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Читать книгу: «Les Quarante-Cinq — Tome 2», страница 4

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XXXVIII
ERNAUTON DE CARMAINGES

Ernauton resta sur le champ de bataille, assez embarrassé de ce qu'il allait faire des deux ennemis qui allaient rouvrir les yeux entre ses bras.

En attendant, comme il n'y avait aucun danger qu'ils s'éloignassent, et qu'il était probable que maître Robert Briquet, c'est sous ce nom, on se le rappelle, qu'Ernauton connaissait Chicot, et comme il était probable, disons-nous, que maître Robert Briquet ne reviendrait point sur ses pas pour les achever, le jeune homme se mit à la découverte de quelque auxiliaire, et ne tarda point à trouver sur la route même ce qu'il cherchait.

Un chariot qu'avait dû croiser Chicot dans sa course apparaissait au haut de la montagne, se détachant en vigueur sur un ciel rougi par les feux du soleil couchant.

Ce chariot était traîné par deux boeufs et conduit par un paysan.

Ernauton aborda le conducteur, qui avait bonne envie en l'apercevant de laisser sa charrette et de s'enfuir sous le taillis, et lui raconta qu'un combat venait d'avoir lieu entre huguenots et catholiques; que ce combat avait été fatal à quatre d'entre eux, mais que deux avaient survécu.

Le paysan, assez effrayé de la responsabilité d'une bonne oeuvre, mais plus effrayé encore, comme nous l'avons dit, de la mine guerrière d'Ernauton, aida le jeune homme à transporter M. de Mayenne dans son chariot, puis le soldat qui, évanoui ou non, continuait de demeurer les yeux fermés.

Restaient les quatre morts.

— Monsieur, demanda le paysan, ces quatre hommes étaient-ils catholiques ou huguenots?

Ernauton avait vu le paysan, au moment de sa terreur, faire le signe de la croix.

— Huguenots, dit-il.

— En ce cas, reprit le paysan, il n'y a aucun inconvénient que je fouille ces parpaillots, n'est-ce pas?

— Aucun, répondit Ernauton, qui aimait autant que le paysan auquel il avait affaire héritât que le premier passant venu.

Le paysan ne se le fit pas dire deux fois, et retourna les poches des morts.

Les morts avaient eu bonne solde de leur vivant, à ce qu'il paraît, car, l'opération terminée, le front du paysan se dérida.

Il résulta du bien-être qui se répandait dans son corps et dans son âme à la fois qu'il piqua plus rudement ses boeufs, afin d'arriver plus vite à sa chaumière.

Ce fut dans l'étable de cet excellent catholique, sur un bon lit de paille, que M. de Mayenne reprit ses sens. La douleur causée par la secousse du transport n'avait pas réussi à le ranimer; mais quand l'eau fraîche versée sur la blessure en fit couler quelques gouttes de sang vermeil, le duc rouvrit les yeux et regarda les hommes et les choses environnantes avec une surprise facile à concevoir.

Dès que M. de Mayenne eut rouvert les yeux, Ernauton congédia le paysan.

— Qui êtes-vous, monsieur? demanda Mayenne.

Ernauton sourit.

— Ne me reconnaissez-vous pas, monsieur? lui dit-il.

— Si fait, reprit le duc en fronçant le sourcil, vous êtes celui qui êtes venu au secours de mon ennemi.

— Oui, répondit Ernauton; mais je suis aussi celui qui ai empêché votre ennemi de vous tuer.

— Il faut bien que cela soit, dit Mayenne, puisque je vis, à moins toutefois qu'il ne m'ait cru mort.

— Il s'est éloigné vous sachant vivant, monsieur.

— Au moins croyait-il ma blessure mortelle.

— Je ne sais; mais en tout cas, si je ne m'y fusse opposé, il allait vous en faire une qui l'eût été.

— Mais alors, monsieur, pourquoi avez-vous aidé à tuer mes gens, pour empêcher ensuite cet homme de me tuer?

— Rien de plus simple, monsieur, et je m'étonne qu'un gentilhomme, vous me semblez en être un, ne comprenne pas ma conduite. Le hasard m'a conduit sur la route que vous suiviez, j'ai vu plusieurs hommes en attaquer un seul, j'ai défendu l'homme seul; puis quand ce brave, au secours de qui j'étais venu, car, quel qu'il soit, monsieur, cet homme est brave; puis quand ce brave, demeuré seul à seul avec vous, eut décidé la victoire par le coup qui vous abattit, alors, voyant qu'il allait abuser de la victoire en vous tuant, j'ai interposé mon épée.

— Vous me connaissez donc? demanda Mayenne avec un regard scrutateur.

— Je n'ai pas besoin de vous connaître, monsieur; je sais que vous êtes un homme blessé, et cela me suffit.

— Soyez franc, monsieur, reprit Mayenne, vous me connaissez.

— Il est étrange, monsieur, que vous ne consentiez point à me comprendre. Je ne trouve point, quant à moi, qu'il soit plus noble de tuer un homme sans défense que d'assaillir à six un homme qui passe.

— Vous admettez cependant qu'à toute chose il puisse y avoir des raisons.

Ernauton s'inclina, mais ne répondit point.

— N'avez-vous pas vu, continua Mayenne, que j'ai croisé l'épée seul à seul avec cet homme?

— Je l'ai vu, c'est vrai.

— D'ailleurs cet homme est mon plus mortel ennemi.

— Je le crois, car il m'a dit la même chose de vous.

— Et si je survis à ma blessure?

— Cela ne me regardera plus, et vous ferez ce qu'il vous plaira, monsieur.

— Me croyez-vous bien dangereusement blessé?

— J'ai examiné votre blessure, monsieur, et je crois que, quoique grave, elle n'entraîne point danger de mort. Le fer a glissé le long des côtes, à ce que je crois, et ne pénètre pas dans la poitrine. Respirez, et, je l'espère, vous n'éprouverez aucune douleur du côté du poumon.

Mayenne respira péniblement, mais sans souffrance intérieure.

— C'est vrai, dit-il; mais les hommes qui étaient avec moi?

— Sont morts, à l'exception d'un seul.

— Les a-t-on laissés sur le chemin, demanda Mayenne.

— Oui.

— Les a-t-on fouillés?

— Le paysan que vous avez dû voir en rouvrant les yeux, et qui est votre hôte, s'est acquitté de ce soin.

— Qu'a-t-il trouvé sur eux?

— Quelque argent.

— Et des papiers?

— Je ne sache point.

— Ah! fit Mayenne avec une satisfaction évidente.

— Au reste, vous pourriez prendre des informations près de celui qui vit.

— Mais celui qui vit, où est-il?

— Dans la grange, à deux pas d'ici.

— Transportez-moi près de lui, ou plutôt transportez-le près de moi, et si vous êtes homme d'honneur, comme je le crois, jurez-moi de ne lui faire aucune question.

— Je ne suis point curieux, monsieur, et de cette affaire je sais tout ce qu'il m'importe de savoir.

Le duc regarda Ernauton avec un reste d'inquiétude.

— Monsieur, dit celui-ci, je serais heureux que vous chargeassiez tout autre de la commission que vous voulez bien me donner.

— J'ai tort, monsieur, et je le reconnais, dit Mayenne; ayez cette extrême obligeance de me rendre le service que je vous demande.

Cinq minutes après, le soldat entrait dans l'étable.

Il poussa un cri en apercevant le duc de Mayenne; mais celui-ci eut la force de mettre le doigt sur ses lèvres. Le soldat se tut aussitôt.

— Monsieur, dit Mayenne à Ernauton, ma reconnaissance sera éternelle, et sans doute un jour nous nous retrouverons en circonstances meilleures: puis-je vous demander à qui j'ai l'honneur de parler?

— Je suis le vicomte Ernauton de Carmainges, monsieur.

Mayenne attendait un plus long détail, mais ce fut au tour du jeune homme d'être réservé.

— Vous suiviez le chemin de Beaugency, monsieur, continua Mayenne.

— Oui, monsieur.

— Alors, je vous ai dérangé, et vous ne pouvez plus marcher cette nuit, peut-être?

— Au contraire, monsieur, et je compte me remettre en route tout à l'heure.

— Pour Beaugency?

Ernauton regarda Mayenne en homme que cette insistance désoblige fort.

— Pour Paris, dit-il.

Le duc parut étonné.

— Pardon, continua Mayenne, mais il est étrange qu'allant à Beaugency, et arrêté par une circonstance aussi imprévue, vous manquiez le but de votre voyage sans une cause bien sérieuse.

— Rien de plus simple, monsieur, répondit Ernauton, j'allais à un rendez- vous. Notre événement, en me forçant de m'arrêter ici, m'a fait manquer ce rendez-vous; je m'en retourne.

Mayenne essaya en vain de lire sur le visage impassible d'Ernauton une autre pensée que celle qu'exprimaient ses paroles.

— Oh! monsieur, dit-il enfin, que ne demeurez-vous avec moi quelques jours! j'enverrais à Paris mon soldat que voici pour me chercher un chirurgien, car vous comprenez, n'est-ce pas, que je ne puis rester seul ici avec ces paysans qui me sont inconnus?

— Et pourquoi, monsieur, répliqua Ernauton, ne serait-ce point votre soldat qui resterait près de vous, et moi qui vous enverrais un chirurgien?

Mayenne hésita.

— Savez-vous le nom de mon ennemi? demanda-t-il.

— Non, monsieur.

— Quoi! vous lui avez sauvé la vie, et il ne vous a pas dit son nom?

— Je ne le lui ai pas demandé. — Vous ne le lui avez pas demandé?

— Je vous ai sauvé la vie aussi, à vous, monsieur: vous ai-je, pour cela, demandé le vôtre? mais, en échange, vous savez tous deux le mien. Qu'importe que le sauveur sache le nom de son obligé? c'est l'obligé qui doit savoir celui de son sauveur.

— Je vois, monsieur, dit Mayenne, qu'il n'y a rien à apprendre de vous, et que vous êtes discret autant que vaillant.

— Et moi, monsieur, je vois que vous prononcez ces paroles avec une intention de reproche, et je le regrette; car, en vérité, ce qui vous alarme devrait au contraire vous rassurer. On n'est pas discret beaucoup avec celui-ci sans l'être un peu avec celui-là.

— Vous avez raison: votre main, monsieur de Carmainges.

Ernauton lui donna la main, mais sans que rien dans son geste indiquât qu'il savait donner la main à un prince.

— Vous avez inculpé ma conduite, monsieur, continua Mayenne; je ne puis me justifier sans révéler de grands secrets; mieux vaut, je crois, que nous ne poussions pas plus loin nos confidences.

— Remarquez, monsieur, répondit Ernauton, que vous vous défendez quand je n'accuse pas. Vous êtes parfaitement libre, croyez-le bien, de parler et de vous taire.

— Merci, monsieur, je me tais. Sachez seulement que je suis un gentilhomme de bonne maison, en position de vous faire tous les plaisirs que je voudrai.

— Brisons là-dessus, monsieur, répondit Ernauton, et croyez que je serai aussi discret à l'égard de votre crédit que je l'ai été à l'égard de votre nom. Grâce au maître que je sers, je n'ai besoin de personne.

— Votre maître? demanda Mayenne avec inquiétude, quel maître, s'il vous plaît?

— Oh! plus, de confidences, vous l'avez dit vous-même, monsieur, répliqua Ernauton.

— C'est juste.

— Et puis votre blessure commence à s'enflammer; causez moins, monsieur, croyez-moi.

— Vous avez raison. Oh! il me faudra mon chirurgien.

— Je retourne à Paris, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire; donnez- moi son adresse.

Mayenne fit un signe au soldat qui s'approcha de lui; puis tous deux causèrent à voix basse.

Avec sa discrétion habituelle, Ernauton s'éloigna.

Enfin, après quelques minutes de consultation, le duc se retourna vers Ernauton.

— Monsieur de Carmainges, dit-il, votre parole d'honneur que, si je vous donnais une lettre pour quelqu'un, cette lettre serait fidèlement remise à cette personne?

— Je vous la donne, monsieur.

— Et j'y crois; vous êtes trop galant homme, pour que je ne me fie pas aveuglément à vous.

Ernauton s'inclina.

— Je vais vous confier une partie de mon secret, dit Mayenne; je suis des gardes de madame la duchesse de Montpensier.

— Ah! fit naïvement Ernauton, madame la duchesse de Montpensier a des gardes, je l'ignorais.

— Dans ces temps de troubles, monsieur, reprit Mayenne, tout le monde s'entoure de son mieux, et la maison de Guise étant maison souveraine...

— Je ne demande pas d'explication, monsieur; vous êtes des gardes de madame la duchesse de Montpensier, cela me suffit.

— Je reprends donc: j'avais mission de faire un voyage à Amboise, quand, en chemin, j'ai rencontré mon ennemi. Vous savez le reste.

— Oui, dit Ernauton.

— Arrêté par cette blessure avant d'avoir accompli ma mission, je dois compte à madame la duchesse des causes de mon retard.

— C'est juste.

— Vous voudrez bien lui remettre en mains propres, la lettre que je vais avoir l'honneur de lui écrire?

— S'il y a toutefois de l'encre et du papier ici, répliqua Ernauton se levant pour se mettre en quête de ces objets.

— Inutile, dit Mayenne; mon soldat doit avoir sur lui mes tablettes.

Effectivement le soldat tira de sa poche des tablettes fermées. Mayenne se retourna du côté du mur pour faire jouer un ressort; les tablettes s'ouvrirent: il écrivit quelques lignes au crayon, et referma les tablettes avec le même mystère.

Une fois fermées, il était impossible, si l'on ignorait le secret, de les ouvrir, à moins de les briser.

— Monsieur, dit le jeune homme, dans trois jours ces tablettes seront remises.

— En mains propres!

— A madame la duchesse de Montpensier elle-même.

Le duc serra les mains de son bienveillant compagnon, et, fatigué à la fois de la conversation qu'il venait de faire et de la lettre qu'il venait d'écrire, il retomba, la sueur au front, sur la paille fraîche.

— Monsieur, dit le soldat dans un langage qui parut à Ernauton assez peu en harmonie avec le costume, monsieur, vous m'avez lié comme un veau, c'est vrai; mais, que vous le vouliez ou non, je regarde ce lien comme une chaîne d'amitié, et vous le prouverai en temps et lieu.

Et il lui tendit une main dont le jeune homme avait déjà remarqué la blancheur.

— Soit, dit en souriant Carmainges; me voilà donc avec deux amis de plus?

— Ne raillez pas, monsieur, dit le soldat, on n'en a jamais de trop.

— C'est vrai, camarade, répondit Ernauton.

Et il partit.

XXXIX
LA COUR AUX CHEVAUX

Ernauton partit à l'instant même, et comme il avait pris le cheval du duc en remplacement du sien, qu'il avait donné à Robert Briquet, il marcha rapidement, de sorte que vers la moitié du troisième jour il arriva à Paris.

A trois heures de l'après-midi il entrait au Louvre, au logis des quarante-cinq.

Aucun événement d'importance, d'ailleurs, n'avait signalé son retour.

Les Gascons, en le voyant, poussèrent des cris de surprise.

M. de Loignac, à ces cris, entra, et, en apercevant Ernauton, prit sa figure la plus renfrognée, ce qui n'empêcha point Ernauton de marcher droit à lui.

M. de Loignac fit signe au jeune homme de passer dans le petit cabinet situé au bout du dortoir, espèce de salle d'audience où ce juge sans appel rendait ses arrêts.

— Est-ce donc ainsi qu'on se conduit, monsieur? lui dit-il tout d'abord; voilà, si je compte bien, cinq jours et cinq nuits d'absence, et c'est vous, vous, monsieur, que je croyais un des plus raisonnables, qui donnez l'exemple d'une pareille infraction?

— Monsieur, répondit Ernauton en s'inclinant, j'ai fait ce qu'on m'a dit de faire.

— Et que vous a-t-on dit de faire?

— On m'a dit de suivre M. de Mayenne, et je l'ai suivi.

— Pendant cinq jours et cinq nuits?

— Pendant cinq jours et cinq nuits, monsieur.

— Le duc a donc quitté Paris?

— Le soir même, et cela m'a paru suspect.

— Vous aviez raison, monsieur. Après?

Ernauton se mit alors à raconter succinctement, mais avec la chaleur et l'énergie d'un homme de coeur, l'aventure du chemin et les suites que cette aventure avait eues. A mesure qu'il avançait dans son récit, le visage si mobile de Loignac s'éclairait de toutes les impressions que le narrateur soulevait dans son âme.

Mais lorsque Ernauton en vint à la lettre confiée à ses soins par M. de Mayenne:

— Vous l'avez, cette lettre? s'écria M. de Loignac.

— Oui, monsieur.

— Diable! voilà qui mérite qu'on y prenne quelque attention, répliqua le capitaine; attendez-moi, monsieur, ou plutôt venez avec moi, je vous prie.

Ernauton se laissa conduire, et arriva derrière Loignac dans la cour aux chevaux du Louvre.

Tout se préparait pour une sortie du roi: les équipages étaient en train de s'organiser; M. d'Épernon regardait essayer deux chevaux nouvellement venus d'Angleterre, présent d'Élisabeth à Henri: ces deux chevaux, d'une harmonie de proportions remarquable, devaient ce jour-là même être attelés en première main au carrosse du roi.

M. de Loignac, tandis qu'Ernauton demeurait à l'entrée de la cour, s'approcha de M. d'Épernon et le toucha au bas de son manteau.

— Nouvelles, monsieur le duc, dit-il; grandes nouvelles!

Le duc quitta le groupe dans lequel il se trouvait, et se rapprocha de l'escalier par lequel le roi devait descendre.

— Dites, monsieur de Loignac, dites.

— M. de Carmainges arrive de par-delà Orléans: M. de Mayenne est dans un village, blessé dangereusement.

Le duc poussa une exclamation.

— Blessé! répéta-t-il.

— Et de plus, continua Loignac, il a écrit à madame de Montpensier une lettre que M. de Carmainges a dans sa poche.

— Oh! oh! fit d'Épernon. Parfandious! faites venir M. de Carmainges, que je lui parle à lui-même.

Loignac alla prendre par la main Ernauton, qui, ainsi que nous l'avons dit, s'était tenu à l'écart, par respect, pendant le colloque de ses chefs.

— Monsieur le duc, dit-il, voici notre voyageur.

— Bien, monsieur. Vous avez, à ce qu'il paraît, une lettre de M. le duc de Mayenne? fit d'Épernon.

— Oui, monseigneur.

— Écrite d'un petit village près d'Orléans?

— Oui, monseigneur.

— Et adressée à madame de Montpensier?

— Oui, monseigneur.

— Veuillez me remettre cette lettre, s'il vous plaît.

Et le duc étendit la main avec la tranquille négligence d'un homme qui croit n'avoir qu'à exprimer ses volontés, quelles qu'elles soient, pour que ses volontés soient exécutées.

— Pardon, monseigneur, dit Carmainges, mais ne m'avez-vous point dit de vous remettre la lettre de M. le duc de Mayenne à sa soeur?

— Sans doute.

— Monsieur le duc ignore que cette lettre m'est confiée.

— Qu'importe!

— Il importe beaucoup, monseigneur; j'ai donné à M. le duc ma parole que cette lettre serait remise à la duchesse elle-même.

— Êtes-vous au roi ou à M. le duc de Mayenne?

— Je suis au roi, monseigneur.

— Eh bien! le roi veut voir cette lettre.

— Monseigneur, ce n'est pas vous qui êtes le roi.

— Je crois, en vérité, que vous oubliez à qui vous parlez, monsieur de Carmainges! dit d'Épernon en pâlissant de colère.

— Je me le rappelle parfaitement, monseigneur, au contraire; et c'est pour cela que je refuse.

— Vous refusez, vous avez dit que vous refusiez, je crois, monsieur de Carmainges?

— Je l'ai dit.

— Monsieur de Carmainges, vous oubliez votre serment de fidélité.

— Monseigneur, je n'ai juré jusqu'à présent, que je sache, fidélité qu'à une seule personne, et cette personne, c'est Sa Majesté. Si le roi me demande cette lettre, il l'aura; car le roi est mon maître, mais le roi n'est point là.

— Monsieur de Carmainges, dit le duc qui commençait à s'emporter visiblement, tandis qu'Ernauton, au contraire, semblait devenir plus froid à mesure qu'il résistait; monsieur de Carmainges, vous êtes comme tous ceux de votre pays, aveugle dans la prospérité; votre fortune vous éblouit, mon petit gentilhomme; la possession d'un secret d'État vous étourdit comme un coup de massue.

— Ce qui m'étourdit, monsieur le duc, c'est la disgrâce dans laquelle je suis prêt à tomber vis-à-vis de Votre Seigneurie, mais non ma fortune, que mon refus de vous obéir rend, je ne le cache point, très aventurée; mais il n'importe, je fais ce que je dois et ne ferai que cela, et nul, excepté le roi, n'aura la lettre que vous me demandez, si ce n'est la personne à qui elle est adressée.

D'Épernon fit un mouvement terrible.

— Loignac, dit-il, vous allez à l'instant même faire conduire au cachot M. de Carmainges.

— Il est certain que, de cette façon, dit Carmainges, en souriant, je ne pourrai remettre à madame de Montpensier la lettre dont je suis porteur, tant que je resterai dans ce cachot, du moins; mais une fois sorti...

— Si vous en sortez, toutefois, dit d'Épernon.

— J'en sortirai, monsieur, à moins que vous ne m'y fassiez assassiner, dit Ernauton avec une résolution qui, à mesure qu'il parlait, devenait plus froide et plus terrible; oui, j'en sortirai, les murs sont moins fermes que ma volonté; eh bien! monseigneur, une fois sorti...

— Eh bien! une fois sorti?

— Eh bien! je parlerai au roi, et le roi me répondra.

— Au cachot, au cachot! hurla d'Épernon perdant toute retenue; au cachot, et qu'on lui prenne sa lettre.

— Nul n'y touchera! s'écria Ernauton en faisant un bond en arrière et en tirant de sa poitrine les tablettes de Mayenne; et je mettrai cette lettre en morceaux, puisque je ne puis sauver cette lettre qu'à ce prix; et, ce faisant, M. le duc de Mayenne m'approuvera et Sa Majesté me pardonnera.

Et en effet, le jeune homme, dans sa résistance loyale, allait séparer en deux morceaux la précieuse enveloppe, quand une main arrêta mollement son bras.

Si la pression eût été violente, nul doute que le jeune homme n'eût redoublé d'efforts pour anéantir la lettre; mais, voyant qu'on usait de ménagement, il s'arrêta en tournant la tête sur son épaule.

— Le roi! dit-il.

En effet, le roi, sortant du Louvre, venait de descendre son escalier, et arrêté un instant sur la dernière marche, il avait entendu la fin de la discussion, et son bras royal avait arrêté le bras de Carmainges.

— Qu'y a-t-il donc, messieurs? demanda-t-il de cette voix à laquelle il savait donner, lorsqu'il le voulait, une puissance toute souveraine.

— Il y a, sire, s'écria d'Épernon sans se donner la peine de cacher sa colère, il y a que cet homme, un de vos quarante-cinq, du reste il va cesser d'en faire partie; il y a, dis-je, qu'envoyé par moi en votre nom pour surveiller M. de Mayenne pendant son séjour à Paris, il l'a suivi jusqu'au-delà d'Orléans, et là a reçu de lui une lettre adressée à madame de Montpensier.

— Vous avez reçu de M. de Mayenne une lettre pour madame de Montpensier? demanda le roi.

— Oui, sire, répondit Ernauton; mais M. le duc d'Épernon ne vous dit point dans quelles circonstances.

— Eh bien! cette lettre, demanda le roi, où est-elle?

— Voilà justement la cause du conflit, sire; M. de Carmainges refuse absolument de me la donner, et veut la porter à son adresse: refus qui est d'un mauvais serviteur, à ce que je pense.

Le roi regarda Carmainges.

Le jeune homme mit un genou en terre.

— Sire, dit-il, je suis un pauvre gentilhomme, homme d'honneur, voilà tout. J'ai sauvé la vie à votre messager, qu'allaient assassiner M. de Mayenne et cinq de ses acolytes, car, en arrivant à temps, j'ai fait tourner la chance du combat en sa faveur.

— Et pendant ce combat, il n'est rien arrivé à M. de Mayenne? demanda le roi.

— Si fait, sire, il a été blessé, et même grièvement.

— Bon! dit le roi; après?

— Après, sire?

— Oui.

— Votre messager, qui paraît avoir des motifs particuliers de haine contre M. de Mayenne...

Le roi sourit.

— Votre messager, sire, voulait achever son ennemi, peut-être en avait-il le droit; mais j'ai pensé qu'en ma présence à moi, c'est-à-dire en présence d'un homme dont l'épée appartient à Votre Majesté, cette vengeance devenait un assassinat politique, et...

Ernauton hésita.

— Achevez, dit le roi.

— Et j'ai sauvé M. de Mayenne de votre messager, comme j'avais sauvé votre messager de M. de Mayenne.

D'Épernon haussa les épaules, Loignac mordit sa longue moustache, le roi demeura froid.

— Continuez, dit-il.

M. de Mayenne, réduit à un seul compagnon, les quatre autres ont été tués, M. de Mayenne, réduit, dis-je, à un seul compagnon, ne voulant pas se séparer de lui, ignorant que j'étais à Votre Majesté, s'est fié à moi et m'a recommandé de porter une lettre à sa soeur. J'ai cette lettre, la voici: je l'offre à Votre Majesté, sire, pour qu'elle en dispose comme elle disposerait de moi. Mon honneur m'est cher, sire; mais du moment où j'ai, pour répondre à ma conscience, la garantie de la volonté royale, je fais abnégation de mon honneur, il est entre bonnes mains.

Ernauton, toujours à genoux, tendit les tablettes au roi.

Le roi les repoussa doucement de la main.

— Que disiez-vous donc, d'Épernon? M. de Carmainges est un honnête homme et un fidèle serviteur.

— Moi, sire, fit d'Épernon, Votre Majesté demande ce que je disais?

— Oui; n'ai-je donc pas entendu le mot de cachot? Mordieu! tout au contraire, quand on rencontre par hasard un homme comme M. de Carmainges, il faudrait parler, comme chez les anciens Romains, de couronnes et de récompenses. La lettre est toujours à celui qui la porte, duc, ou à celui à qui on la porte.

D'Épernon s'inclina en grommelant.

— Vous porterez votre lettre, monsieur de Carmainges.

— Mais sire, songez à ce qu'elle peut renfermer, dit d'Épernon. Ne jouons pas à la délicatesse, lorsqu'il s'agit de la vie de Votre Majesté.

— Vous porterez votre lettre, monsieur de Carmainges, reprit le roi, sans répondre à son favori.

— Merci, sire, dit Carmainges en se retirant.

— Où la portez-vous?

— A madame la duchesse de Montpensier; je croyais avoir eu l'honneur de le dire à Votre Majesté.

— Je m'explique mal. A quelle adresse, voulais-je dire? est-ce à l'hôtel de Guise, à l'hôtel Saint-Denis ou à Bel...

Un regard de d'Épernon arrêta le roi.

— Je n'ai aucune instruction particulière de M. de Mayenne à ce sujet, sire; je porterai la lettre à l'hôtel de Guise, et là je saurai où est madame de Montpensier.

— Alors vous vous mettrez en quête de la duchesse?

— Oui, sire.

— Et l'ayant trouvée?

— Je lui rendrai mon message.

— C'est cela. Maintenant, monsieur de Carmainges... Et le roi regarda fixement le jeune homme.

— Sire?

— Avez-vous juré ou promis autre chose à M. de Mayenne que de remettre cette lettre aux mains de sa soeur.

— Non, sire.

— Vous n'avez point promis, par exemple, insista le roi, quelque chose comme le secret sur l'endroit où vous pourriez rencontrer la duchesse?

— Non, sire, je n'ai rien promis de pareil.

— Je vous imposerai donc une seule condition, monsieur.

— Sire, je suis l'esclave de Votre Majesté.

— Vous rendrez cette lettre à madame de Montpensier, et aussitôt cette lettre rendue, vous viendrez me rejoindre à Vincennes où je serai ce soir.

— Oui, sire.

— Et où vous me rendrez un compte fidèle où vous aurez trouvé la duchesse.

— Sire, Votre Majesté peut y compter.

— Sans autre explication ni confidence, entendez-vous?

— Sire, je le promets.

— Quelle imprudence! fit le duc d'Épernon; oh! sire!

— Vous ne vous connaissez pas en hommes, duc, ou du moins en certains hommes. Celui-ci est loyal envers Mayenne, donc il sera loyal envers moi.

— Envers vous, sire! s'écria Ernauton, je serai plus que loyal, je serai dévoué.

— Maintenant, d'Épernon, dit le roi, pas de querelles ici, et vous allez à l'instant même pardonner à ce brave serviteur ce que vous regardiez comme un manque de dévoûment, et ce que je regarde, moi, comme une preuve de loyauté.

— Sire, dit Carmainges, M. le duc d'Épernon est un homme trop supérieur pour ne pas avoir vu au milieu de ma désobéissance à ses ordres, désobéissance dont je lui exprime tous mes regrets, combien je le respecte et l'aime; seulement, j'ai fait, avant toute chose, ce que je regardais comme mon devoir.

— Parfandious! dit le duc en changeant de physionomie avec la même mobilité qu'un homme qui eût ôté ou mis un masque, voilà une épreuve qui vous fait honneur, mon cher Carmainges, et vous êtes en vérité un joli garçon: n'est-ce pas, Loignac? Mais, en attendant, nous lui avons fait une belle peur.

Et le duc éclata de rire.

Loignac tourna ses talons pour ne pas répondre: il ne se sentait pas, tout Gascon qu'il était, la force de mentir avec la même effronterie que son illustre chef.

— C'était une épreuve? dit le roi avec doute; tant mieux, d'Épernon, si c'était une épreuve; mais je ne vous conseille pas ces épreuves-là avec tout le monde, trop de gens y succomberaient.

— Tant mieux! répéta à son tour Carmainges, tant mieux, monsieur le duc, si c'est une épreuve; je suis sûr alors des bonnes grâces de monseigneur.

Mais, tout en disant ces paroles, le jeune homme paraissait aussi peu disposé à croire que le roi.

— Eh bien, maintenant que tout est fini, messieurs, dit Henri, partons.

D'Épernon s'inclina.

— Vous venez avec moi, duc?

— C'est-à-dire que j'accompagne Votre Majesté à cheval; c'est l'ordre qu'elle a donné, je crois?

— Oui. Qui tiendra l'autre portière? demanda Henri.

— Un serviteur dévoué de Votre Majesté, dit d'Épernon: M. de Sainte-Maline. Et il regarda l'effet que ce nom produisait sur Ernauton.

Maline. Et il regarda l'effet que ce nom produisait sur Ernauton.

Ernauton demeura impassible.

— Loignac, ajouta-t-il, appelez M. de Sainte-Maline.

— Monsieur de Carmainges, dit le roi, qui comprit l'intention du duc d'Épernon, vous allez faire votre commission, n'est-ce pas, et revenir immédiatement à Vincennes?

— Oui, sire.

Et, Ernauton, malgré toute sa philosophie, partit assez heureux de ne point assister au triomphe qui allait si fort réjouir le coeur ambitieux de Sainte-Maline.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
310 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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