A quoi bon achèterions-nous des crochets, quand nous pouvons faire descendre cette vieille pour tirer les seaux du puits?
Ne te moque pas de moi, mon cher, mais suis-moi jusque chez moi.
Je n'en vois pas la nécessité, à moins que tu n'aies versé pour moi le cinq centième à l'État.
Par Aphroditè! tu y es contraint: moi, j'aime à coucher avec ceux de ton âge.
Et moi, je ne puis souffrir celles du tien: jamais je ne m'y déciderai, jamais.
De par Zeus! ceci t'y forcera.
Qu'est-ce que c'est?
Un décret, qui t'enjoint de venir chez moi.
Dis-moi quelle en est la teneur.
Je vais te le dire: «Les femmes ont décrété que, si un jeune homme convoite une jeune fille, il ne pourra jouir d'elle avant d'avoir commencé par faire la chose avec une vieille; et, s'il ne veut pas d'abord prendre ce plaisir, et s'il convoite la jeune fille, les vieilles femmes auront le droit de le prendre et de le traîner par l'endroit sensible.»
Malheur à moi! Je vais aujourd'hui devenir un Prokoustès.
Il faut obéir à nos lois.
Eh quoi! Mais si je suis arraché de vos mains par un homme du peuple ou un ami qui survienne?
Au delà d'un médimne un homme ne peut disposer de rien.
Le refus par serment n'est donc pas possible?
On n'admet pas de détours.
J'alléguerai que je suis marchand.
Tu jetteras les hauts cris.
Que faut-il donc faire?
Viens chez moi.
Est-ce pour moi une nécessité?
Un ordre à la Diomédès.
Étends d'abord une couche d'origan, puis mets dessous quatre branches brisées, ceins ta tête de bandelettes; dispose les lékythes et place le vase d'eau devant la porte.
Tu achèteras aussi une couronne pour moi.
Oui, de par Zeus! si tu dures plus que la lumière des cires; car je pense que tu vas tomber morte tout de suite, en entrant.
Où entraînes-tu ce jeune homme?
C'est mon bien que j'emmène.
Tu n'as pas le sens commun. Il n'a pas l'âge, étant ce qu'il est, pour coucher avec toi: tu serais sa mère plutôt que sa femme. Si vous faite prévaloir cette loi, vous remplirez d'OEdipous la terre entière.
O méchante peste, c'est la jalousie qui te suggère ce propos; mais je me vengerai de toi.
Par Zeus Sauveur! tu m'as rendu service, ma douce amie, en me débarrassant de cette vieille: aussi, en retour de ce bienfait, je te paierai, ce soir, un grand et gros tribut.
Hé! la fille! Tu violes la loi. Où emmènes-tu ce jeune homme? Le texte écrit ordonne qu'il couche d'abord avec moi.
Ah! quel malheur! D'où sors-tu, vieille maudite? Ce fléau est encore pire que l'autre.
Viens ici.
Ne me laisse pas entraîner de force par cette vieille, je t'en conjure.
Ce n'est pas moi, c'est la loi qui t'entraîne.
Non pas la loi, mais je ne sais quelle Empousa, couverte d'ulcères sanguinolents.
Suis-moi, mon mignon; fais vite, et ne raisonne pas.
Non, pour l'instant; laisse-moi d'abord aller à la selle, afin de me redonner du coeur. Autrement, tu vas me voir faire de peur quelque chose de rouge.
Du courage, va; tu chieras à l'intérieur.
Je crains d'en faire plus que je ne veux. Mais je te donnerai deux bonnes cautions.
Ne me les donne pas.
Holà, toi? Où vas-tu avec cette femme?
Je ne vais pas; on m'entraîne. Mais, qui que tu sois, vieille, puissent de nombreux bonheurs t'arriver, à toi, qui ne m'as pas abandonné dans le malheur! O Hèraklès, ô Pans, ô Korybantes, ô Dioskoures! ce monstre est encore plus hideux que l'autre. Car enfin, je le demande, quelle chose est-ce que cela? Est-ce une guenon plâtrée de céruse, où une vieille qui revient de chez les morts?
Ne raille pas; viens et suis-moi.
Non, par ici.
Je ne te lâcherai pas le moins du monde.
Ni moi non plus.
Vous allez m'écarteler, vieilles dignes de malemort.
C'est moi que tu dois suivre de par la loi.
Non pas, s'il se présente une autre vieille encore plus laide.
Mais si vous commencez par me mettre à mal, voyons, comment irai-je trouver cette belle fille?
Tu y aviseras; mais fais ce que je te dis.
Laquelle des deux dois-je chevaucher pour être quitte?
Ne le sais-tu pas? Viens ici.
Que celle-ci me lâche donc!
Ici, viens donc ici, près de moi.
Si elle me lâche.
Non, de par Zeus! je ne te lâcherai pas.
Ni moi non plus.
Vous seriez d'insupportables batelières.
Pourquoi?
En tirant les passagers, vous les mettriez en pièces.
Tais-toi, et viens ici.
Non, de par Zeus! mais vers moi.
C'est vraiment ici le cas du décret de Kannônos: il faut que je me coupe en deux pour baiser l'une et l'autre. Comment pourrais-je mouvoir deux rames à la fois?
Tout bonnement: tu n'as qu'à manger une casserole d'oignons.
Est-il malheur égal au mien? Me voici près de la porte; on m'entraîne.
Cela ne t'avancera pas beaucoup; j'entrerai avec toi.
Non, de par tous les dieux! Mieux vaut encore subir un seul mal que deux.
Par Hékatè! que tu le veuilles ou non, ce sera.
O triple malheur! Il faut satisfaire cette vieille puante la nuit tout entière et le jour; puis, une fois délivré de celle-ci, j'ai affaire à une Phrynè, qui a un lékythe aux mâchoires. Suis-je assez malheureux? Oui, par Zeus Sauveur! je suis un homme bien misérable d'être emprisonné avec de pareilles bêtes. Toutefois, s'il m'advient une série continue de malheurs, en naviguant sur ces deux catins, qu'on m'enterre sur le seuil même de l'entrée; puis, que celle qui survivra, placée sur l'entablement de mon tombeau, soit enduite de poix, les pieds garnis de plomb fondu autour des talons, et dressée en guise de lékythe.
O peuple heureux, heureuse moi-même, et très heureuse ma maîtresse; et vous qui êtes devant ces portes; et vous tous, voisins, habitants du dême, et moi, outre les autres, simple servante, qui ai parfumé ma tête de bonnes essences, j'en atteste Zeus! Mais plus exquises encore que tout cela sont les amphores de vin de Thasos: le fumet en reste longtemps dans la tête, tandis que tous les autres arômes s'évaporent. Oui, les amphores sont de beaucoup préférables, de beaucoup grands dieux! Verse-moi d'un vin pur; il inspire la gaieté toute la nuit, quand on a su choisir celui qui a le meilleur bouquet. Mais dites-moi, femmes, où est mon maître, l'époux de celle qui m'a prise à son service?
En restant ici, nous pensons que tu le trouveras.
Effectivement; le voici qui vient dîner. O mon maître, homme heureux, trois fois heureux!
Moi?
Toi, vraiment; et pas un autre homme. Car peut-on être plus fortuné que toi, qui, sur une population de plus de trente mille citoyens, es le seul qui n'ait point dîné?
Oui, tu viens de désigner nettement un heureux homme.
Eh bien! Où vas-tu?
Je vais du côté du dîner.
Par Aphroditè! tu es de beaucoup le dernier de tous. Toutefois ta femme m'a ordonné de te prendre et d'emmener ces jeunes filles avec toi. Il est resté du vin de Khios et d'autres bonnes choses. Ainsi ne tardez pas; et s'il se trouve quelque spectateur bienveillant, quelque juge au coup d'oeil impartial, qu'il vienne avec nous: nous le pourvoirons de tout. Aie donc pour tous des paroles affables; ne dédaigne personne; mais invite généreusement vieillards, jeunes gens, enfants: le dîner est préparé pour tout le monde… si chacun s'en va chez soi.
Je me rends donc au festin, et je porte ce flambeau, comme c'est l'usage.
Mais qu'est-ce que tu attends? Pourquoi n'emmènes-tu pas ces jeunes filles avec toi? Moi, pendant la marche, je chanterai quelque chanson de table. Seulement, je veux donner un petit avis. Que les sages, pour me juger, se rappellent ce que j'ai dit de sage; que ceux qui ont ri de bon coeur me jugent d'après ce qui les a fait rire: c'est ainsi que je prie à peu près tout le monde de me juger. Et que le sort ne me soit point préjudiciable, s'il nous a choisis les premiers. Mais remettez-vous tout cela dans la mémoire, fidèles à votre serment, à votre habitude impartiale de juger les choeurs; et ne ressemblez pas à ces hétaïres éhontées qui ne gardent jamais que le dernier souvenir. Allons, allons, c'est le moment! Chères amies, si nous voulons achever l'affaire, il faut nous rendre en dansant au dîner. Ajustez vos pieds au mode krètique, et toi, marche en avant.
Ainsi fais-je.
Et vous, les jambes fines, observez la cadence! Bientôt on va servir lépas, salaisons, poissons cartilagineux, têtes de squale à la sauce piquante, silphion assaisonné au miel, grives, merles, pigeons, crêtes de coq grillées, poules d'eau, colombes, lièvres au vin cuit, tranches de volailles avec les ailes. Et toi, dûment prévenu, vite, vite, prends une assiette, un jaune d'oeuf, et cours te mettre à table.. Les autres mangent déjà! Jambes en l'air. Iè! Ie! A table! Évoé, évoé, évoé! Victoire! Évoé, évoé, évoé, évoé!
(L'AN 409 ET 390 AVANT J.-C.)
Un homme pauvre, nommé Chrémylos, rencontre un aveugle qu'il emmène chez lui. Cet aveugle est le dieu de la richesse. Guéri dans le temple d'Esculape, le dieu n'enrichira plus ni les intrigants ni les coquins. Rien de plus plaisant que la scène où Hermès, dégoûté du service des dieux, et ne voulant être ni portier, ni marchand, ni voleur, consent à devenir agent d'affaires. A cette gaieté vive et preste, la scène entre Chrémylos, Blepsidèmos et la Pauvreté joint une vigueur de raison amère et de sagacité morale du plus haut intérêt.
PERSONNAGES DU DRAME
KARIÔN.
KHRÉMYLOS.
PLOUTOS.
CHOEUR DE PAYSANS.
BLEPSIDÈMOS.
PÉNIA (la Pauvreté).
LA FEMME DE KHRÉMYLOS.
UN HOMME JUSTE.
UN SYKOPHANTE.
UNE VIEILLE.
UN JEUNE HOMME.
HERMÈS.
UN PRÊTRE DE ZEUS.
La scène se passe devant la maison de Khrémylos.
Que c'est une triste chose, de par Zeus et les dieux! que d'être l'esclave d'un maître en démence! Car si le serviteur se trouve donner de très bons conseils et s'il plaît au maître de ne pas les suivre, il en résulte nécessairement du mal pour le serviteur. Ce corps, la divinité ne nous permet pas d'en être les maîtres, mais à celui qui nous a achetés; enfin c'est comme cela. Loxias, qui rend ses oracles de son trépied d'or, mérite justement ce reproche, puisque, médecin et prophète clairvoyant, dit-on, il renvoie mon maître en proie à son humeur noire, marchant derrière un homme aveugle, tout au rebours de ce qu'il devrait faire, car, nous qui voyons, nous guidons les aveugles. Lui, il suit, et il m'y force, et cela sans me répondre le moindre mot. Pour moi, toutefois, il n'y a pas moyen que je me taise, si tu ne me dis, ô mon maître, pour quelle raison nous suivons cet homme; mais je te donnerai de la tablature, et tu ne me battras pas, ceint d'une couronne.
Non, de par Zeus! mais je t'ôterai ta couronne, si tu m'ennuies, et il t'en cuira davantage.
Plaisanterie! Je ne cesserai pas avant que tu m'aies dit quel est cet homme. C'est par bonté pour toi que je te le demande avec tant d'instance.
Eh bien, je ne te le cacherai point; car je crois que de mes serviteurs, tu es le plus dévoué et le plus cachottier. Moi, religieux et homme juste, je faisais de mauvaises affaires, et j'étais pauvre.
Je le sais.
Les autres s'enrichissaient, sacrilèges, rhéteurs, sykophantes, vauriens.
Je te crois.
Voulant donc consulter le Dieu, je fis le voyage, non pour moi malheureux, qui vois le carquois de ma vie presque épuisé; mais pour mon fils, le seul qui me reste, afin qu'il sache s'il doit changer de conduite et devenir pervers, injuste, corrompu, persuadé que dans la vie c'est là le bonheur.
Qu'a répondu Phoebos du milieu de ses guirlandes?
Tu vas le savoir. Clairement le Dieu m'a dit ceci: que le premier que je rencontrerais, en sortant, j'eusse à ne point le laisser de côté et à l'engager à m'accompagner chez moi.
Et quel est le premier que tu as rencontré?
Celui-ci.
Et tu n'as pas compris la pensée du Dieu, qui te disait de la façon la plus claire, ô le plus stupide des hommes, de former ton fils aux moeurs du pays?
D'après quoi juges-tu cela?
C'est qu'il est de toute évidence, même pour un aveugle, que le plus avantageux est de ne rien faire de raisonnable, dans le temps où nous sommes.
Il n'y a pas moyen que ce soit là le sens de l'oracle, il doit en avoir un autre plus élevé. Si cet homme nous dit quel il est, en vue de quoi et pour quel besoin il est venu ici avec nous, nous saurons quel est pour nous le sens de l'oracle.
Voyons donc, qui es-tu au juste? Dis-le-nous, ou j'agis en conséquence. Il faut parler au plus vite.
Moi, je te dis que tu vas gémir.
Tu apprends de lui ce qu'il en est.
C'est à toi qu'il s'adresse, non à moi. Tu es grossier et brutal avec lui dans tes questions. Toi, si tu aimes avoir affaire à un homme d'humeur loyale, réponds-moi.
Va gémir, c'est ce que je te réponds.
Accueille l'homme et le présage du Dieu.
Non, par Dèmètèr, tu ne riras pas toujours.
Si tu ne parles pas, méchant, tu vas faire une méchante fin.
Braves gens, éloignez-vous de moi.
Pas du tout.
Voici, selon moi, ce qu'il y a de mieux à faire, ô mon maître. Je vais mettre cet homme à malemort: je le conduis, en effet, sur le bord d'un précipice; puis je le laisse là, je m'en vais, et il se casse le cou en tombant.
Emporte-le vite.
Eh, pas du tout!
Ne répondras-tu pas?
Mais une fois que vous saurez qui je suis, je ne doute pas que vous ne me maltraitiez et que vous ne vouliez point me lâcher.
Si, j'en atteste les dieux, mais cela dépend de ta volonté.
Lâchez-moi maintenant tout de suite.
Eh bien, nous te lâchons.
Écoutez-moi tous deux: car je dois, ce me semble, vous dire ce que j'étais prêt à vous cacher. Je suis Ploutos.
O le plus scélérat de tous les hommes! Tu gardais le silence et tu es Ploutos!
Toi Ploutos, en cet état si misérable? O Phoebos Apollôn, Zeus, dieux et dæmons! O Zeus! que dis-tu? Es-tu réellement lui?
Oui.
Lui-même?
Tout à fait lui.
D'où vient donc, dis-moi, que tu te présentes si sale?
J'arrive de chez Patroklès, qui ne s'est jamais lavé depuis qu'il est au monde.
Et ta cécité, d'où vient-elle? Dis-le-moi.
De Zeus, qui l'a faite dans sa jalousie pour les hommes. Moi, en effet, étant jeune, je l'ai menacé de ne visiter que les hommes justes, sages, rangés: alors il me rendit aveugle pour m'empêcher d'en reconnaître aucun. Tant il est jaloux des gens de bien!
Cependant il est honoré exclusivement par les hommes de bien et par les justes.
Je suis de ton avis.
Eh bien, voyons. Si tu te reprenais à voir comme auparavant, fuirais-tu désormais les méchants?
Comme je te le dis.
Et irais-tu chez les gens de bien?
Assurément; car il y a longtemps que je n'en ai vu.
Et cela n'a rien d'étonnant: je n'en vois pas, moi qui vois clair.
Lâchez-moi maintenant; vous savez désormais tout ce qui me concerne.
Non, de par Zeus! mais nous nous attachons d'autant plus à toi.
Ne disais-je pas que vous me donneriez de la tablature?
O toi, je t'en conjure, cède et ne m'abandonne pas. Car tu ne trouveras pas, en le cherchant, un homme d'un meilleur caractère, j'en prends Zeus à témoin: il n'y en a pas d'autre que moi.
C'est ce qu'ils disent tous; mais une fois qu'ils me tiennent en réalité et qu'ils sont devenus riches, aussitôt ils passent les bornes de la perversité.
Il en est ainsi, mais ils ne sont pas tous méchants.
Si, de par Zeus! tous sans exception.
Tu pousseras de longs gémissements.
Toi, cependant, pour bien connaître les nombreux avantages que tu trouveras à demeurer avec nous, prête-moi ton attention, afin de les apprendre. J'espère, en effet, j'espère, si le Dieu y consent, te guérir de ton ophthalmie et te rendre la vue.
N'en fais rien absolument: je ne veux pas voir de nouveau.
Que dis-tu?
Cet homme est né pour être malheureux.
Zeus lui-même, je le sais, lorsqu'il connaîtrait leur folie, m'écraserait.
Hé! n'est-ce pas ce qu'il fait à présent, en te laissant errer à tâtons?
Je ne sais; mais j'ai grand'peur de lui.
Vrai, ô le plus lâche de tous les dæmons? Crois-tu donc que la toute-puissance de Zeus et les foudres vaudraient un triobole, si tu revoyais clair, même quelques instants?
Méchant, ne parle pas ainsi.
Sois tranquille, je te ferai voir que tu es beaucoup plus puissant que Zeus.
Moi, dis-tu?
Oui, par le Ciel! Et d'abord qui donne à Zeus le pouvoir sur les dieux?
L'argent; car il en a beaucoup.
Eh bien! Qui lui fournit cet argent??
Celui-ci.
En vue de quoi lui sacrifie-t-on? N'est-ce pas en vue de celui-ci?
Oui, de par Zeus! on lui demande toujours la richesse.
Celui-ci donc en est cause; et facilement, s'il voulait, il mettrait fin à tout cela.
Et comment?
Pas un homme, dorénavant, n'offrirait ni un boeuf, ni un gâteau, ni la moindre chose, si tu ne le voulais pas.
Comment?
Comment? Il n'y aura pas moyen de faire un achat, si tu n'es pas là pour donner de l'argent; de sorte que le pouvoir de Zeus, s'il te cause quelque ennui, tu le détruis à toi seul.
Que dis-tu? C'est moi qui suis cause qu'on lui sacrifie?
Je l'affirme. De par Zeus! les hommes n'ont rien de brillant, de beau, d'agréable, qui ne vienne de toi. Tout le cède à la richesse.
Moi, par exemple, c'est pour un peu d'argent que je suis devenu esclave et pour avoir été moins riche.
Les hétaïres korinthiennes, dit-on, quand c'est un pauvre qui va les trouver, ne font pas attention à lui; mais si c'est un riche, elles s'empressent de lui offrir leur derrière.
On dit aussi que les garçons en font autant, non par amour, mais pour le gain.
Non pas les bons, mais les infâmes: car les bons ne demandent pas d'argent.
Quoi donc?
Celui-ci un bon cheval, celui-là des chiens de chasse.
Comme ils rougissent, sans doute, de demander de l'argent, ils enfarinent d'un autre nom leur infamie.
Tous les métiers, toutes les inventions humaines te doivent la naissance: l'un taille le cuir, assis dans sa boutique.
Un autre travaille l'airain, un autre le bois.
Celui-ci affine l'or, qu'il a reçu de toi.
Celui-là, de par Zeus! vole sur les routes; cet autre perce les murs.
L'un est foulon.
L'autre lave les laines.
Ici on tanne les cuirs.
Là on lave les oignons.
Un autre, pris en adultère, est épilé à cause de toi.
Malheureux que je suis! J'ignorais tout cela.
Le Grand Roi, n'est-ce pas à cause de lui qu'il étale son faste? Et les assemblées ne se tiennent-elles pas à cause de lui?
Quoi donc? N'est-ce pas toi qui équipes les trières? Réponds-moi.
N'est-ce pas lui qui entretient à Korinthos notre garnison étrangère? Et Pamphilos, n'est-ce pas à cause de lui qu'il gémira?
Et le marchand d'aiguilles avec Pamphilos?
Et Agynios, n'est-ce pas à cause de lui qu'il pète?
Et à cause de toi que Philepsios raconte ses histoires? Et notre alliance avec les Ægyptiens, n'en es-tu pas la cause, et que Laïs aime Philonidès?
Et que la tour de Timothéos…
Tombe sur toi!–Enfin, n'est-ce pas par toi que se font toutes les affaires? Tu es seulissime la cause de toutes choses, biens ou maux, sois-en certain.
La victoire, dans les guerres, est donc du côté desquels celui-ci a seul fait pencher la balance.
Ainsi, moi, je suis capable, sans personne, de faire tant de choses?
Et, de par Zeus! beaucoup d'autres encore. Aussi personne, absolument personne ne se lasse de toi. De tout le reste on est vite rassasié. D'amour…
De pain.
De musique.
De friandises.
D'honneurs.
De gâteaux.
De gloire.
De figues.
D'ambition.
De bouillie.
De commandement.
De lentilles.
Mais de toi, personne ne s'en est lassé jamais. Possède-t-on treize talents, on désire le plus vivement en avoir seize. Les a-t-on gagnés, on en veut quarante, sans quoi on dit que la vie n'est pas vivable.
Vous me semblez tous les deux parler à merveille: je n'ai peur que d'une chose.
Laquelle? Dis-le-moi.
C'est comment de ce pouvoir, que vous prétendez être le mien, je pourrai, moi, m'emparer.
De par Zeus! tout le monde a raison de dire qu'il n'y a pas d'être plus poltron que Ploutos.
Pas du tout: c'est quelque voleur qui m'a calomnié; entré dans une maison, il n'eut rien à y prendre, ayant trouvé tout fermé, alors il a nommé peur ma prévoyance.
N'en prends aucun souci: car si tu te montres homme empressé à favoriser nos affaires, je te rendrai plus clairvoyant que Lynkeus.
Comment pourras-tu le faire, n'étant qu'un mortel?
J'ai quelque bon espoir d'après ce que m'a dit Phoebos, en agitant le laurier delphique.
Est-il donc aussi du secret?
Comme je le dis.
Attention!
Ne t'inquiète de rien, mon bon. Car moi, sache-le bien, quand j'en devrais mourir, j'en viendrai à bout.
Et, si tu le permets, j'en suis.
Nous aurons encore beaucoup d'autres alliés, tous les honnêtes gens qui n'ont pas de pain.
Oh! oh! tu parles là de piètres alliés.
Nullement, s'ils deviennent riches une seconde fois.–Mais voyons, toi, cours vite.
Qu'ai-je à faire? Parle.
Appelle nos compagnons, les laboureurs. Tu les trouveras, sans doute, aux champs, dans une extrême misère, et tu leur diras de se rendre ici, chacun pour son compte, afin de prendre leur part de Ploutos ici présent.
J'y vais; mais ce morceau de viande, il faut que quelqu'un de la maison vienne le prendre et l'emporter.
J'en aurai soin; mais hâte-toi, cours.–Et toi, Ploutos, le plus puissant de tous les dieux, entre avec moi dans cette demeure: c'est la maison que tu dois remplir aujourd'hui de richesses, acquises bien ou mal.
Mais il m'en coûte toujours beaucoup, j'en atteste les dieux, d'entrer de plain-pied dans une maison absolument étrangère. Aucun bien n'en est résulté pour moi, jamais. Si je me trouve entrer chez un avare, aussitôt il m'enfouit sous la terre; et lorsqu'un honnête homme, de ses amis, vient lui demander un peu d'argent, il jure qu'il ne m'a vu jamais. Si je me trouve entrer chez un prodigue, il me livre en proie à des filles ou à des dés, et, en peu d'instants, on me jette tout nu à la porte.
C'est que tu n'es tombé chez un homme modéré jamais. Or, moi, c'est mon caractère constamment. J'aime l'économie plus que personne, et aussi la dépense, quand il le faut. Mais entrons; je veux te montrer à ma femme et à mon fils unique, l'être que j'aime le plus au monde après toi.
Je te crois.
A quoi servirait-il de ne point te dire la vérité?
(Le choeur manque.)
O vous qui, souvent, avez mangé le même ail que mon maître, amis, concitoyens, qui aimez le travail, venez, hâtez-vous, accourez: ce n'est pas le moment de se mettre en retard, mais l'instant précis où il faut payer de sa présence.
Hé! ne vois-tu pas que nous nous sommes hâtés d'accourir empressés, autant que le peuvent des hommes affaiblis par l'âge? Mais peut-être crois-tu que je dois courir avant que tu m'aies dit pour quel motif ton maître nous a convoqués ici.
Ne vous l'ai-je pas déjà dit? Mais tu n'entends pas très bien. Mon maître vous dit que vous allez tous changer en une vie agréable votre existence misérable et pénible.
Qu'est-ce à dire, et comment va s'opérer le changement qu'il promet?
Il est arrivé ici, bonnes gens, ramenant un vieillard sale, courbé, misérable, ridé, chauve, édenté; et je crois même, j'en prends le Ciel à témoin, qu'il est circoncis.
C'est une nouvelle d'or que tu nous annonces! Comment dis-tu? Répète-moi cela. Tu nous le représentes arrivant avec un monceau de richesses.
Au moins est-ce un monceau des infirmités de la vieillesse.
Crois-tu, si tu t'es joué de nous, que tu t'en tireras indemne, surtout quand j'ai là mon bâton?
Que je sois tout à fait de ma nature un homme en tout comme cela, vous le figurez-vous? Et pensez-vous que je ne dise rien de sensé?
Quel air sérieux chez ce retors! Tes jambes vont crier: «Iou! Iou!» Elles font appel aux khoenix et aux entraves.
La lettre que tu as tirée au sort aujourd'hui te désigne pour juger dans le cercueil: pourquoi n'y vas-tu pas? Kharôn te donnera ton insigne.
Puisses-tu crever! Que tu es donc grossier et fripon par nature, toi qui nous trompes, et qui n'as pas le coeur de nous dire pourquoi ton maître nous a mandés ici, nous qui, chargés de labeurs, privés de loisirs, sommes accourus avec empressement, laissant de côté de nombreuses racines d'ail.
Eh bien, je ne vous le cacherai pas davantage. C'est Ploutos, mes amis, que mon maître amène: il va vous enrichir.
Serait-il vrai que nous allons tous devenir riches?
Oui, de par les dieux! et même des Midas, s'il vous vient des oreilles d'âne.
Quelle joie pour moi! quel ravissement! Je veux danser de plaisir, si ce que tu dis est réellement vrai.
Et moi je veux–Threttanélo–imiter le Kyklops et vous faire marcher ainsi à coups de pied. Allons, mes enfants, redoublez vos cris, bêlez à la façon des brebis et des chèvres odorantes: suivez, le phallos en arrêt, et, comme des boucs, soyez tout à l'amour.
Et nous, de notre côté,–Threttanélo,–nous chercherons le Kyklops en bêlant, et si nous t'attrapons gorgé de vin, la besace pleine de légumes sauvages, imprégné de rosée, ivre-mort au milieu de tes brebis et gisant endormi, nous prendrons un grand pieu brûlé par le bout et nous te crèverons l'oeil.
Et moi, cette Kirkè qui par ses philtres magiques contraignit, à Korinthos, les compagnons de Philonidès à manger, comme des pourceaux, le gâteau de fange qu'elle avait pétri elle-même, je reproduirai toutes ses façons d'agir. Et vous, grognant de plaisir, suivez votre mère, petits cochons.
Si tu es cette Kirkè qui use des philtres magiques pour barbouiller les compagnons, nous, dans notre joie, pour imiter le fils de Lærtès, nous te prendrons par les génitoires, nous te frotterons le nez de fiente, comme à un bouc; et toi, en véritable Aristyllos, la bouche entr'ouverte, tu crieras: «Suivez votre mère, petits cochons!»
Allons, voyons, maintenant, faites trêve de railleries, et reprenez sur un autre ton; moi, je vais, de ce pas, en cachette de mon maître, prendre une bouchée de pain et de viande, et ensuite me remettre à l'ouvrage.
(Lacune.)
Vous souhaiter d'être en joie, chers concitoyens, c'est une formule déjà vieille et surannée; mais je vous embrasse, pour votre zèle à venir, pour votre ardeur, pour votre empressement. Secondez-moi aussi dans tout le reste, et soyez les sauveurs du Dieu.
Sois tranquille: car tu croiras, en me voyant, avoir devant toi Arès en personne. Il serait étrange si, pour toucher le triobole, nous nous foulions les uns les autres à l'assemblée, et si tu laissais enlever Ploutos lui-même.
Mais j'aperçois notre Blepsidèmos qui vient à nous: on voit qu'il a entendu parler de l'affaire, à en juger par son allure et par sa promptitude.
Qu'y a-t-il donc? Comment et par quel moyen Khrémylos s'est-il enrichi tout à coup? Je ne puis le croire. Cependant, par Hèraklès! on ne se lassait pas de dire parmi les gens assis chez les barbiers, que notre homme était tout à coup devenu riche. Mais, pour moi, ce qu'il y a d'étrange, c'est que, faisant une bonne affaire, il y associe ses amis: il accomplit là un acte vraiment extraordinaire.
Je ne te cache rien, je te dis tout. Oui, de par les dieux! Blepsidèmos, mes affaires sont en meilleur état qu'hier: je puis donc partager avec toi; car tu es de mes amis.
Vraiment, comme on le dit, tu es devenu riche?
Je le serai bientôt, si le Dieu le veut: car il y a, il y a quelque péril dans l'affaire.
Lequel?
C'est que…
Vite, achève ce que tu veux dire.
Si nous réussissons, nous sommes heureux à jamais; si nous échouons, c'est un effondrement complet.
Ce fardeau me semble trop lourd, et il ne me convient pas. La soudaineté de cet excès de richesse et la crainte qui la suit sont d'un homme qui n'a rien fait de bon.
Comment, rien de bon?
Peut-être, de par Zeus! reviens-tu de là-bas, après avoir volé de l'argent ou de l'or dans le temple du Dieu, et maintenant sans doute tu t'en repens.
Apollôn, qui détournes les fléaux! J'en atteste Zeus, cela n'est pas!
Trêve de plaisanteries, mon bon: je le sais pertinemment.
Ne forme pas sur moi de pareils soupçons.
Hélas! il n'y a pas, assurément, un seul homme qui fasse rien de bien. Tous sont esclaves de l'intérêt.