Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Rose d'amour», страница 7

Шрифт:

« Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? dit-elle.

– Votre tante ne me connaît pas.

– Elle vous connaît parfaitement. Croyez-vous que je n’aie point parlé de vous le premier jour, et du service que vous m’avez rendu ? Suis-je si ingrate ? Ma tante sera ravie de vous voir. Elle sait la surprise que vous lui ménagez, et serait offensée si vous refusiez de venir chez elle.

– Par le Dieu vivant ! pensa le peintre, je suis en veine aujourd’hui. Une journée tout entière avec elle ! Aurais-je osé l’espérer ? »

Là-dessus, sans faire la moindre objection, il suivit la jeune fille et entra chez la fruitière.

C’était une grosse femme gaie, rouge de teint, active, bavarde, prompte à faire connaissance, et regardant comme ses amis tous ceux qu’elle connaissait. Elle était riche, et quarante mille francs placés en rentes sur l’État, joints aux profits de son petit commerce, ajoutaient à son bonheur. Elle avait une tendresse aveugle pour sa nièce, qu’elle regardait comme le miroir de la sagesse et comme un puits d’érudition.

À peine eut-elle vu le peintre, qu’elle lui donna la main, le fit asseoir, le fit manger, le fit parler, et lui vanta sa nièce, de sorte qu’au bout de trois quarts d’heure, Claude croyait avoir vécu toute sa vie dans la maison et prenait goût à la fruiterie.

Le dimanche suivant était le jour de la fête de la bonne femme, et il fut convenu que Claude se hâterait de terminer le fameux portrait, et que la fruitière donnerait ce jour-là un grand dîner, suivi d’un bal de voisins.

Claude partit. À peine était-il sur le seuil que Juliette le rappela. Il accourut, léger comme un chevreuil.

« À propos, dit-elle, puisque ma tante donne un grand dîner dimanche, ne voulez-vous pas amener quelqu’un de vos amis ?

– Je n’ai guère d’amis, dit Claude.

– Et ce monsieur qui vous a servi de témoin, et qui m’appelait la divine Pasithéa, comment le nommez-vous ?

– Buridan.

– Il est bien mal élevé, mais il nous fera rire. N’est-ce pas, tante, tu veux bien que M. Claude l’invite ?

– Si je le veux ! dit la fruitière. Tu n’as qu’à parler, ma petite, et tout ce que tu demanderas te sera servi sur-le-champ.

– Je l’amènerai, dit Claude. Et vous, Juliette, ne m’accorderez-vous rien en échange ?

– Que voulez-vous que je vous donne ?

– Cette rose que vous tenez.

– La voici. »

Claude rentra chez lui, plein d’amour et d’illusions. Il aimait, et parait son idole de toutes les vertus. Juliette s’endormit eu rêvant que Buridan l’embrassait.

III

Grandes réjouissances. L’oie aux marrons et la famille Ventéjols. Ressemblance de M. Paturot et de Napoléon. Geneviève de Brabant et la phrénologie. Pensées diverses. Conclusion.

Le lendemain, Buridan vint dans l’atelier de son ami.

« Eh bien ! dit-il, comment va ton coup de sabre, chevalier de la Triste-Figure ?

– Parfaitement. J’en serai quitte pour une cicatrice.

– Qu’est devenue la petite Pasithéa ?

– Une estimable lingère de la rue Vivienne.

– Son portrait est-il terminé ?

– Pas encore. Elle doit venir ce soir, après son travail, pour me donner une séance.

– Heureux coquin ! ce n’est pas à un bel homme comme moi qu’une pareille chance arrivera jamais. Ainsi, tu n’as pas besoin de courir les rues à la recherche de l’amour. Tu as du pain sur la planche.

– Que veux-tu dire ?

– Parbleu ! il est bien clair que les petites filles ne viennent pas à dix heures du soir dans ton atelier pour entendre les histoires de la Morale en action.

– Mon cher Buridan, tu es beau, tu es bien fait, tu as de l’esprit, tu as de l’argent, mais tu n’as pas le sens commun. Apprends que je suis trop heureux d’avoir trouvé cette petite fleur des champs, cette rose sauvage, poussée entre deux pavés de Paris, pour la souiller même d’un désir. Premièrement, s’il me plaisait de lui dire que je l’aime, je doute que la confidence fût bien reçue ; secondement, je ne le ferai pas par égard pour moi-même. L’idéal est trop rare et trop beau pour que je me hâte de le transformer en une vulgaire et prosaïque réalité.

– Salut, dit Buridan, à l’amant de l’idéal, à l’esclave des belles, au vertueux Amadis. Claude, tu n’es pas de ce temps. Songe donc, mon cher ami, que nous sommes en plein Paris, en plein dix-neuvième siècle, en pleine civilisation. Songe que nous avons un roi, une charte, deux Chambres, des électeurs, des usines, des chemins de fer et des bureaux de tabac. Songe qu’il faut vivre comme tout le monde, et sors de ton rêve sublime et ridicule. Cette petite est jolie, elle paraît bonne enfant. Tu n’as pas le temps de prendre femme et d’interrompre tes travaux pour donner la becquée à toute une marmaille. L’Institut et la postérité te réclament. Cependant, il ne faut pas vivre seul ; cela est immoral. Va donc, et puisque le hasard t’offre une proie facile et qui n’est pas à dédaigner, par amour pour toi-même, pour ta patrie et pour la gloire, fais-en ta Fornarina. Tu hausses les épaules, tu fais le vertueux ! Honnête et splendide idiot ! Si tu ne la prends pas, quelqu’autre la prendra. Un de ces soirs, un cocher robuste et largement abreuvé de vin d’Argenteuil lui offrira son cœur et sera accepté, et tu resteras sur la rive, dans la pose ridicule d’Hercule à qui Nessus enlève Déjanire.

– Tu me fais regretter, dit Claude, la commission dont elle m’a chargée.

– Quelle commission ?

– Tu es prié d’assister à la dissection d’une oie aux marrons, dimanche prochain, chez sa tante, la fruitière de Passy. On dansera.

– Quoi ! vraiment, la bonne femme m’invite.

– Et moi aussi, par-dessus le marché.

– Décidément, cette petite a du discernement. Eh bien ! va pour l’oie aux marrons ; cela m’amusera. »

Le dimanche suivant, grâce au zèle de Juliette, qui venait poser tous les soirs dans l’atelier de Claude, le portrait était terminé. Le peintre, accompagné de Buridan, l’apporta à la fruitière en grande cérémonie.

Celle-ci, pour n’être pas dérangée dans un si grand jour, avait dès le matin fermé sa boutique. Elle attendait ses invités dans sa chambre à coucher, dont elle avait fait à cette occasion une salle à manger. Un bonnet blanc à larges plis ornait sa bonne et rougeaude figure. Autour d’elle, et dans une attitude recueillie, les yeux fixés sur l’oie aux marrons qui rôtissait devant le feu, se tenaient huit personnes pleines de calme et de dignité. C’était, par ordre d’importance, le boulanger, M. Paturot, avec sa femme et sa fille, Mlle Cécile Paturot, et le marchand de vin, M. Ventéjols, avec sa femme, ses deux fils, âgés, l’un de huit ans, l’autre de dix ans, et sa fille, Mlle Caroline Ventéjols, âgée de quatorze ans.

Quand les deux amis entrèrent, il y eut un grand mouvement dans l’honorable société qui regardait rôtir l’oie. Ce fut quelque chose de semblable à ce que les sténographes de la défunte Assemblée nationale exprimaient par le mot : sensation. La bonne fruitière ayant prévenu ses amis qu’elle devait recevoir deux messieurs qui dînaient chez les ministres et qui portaient des gants les jours de fête, on s’attendait à des merveilles.

L’attente générale fut un peu déçue. Claude entra, donna la main à la fruitière et à Juliette, leur montra le portrait qui était fort ressemblant, salua tout le monde et s’assit. Il fut trouvé fier, et, si l’on n’avait été plus pressé de dîner que de médire, il n’aurait pas été épargné.

Buridan, qui ne doutait de rien, fit une entrée magnifique. Il se jeta dans les bras de la fruitière et de Juliette, ce qui séduisit du premier coup les deux dames et ne plut guère à Claude. Puis il serra cordialement la main de tous les assistants, et tira par mégarde les oreilles d’Athanase Ventéjols, l’aîné des fils du marchand de vin.

Cela fait, on se mit à table. Je passe sous silence le cliquetis des fourchettes et le bruit des verres.

« Vous avez une bonne figure, dit tout à coup Buridan au marchand de vin en tournant la salade ; car, excepté celui de son métier, il avait toutes sortes de talents. À table, vous avez l’air de Napoléon. L’auriez-vous connu, par hasard ?

– Moi, monsieur, point du tout, dit Ventéjols ; mais ma mère a connu un hussard de la vieille garde, qui le voyait fréquemment.

– C’est une chose surprenante que ces rencontres, continua Buridan ; il avait une redingote grise.

– Mais la mienne est noire.

– Qu’importe ? C’est toujours une redingote. Il avait des bottes à l’écuyère.

– Je n’ai que des souliers, dit Ventéjols.

– Eh bien, quelle différence y voyez-vous ? Qu’est-ce qu’un soulier ! c’est une botte à qui l’on a coupé la tête.

– C’est pourtant vrai, dit le marchand de vin.

– Je parie, dit Buridan, que votre femme s’appelle Joséphine.

– Et vous gagnerez votre pari, monsieur, elle s’appelle Joséphine-Eudoxie-Césarine. Hein ! Césarine, quel honneur pour toi de t’appeler Joséphine, comme la femme de l’empereur des Français, roi d’Italie.

– Il y a pourtant une différence, ajouta le peintre.

– Laquelle ? demanda le marchand de vin inquiet.

– Il avait un chapeau à cornes. »

Cette conclusion admirable enleva l’assemblée. Buridan devint le roi du festin. Il chanta, il fit des calembours, il imita le glou-glou des bouteilles, le chant du coq, celui du canard la veille des jours de pluie, celui de la poule amoureuse. Tous les yeux étaient fixés sur lui, et, excepté Claude, tout le monde l’admirait.

« Je ne m’étonne pas, dit M. Paturot à sa femme, que ce gaillard dîne souvent chez les ministres. Si j’étais M. Guizot, il ne dînerait que chez moi.

– Papa, dit Cécile Paturot, prie M. Buridan de nous chanter quelque chose. »

D’un geste, Buridan commanda le silence.

« Surtout, lui dit Claude, fais attention que tu chantes devant des dames.

– C’est bien, austère Caton », répliqua Buridan.

La recommandation de Claude fut fort mal reçue. On l’attribua à la jalousie, et les dames regardèrent le peintre de travers.

« Maman, dit Caroline Ventéjols, qu’est-ce que c’est qu’un austère Caton ?

– Tu le vois bien, répondit aigrement la mère, c’est un homme très laid qui est jaloux, qui ne s’amuse pas et qui ne veut pas qu’on s’amuse. »

Un regard sévère du père rétablit le calme dans la famille Ventéjols. Claude entendit ce dialogue et sourit. Malheureusement, il regarda Juliette qui était sa voisine à table, et qui l’écoutait avec distraction. Il remarqua qu’elle n’avait d’attention que pour les discours de Buridan, et il se sentit le cœur serré d’une tristesse mortelle. Il se résignait à n’être pas aimé ; mais la voir aimer un autre que lui, c’était une douleur trop forte pour Claude. Hélas ! pensait-il, j’aurai le nom et le sort du pauvre Quasimodo. Pendant ces réflexions, Buridan chantait :

Entendez tous, honorable assistance,

La vertu reconnue et patience

De Geneviève de Brabant.

    Étant comtesse

    De grand’noblesse,

    Née en Brabant

    Était assurément.

Après cette célèbre complainte, qui est l’Iliade du Messager boiteux et de l’Almanach de Liège, Buridan, content d’avoir égorgé le traître Golo, céda la parole à M. Paturot. Chacun chanta à son tour, et Claude lui-même, avec plus de chaleur et de verve que personne. Le dîner finit gaiement par une séance de phrénologie, où Buridan fit admirer la variété de ses connaissances. M. Paturot, jaloux de voir son compère Ventéjols comparé à Napoléon, se soumit le premier à l’examen du savant.

« Monsieur, dit le peintre en palpant le boulanger avec gravité, votre tête présente les plus singuliers phénomènes que la science ait eu depuis longtemps occasion d’observer. Le front est d’un boulanger ordinaire, mais l’occiput annonce une intelligence sans bornes, et le sinciput, une fermeté rare. Ce que vous avez décidé, vous le voulez fermement, n’est-ce pas ?

– Oh ! monsieur, dit Paturot se redressant avec orgueil, je suis comme un marbre. Si ma femme me résistait, je lui casserais les reins ! Si ma fille me désobéissait, je la jetterais par la fenêtre. C’est mon caractère. »

Tout le monde se mit à rire, et Mme Paturot voulut réclamer ; mais Buridan fit signe de se taire. L’assemblée était tout oreilles.

« Monsieur, continua Buridan, je vous en félicite. C’est cette rare et héroïque fermeté qui fait les grands hommes. Au besoin, vous seriez Brutus.

– Qu’est-ce que Brutus ? demanda Cécile.

– Parbleu ! dit sa mère, tu le vois bien, c’est une brute, un imbécile comme ton père, qui ne voit pas que monsieur se moque de lui.

– Silence, ma femme ! dit Paturot d’une voix menaçante.

– Oh ! cria la dame d’une voix acariâtre, tes gros yeux ne me font pas peur. Depuis vingt ans que nous sommes mariés, je te connais bien. Tu es toujours le même : Constant-Fidèle Paturot, qui…

– Vous êtes intrépide, interrompit l’impitoyable Buridan.

– Comme un lion, monsieur. Je suis tambour de la garde nationale, et j’ai failli être soldat, c’est tout dire.

– Passons, dit le peintre, aux traits du visage. Vous avez le nez grand et gros. Avouez que vous êtes un grand scélérat.

– Monsieur, dit Paturot d’un ton suppliant, parlez plus bas, je vous en conjure. Il faut bien que jeunesse se passe, et si ma femme le savait ! Voulez-vous me perdre ? »

L’examen se prolongea au milieu des plaisanteries de tous les convives. De la phrénologie Buridan passa à la chiromancie, et trouva moyen d’intriguer et de contenter tout le monde. Quand il tint la main de Juliette entre les siennes :

« Voici, dit-il, une ligne qui annonce qu’il vous arrivera bientôt un grand bonheur. Vous aimerez un jeune homme blond et vous en serez passionnément aimée. Il y aura un mariage dans l’année. »

En même temps, il lui serra doucement la main, Juliette baissa les yeux et rougit. Que faisait Claude ? Il assistait, impassible en apparence, aux succès de son ami, et il faisait d’horribles efforts pour rire de ses plaisanteries.

« Hélas ! pensait-il, voilà comme il faudrait être pour plaire à Juliette. Elle n’a d’yeux que pour lui. Il est beau ! Ô douleur ! ô malheureux Quasimodo. »

On dansa beaucoup, et Buridan ne brilla pas moins par ses entrechats que par ses discours. Il sut plaire à tout le monde, et surtout à la bonne fruitière qu’il fit valser en dépit de ses cinquante-cinq ans. Il se multipliait pour faire sauter les femmes et pour boire avec les hommes.

À minuit, tous les conviés se retirèrent, Claude et Buridan, priés de revenir, le dernier surtout, s’y engagèrent volontiers, et partirent ensemble pour Paris, à pied. Sur la route, Claude, absorbé dans ses tristes réflexions, gardait le silence.

« Tout le bonheur que je m’étais promis, pensait-il, s’envole en un instant. Un étourdi, en se jouant, m’enlève celle que j’aime.

– Qu’as-tu donc ? lui dit Buridan étonné, je ne te reconnais pas. As-tu du vague à l’âme.

– Ce n’est rien, répondit Claude, honteux de sa faiblesse. Le grand air m’a fait mal.

– Un buveur d’eau, dit Buridan avec compassion, ne devrait s’aventurer qu’avec des gens de sa secte. Va te coucher, Basile, tu sens la fièvre. »

Les deux amis se séparèrent. Le lendemain, Claude attendit inutilement Juliette. Elle ne devait plus revenir dans son atelier. Trois semaines s’écoulèrent sans événement. Le peintre avait besoin de toute sa philosophie pour ne pas aller voir la vieille fruitière. Enfin, il partit un dimanche pour Passy.

« Ah ! vous voilà, monsieur, dit la bonne femme en le voyant. Pourquoi ne venez-vous pas plus souvent ? »

Claude allégua un travail important et pressé.

« Où est Juliette ? demanda-t-il.

– Je l’attends depuis ce matin, répondit la fruitière. Restez avec nous ; monsieur votre ami doit la conduire et vous partirez avec lui.

– Ah ! c’est Buridan qui est chargé de la conduire, dit Claude qui pâlit de douleur et de jalousie. Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un guide bien jeune pour Mlle Juliette !

– Qu’importe ! dit la fruitière. Les jeunes gens aiment à rire, mais Juliette est sage. Entre nous, je crois bien que M. Buridan lui fait la cour. Ma nièce n’est pas un mauvais parti. Après ma mort, savez-vous qu’elle aura plus de 60 000 francs !

– À quoi bon détromper cette pauvre femme, se dit le peintre. Tous mes avis ne la rendront pas plus sage, et je passerais pour un jaloux et un malhonnête homme. »

Enfin, Buridan et Juliette arrivèrent, les yeux brillants et pleins de gaieté. Ils racontèrent qu’ils s’étaient égarés dans le bois de Boulogne, et qu’ils avaient poussé jusqu’à Saint-Cloud. Juliette salua Claude avec amitié, mais avec froideur ; il lut son sort dans les yeux de la jeune fille, et partit désespéré. Buridan ne chercha pas à le retenir.

Quelques jours après, Claude frappa à la porte de son ami dès six heures du matin. Buridan à demi-habillé entrebâilla la porte.

« As-tu besoin de moi ? dit-il à Claude.

– Non. Je venais te voir.

– Diable ! le moment n’est pas favorable. Il y a des dames. Pasithéa, c’est notre ami Claude, celui qui a fait ton portrait et qui s’est fait sabrer pour toi. Veux-tu le recevoir.

– Y penses-tu ? dit Juliette.

– Parbleu ! si j’y pense. Tu es charmante en bonnet de nuit, et Claude sera bien aise de te voir. »

Claude reconnut la voix de celle qu’il aimait. Il sortit, la mort dans l’âme, sans dire un mot à Buridan. Il alla à Vincennes, et de là à Passy. Il rentra chez lui sans pouvoir apaiser la fièvre qui le dévorait. Il haïssait Juliette, et Buridan, et lui-même, et toute la nature. Il était tenté de les tuer tous les deux, mais sa douceur naturelle reprit le dessus. Après tout, pensa-t-il, aucun des deux n’est cause de mon malheur. Pourquoi ai-je aimé celle qui ne pouvait pas m’aimer ? Je le savais d’avance ; j’ai dû m’y résigner. Le mal est en moi, et non ailleurs. Tant que je vivrai, je serai malheureux ; mourons donc.

Ayant résolu de se tuer, il chargea son pistolet, et écrivit à Juliette la lettre suivante :

« Juliette, je vous aimais, et vous êtes la maîtresse d’un autre ! Quand vous recevrez ce billet, je serai mort. Adieu ! »

Il cacheta ce billet, le porta lui-même à la poste, et l’affranchit avec un sang-froid singulier. En rentrant, il s’assit, appuya sur son cœur le canon du pistolet, et fit feu. La balle traversa le cœur. Claude mourut sur-le-champ.

Le soir, Juliette, assise près de Buridan, lut tout haut la lettre funèbre, et poussa un cri. Buridan courut chez son ami. On lui montra le corps inanimé du malheureux peintre. Le testament de Claude était ainsi conçu :

« Je lègue ma fortune, qui se compose de vingt mille francs, à Châteauroux, ma ville natale. Je désire que le conseil municipal fasse construire un grand gymnase gratuit, destiné à développer dans le peuple la force et la beauté du corps, qui sont si nécessaires au bonheur et à la tranquillité de l’âme. »

Deux mois après la mort de Claude, Juliette, abandonnée par Buridan, revenait tristement à Passy.

« Ah ! si j’avais pu aimer Claude, disait-elle à sa tante, je ne serais pas si malheureuse aujourd’hui. »

Claude eut tort de se tuer. Tôt ou tard, il aurait oublié Juliette ; il aurait aimé et on l’aurait aimé. « Toute âme est sœur d’une âme. »

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
120 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают