Moi seul. Les fioles sont de Kèphisophôn.
Et toi, que dis-tu?
Dis-moi d'abord de quels hommes la République fait usage en ce moment. Est-ce des honnêtes gens?
Le moyen! Elle les déteste profondément; mais les méchants, elle les aime.
Non pas, mais elle s'en sert malgré elle. Comment donc sauver un État à qui ne convient ni drap fin, ni bure?
Trouve un moyen, de par Zeus! de le sauver encore du naufrage.
Je le dirai là-haut; ici je ne veux pas.
Non certes; mais envoie-lui d'ici même le bonheur.
Ce serait regarder la terre des ennemis comme nôtre, et la nôtre comme celle des ennemis; nos vaisseaux comme nos revenus, et nos revenus comme une ruine.
Bien; mais le juge mange cela, à lui tout seul.
Décides-tu?
A vous de décider; je choisirai celui que mon coeur préfère.
Souviens-toi maintenant des dieux par lesquels tu as juré de m'emmener avec toi, et choisis tes amis.
«La langue a juré»; mais je choisis Æskhylos.
Qu'as-tu fait, ô le plus odieux des hommes?
Moi? J'ai donné la victoire à Æskhylos. Pourquoi non?
Après avoir fait l'action la plus honteuse, oses-tu me regarder?
Qu'y a-t-il de honteux, si les spectateurs n'en jugent pas ainsi?
Méchant, me laisseras-tu donc parmi les morts?
Qui sait si la vie n'est pas une mort, le souffle un dîner, le sommeil une toison?
Entrez donc, Dionysos, à l'intérieur.
Pourquoi?
Pour que je vous traite en hôtes, avant votre départ.
Bien dit, j'en prends Zeus à témoin. Je ne suis pas fâché de l'affaire.
Heureux l'homme d'une sagesse accomplie! Beaucoup de preuves l'attestent. Celui-ci, pour s'être montré sage, reverra sa maison, au grand avantage de ses concitoyens, au grand avantage de ses parents et de ses amis, parce qu'il a été intelligent. Il est donc bon de ne pas demeurer assis auprès de Sokratès, pour bavarder, dédaignant la musique et méprisant les sublimités de l'art tragique. Tenir des discours emphatiques, débiter des subtilités niaises, et passer à cela une vie oisive, c'est le fait d'un homme qui a perdu la raison.
Pars avec joie, Æskhylos; sauve notre patrie par de sages leçons et instruis les fous: ils sont nombreux. Emporte et donne ceci à Kléophôn, cela aux receveurs publics Myrmex et Nikomakhos, et ceci à Arkhénomos. Dis-leur de venir vite ici vers moi, et de ne point tarder. S'ils ne se hâtent pas, je jure par Apollôn de les marquer au front, de leur lier les pieds, et de les jeter vite sous terre avec Adimantos, fils de Leukolophos.
Ainsi ferai-je. Et toi, donne ma place à Sophoklès pour qu'il la garde et me la conserve, si jamais je reviens ici. Car je le regarde comme le second dans l'art dramatique. Mais n'oublie pas que cet intrigant, ce menteur, ce fourbe, ne doit jamais s'asseoir sur mon siège, même de force.
Vous, éclairez-le de vos torches sacrées, et, en lui faisant cortège, chantez à sa gloire ses hymnes et ses choeurs.
Et d'abord accordez un heureux voyage au poète qui remonte à la lumière, ô vous, divinités souterraines; puis inspirez à la République les bonnes idées qui font les grandes prospérités; par là, en effet, vous mettrez fin pour toujours à de grands malheurs et au tumulte affreux des armes. Quant à Kléophôn et à tous ceux qui le veulent, qu'ils aillent combattre dans les champs de leur patrie!
(L'AN 373 AVANT J.-C.)
C'est à l'utopie communiste que le poète s'en prend cette fois. Les Athéniennes, sous l'influence de Praxagora, s'introduisent déguisées dans l'assemblée du peuple, font passer une loi qui les investit du gouvernement, et établissent la communauté des biens. L'application du nouveau régime donne lieu à une suite de scènes des plus gaies dont la conclusion, que le poète s'abstient d'indiquer, saute aux yeux d'elle-même, marquée au coin de l'esprit et de la raison.
PERSONNAGES DU DRAME
PRAXAGORA.
QUELQUES FEMMES.
CHOEUR DE FEMMES.
BLÉPYROS, mari de PRAXAGORA.
UN CITOYEN.
KHRÉMÈS.
PREMIER CITOYEN (dévoué).
DEUXIÈME CITOYEN (non dévoué).
UN HÉRAUT.
QUELQUES VIEILLES.
UNE JEUNE FILLE.
UN JEUNE HOMME.
UNE SERVANTE.
LE MAÎTRE.
Personnages muets:
PARMÉNÔN.
SIMÔN.
La scène se passe sur une place publique d'Athènes.
O brillant éclat de la lampe d'argile, commodément suspendue dans cet endroit accessible aux regards, nous ferons connaître ta naissance et tes aventures; façonnée par la course de la roue du potier, tu portes dans tes narines les splendeurs éclatantes du soleil: produis donc au dehors le signal de ta flamme, comme il est convenu. A toi seule notre confiance; et nous avons raison, puisque, dans nos chambres, tu honores de ta présence nos essais de postures aphrodisiaques: témoin du mouvement de nos corps, personne n'écarte ton oeil de nos demeures. Seule tu éclaires les cavités secrètes de nos aines, brûlant la fleur de leur duvet. Ouvrons-nous furtivement des celliers pleins de fruits ou de liqueur bachique, tu es notre confidente, et ta complicité ne bavarde pas avec les voisins. Aussi connaîtras-tu les desseins actuels, que j'ai formés, à la fête des Skira, avec mes amies. Seulement, nulle ne se présente de celles qui devaient venir. Cependant voici l'aube: l'assemblée va se tenir dans un instant, et il nous faut prendre place, en dépit de Phyromakhos, qui, s'il vous en souvient, disait de nous: «Les femmes doivent avoir des sièges séparés et à l'écart.» Que peut-il être arrivé? N'ont-elles pas dérobé les barbes postiches, qu'on avait promis d'avoir, ou leur a-t-il été difficile de voler en secret les manteaux de leurs maris? Ah! je vois une lumière qui s'avance: retirons-nous un peu, dans la crainte que ce ne soit quelque homme qui approche par ici.
Il est temps, avançons; tout à l'heure, quand nous nous sommes mises en marche, le héraut de la nuit disait pour la seconde fois: «Cocorico!»
Et moi, à vous attendre, j'ai veillé toute la nuit. Mais, voyons, je vais avertir la voisine, en grattant légèrement à la porte; car il ne faut pas que son mari la voie.
J'ai entendu, en me chaussant, le frôlement de tes doigts; je ne dormais pas. Mon mari, ma chère, un marin de Salamis, m'a tournée et retournée toute la nuit entre les draps, et c'est tout à l'heure que j'ai pu prendre ses habits.
J'aperçois Klinarétè, Sostrata, et Philænétè, venant avec elles. Hâtez-vous donc! Glykè a fait serment que la dernière venue nous paierait trois kongia de vin et un khoenix de pois.
Voyez-vous Melistikhè, la femme de Smikytiôn, qui accourt avec les chaussures de son mari?
C'est la seule qui me paraisse l'avoir quitté à son aise.
Eh! ne voyez-vous pas Geusistrata, la femme du cabaretier, ayant une lampe à la main? Et la femme de Philodorètos, et celle de Khérétadès?
Je vois accourir une foule d'autres femmes, qui sont l'élite de la ville.
Pour moi, ma très chère, j'ai eu grand'peine à m'enfuir en me glissant. Mon mari a toussé toute la nuit, pour s'être bourré, le soir, de sardines.
Asseyez-vous donc, afin que je vous demande, puisque je vous vois réunies, si vous avez fait ce dont on était d'accord aux Skira.
Moi, d'abord, j'ai rendu mes aisselles plus hérissées qu'un taillis, comme c'était convenu. Quand mon mari me quittait pour aller à l'Agora, je me frottais d'huile tout le corps, en plein air, et je m'exposais debout au soleil.
Moi, de même: j'ai commencé par jeter le rasoir hors de la maison, afin de devenir toute velue et de ne plus ressembler en rien à une femme.
Avez-vous les barbes que je vous ai recommandé à toutes d'avoir pour notre assemblée?
Par Hékatè! moi, j'en ai une belle.
Et moi, peu s'en faut, plus belle que celle d'Épikratès.
Et vous, que dites-vous?
Elles disent oui, puisqu'elles font un signe d'assentiment.
Je vois aussi que vous avez le reste prêt: chaussures lakoniennes, bâtons, manteaux d'homme, comme nous l'avions dit.
Moi, le bâton que j'ai apporté est celui de Lamias, dérobé pendant son sommeil.
Est-ce un de ces bâtons sous lesquels il pète?
Par Zeus Sauveur! il serait mieux en état que personne, s'il était revêtu de la peau de Panoptès, de faire paître le troupeau populaire.
Et moi, de par Zeus! j'ai apporté ceci pour carder, pendant l'assemblée.
Pendant l'assemblée, malheureuse!
Oui, par Artémis! je le ferai. Entendrai-je moins bien, si je carde? Mes petits enfants sont tout nus.
Quelle idée as-tu de carder, quand il ne faut montrer aux assistants aucune partie de notre corps! Nous nous ferions une belle affaire, si, devant le peuple assemblé, l'une de nous, rejetant son manteau et s'élançant à la tribune, montrait son Phormisios. Si, au contraire, nous prenons place les premières, nous resterons inconnues, enveloppées de nos manteaux. Avec cette longue barbe attachée à notre visage, qui, en nous voyant, ne nous prendra pas pour des hommes? Ainsi Agyrrhios n'a pas été reconnu, grâce à la barbe de Pronomos. C'était alors une femme; et maintenant, tu vois, il remue les plus grandes affaires de l'État: allons donc, et mettons-nous à l'oeuvre, tandis que les astres brillent au ciel; car l'assemblée à laquelle nous nous proposons de nous rendre doit commencer à l'aurore.
De par Zeus! il faut que je prenne séance, sous la pierre, en face des Prytanes.
Oui, par le jour qui va naître! osons l'acte d'audace qui nous permettra de prendre en main les affaires de la Ville et de rendre service à l'État. Car à présent nous ne naviguons ni à la voile, ni à la rame.
Et comment une assemblée de sexe féminin aura-t-elle des orateurs?
Ce sera on ne peut plus facile. On dit, en effet, que les jeunes gens les plus dissolus sont les meilleurs parleurs. Nous avons cette bonne chance-là.
Je ne sais; mais le mal est l'inexpérience.
Aussi nous sommes-nous réunies ici dans l'intention de préparer ce qu'il faudra dire. Hâte-toi donc d'attacher cette barbe à ton menton, ainsi que toutes celles qui ont quelque habitude de la parole.
Et qui de nous, ma chère, ne sait point parler?
Voyons donc, toi, attache ta barbe, et, tout de suite, deviens homme. Moi, je vais mettre des couronnes et m'attacher une barbe comme vous, pour le cas où je voudrais parler.
Tiens, ô ma très douce Praxagora, vois combien, par malheur, cette chose est ridicule.
Comment ridicule?
On dirait qu'on a suspendu des sépias grillées en guise de barbe.
Que le purificateur porte le chat à la ronde. En avant! Ariphradès, cesse de bavarder: passe et assieds-toi. Qui veut prendre la parole?
Moi.
Ceins donc cette couronne, et bonne chance!
Voici.
Parle.
Eh bien! Parlerai-je avant de boire?
Comment, avant de boire?
Pourquoi, en effet, ma chère, me suis-je couronnée?
Va-t'en vite; tu nous en aurais peut-être fait autant à l'assemblée.
Quoi donc? Les hommes ne boivent donc pas à l'assemblée?
Allons! Tu crois qu'ils boivent!
Oui, par Artémis! et du plus pur. Aussi les décrets qu'ils formulent, pour qui les considère avec attention, sont comme de gens frappés d'ivresse. Et, de par Zeus! ils font aussi des libations. En vue de quoi toutes ces prières, si le vin n'était pas là? Puis ils s'injurient en hommes qui ont trop bu, et, au milieu de leurs excès, ils sont emportés par les archers.
Toi, va t'asseoir; tu n'es bonne à rien.
De par Zeus! j'aurais mieux fait de ne pas mettre de barbe; il me semble que je vais mourir de soif.
Y en a-t-il une autre qui veuille prendre la parole?
Moi.
Viens; ceins la couronne: l'affaire est en train. Tâche maintenant de parler virilement, de faire un beau discours: appuie-toi dignement sur ton bâton.
«J'aurais désiré qu'un autre de vos orateurs habituels vous fît entendre d'excellentes paroles, afin de rester auditeur paisible. Pour le moment, je ne souffrirai pas, en ce qui est de moi, qu'on creuse une seule citerne qui garde l'eau dans les cabarets. J'en prends à témoin les deux Déesses…»
Les deux Déesses! Malheureuse, où as-tu l'esprit?
Qu'y a-t-il? Je ne t'ai pas encore demandé à boire.
Non, de par Zeus! mais tu es homme, et tu as juré par les deux Déesses: pour le reste, ce que tu as dit était très bien.
Oui, par Apollôn!
Cesse pourtant; je ne veux pas mettre un pied devant l'autre pour me rendre à l'assemblée, que tout ne soit parfaitement réglé.
Donne-moi la couronne, je veux parler de nouveau; je crois avoir maintenant médité mon affaire à merveille. «Selon moi, femmes rassemblées ici…»
Malheureuse, tu dis: «Femmes,» et tu t'adresses à des hommes!
La faute en est à cet Épigonos: je regardais de son côté; j'ai cru parler à des femmes.
Retire-toi aussi, et va t'asseoir. J'ai résolu de parler moi-même pour vous toutes, et de prendre cette couronne. Je prie les dieux de m'accorder la réussite de nos projets.
«Je souhaite, à l'égal de vous-mêmes, l'intérêt de ce pays, mais je souffre et je m'indigne de tout ce qui se passe dans notre cité. Je la vois toujours dirigée par des pervers; et si l'un d'eux est honnête homme une seule journée, il est pervers durant dix jours. Se tourne-t-on vers un autre, il fera encore plus de mal. C'est qu'il n'est pas commode de mettre dans le bon sens des gens difficiles à contenter. Vous avez peur de ceux qui veulent vous aimer, et vous implorez, l'un après l'autre, ceux qui ne le veulent pas. Il fut un temps où nous ne tenions pas du tout d'assemblée, et Agyrrhios était à nos yeux un méchant. Aujourd'hui des assemblées ont lieu. Celui qui y reçoit de l'argent ne tarit pas d'éloges; mais celui qui n'en reçoit pas juge dignes de mort ceux qui cherchent dans l'assemblée un moyen de trafiquer.»
Par Aphroditè! tu dis bien cela.
Malheureuse! Tu as nommé Aphroditè. Tu ferais une jolie chose, si tu disais cela à l'assemblée.
Mais je ne le dirais pas.
N'en prends pas, dès maintenant, l'habitude.
«Lorsque nous délibérions sur la question de l'alliance, on disait que, si elle n'avait pas lieu, c'en était fait de la ville. Quand elle fut faite, on se fâcha, et celui qui l'avait conseillée s'enfuit en toute hâte. Il faut équiper une flotte: le pauvre en est d'avis; les riches et les laboureurs sont d'un avis contraire. Vous fâchez-vous contre les Korinthiens, ils se fâchent contre toi: en ce moment, ils sont bien disposés à ton égard; sois bien disposé à leur égard, en ce moment. Argéios est un ignorant; mais Hiéronymos est un habile. Un espoir de salut se ranime, mais il est restreint. Thrasyboulos lui-même n'a pas été appelé.»
L'habile homme!
Voilà un éloge convenable!
«C'est vous, ô peuple, qui êtes la cause de ces maux. Trafiquant des affaires publiques, chacun considère le gain particulier qu'il en tirera: et la chose commune roule comme Æsimos. Pourtant, si vous m'en croyez, vous pouvez encore être sauvés. Je dis qu'il nous faut remettre le gouvernement aux mains des femmes. C'est à elles, en effet, que nous confions, dans nos maisons, la gestion et la dépense.»
Bien, bien, de par Zeus! bien!
Parle, parle, mon bon.
«Combien elles nous surpassent en qualités, je vais le faire voir. Et d'abord toutes, sans exception, lavent les laines dans l'eau chaude, à la façon antique, et tu n'en verras pas une faire de nouveaux essais. La ville d'Athènes, en agissant sagement, ne serait-elle pas sauvée, si elle ne s'ingéniait d'aucune innovation? Elles s'assoient pour faire griller les morceaux, comme autrefois; elles portent les fardeaux sur leur tête, comme autrefois; elles célèbrent les Thesmophoria, comme autrefois; elles pétrissent les gâteaux, comme autrefois; elles maltraitent leurs maris, comme autrefois; elles ont chez elles des amants, comme autrefois; elles, s'achètent des friandises, comme autrefois; elles aiment le vin pur, comme autrefois; elles se plaisent aux ébats amoureux, comme autrefois. Cela étant, citoyens, en leur confiant la cité, pas de bavardages inutiles, pas d'enquêtes sur ce qu'elles devront faire. Laissons-les gouverner tout simplement, ne considérant que ceci, c'est que, étant mères, leur premier souci sera de sauver nos soldats. Ensuite, qui assurera mieux les vivres qu'une mère de famille? Pour fournir l'argent, rien de plus entendu qu'une femme. Jamais, dans sa gestion, elle ne sera trompée, vu qu'elles sont elles-mêmes habituées à tromper. J'omets le reste: suivez mes avis, et vous passerez la vie dans le bonheur.»
Très bien, ma très douce Praxagora; à merveille! Mais, malheureuse, où t'es-tu donc si bien instruite?
Au temps des fuites, j'habitai avec mon mari sur la Pnyx, j'entendis les orateurs et je m'instruisis.
Je ne m'étonne pas, ma chère, que tu sois éloquente et habile. Nous autres femmes, nous te choisissons, dès à présent, pour chef: à toi d'accomplir ce que tu médites. Mais si Képhalos s'avance pour t'injurier, comment lui répondras-tu dans l'assemblée?
Je lui dirai qu'il est fou.
Tout le monde le sait.
Qu'il est atteint d'humeur noire.
On le sait également.
Que, s'il fabrique mal les pots, il mène la ville bel et bien.
Et si Néoklidès, le chassieux, t'insulte?
Je lui ai déjà dit de regarder dans le cul d'un chien.
Et si l'on te saisit à bras-le-corps?
Je rendrai mouvement pour mouvement, n'étant point inexpérimentée dans ce genre de lutte.
Voici seulement un point imprévu, c'est, si les archers t'enlèvent, ce que tu feras.
Je me défendrai avec les hanches; car jamais je ne me laisserai prendre par le milieu.
Nous, s'ils t'enlèvent, nous leur donnerons l'ordre de te lâcher.
Voilà qui est par nous imaginé à merveille; mais de quelle manière lèverons-nous les mains, nous n'y avons pas encore songé: car nous sommes habituées à lever les jambes.
Ce n'est pas facile. Cependant il faut lever la main, en montrant l'autre bras nu jusqu'à l'épaule. Allons, maintenant, relevez vos manteaux; mettez vite les chaussures lakoniennes, comme vous le voyez faire à vos maris chaque fois qu'ils se rendent à l'assemblée ou qu'ils franchissent la porte. Quand vous aurez fait tout cela de votre mieux, attachez vos barbes; puis, quand vous les aurez soigneusement adaptées, enveloppez-vous des vêtements d'hommes que vous aurez soustraits, et ensuite mettez-vous en marche, appuyées sur vos bâtons, chantant quelque vieille chanson, en imitant la façon des gens de la campagne.
Bien dit, mais prenons les devants; car je crois que d'autres femmes viendront aussi des champs dans la Pnyx.
Mais hâtez-vous, parce qu'il est d'usage que ceux qui ne se sont pas trouvés dès le matin dans la Pnyx, se retirent sans en rapporter même un clou.
Voici le moment de nous mettre en marche, citoyens; car souvenez-vous de vous servir toujours de ce mot, de peur qu'il ne vous échappe. Et de fait, le danger ne serait pas mince, si nous étions prises à oser, dans l'obscurité, une pareille entreprise.
Allons à l'assemblée, citoyens. Le thesmothète a menacé quiconque n'arriverait pas dès le point du jour tout poudreux, content de saumure à l'ail, le regard de travers, de ne pas toucher le triobole. Mais, Kharitinidès, Smikythos, Drakès, allez vite, et veillez attentivement à ne rien négliger de ce que vous avez à faire. Le salaire reçu, asseyons-nous ensuite les uns près des autres, afin de voter tout ce qu'il faut à nos amies. Que dis-je? C'est nos amis qu'il fallait prononcer. Voyons comment nous expulserons tous ces gens venant de la ville, qui, jadis, lorsqu'on ne devait, à l'arrivée, toucher qu'une obole, restaient à babiller, la tête ceinte de couronnes. Maintenant on se bouscule dans la presse. Non, lorsque le brave Myronidès était arkhonte, personne n'eût osé administrer, pour de l'argent, les affaires de la ville. Chacun venait, apportant de quoi boire dans une petite outre, avec du pain, deux oignons et trois olives. Mais aujourd'hui, on cherche à gagner un triobole, quand on travaille à l'oeuvre publique: on est des gâcheurs de plâtre.
Quelle affaire! Par où ma femme a-t-elle passé? Voici bientôt l'aurore, et elle ne paraît pas. Et moi je suis couché, ayant depuis longtemps besoin d'aller, cherchant dans l'obscurité à prendre mes chaussures. Cependant il y a quelque temps déjà que Kopros frappe à la porte: je prends la mantille de ma femme et je mets ses chaussures persiques. Mais où trouverait-on bien un endroit propre pour se soulager le ventre? La nuit, tous les endroits sont bons. A l'heure qu'il est, personne ne me verra chier. Hélas! malheureux que je suis de m'être marié vieux. Combien je mérite de recevoir des coups! Elle n'est pas sortie pour rien faire d'honnête. Quoi qu'il en soit, il faut que je chie.
Qui est là? N'est-ce pas le voisin Blépyros? De par Zeus! c'est lui-même. Dis-moi, qu'est-ce que tu as donc là de rougeâtre? Kinésias t'aurait-il par hasard embrené?
Non, mais je suis sorti, vêtu de la robe safranée dont s'habille ma femme.
Mais ton manteau, où est-il?
Je ne saurais le dire. J'ai cherché et je n'ai rien trouvé sur mes couvertures.
Alors, tu n'as pas prié ta femme de dire où il était.
Non, de par Zeus! car il se trouve qu'elle n'est pas à la maison: elle s'est évadée furtivement, et je crains qu'elle ne fasse quelque équipée.
Par Poséidôn! je suis, de mon côté, dans la même situation: ma femme a disparu, ayant le manteau que je porte; et ce n'est pas la seule chose qui me tourmente: elle a pris mes chaussures, et je ne puis les retrouver nulle part.
Par Dionysos! c'est comme moi pour mes chaussures lakoniennes; me sentant pris du besoin d'aller, j'ai mis vite ces kothurnes à mes pieds, afin de ne pas chier sur ma couverture, qui était toute propre.
Qu'y a-t-il donc? Est-ce qu'une de ses amies l'aurait invitée à un festin?
C'est mon avis; car elle n'est pas dépravée, que je sache.
Mais tu chies donc des cordes! Pour moi, c'est le moment de me rendre à l'assemblée, afin d'y retrouver mon manteau, le seul que j'aie.
Moi aussi, quand j'aurai fini; mais j'ai là une poire qui obstrue le passage des matières.
Est-ce celle dont parlait Thrasyboulos aux Lakoniens?
Par Dionysos! elle tient ferme. Que faire? Car ce n'est pas la seule chose qui me chagrine; mais, quand je mangerai, par où passeront ensuite les excréments? Maintenant la porte est verrouillée par cet homme, quel qu'il soit, par cet Akradousien. Qui donc me fera venir un médecin, et lequel? Un qui soit habile dans la science des derrières? Amynôn, je le sais? Mais peut-être refusera-t-il. Qu'on appelle Antisthénès par tous les moyens! C'est un homme qui, en raison de ses soupirs, sait ce que veut un derrière qui a besoin d'aller. O vénérable Ilithyia, ne me laisse pas crever d'un verrouillage au derrière, et servir de pot de chambre aux comiques.
Hé! l'homme! Que fais-tu là? Ne chies-tu pas?
Moi! Non, de par Zeus! je me relève.
N'as-tu pas mis la robe de ta femme?
Dans l'obscurité, je me suis trouvé mettre la main dessus. Mais d'où viens-tu? dis-moi.
De l'assemblée.
Est-ce qu'elle est déjà dissoute?
Oui, de par Zeus! et dès le matin. Et certes, ô Zeus bienveillant! la marque rouge m'a donné fort à rire, répandue tout à l'entour.
Tu as reçu le triobole?
Plût aux dieux! Je suis arrivé trop tard, et j'ai honte, de par Zeus! de ne rien rapporter que mon sac.
Quelle en est la cause?
Une affluence d'hommes, telle qu'on n'en vit jamais d'aussi épaisse dans la Pnyx. En les voyant, nous les prîmes tous pour des cordonniers. En effet, on avait sous les yeux une assemblée de visages excessivement blancs. Voilà comment je ne reçus rien, ni moi, ni bien d'autres.
Alors, je ne recevrais rien, si j'y allais maintenant?
Le moyen? Pas même, j'en atteste Zeus! si tu étais venu dès le second chant du coq.
Malheureux que je suis! «Antilokhos, pleure sur ma vie plutôt que sur le triobole!» Car tout mon avoir est perdu… Mais quelle affaire a réuni de si bon matin une si grande foule?
Rien, sinon que les Prytanes ont mis en délibération les moyens de sauver l'État. Aussitôt le chassieux Néoklidès a paru le premier. Alors le peuple s'est mis à crier avec une force que tu peux te figurer: «N'est-il pas indigne que cet homme ait le front de prendre la parole, et cela quand il s'agit du salut de l'État, lui qui n'a pas su sauver ses paupières?» Lui, alors, criant et jetant les yeux autour de lui: «Que devais-je donc faire?» dit-il.
«Broyer de l'ail avec du jus de silphion, en y mêlant du tithymale de Lakonie, et t'en frotter les paupières le soir,» voilà ce que je lui aurais dit, si je m'étais trouvé là.
Après lui, le très habile Evæôn s'est avancé nu, à ce qu'il semblait au plus grand nombre; mais il prétendait, lui, qu'il avait un manteau. Il a tenu ensuite les discours les plus démocratiques. «Voyez, dit-il, que moi-même j'ai besoin d'être sauvé, et il s'en faut de quatre statères. Je dirai néanmoins comment vous sauverez la société et les citoyens. Si les foulons fournissent des lænas à ceux qui en ont besoin, au premier moment où le soleil se détourne, jamais aucun de nous n'attrapera de pleurésie. Que ceux qui n'ont ni lit, ni couvertures, aillent coucher, après le bain, chez les corroyeurs; et si l'un d'eux ferme sa porte, en hiver, qu'il soit condamné à trois peaux de mouton.»
Par Dionysos! c'est parfait. Il eût dû ajouter, et personne ne l'aurait contredit: «Que les marchands de farine d'orge doivent fournir trois khoenix à tous les pauvres pour leur nourriture, sous peine de gémir longuement: c'est le seul moyen de profiter du bien de Nausikydès.»
Après cela, un beau jeune homme, au teint blanc, semblable à Nikias, s'est élancé pour haranguer le peuple, et il a commencé par dire qu'il faut abandonner aux femmes le gouvernement de l'État. Alors grand tumulte et cris: «Qu'il parle bien!» dans la bande des cordonniers. Mais les gens de la campagne éclatent en murmures.
Ils avaient raison, de par Zeus!
Mais ils étaient en minorité. Pour lui, il domine leurs clameurs, disant beaucoup de bien des femmes et beaucoup de mal de toi.
Et qu'a-t-il dit?
D'abord il a dit que tu es un vaurien.
Et toi?
Ne m'interroge pas encore là-dessus. Puis un voleur.
Moi seul?
Et puis, de par Zeus! un sykophante.
Moi seul?
Toi, de par Zeus! et toute cette foule-ci.
Qui prétend le contraire?
Il a dit que la femme est un être bourré d'esprit et capable d'acquérir de la fortune, ajoutant que nulle d'entre elles ne divulgue les secrets des Thesmophoria, tandis que toi et moi nous révélons toujours les décisions du Conseil.
Par Hermès! il n'a pas menti sur ce point.
Il disait ensuite qu'elles se prêtent entre elles des habits, des bijoux d'or, de l'argent, des coupes, seule à seule, et sans témoins; qu'elles rendent tous ces objets et ne se font point tort, chose, dit-il, si fréquente parmi nous.
Oui, par Poséidôn! même quand il y a des témoins.
Qu'elles ne font ni délations, ni procès, ni soulèvement contre le peuple; mais qu'elles ont de nombreuses et excellentes qualités; et autres grands éloges des femmes.
Et qu'a-t-on résolu?
Que tu leur remettes le gouvernement de la cité, à elles; d'autant que c'est la seule chose qui ne se soit jamais faite dans la ville.
Et cela a été résolu?
Comme je te le dis.
Tout va leur être subordonné de ce qui est confié aux citoyens?
Il en est ainsi.
Et je n'irai plus au tribunal, mais ma femme?
Ce ne sera plus toi qui élèveras les enfants que tu as, mais ta femme.
Je n'aurai plus le souci des affaires dès le point du jour?
Non, de par Zeus! les femmes en auront désormais le soin. Toi, tu pètes à ton aise, sans bouger de la maison.
Il y a une chose à redouter pour notre groupe, quand elles auront en main les rênes de la cité, c'est qu'elles ne nous prennent de force.
Pourquoi faire?
Pour les baiser.
Et si nous ne pouvons pas?
Elles ne nous donneront pas de quoi dîner.
Mais toi, de par Zeus! fais en sorte de dîner et de baiser, le tout ensemble.
Ce qu'on fait par contrainte est toujours très pénible.
Mais si l'intérêt de la ville l'exige, il faut que tout homme agisse ainsi. C'est une tradition émanant de nos pères que nos décisions insensées et extravagantes ont toujours eu pour nous la meilleure issue. Favorisez cette issue, vénérable Pallas et vous autres dieux! Mais je m'en vais: à toi, bonne santé.
Et à toi également, Khrémès.
Marche, avance. Y a-t-il quelqu'un des hommes qui nous suive? Retourne-toi, fais attention, veille sur toi-même avec soin. Il y a bon nombre de mauvaises gens. Prends garde qu'on n'épie nos mouvements par derrière. Fais avec tes pieds le plus de bruit possible en marchant. Quelle honte ce serait pour nous toutes aux yeux des hommes, si cette affaire était découverte! Enveloppe-toi donc bien. Regarde de tous côtés, à gauche, à droite, pour qu'il n'arrive point malheur à l'entreprise. Mais hâtons-nous. Nous sommes déjà tout près de l'endroit d'où nous sommes parties pour l'assemblée, après nous y être réunies. On peut voir la maison d'où vient notre stratège, celle qui a trouvé l'affaire, sanctionnée, en ce moment, par les citoyens. Il faut donc que, sans plus tarder, sans plus attendre, nous détachions nos barbes, de peur que quelqu'un ne nous voie et peut-être ne nous dénonce. Ainsi retire-toi à l'ombre; va par ici, du côté de ce mur, l'oeil au guet; et reprends tes vêtements, comme tu étais. Ne tarde pas. Notre stratège revient de l'assemblée; nous la voyons. Hâtez-vous toutes; prenez en haine votre barbe au menton. Les femmes arrivent, après avoir déjà repris leur costume.