à la cité des Athéniens et heureuses pour nous! Que celle qui fera ou qui dira le mieux en faveur du peuple des Athéniens et des femmes remporte la victoire! Faites ces souhaits pour votre propre bonheur. Iè Pæan! Ie Pæan! Réjouissons-nous!
Nous approuvons ces voeux, et nous prions la race divine de se montrer favorable à ces prières. Zeus au grand nom, et toi, Dieu à la lyre d'or, qui possèdes la sainte Dèlos, et toi, vierge puissante, à l'oeil gris et à la lance d'or, qui habites la cité invincible, viens ici; et toi aussi, qui portes divers noms, vierge chasseresse, rejeton de Lèto au visage d'or. Et toi, vénérable Poséidôn, souverain des mers, roi des ondes salées, quitte le gouffre poissonneux, qu'agitent les tempêtes; et vous, filles marines de Nèreus, et vous, Nymphes errantes des montagnes. Que la lyre d'or se mêle à nos prières. Nobles Athéniennes, qu'un ordre parfait règne dans notre assemblée!
Invoquez les dieux Olympiens et les déesses Olympiennes, les dieux Pythiens et les déesses Pythiennes, les dieux Dèliens et les déesses Dèliennes, et les autres dieux. Si quelqu'un conspire une perfidie contre le peuple femme, ou offre la paix à Euripidès et aux Mèdes, afin de causer quelque dommage aux femmes, si on aspire à la tyrannie ou au rappel du tyran; si on dénonce une femme qui a supposé un enfant; si une servante, confidente des galanteries de sa maîtresse, les dit à l'oreille du mari; ou si une autre, chargée d'un message, fait un rapport mensonger; si un séducteur trompe à l'aide de mensonges, et ne donne pas ce qu'il a promis; si une vieille femme fait des présents à son amant; si une hétaïre, trahissant celui qui l'aime, reçoit de la main d'un autre; si un cabaretier ou une cabaretière fraude sur la mesure du kongion ou des kotyles, demandez aux dieux leur perte et celle de leur famille, et, pour vous, suppliez-les de vous accorder à tous de nombreux biens.