Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Au bord de la Bièvre», страница 4

Шрифт:

Pauvre bison! comme il a l'air d'être empoigné par la nostalgie! Comme il rumine bien en exilé! Il y a dans tout son air un regret profond des prairies natales et des bois familiers, un souvenir des Delawares et du vieux Trappeur. On dirait presque, par instants, à voir certains regards noyés et le mouvement attristé de ses mâchoires, qu'il murmure une sorte de super flumina Babylonis– le psaume le plus attendrissant du monde.

Pauvre vache écossaise! celle-là aussi s'ennuie – malgré les joies de la maternité qui lui ont été procurées et qui se sont traduites par un charmant petit veau de la même couleur, mal jambé, tout gauche d'allures, tout trébuchant, tout dégingandé, tout étonné. Ils ont l'air tous les deux de rêver aux brumes de la Tweed, aux cornemuses des highlanders, aux noëls des chevriers… Il me prend parfois des envies d'aller louer un volume de Walter Scott ou les poésies de Robert Burns – et de venir leur en lire quelques pages, échos de la patrie…

Et le bassin des gallinacés, des palmipèdes et des longirostres! Avez-vous vu quelquefois là un cormoran, qui, – perché sur une patte, – considère d'un air si mélancolique l'eau du bassin, veuve de poisson? Voilà dix ans que je le surprends, – à quelque heure que je vienne, – dans cette position de pêcheur! Voilà dix ans qu'il attend une anguille!

Ce cormoran est un de mes amis. Quand je passe de son côté et qu'il m'aperçoit, il quitte le bord du bassin, vient fourrer son long bec à travers les claires-voies du treillage, et se plante en face de moi, sur sa longue patte, – l'autre est soigneusement dissimulée sous son aile, – et il attend. Il attend même très-longtemps.

Pauvre cormoran!

VI

Le Jardin-des-Plantes a d'autres charmes encore à mes yeux. Il n'est point riche seulement en hôtes à deux ou quatre pattes, – en échantillons du règne animal; il est riche surtout en produits végétaux. Je crois qu'il a tous les arbres et toutes les plantes du globe, – hormis le baobab et l'upas, – comme il a tous les animaux des deux mondes, – excepté peut-être le rotifer de Charles Nodier.

C'est une immense bibliothèque d'histoire naturelle que ce jardin. On y peut lire, – pour peu qu'on ait de bons yeux, – tous les livres des Buffon, des Tournefort, des Daubenton, des Linné, des de Jussieu, – et surtout le livre du bon Dieu, le mieux écrit de tous, le plus clair et le plus savant, le plus vrai et le plus poétique.

Aussi le Jardin-des-Plantes a-t-il des coins toujours verts, et il ne présente pas, – dans la mauvaise saison, – ces squelettes d'arbres qu'on voit errer ailleurs durant l'hiver.

Aussi est-il toujours un admirable jardin, plein d'ombre et de soleil, de solitude et de gaieté, – propre aux jeux bruyants de l'enfance, comme aux rêveries silencieuses de la jeunesse et aux méditations sévères de l'âge mûr. On s'y recueille, on y joue, on y aime, on y rêve. La bonne d'enfant, – ornée de son inséparable pays en pantalon garance, – y coudoie l'étudiant, – le provincial y heurte le poëte, la foule y côtoie le désert.

Je ne le traverse jamais en vain. Je ne m'y arrête jamais impunément. Il me tombe, – du haut de ces arbres séculaires, – je ne sais quelle sensation étrange de bien-être; il s'exhale vers moi, de ces parterres en fleurs, – je ne sais quels parfums et quels sentiments qui m'enivrent et me transforment.

Il y a des bains de soleil et de verdure qui sont des bains de Jouvence.

Je les recommande aux malades de cœur et d'esprit, à ceux que la lourde besogne de la vie a fatigués outre mesure, à ceux qu'une trop longue attente de biens trop désirés, ou de bonheurs trop convoités, a rendus amers, injustes et méchants, – à tous les fous, à tous les orgueilleux, à tous les amoureux, à tous les malheureux.

La nature est le guérisseur souverain. Elle a une panacée infaillible!..

Ce qui fait qu'on ne croit pas en elle, c'est qu'on ne croit pas assez en soi. Il ne faut douter de rien ni de personne en ce monde. Pour être aimé, plaint et regretté, il faut être doux, bon et hospitalier aux autres et à soi-même.

Il y a des sources d'honnêteté, de bonté et de bienveillance. Il faut aller s'y désaltérer.

Elles ne sont pas loin, d'ailleurs. Elles sont partout, ou presque partout.

Tant qu'il y aura, voyez-vous, une goutte d'eau sur une feuille d'arbre, – un scarabée d'or dans le calice d'une fleur, – une ravenelle sur la crête d'un vieux mur, – de rouges coquelicots dans les épis jaunissants, – un oiseau chantant sous les ramures, – des poissons d'argent sautant dans les ruisseaux, – de fauves troupeaux pâturant dans de vertes prairies, – des canards dans une mare, – le bruit du vent dans les roseaux, les bandes jaunes du soleil couchant et les bandes roses du soleil levant, et, – au milieu de ce paysage, – des groupes d'êtres humains pleins de sève, de jeunesse, de santé, des ombres confondues, une musique de soupirs et de baisers, des hymnes de félicité, de concorde et d'amour; – tant qu'il y aura de ces choses au monde, il y aura de la poésie, c'est-à-dire du bonheur; et aveugles et sourds seront ceux qui ne verront rien de ces splendeurs et qui n'entendront rien de ces harmonies, – ou qui auront l'outrecuidante naïveté d'apporter le livre de leurs poëtes aimés en face de ce poëme vivant, superbe, resplendissant, incommensurable, éternel, qui s'appelle la vie – et qui a pour poëte un illustre anonyme de génie! Des livres en face de Dieu, allons donc!..

Pour ma part, – la main sur ma conscience qui me dicte ces pages, – la main sur mon cœur qui y applaudit, – je l'avoue ici: je préfère les tableaux de Miéris aux toiles de Salvator Rosa, – les chefs-d'œuvre du Poussin aux chefs-d'œuvre de Paul Véronèse, – les paysages de Troyon, de Rousseau ou de Daubigny aux choses peintes d'Horace Vernet! Mais une chose que je préfère à toutes ces choses, – un chef-d'œuvre que je mets au-dessus de tous ces chefs-d'œuvre, – un paysage que j'aime mieux que tous ces paysages, – c'est le chef-d'œuvre éternellement jeune et éternellement beau de la vie, c'est le paysage immortel signé d'un nom que les enfants balbutient dans leurs prières du soir, et que les vieilles femmes marmottent dans leurs oraisons de toute la journée. La plus belle page de Georges Sand et les plus beaux vers de Victor Hugo, – deux grands poëtes pourtant, – ne valent pas pour moi un coin de gazon où s'agitent des milliers d'êtres, – un coin de forêt où croissent des milliers de plantes. J'ai passé bien des nuits dans les bois, – sanglotant et songeur, – une main posée sur ma poitrine bondissante, l'autre main crispée sur mon front en sueur, mordant la terre de mes lèvres convulsives où courait sans cesse un nom trop cher, et toujours, – en présence des bruissements sonores et des harmonies sans fin dont j'étais entouré, sous l'influence des aromes sans nom dont j'étais inondé, – je me suis senti réconforté! Et toujours je suis sorti meilleur et moins débile de ces combats douloureux où j'assistais à l'agonie de mes profanes amours! Et toujours le nom, – maudit la veille, – qui courait frénétiquement sur mes lèvres embrasées, sortait, purifié par le pardon, de mon cœur désormais plus libre. Ah! croyez-moi, cette influence salutaire, vous ne la rencontrerez nulle part ailleurs! Ce baume guérisseur des blessures du cœur, vous ne le cueillerez pas dans vos livres – où ne croissent que la scabieuse, la ciguë et les pavots!..

La poésie ne se chante pas, l'amour ne se chante pas, le vin ne se chante pas. On aime la femme, on boit le vin, on respire la poésie par tous les pores du cœur, de l'esprit et du corps. Pourquoi chanter les belles et bonnes choses? Qu'a-t-on besoin – pour être heureux – que votre bonheur vous soit servi dans un langage, harmonieux sans doute parfois, mais, dans tous les cas, insuffisant et incomplet? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux chercher à déchiffrer le grand alphabet de la vie humaine, étudier la langue universelle, – c'est-à-dire la nature, – dans toutes ses manifestations, dans tous ses modes, dans tous ses tons, dans toutes ses gammes? Quels trésors de poésie il y a en elle, mes amis! Votre vie toute entière ne suffirait pas à la recherche de ces richesses que vous dédaignez un peu trop. Prenez-en donc ce que vous pouvez en prendre, sans fatigue et sans ennui; faites votre moisson périodique de poésie, pour faire votre récolte de bonheurs!

VII

Je me fais – par distraction – le fossoyeur de mes années. Seulement, ce n'est pas dans une tombe de quelques pieds que je les ensevelis, mais dans un gouffre sans fond, – d'où elles ne pourront plus remonter.

Quelquefois, – en me penchant sur l'abîme pour essayer de les ressaisir, – mon œil aperçoit quelque pan de souvenir qui flotte çà et là dans le vide, retenu aux aspérités des parois de cet abîme.

C'est qu'en tombant, l'année à laquelle appartient ce lambeau s'est heurtée trop violemment, et qu'elle a laissé de sa chair aux saillies aiguës de son tombeau. En me rappelant bien, – en effet, – je me souviens que, lors de son ensevelissement pour l'éternité, un gémissement s'est fait entendre…

O ma jeunesse! ô mon cœur!..

Puis je vois aussi quelquefois pousser, – entre les joints des pierres sépulcrales, – audacieusement penchées sur l'abîme, de pauvres petites fleurs mélancoliques. Ce sont les rayons de soleil de mes nuits; ces pariétaires sont les éclats de rire et les larmes de joie de mes années englouties. Elles constatent que j'ai été heureux, – quelquefois…

Je les ai évoquées et les voilà toutes qui s'envolent devant mes yeux un peu troublés par leur apparition et par leur nombre, comme ces oiseaux d'hiver qui traversent le ciel en longues files, «chantant leur lai» ainsi que le dit Dante —E como i gru van cantando lor lai

En voilà une qui vient de se détacher du groupe et s'abattre – comme fatiguée – devant moi.

Elle est bien lourde, bien chargée d'événements pour moi, en effet…

Vous m'interrogiez, l'autre jour, – toi penché sur moi, ta maîtresse penchée sur toi. Vous vouliez savoir de ma bouche quelles routes j'avais prises pour arriver au bonheur – où je ne suis pas encore arrivé…

 
O mes charmants amis, doux amoureux candides,
Qui venez, curieux, interroger mes rides,
Et savoir de mon cœur – où tout est cendre et mort,
L'avenir étoilé que vous garde le sort!..
Comme vous maniez finement l'ironie!..
Ces questions, à moi, dont la vie est finie!
Qui ne sais plus quelle heure il est dans mon passé!
A moi qui traîne à peine, ici, mon pied lassé,
A moi qui ne vis plus, vous deux qui voulez vivre,
Vous dites d'épeler les pages du grand livre,
Pour savoir de ma lèvre et vous en attrister,
Sur combien d'heureux jours vous pouvez bien compter!
Quelles félicités et quel bonheur suprême
Pouvez-vous demander après ce bien-là: J'aime!
Quand on a vos vingt ans, vos charmes, votre ardeur,
On sait prendre tout seul la route du bonheur!..
 

Et vous la prendrez – et vous l'avez prise…

D'ailleurs, mauvais guide pour moi-même, comment voulez-vous que j'en sois un sûr pour vous?

Écoutez-moi, et comprenez-moi.

Il y a, au haut de la rue Mouffetard, quand on a dépassé les Gobelins, une éminence de laquelle on plane sur Paris. C'est – du moins c'était autrefois – la Butte-aux-Cailles. C'est là que le 3 juillet 1815, – le matin même de la dernière capitulation de Paris, – étaient placés deux obusiers et seize pièces de canon. C'est de là que l'on pouvait entendre tout à la fois le bruit de l'artillerie des alliés s'emparant des hauteurs de Vanves et de Montrouge, – et celui des violons venant des guinguettes du boulevard de l'Hôpital, de la Belle-Moissonneuse, du Grand-Vainqueur et autres Deux-Edmond!!! O patriotisme! sainte vertu des temps antiques! épouvantail des temps modernes!..

A partir de cette Butte-aux-Cailles jusqu'à la barrière Saint-Jacques, il y avait, – et il y a encore un peu, – une large vallée au milieu de laquelle coulait la Bièvre, qui sort de Paris par la barrière Croullebarbe, – entre la barrière Fontainebleau et la barrière Saint-Jacques, – à l'endroit où se trouvaient au treizième siècle le moulin et les vignes de Croullebarbe.

O faubourg Marceau, – noble et vaillant faubourg! Tu n'as pas toujours été habité par des chiffonniers et des blanchisseuses, par des tanneurs et des cotonnières! Tu as vu sortir de ton sol fertile et chaud des vignes plantureuses aimées de Jules César et ne connaissant pas l'oïdium… Tu as donné tes sueurs à l'agriculture avant de les donner à l'industrie! Autres temps, autres vignes! C'est de la bière qu'on fait maintenant sur les bords de la Bièvre… et de la bière de Strasbourg, encore!..

Dans cet espace compris entre la Butte-aux-Cailles et le rond-point de la barrière Saint-Jacques, il y avait donc – à l'époque dont je veux parler, – une petite vallée au milieu de laquelle coulait la Bièvre, entre une bordure de saules. C'était le Champ-de-l'Alouette. On l'appelait aussi le Clos-Payen, si ma mémoire me sert bien.

Il y avait une grande nappe verte où venaient pacager les ruminants du voisinage, et d'immenses étendages où séchaient au soleil des cargaisons de linge.

Çà et là, – sur les collines qui remontent vers le quartier Saint-Jacques, – se groupaient des maisonnettes blanches aux contrevents verts qui avaient l'air de prendre à chaque instant leur élan pour venir combler la vallée. Il y avait des jardins derrière et devant ces maisons, de façon à les faire ressembler à des bastides des environs de Marseille, ou à des cottages des environs de Londres.

Il y a dix ans, parmi ces maisonnettes, on en remarquait une plus avenante, plus coquette, plus pittoresque encore que les autres.

Elle avait appartenu à un industriel très-connu qui avait épousé en 1840 une jeune femme heureusement moins connue que lui, et comme il s'était empressé de mourir – voyant qu'il ne faisait plus bon vivre pour lui ici-bas, – sa propriété du champ de l'Alouette avait passé entre les mains de sa veuve. Le reste de sa fortune avait été abandonné à des parents.

Mme R… n'était pas d'humeur à imiter Calypso après le départ d'Ulysse. Quelque temps après le départ de son mari, elle rouvrit les fenêtres de sa maison, se débarrassa de son attirail de veuve et songea à se remarier.

Cela lui était autant permis qu'à une autre, mieux qu'à une autre, puisqu'elle n'avait que vingt-huit ans, qu'elle avait la peau très-blanche, les joues très-fraîches, les cheveux très-blonds.

Ma mère résolut de me marier avec elle.

Que lui avais-je fait pour qu'elle conçût ce projet? Je n'en sais rien.

En tout cas, elle le conçut et elle résolut de le voir réussir.

Aussi, un matin d'avril, nous frappions à la porte de la blonde Mme R.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
70 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают