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Читать книгу: «Childéric, Roi des Francs, (tome premier)», страница 3

Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie
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FIN DU LIVRE TROISIÈME

CHILDÉRIC.
LIVRE QUATRIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE QUATRIÈME

Départ de Viomade. Son arrivée dans les forêts de la Germanie. Dangers de sa route. Alarmes que lui inspire Draguta. Un songe l'inquiète. Viomade sauve la vie à Draguta. Il en est abandonné. Orage terrible. Viomade reprend sa route. Le chemin. La tombe. Chant franc. Le vieillard.

LIVRE QUATRIÈME

Mérovée et son ami ont assisté à ces festins, mais sans en partager le délire; impatiens de se retrouver seuls, et de donner à la confiance le peu d'heures qui leur reste avant le départ de Viomade, fixé à la prochaine aurore, ils n'ont plus qu'une nuit, et l'amitié la disputera au sommeil. Le roi voudroit qu'au moins Ulric, Amblar, Arthaut accompagnassent Viomade; il s'y refuse. S'il étoit possible, disoit-il, que je fusse attaqué, ce seroit par un si grand nombre, que vous exposeriez sans aucun avantage les nobles défenseurs de votre couronne. Seul avec Draguta je n'inspirerai aucune défiance, et si je devois périr, conservez au moins vos plus fidèles sujets. Cette pensée jettoit un trouble extrême dans l'ame du roi. Toi périr! disoit-il; ô toi! mon ami, toi qui seul peut m'aider à supporter les orages de la vie; toi qui en partageant mes maux, en diminue toujours le poids! Je ne périrai point, reprit Viomade, les dieux l'ont promis: en douter est une impiété. Je reviendrai bientôt remettre Childéric dans vos bras. Mérovée, malgré la juste impatience d'un père, voudroit que Viomade attendit au moins le printems; l'hiver déjà est avancé; mais cette saison qui retient les Huns dans l'inaction, offre à Viomade plus d'espérance de retrouver le jeune prince. Il combat la résistance du roi, qui redoute la rigueur de la saison; il calme les craintes du monarque, excite ses espérances, et verse des torrens de bonheur dans cette ame si long-tems la proie des souffrances. Le roi veut du moins l'accompagner jusqu'au bord du fleuve; des barques sont préparées; plusieurs braves les suivront même jusqu'au château de Clodion, situé sur l'autre bord du fleuve: là, Viomade devoit se séparer d'eux, et monté sur de forts chevaux chargés de provisions, il s'arme de flèches, ainsi que Draguta. C'est ainsi qu'il devoit revoir, et suivi seulement du Hun, cette Germanie, antique berceau de ses pères. Au premier rayon du jour, les deux amis se sont regardés et se sont précipités dans les bras l'un de l'autre. Mérovée craindroit de retarder le départ, et cependant il sent toute l'amertume d'une telle séparation; Viomade se reprocheroit le moindre délai, mais il quitte avec peine son auguste maître. Tous deux émus et opressés se tiennent long-tems embrassés; tout est prêt pour le départ; déjà le farouche Draguta, revêtu de ses sauvages vêtemens, paroît et s'unit aux guerriers qui attendent le roi. Ses cheveux noirs, frisés, inégaux et épars, couvrent une partie de son visage, et ajoutent, dans leur désordre, à la férocité de ses traits; la jeunesse est sans grace sur le front sourcilleux du Hun; son courage est celui d'un barbare, et sa joie celle du crime. Sur ses épaules nues sont attachés son arc et ses flèches, armes légères, et les seules qui puissent leur être utiles dans les forêts qu'ils ont à traverser, soit qu'ils s'en servent pour se défendre contre leurs dangereux habitans, soit qu'ils recourent à la chasse pour suppléer à leurs provisions épuisées. Le roi et Viomade ne se font pas attendre long-tems; déjà ils atteignent les antiques ombrages de la forêt des Ardennes; ses arbres dépouillés de verdure, offrent aux regards qu'ils attristent, les sombres ravages de l'hiver. Viomade n'en est point ému; le roi seul éprouve d'avance toutes les fatigues que ce brave est loin de calculer. Quelques tentes dressées sous les arbres servent à reposer la troupe, et en peu de jours elle découvre ce fleuve superbe qui sépare les Gaules de la Germanie. C'est-là que Mérovée quitte à regret un ami dévoué et cher; leurs adieux honorèrent également l'amitié et le courage qui les distinguoient. Oh! qu'elles sont unies ces grandes ames, qu'aucun vice ne sépare! Les barques ont reçu Viomade, Amblar, Ulric, Arthaut, Draguta; les tranquilles ondes obéissent aux rames qui fendent leur sein et soutiennent la fragile nacelle qui les sillonne. Parvenus au pied de Dispach, les voyageurs abordent ces rives paisibles et débarquent. Pendant le trajet, Mérovée, entouré de ses gardes, a long-tems suivi de l'œil la barque qui entraînoit son ami, et quand il ne l'avoit plus distinguee, son cœur et sa pensée la suivoient encore. Enfin, il avoit repris le chemin de son palais, dont la solitude troubla son ame; tous les dangers d'une aussi hardie entreprise s'offrirent devant lui; mais les dieux avoient parlé, et Mérovée espéroit. Ses braves, à leur retour, lui apprirent que Viomade et son guide, pourvus de trois chevaux, dont un portoit une tente et des provisions, traversoient déjà la Germanie, et que Viomade, plein de force et de joie, marchoit avec rapidité sous la conduite d'un guide fidèle et intrépide. En effet, Viomade avoit déjà traversé heureusement une partie de la Germanie, quand ils furent tout-à-coup arrêtés par des marais que les pluies d'hiver avoient rendus impraticables; il fallut abandonner la route connue, chercher à travers les forêts. Cet obstacle ralentissoit leur marche; par-tout ils le retrouvoient, et s'égarant dans de nouveaux détours, s'éloignoient au lieu d'avancer. Mais la bise, qui descendue des montagnes du nord, souffle avec fureur dans ces climats voisins du Danube, a glacé ces eaux stagnantes. Viomade propose à son guide de se hasarder sur cette surface solide. Un renard qu'a tué Draguta, et qu'ils dépouillent de la peau dont ils environnent leurs pieds, rend cette entreprise facile; les chevaux seuls les embarrassent; ils craignent de s'en séparer, et n'osent hasarder de les conduire sur la glace qui va se briser sous leurs pieds; ils essaient d'en conduire un qui glisse bientôt, malgré toutes les précautions qu'ils prennent; sa chute brise le fragile appui qui supportoit à peine ses pas; il disparoît sous la glace et s'enfonce sous les eaux. Cette expérience effraye les voyageurs; mais Viomade, qui s'aperçoit que tant de détours l'égarent, se décide à renoncer aux chevaux, qui déjà las, et ne trouvant pour se nourrir que des joncs secs et mal sains, retardent plus leur marche qu'ils ne la favorisent. Appuyés sur leur arc, et les pieds enveloppés de fourrures, ils traversent les marais dont l'étendue est immense. Viomade, chargé comme Draguta des provisions qui leur restoient, a peine à se soutenir; le froid glace ses veines; son cœur palpite, et ses membres s'engourdissent, tandis que Draguta, né sur les bords toujours glacés du Palus, sourit à la foiblesse de son compagnon, et s'élance gaiement de l'autre côté des marais. Viomade, épuisé de fatigue, mourant, et hors d'état de faire un seul pas, arrive long-tems après lui: il se couche un moment sur la terre; mais sentant le froid s'augmenter, craignant de s'abandonner au dangereux sommeil qu'il provoque, et qui n'est d'ordinaire que l'avant-coureur de la mort, il se relève avec effort, rassemble du bois, frappe le caillou qui jaillit en étincelles, et allume un feu brillant qui le réchauffe et redonne à son sang sa circulation. Draguta ne veut point s'en approcher; il semble défier la douleur de l'atteindre, et triompher de la nature. Que votre mère étoit peu prévoyante, disoit-il au brave; que n'a-t-elle eu le courage de la mienne; que ne vous a-t-elle exposé aux glaces des fleuves, au soleil devorant, comme je l'ai été; que ne vous a-t-elle habitué à combattre les monstres des bois, et formé à la lutte, à la course, à l'extrême fatigue: loin d'être accablé comme un foible enfant, vous supporteriez sans les sentir le froid et les maux qui vous accablent. Sans doute, Draguta, reprenoit avec douceur Viomade, mon enfance fut moins exercée que la tienne, et les mœurs, comme l'air de ma patrie, sont différens de ceux dont tu t'enorgueillis; mais songe, ami, que si plus de force arme ton bras, plus d'amitié remplit mon cœur. Tandis que vous égorgez vos blessés, nous secourons nos ennemis mêmes. Pardonne à ces hommes à qui tu dois la vie, une sensibilité dont ils s'honorent, puisqu'elle ne leur dicte que des bienfaits. La vie! reprit Draguta, est-ce un si grand bien que de vivre? Mais n'en sens-tu pas le prix aujourd'hui, que tu t'acquittes envers un ami; que tu me guides, que tu me conduis au bonheur? Ton ame n'est-elle pas émue de l'idée décevante de faire tant d'heureux, de rendre un fils à son père, un roi à ses peuples, un maître à ses serviteurs brûlans de zèle et d'amour pour son prince? Draguta ne répondit rien à ce discours; les provisions furent étalées devant le feu que Viomade entretenoit soigneusement. Un roc creusé par le tems lui offrit un abri pour la nuit; enveloppé d'un manteau, il s'endormit. Draguta, loin de regretter la tente qu'il a laissée avec les chevaux, se jette sans précaution sur la terre humide et dort paisiblement. O Dieu! le méchant peut donc dormir!

Viomade, éveillé par les premiers rayons du jour, quitte sa roche protectrice, non sans remercier la divinité qui y préside, non sans élever jusqu'aux voûtes célestes ses vœux et sa reconnoissance. Un spectacle s'offrit à ses yeux; derrière lui d'immenses forêts; à sa droite et tournant devant lui, paroissoit au loin le Danube, ce fleuve superbe, qui prenant sa source en Souabe, parcourt un territoire de deux cent quarante lieues, et va par plusieurs bouches se jeter dans la mer Noire; ce fleuve qui eut la gloire, entre tous les fleuves, de voir sur ses ondes rivales des mers, plusieurs combats entre les Turcs et les Chrétiens. Le soleil qui se levoit derrière la forêt, n'éclairoit encore que foiblement cette magnifique surface; les oiseaux, que la froidure retenoit cachés dans le creux des rocs ou des troncs des arbres, ne chantoient pas; un silence auguste régnoit sur toute la nature. Viomade seul, dans cette déserte contrée, admire la profonde solitude qui l'environne, et se livre aux méditations animées qui rapprochent l'homme de son créateur. Plongé dans ce songe pieux, il n'a pas vu que Draguta, de retour, prépare le gibier qu'il rapporte de la chasse où il a été avant le réveil de son compagnon. Tiré de sa rêverie par la voix qui l'appelle et l'invite au repas, Viomade rallume les feux éteints, et se prépare à faire cuire les animaux; mais Draguta les dévore sans tant d'apprêts, et Viomade détourne les yeux du repas sanglant de son compagnon. La faim satisfaite, tous deux reposés de leurs fatigues, reprirent leur route entre le Danube et les bois, mais dans un chemin sablonneux, humide et qui s'enfonce à chaque pas. Viomade s'aperçoit avec émotion que cette route devient impraticable, il en avertit son guide; celui-ci l'engage à la continuer jusqu'à une chaîne de montagnes qu'il lui montre: mais la route est encore plus longue; la journée est prête à finir, les provisions consommées, la faim commence à se faire sentir; la soif, besoin dévorant, et plus insupportable encore, brûle et épuise le brave. Eh quoi! se disoit-il à lui-même, la nature met donc des bornes à mon zèle, et je succomberai dans une si grande entreprise! O Hésus! dieu du courage, ranime mes forces abattues, que je meure après le succès! Quelques racines sauvages lui offrent une ressource contre la mort; il les reçoit du ciel comme un bienfait, remercie les dieux, et par de nouveaux efforts, en obtient enfin de pénétrer dans les montagnes du Witoska. Là une source qui s'échappe en cascade du sein d'une roche immense, le désaltère. Draguta s'éloigne et revient chargé d'oiseaux inconnus à son compagnon; un repas, désiré depuis long-tems, calme une partie de ses maux, et Draguta l'assure que derrière ces montagnes, dont ils vont suivre les différentes sinuosités, ils parviendront au but qu'ils se proposent. Cet espoir rend à Viomade un nouveau courage: chargés des restes du repas qu'ils viennent de prendre, ils continuent leur route, et rencontrent encore quelques chèvres sauvages qu'ils tuent à coups de flèches. Les nuits ils se couchoient sur la terre, à l'abri des monts sourcilleux. Ils parvinrent ainsi à une forêt que Draguta sembla reconnoître avec une joie féroce. C'est ici, dit-il, en fixant ses regards sur Viomade. Reposez-vous, ajouta-t-il, dans cette caverne tapissée d'une mousse épaisse, et avant deux jours… Il s'arrête à ces mots, et semble préoccupé d'une idée sinistre. Viomade le regarde avec surprise; une secrète inquiétude saisit son cœur; cependant il s'endort, et d'heureux songes charment son sommeil. Il voit Aboflède s'élever dans une nuée transparente; elle applaudit à sa démarche, et la voix du grand Teutatès l'assure de cette divine protection sans laquelle il n'est point de succès, avec laquelle il n'est point de revers. Ces flatteuses illusions, que lui retrace le réveil, le pénètrent d'une religieuse confiance; et il revoit, plein d'espoir, naître un jour pur, et qui semble répondre par son éclat à la joie dont son cœur est rempli. O divinité de ces monts orgueilleux! dit-il, et vous, Naïade bienfaisante, dont l'onde a rafraîchi mes sens dévorés d'une ardeur douloureuse, recevez l'hommage de ma pieuse reconnoissance. Et toi, Dieu puissant! ame du monde! souverain des airs! ô grand Teutatès, qui dans l'erreur d'un songe, apparut à ce foible mortel indigne de ta divine présence, achève ton ouvrage, rends Childéric à mes vœux, rends-le au père qui l'attend! Draguta paroît prêt à marcher, et lance au brave un coup d'œil de mépris et de haine; il semble qu'en approchant des lieux où il reçut le jour, il en retrouve toute la barbarie; ce n'est plus ce guerrier, jadis si farouche, mais adouci par la reconnoissance; à présent on le prendroit pour un ennemi qui entraîne sa victime. Le bois où ils pénètrent est épais, aucune route n'est frayée, le terrain en est humide, et plus ils avancent, moins il a de solidité. On entend de tous côtés les rugissemens des ours, les hurlemens des loups; quelques oiseaux de proie remplissent l'air de leurs cris aigus, et l'aigle au regard altier, s'abat sur les arbres ébranlés par sa chute. Viomade voit arriver la nuit avec inquiétude, il redoute les monstres des forêts; il ne sait pas que l'homme qui cache un cœur méchant, est alors le plus dangereux ennemi de l'homme et le plus cruel. Pour éviter d'être surpris pendant le sommeil, ils dormiront tour-à-tour, et ils allumeront de grands feux qui écarteront les bêtes féroces. Draguta ayant rassemblé avec le bout de son arc, un amas de feuilles sèches, invite insolemment le brave à s'y coucher et à se livrer au sommeil. Viomade, que le changement qui s'est opéré dans son guide remplit de crainte et de surprise, a peine à trouver le repos. S'il alloit le trahir, le livrer à Clodebaud! Ah! ce ne sont pas les supplices qui l'effrayent, ce n'est pas la mort; l'inquiétude seule du roi, son espoir trompé, sa douleur, voilà ce qui alarme son ame. Ces idées sinistres le poursuivent dans son sommeil; il croit entendre le roi lui redemander son fils, il croit entendre Childéric l'appelant à son secours, il croit voler vers lui, et prêt à l'atteindre, se sentir percé d'une flèche que lui lance Draguta. Ce songe affreux l'agite; la sueur découle de son front; il croit encore arracher de son sein le trait qui le déchire, et s'élancer vers son prince, quand une seconde flèche plus aiguë le blesse de nouveau; la douleur de ce songe l'éveille tout-à-coup, et il se relève animé d'un trouble extraordinaire; il voit devant lui Draguta pâle et en désordre, ses cheveux sont hérissés, son air est celui du repentir; le feu qui brûle devant lui jette sur sa figure une lueur sombre, qui ajoute une expression plus farouche à ses traits. Le barbare avoit promis à Egidius de conduire Viomade dans ces lieux, et là de lui donner la mort. L'instant choisi pour le crime étoit arrivé, et Draguta alloit percer de flèches le cœur du brave, lorsqu'agité par un songe, secret avis de la providence, il avoit prononcé le nom du perfide et s'étoit éveillé. Surpris, le Hun pâlit, et laisse tomber ses armes. Le souvenir des bienfaits de Viomade l'avoit frappé; il eut horreur du sang qu'il alloit répandre, et resta muet et combattu. Viomade s'étonnoit de plus en plus et perdoit sa sécurité; tous deux passent le reste de la nuit en silence, mais sans se livrer au sommeil. Draguta, aux premiers rayons du jour, propose brusquement de partir. Il se lève et marche agité d'un trouble visible; Viomade le suit; l'heure du repas les force à s'arrêter, mais Draguta a l'air rêveur et sombre, il ne mange point. Viomade l'interroge sur le mal qu'il semble éprouver, mais il ne lui répond pas et reprend sa route. Le terrain, constamment humide, devient si fangeux que l'on ne peut plus avancer; Viomade s'arrête et regarde Draguta, dont les traits altérés et inquiets sont loin de le rassurer. Nous ne marchons, lui dit il, vers aucun séjour habitable; tu t'es égaré, Draguta, car me préservent les dieux de t'accuser! reprenons vers la gauche du bois, le chemin paroît plus solide; nous attendrons le jour sous quelqu'abri, et montés sur un arbre élevé, nous chercherons à découvrir la fumée des habitations. Sans écouter la réponse du Hun, Viomade, revenant sur ses pas et tirant vers la gauche, s'avançant avec rapidité, parvint, suivi de Draguta toujours en silence, jusqu'à une petite esplanade où plusieurs chênes verds leur offrent une constante et noire verdure. La lune, astre mystérieux et doux, commençoit alors sa silencieuse carrière, et jettoit sur les sombres bois cet éclat pur et argenté, si cher à l'ame sensible. Viomade, ému par sa beauté, par l'aspect de la voûte des cieux semée d'étoiles, et que parcourt l'astre lumineux, sent s'éteindre ses soupçons; il plaint les maux dont Draguta semble déchiré, et se livre aux plus douces pensées, tandis que le Hun, lassé de ses combats intérieurs, cède à la nature et dort sur la mousse verdâtre. Viomade le considère, prie les dieux d'appaiser les tempêtes de son ame; et tandis qu'il les invoque en faveur de celui qui au fond du cœur médite sa ruine, un loup furieux et affamé s'approche de Draguta et va le dévorer. Viomade saisit son arc et sa flèche, qu'il tenoit près de lui dans la crainte d'être surpris, lance le trait d'une main généreuse et sûre, perce le cœur du monstre, qui tombe et meurt en se débattant aux pieds de Draguta, que le bruit réveille. Le Hun voit le danger et le bienfait; il paroît ému, tend sa main au brave et jette un douloureux soupir; puis le pressant de se reposer, promet de ne plus s'endormir et de le défendre à son tour. Viomade, que le plaisir qui suit une bonne action a rendu au bonheur, accepte son offre, et se livre au sommeil paisible dont jouit la seule vertu. Draguta ne peut plus supporter son sort; il a promis la mort du brave, mais il lui doit la vie une seconde fois, et la voix de la reconnoissance parle à son barbare cœur. Viomade commence à le soupçonner. Doit-il se laisser pénétrer? lui avouer le complot odieux dans lequel il a trempé? Doit-il le ramener en France? tromper l'espoir d'Egidius, manquer à ses promesses et servir l'ennemi triomphant de sa patrie? Draguta hésite: la reconnoissance comme le bienfait, sont de tous les pays, de tous les climats. Le sauvage habitant des déserts, possède même peut-être mieux ces vertus naturelles que l'homme civilisé, et le Hun reconnoît leur empire: tremper ses mains dans le sang de son bienfaiteur n'est plus en sa puissance, son cœur s'y refuse, il a horreur de cette seule pensée. Tu dors, vertueux Viomade, ton ame est en paix, aucune crainte ne la trouble, aucun songe ne l'avertit: tu dors, et le lâche veille autour de toi; il va te trahir sans doute. Ah! prolonge long-tems ce doux sommeil. Il est troublé pourtant; Viomade s'éveille, mais sa belle ame conserve sa sérénité; il voit encore étendu ce loup terrible dont il délivra son guide; il jouit du bonheur de lui avoir sauvé la vie; il se reproche les soupçons dont, depuis quelques jours, il s'est senti agité. Draguta, sans doute, se disoit-il à lui-même, est encore à la chasse, et s'occupe de conserver mes jours, comme j'ai sauvé les siens. O soupçons injustes! sombres et légères vapeurs qui obscurcissez mon ame, fuyez à jamais! Et toi, jeune Draguta, pardonne à l'erreur qui m'a égaré, et puissent les dieux que j'implore pour toi, te payer de tes services et m'acquitter de tes bienfaits! Que la matinée est belle! ajoutoit Viomade; que les arbres verds, et seuls couronnés de leur noire verdure au milieu de ces bois dépouillés, produisent un effet doux et consolateur! De quels dons immenses le ciel n'enrichit-il pas les hommes; pourquoi n'en savent-ils pas mieux jouir? pourquoi, ingrats envers la nature, cruels envers eux-mêmes, cherchent-ils, dans de vains désirs, des regrets et des tourmens, quand ils pourroient être si facilement heureux? Le brave tomba bientôt dans une douce rêverie, s'y abandonna, oublia les heures, et s'aperçut avec inquiétude que celle du retour de Draguta étoit passée depuis long-tems. Il ne lui restoit aucune provision; la faim qu'il éprouvoit ajoutoit à sa crainte. Sans doute, se disoit-il, la chasse l'a entraîné, égaré peut-être: peut-être attaqué de nouveau par quelque monstre, a-t-il succombé? peut-être même a-t-il besoin de mon secours? A ces mots, cédant à l'humanité qui lui parle, et ne lui parle jamais en vain, Viomade se lève et cherche son arc et ses flèches. Mais, ô trahison! ô barbarie! ses armes, sa seule défense, sa seule ressource pour se nourrir; ses armes, dont il vient de se servir pour lui sauver la vie, dont il alloit se servir encore pour le défendre, le cruel les a enlevées! Que reste-t-il au brave dans ce désert, sans armes et sans alimens? que lui reste-t-il? son courage, sa grande ame, ses vertus et sa confiance en la divinité. Avec de tels secours, l'homme s'élève au-dessus de l'infortune; il peut mourir, mais non se laisser accabler; tel est Viomade; il se rasseoit pourtant et délibère avec lui-même; il ne doute plus que Draguta, rendu à la barbarie de sa patrie, à la haine, ne l'ait abandonné à dessein, et loin de tout secours. Mais l'a-t-il aussi trompé sur le sort de Childéric? médidoit-il à Tournay cette action coupable? est-elle le fruit d'un complot raisonné ou d'un mouvement criminel? Voilà ce qu'il ignore, ce qu'il ne peut pas même éclaircir, ce qui trouble son esprit, détruit son espoir, ou du moins le rend incertain. Où va-t-il porter ses pas? Le voilà sans guide dans la solitude, sans interprète parmi les hommes étrangers à sa patrie, et vers lesquels il s'avance, en qui seulement il espère encore! Où trouvera-t-il des ressources contre la faim? il ne découvre aucune racine, il n'entend le bruit d'aucune cascade; le murmure d'aucun ruisseau ne l'invite à venir s'y désaltérer. Malgré la faim qui le presse et l'affoiblit, il quitte promptement son azile, et se livrant au hasard, ou plutôt à la volonté des dieux, il marche à travers les bois, suivant toujours le cours du Danube et remontant vers sa source. Sa faim augmentoit, il craignoit de ne pouvoir vaincre ses souffrances; mais les dieux ne l'ont point abandonné: un arbrisseau couvert de fruits sauvages, et mûris sous les neiges, s'offre à ses yeux. O Mérovée! s'écrie-t-il, en étendant les bras vers l'arbre nourricier; mais il ne connoît point ces fruits; sont-ils amis de l'homme? Est-ce la vie ou la mort qu'il va recevoir? Il hésite; le besoin l'emporte, ses lèvres sont rafraîchies des sucs doux et balsamiques qui sortent en abondance de ces fruits; ils le désaltèrent, le fortifient, et ce secours inattendu semble le présage de plus grands bienfaits. Abandonnera-t-il le buisson couvert encore de cette précieuse richesse? doit-il s'y arrêter et s'épuiser dans une inaction coupable? Non sans doute: Viomade saura et profiter des dons du ciel, et suivre la route qu'il semble lui-même lui indiquer par ses bienfaits. Riche de ce butin inespéré, il marche légèrement et plein de joie: mais tout-à-coup le ciel s'obscurcit; de sombres nuages descendus précipitamment des hautes montagnes du nord, assombrissent les airs; les vents impétueux agitent la cime altière des chênes; une horrible tempête se prépare; en peu de momens l'univers paroît ébranlé: la pluie tombe abondante et glacée, elle forme des ruisseaux qui sillonnent par-tout la forêt, et les cascades éloignées se répandent de tous côtés; la pluie irrite et soulève un torrent déjà furieux, et dont les flots vagabonds et rapides entraînent avec fracas les roches et les arbres qu'ils déracinent. Tout cède à la nature en courroux. Viomade sans abri, les vêtemens percés par la pluie qui tombe avec violence, repoussé par le vent qui souffle avec fureur, sent son ame prête à quitter son enveloppe fragile. O Mérovée! disoit-il, si je succombe, j'aurai combattu; je te dévoue ma vie, mais je la défendrai comme un bien qui t'appartient. Alors, écartant de lui ce désespoir insensé qui n'enfante que le découragement ou l'imprudente témérité, il s'arme d'une forte branche qu'il arrache, s'en sert comme d'un appui, et marche encore à travers les racines des bois et les rameaux enlacés qui embarrassent ses pas et les arrêtent. Le bois semble s'épaissir, le jour baisse de plus en plus, le froid augmente et glace l'eau dont ses vêtemens sont trempés; la ronce rampante s'attache à ses pieds et les déchire; il chancelle et tombe; sa tête frappe sur un tronc d'arbre que l'obscurité ne lui a pas laissé distinguer; il jette un cri douloureux, l'écho le redit aux cavernes, qui le répètent à leur tour, et Viomade s'effraie de sa propre plainte; mais le sang qui coule de sa blessure et la douleur l'ont affoibli; il reste sans mouvement sur la terre. Son évanouissement fut si long, que l'orage étoit déjà passé depuis long-tems, la nuit même étoit entièrement écoulée et le jour dans tout son éclat, quand il r'ouvrit les yeux, reprit ses esprits, le sentiment et la vie. Ce fut lentement et par degrés que Viomade se retraça sa position et ses malheurs. Sa mémoire, quelque tems incertaine, ne lui rappela que peu-à-peu et successivement les faits; mais le sang qui a découlé de son front et baigné la terre, la douleur qu'il éprouve, les épines qui déchirent ses pieds, le désordre qui suit la tempête et dont il voit autour de lui les tristes effets, tout lui peint son isolement et sa détresse. Viomade n'étoit jamais plus grand qu'au comble de l'infortune; jamais il ne croyoit se devoir à lui-même plus de force et de prudence, que lorsqu'il restoit seul: alors, rempli d'audace, il se disputoit au malheur, et plus il en étoit accablé, plus il s'armoit contre lui. Déterminé, il se relève, contemple ces lieux, il s'approche d'un ruisseau qu'a formé la pluie, lave la blessure de son front, cueille des herbes dont il connoît l'usage, en exprime les sucs sur sa plaie, arrache de ses pieds les nombreuses épines qui les blessent, les plonge dans le ruisseau, allume un grand feu, se dépouille entièrement de ses habits, les sèche à la flamme brillante, se réchauffe lui-même, et revêtu de ses vêtemens secs, il recourt à ses fruits, son heureuse fortune, remercie les dieux, et souriant au sort qui lui ménage encore tant de biens, il se rassure et espère.

Reposé de ses fatigues, revenu de ses premières douleurs, Viomade marche encore, et du haut des airs la nuit s'approche, les cieux lui montrent la lune dans toute sa pompe, aucun nuage n'obscurcit de son voile transparent le bel astre qui sort des monts et s'élance majestueusement. Viomade, qu'un nouveau jour éclaire, s'aperçoit avec ravissement que les arbres sont moins rapprochés, que sa marche devient plus facile; il redouble d'ardeur jusqu'au moment, où disparoissant à ses yeux, le flambeau qui l'éclaire cède aux ténèbres des airs. Alors Viomade va s'arrêter, mais il a senti sous ses pieds un chemin battu; s'est-il flatté d'un vain espoir? Il essaie encore quelques pas; est-ce erreur, désir, pressentiment, vérité? Il craint, s'il marche encore, de quitter la trace en laquelle il met dans ce moment tout son bonheur; il attendra que le jour confirme ou détruise une aussi chère espérance. L'aurore paroît à peine à travers l'obscure nuit, elle jette à peine sur la terre ses premiers rayons pâles et incertains, Viomade interroge déjà le sentier qu'il croit avoir découvert. Il répond à ses vœux, et le jour en s'élevant met le comble aux bienfaits de l'aurore: on distingue parfaitement sur le sentier, les pas de l'homme, il conduit sans doute à un séjour habité, et déjà Viomade n'est plus seul: comment peindre sa joie, surtout sa reconnoissance! Il suit avec une douce ivresse les pas dont l'empreinte lui est si chère, il aperçoit sous quelques arbres rapprochés un banc de mousse, elle est foulée à deux places peu distinctes l'une de l'autre, et atteste que deux êtres s'y sont souvent reposés ensemble; à ces traces d'amitié son cœur s'émeut et palpite: Oh! s'écrie-t-il, ici deux amis échangeant leurs plaisirs ou leurs peines, se sont reposés dans une heureuse confiance. Oh! que puis-je craindre dans des lieux consacrés à l'amitié? Arbres, et vous vertes hamadryades, qui présidâtes à leur naissance, et vous jouez dans leurs rameaux; gazons, que l'homme sensible a foulés, non, ce n'est point un étranger qui pénètre dans vos retraites; son cœur est de tous les climats où l'on aime, où l'on est généreux; mais qu'aperçois-je à travers les branches et près de ce ruisseau? une tombe élevée comme le sont celles de ma patrie! approchons. O ciel! une inscription la décore, et elle est écrite dans la même langue que je parle, je lis ces mots:

PLEUREZ LA JEUNE TALAÏS

Quels événemens semblent m'attendre dans ces lieux, où je découvre déjà tant d'objets d'espoir et de mélancolie? mais je ne veux pas quitter cet asile de la mort, sans l'orner de quelques fleurs telles que me les offrent la saison et ces lieux. Bientôt il découvrit la hâtive primevère, la feuille piquante du houx toujours verd, les grappes du buisson ardent que rougissent les gelées; et formant une guirlande bigarrée, il dépose ce don de la sensibilité sur la froide et dernière demeure de Talaïs. Après avoir satisfait à ce devoir de la douce piété, après avoir adressé à Teutatès la prière funèbre, il suivit de nouveau le sentier qui l'avoit conduit vers la tombe, et qui parut se diviser en deux petites routes bordées de gazon; l'une descendoit dans une vallée sombre et boisée; l'autre conduisoit, en serpentant, sur une petite monticule couronnée d'arbres verds. Viomade, incertain d'abord entre les deux routes, préféra bientôt celle qui conduisoit sur la petite colline si bien cultivée, et d'où il espéroit découvrir quelque habitation; le chemin étoit bordé d'arbrisseaux enlacés, il étoit tortueux et agréable; parvenu sur la cime de cette élévation, Viomade y vit un siége, des fleurs sauvages, enfin tout lui assura qu'une main soigneuse la cultivoit chaque jour; son oreille fut bientôt frappée par les sons d'un instrument qui lui étoit inconnu, et qu'il apprit par la suite être un instrument chinois; il écouta, et fut encore plus surpris, quand il entendit une voix, qui encore forte, quoique déjà cassée par l'âge, chantoit en langue latine, commune à toutes les Gaules comme à l'Italie, ces paroles guerrières:

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
25 июня 2017
Объем:
150 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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