Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», страница 37

Шрифт:

Chapitre CCLXV – Bulletin

Le duc de Beaufort écrivait à Athos. La lettre destinée à l'homme n'arrivait qu'au mort. Dieu changeait l'adresse.

«Mon cher comte, écrivait le prince avec sa grande écriture d'écolier malhabile, un grand malheur nous frappe au milieu d'un grand triomphe. Le roi perd un soldat des plus braves. Je perds un ami. Vous perdez M. de Bragelonne.

«Il est mort glorieusement, et si glorieusement, que je n'ai pas la force de pleurer comme je voudrais.

«Recevez mes tristes compliments, mon cher comte. Le Ciel nous distribue les épreuves selon la grandeur de notre coeur. Celle-là est immense, mais non au-dessus de votre courage.

«Votre bon ami,

«Le duc de Beaufort.»

Cette lettre renfermait une relation écrite par un des secrétaires du prince. C'était le plus touchant récit et le plus vrai de ce lugubre épisode qui dénouait deux existences.

D'Artagnan, accoutumé aux émotions de la bataille, et le coeur cuirassé contre les attendrissements, ne put s'empêcher de tressaillir en lisant le nom de Raoul, le nom de cet enfant chéri, devenu, comme son père, une ombre.

«Le matin, disait le secrétaire du prince, M. le duc commanda l'attaque. Normandie et Picardie avaient pris position dans les roches grises dominées par le talus de la montagne, sur le versant de laquelle s'élèvent les bastions de Djidgelli.

«Le canon, commençant à tirer, engagea l'action; les régiments marchèrent pleins de résolution; les piquiers avaient la pique haute; les porteurs de mousquets avaient l'arme au bras. Le prince suivait attentivement la marche et le mouvement des troupes, qu'il était prêt à soutenir avec une forte réserve.

«Auprès de Monseigneur étaient les plus vieux capitaines et ses aides de camp. M. le vicomte de Bragelonne avait reçu l'ordre de ne pas quitter Son Altesse.

«Cependant le canon de l'ennemi, qui d'abord avait tonné indifféremment contre les masses, avait réglé son feu, et les boulets, mieux dirigés, étaient venus tuer quelques hommes autour du prince. Les régiments formés en colonne, et qui s'avançaient contre les remparts, furent un peu maltraités. Il y avait hésitation de la part de nos troupes, qui se voyaient mal secondées par notre artillerie. En effet, les batteries qu'on avait établies la veille n'avaient qu'un tir faible et incertain, en raison de leur position. La direction de bas en haut nuisait à la justesse des coups et de la portée.

«Monseigneur, comprenant le mauvais effet de cette position de l'artillerie de siège, commanda aux frégates embossées dans la petite rade de commencer un feu régulier contre la place.

«Pour porter cet ordre, M. de Bragelonne s'offrit tout d'abord; mais Monseigneur refusa d'acquiescer à la demande du vicomte.

«Monseigneur avait raison, puisqu'il aimait et voulait ménager ce jeune seigneur; il avait bien raison, et l'événement se chargea de justifier sa prévision et son refus; car, à peine le sergent que Son Altesse avait chargé du message sollicité par M. de Bragelonne fut-il arrivé au bord de la mer, que deux gros coups de longue escopette partirent des rangs de l'ennemi et vinrent l'abattre.

«Le sergent tomba sur le sable mouillé qui but son sang.

«Ce que voyant, M. de Bragelonne sourit à Monseigneur, lequel lui dit:

« – Vous voyez, vicomte, je vous sauve la vie. Rapportez-le plus tard à M. le comte de La Fère, afin que, l'apprenant de vous, il m'en sache gré, à moi.

«Le jeune seigneur sourit tristement et répondit au duc:

« – Il est vrai, monseigneur, sans votre bienveillance, j'aurais été tué là-bas où est tombé ce pauvre sergent, et en un fort grand repos.

«M. de Bragelonne fit cette réponse d'un tel air, que Monseigneur répliqua vivement:

« – Vrai Dieu! jeune homme, on dirait que l'eau vous en vient à la bouche: mais, par l'âme de Henri IV! j'ai promis à votre père de vous ramener vivant, et, s'il plaît au Seigneur, je tiendrai ma parole.

«M. de Bragelonne rougit, et, d'une voix plus basse:

« – Monseigneur, dit-il, pardonnez-moi, je vous en prie; c'est que j'ai toujours eu le désir d'aller aux occasions, et qu'il est doux de se distinguer devant son général, surtout quand le général est M. le duc de Beaufort.

«Monseigneur s'adoucit un peu, et, se tournant vers ses officiers qui se pressaient autour de lui, donna différents ordres.

«Les grenadiers des deux régiments arrivèrent assez près des fossés et des retranchements pour y lancer leurs grenades, qui firent peu d'effet.

«Cependant, M. d'Estrées, qui commandait la flotte, ayant vu la tentative du sergent pour approcher des vaisseaux, comprit qu'il fallait tirer sans ordres et ouvrir le feu.

«Alors les Arabes, se voyant frappés par les boulets de la flotte et par les ruines et les éclats de leurs mauvaises murailles, poussèrent des cris effrayants.

«Leurs cavaliers descendirent la montagne au galop, courbés sur leurs selles, et se lancèrent à fond de train sur les colonnes d'infanterie, qui, croisant les piques, arrêtèrent cet élan fougueux. Repoussés par l'attitude ferme du bataillon, les Arabes vinrent de grande furie se rejeter vers l'état-major qui n'était point gardé en ce moment.

«Le danger fut grand: Monseigneur tira l'épée; ses secrétaires et ses gens l'imitèrent; les officiers de sa suite engagèrent un combat avec ces furieux.

«Ce fut alors que M. de Bragelonne put contenter l'envie qu'il manifestait depuis le commencement de l'action. Il combattit près du prince avec une vigueur de Romain, et tua trois Arabes avec sa petite épée.

«Mais il était visible que sa bravoure ne venait pas d'un sentiment d'orgueil, naturel à tous ceux qui combattent. Elle était impétueuse, affectée, forcée même; il cherchait à s'enivrer du bruit et du carnage.

«Il s'échauffa de telle sorte, que Monseigneur lui cria d'arrêter.

«Il dut entendre la voix de Son Altesse, puisque nous l'entendions, nous qui étions à ses côtés. Cependant il ne s'arrêta pas, et continua de courir vers les retranchements.

«Comme M. de Bragelonne était un officier fort soumis, cette désobéissance aux ordres de Monseigneur surprit fort tout le monde, et M. de Beaufort redoubla d'instances, en criant:

« – Arrêtez, Bragelonne! Où allez-vous? Arrêtez! reprit

Monseigneur, je vous l'ordonne.

«Nous tous, imitant le geste de M. le duc, nous avions levé la main. Nous attendions que le cavalier tournât bride; mais M. de Bragelonne courait toujours vers les palissades.

« – Arrêtez, Bragelonne! répéta le prince d'une voix très forte; arrêtez au nom de votre père!

«À ces mots, M. de Bragelonne se retourna, son visage exprimait une vive douleur, mais il ne s'arrêtait pas; nous jugeâmes alors que son cheval l'emportait.

«Quand M. le duc eut deviné que le vicomte n'était plus maître de son cheval, et qu'il l'eut vu dépasser les premiers grenadiers, Son Altesse cria:

« – Mousquetaires, tuez-lui son cheval! Cent pistoles à qui mettra bas le cheval!

«Mais de tirer sur la bête sans atteindre le cavalier, qui eut pu l'espérer? Aucun n'osait. Enfin il s'en présenta un, c'était enfin tireur du régiment de Picardie, nommé La Luzerne, qui coucha en joue l'animal, tira et l'atteignit à la croupe, car on vit le sang rougir le pelage blanc du cheval; seulement, au lieu de tomber, le maudit genet s'emporta plus furieusement encore.

«Tout Picardie, qui voyait ce malheureux jeune homme courir à la mort, criait à tue-tête: <Jetez-vous en bas, monsieur le vicomte! en bas, en bas, jetez-vous en bas!> M. de Bragelonne était un officier fort aimé dans toute l'armée.

«Déjà le vicomte était arrivé à portée de pistolet du rempart; une décharge partit et l'enveloppa de feu et de fumée. Nous le perdîmes de vue; la fumée dissipée, on le revit à pied, debout; son cheval venait d'être tué.

«Le vicomte fut sommé de se rendre par les Arabes; mais il leur fit un signe négatif avec sa tête, et continua de marcher aux palissades.

«C'était une imprudence mortelle. Cependant toute l'armée lui sut gré de ne point reculer, puisque le malheur l'avait conduit si près. Il marcha quelques pas encore, et les deux régiments lui battirent des mains.

«Ce fut encore à ce moment que la seconde décharge ébranla de nouveau les murailles, et le vicomte de Bragelonne disparut une seconde fois dans le tourbillon; mais, cette fois, la fumée eut beau se dissiper, nous ne le vîmes plus debout. Il était couché, la tête plus bas que les jambes, sur les bruyères, et les Arabes commencèrent à vouloir sortir de leurs retranchements pour venir lui couper la tête ou prendre son corps, comme c'est la coutume chez les infidèles.

«Mais Son Altesse M. le duc de Beaufort avait suivi tout cela du regard, et ce triste spectacle lui avait arraché de grands et douloureux soupirs. Il se mit donc à crier, voyant les Arabes courir comme des fantômes blancs parmi les lentisques:

« – Grenadiers, piquiers, est-ce que vous leur laisserez prendre ce noble corps?

«En disant ces mots et en agitant son épée, il courut lui-même vers l'ennemi. Les régiments, s'élançant sur ses traces, coururent à leur tour en poussant des cris aussi terribles que ceux des Arabes étaient sauvages.

«Le combat commença sur le corps de M. de Bragelonne, et fut si acharné, que cent soixante Arabes y demeurèrent morts, à côté de cinquante au moins des nôtres.

«Ce fut un lieutenant de Normandie qui chargea le corps du vicomte sur ses épaules, et le rapporta dans nos lignes.

«Cependant l'avantage se poursuivait; les régiments prirent avec eux la réserve, et les palissades des ennemis furent renversées.

«À trois heures, le feu des Arabes cessa; le combat à l'arme blanche dura deux heures; ce fut un massacre.

«À cinq heures, nous étions victorieux sur tous les points; l'ennemi avait abandonné ses positions, et M. le duc avait fait planter le drapeau blanc sur le point culminant du monticule.

«Ce fut alors que l'on put songer à M. de Bragelonne, qui avait huit grands coups au travers du corps, et dont presque tout le sang était perdu.

«Toutefois, il respirait encore, ce qui donna une joie inexprimable à Monseigneur, lequel voulut assister, lui aussi, au premier pansement du vicomte et à la consultation des chirurgiens.

«Il y en eut deux d'entre eux qui déclarèrent que M. de Bragelonne vivrait. Monseigneur leur sauta au cou, et leur promit mille louis chacun s'ils le sauvaient.

«Le vicomte entendit ces transports de joie, et, soit qu'il fût désespéré, soit qu'il souffrît de ses blessures, il exprima par sa physionomie une contrariété qui donna beaucoup à penser, surtout à l'un de ses secrétaires, quand il eut entendu ce qui va suivre.

«Le troisième chirurgien qui vint était le frère Sylvain de Saint- Cosme, le plus savant des nôtres. Il sonda les plaies à son tour et ne dit rien.

«M. de Bragelonne ouvrait des yeux fixes et semblait interroger chaque mouvement, chaque pensée du savant chirurgien.

«Celui-ci, questionné par Monseigneur, répondit qu'il voyait bien trois plaies mortelles sur huit, mais que si forte était la constitution du blessé, si féconde la jeunesse, si miséricordieuse la bonté de Dieu, que peut-être M. de Bragelonne en reviendrait- il, si toutefois il ne faisait pas le moindre mouvement.

«Frère Sylvain ajouta, en se retournant vers ses aides:

« – Surtout, ne le remuez pas même du doigt, ou vous le tuerez.

«Et nous sortîmes tous de la tente avec un peu d'espoir.

«Ce secrétaire, en sortant, crut voir un sourire pâle et triste glisser sur les lèvres du vicomte, lorsque M. le duc lui dit d'une voix caressante:

« – Oh! vicomte, nous te sauverons! Mais le soir, quand on crut que le malade devait avoir reposé, l'un des aides entra dans la tente du blessé, et en ressortit en poussant de grands cris.

«Nous accourûmes tous en désordre, M. le duc avec nous, et l'aide nous montra le corps de M. de Bragelonne par terre, en bas du lit, baigné dans le reste de son sang.

«Il y a apparence qu'il avait eu quelque nouvelle convulsion, quelque mouvement fébrile, et qu'il était tombé; que la chute qu'il avait faite avait accéléré sa fin, selon le pronostic de frère Sylvain.

«On releva le vicomte; il était froid et mort. Il tenait une boucle de cheveux blonds à la main droite, et cette main était crispée sur son coeur.»

Suivaient les détails de l'expédition et de la victoire remportée sur les Arabes.

D'Artagnan s'arrêta au récit de la mort du pauvre Raoul.

– Oh! murmura-t-il, malheureux enfant, un suicide!

Et, tournant les yeux vers la chambre du château où dormait Athos d'un sommeil éternel:

– Ils se sont tenu parole l'un à l'autre, dit-il tout bas.

Maintenant, je les trouve heureux: ils doivent être réunis.

Et il reprit à pas lents le chemin du parterre.

Toute la rue, tous les environs se remplissaient déjà de voisins éplorés qui se racontaient les uns aux autres la double catastrophe et se préparaient aux funérailles.

Chapitre CCLXVI – Le dernier chant du poème

Dès le lendemain, on vit arriver toute la noblesse des environs, celle de la province, partout où les messagers avaient eu le temps de porter la nouvelle.

D'Artagnan était resté enfermé sans vouloir parler à personne. Deux morts aussi lourdes tombant sur le capitaine, après la mort de Porthos, avaient accablé pour longtemps cet esprit jusqu'alors infatigable.

Excepté Grimaud, qui entra dans sa chambre une fois, le mousquetaire n'aperçut ni valets ni commensaux.

Il crut deviner au bruit de la maison, à ce train des allées et des venues, qu'on disposait tout pour les funérailles du comte. Il écrivit au roi pour lui demander un surcroît de congé.

Grimaud, nous l'avons dit, était entré chez d'Artagnan, s'était assis sur un escabeau, près de la porte, comme un homme qui médite profondément, puis, se levant, avait fait signe à d'Artagnan de le suivre.

Celui-ci obéit en silence. Grimaud descendit jusqu'à la chambre à coucher du comte, montra du doigt au capitaine la place du lit vide, et leva éloquemment les yeux au ciel.

– Oui, reprit d'Artagnan, oui, bon Grimaud, auprès du fils qu'il aimait tant.

Grimaud sortit de la chambre et arriva au salon, où, selon l'usage de la province, on avait dû disposer le corps en parade avant de l'ensevelir à jamais.

D'Artagnan fut frappé de voir deux cercueils ouverts dans ce salon; il approcha, sur l'invitation muette de Grimaud, et vit dans l'un d'eux Athos, beau jusque dans la mort, et, dans l'autre Raoul, les yeux fermés, les joues nacrées comme le Pallas de Virgile, et le sourire sur ses lèvres violettes.

Il frissonna de voir le père et le fils, ces deux âmes envolées, représentés sur terre par deux mornes cadavres incapables de se rapprocher, si près qu'ils fussent l'un de l'autre.

– Raoul ici! murmura-t-il. Oh! Grimaud, tu ne me l'avais pas dit!

Grimaud secoua la tête et ne répondit pas, mais, prenant d'Artagnan par la main, il le conduisit au cercueil et lui montra, sous le fin suaire, les noires blessures par lesquelles avait dû s'envoler la vie.

Le capitaine détourna la vue, et, jugeant inutile de questionner

Grimaud qui ne répondrait pas, il se rappela que le secrétaire de

M. de Beaufort en avait écrit plus que lui, d'Artagnan, n'avait eu le courage d'en lire.

Reprenant cette relation de l'affaire qui avait coûté la vie à Raoul, il trouva ces mots qui formaient le dernier paragraphe de la lettre:

«M. le duc a ordonné que le corps de M. le vicomte fût embaumé, comme cela se pratique chez les Arabes lorsqu'ils veulent que leurs corps soient portés dans la terre natale, et M. le duc a destiné des relais pour qu'un valet de confiance, qui avait élevé le jeune homme, pût ramener son cercueil à M. le comte de La Fère.»

– Ainsi, pensa d'Artagnan, je suivrai tes funérailles mon cher enfant, moi, déjà vieux, moi, qui ne vaut plus rien sur la terre, et je répandrai la poussière sur ce front que je baisais encore il y a deux mois. Dieu l'a voulu. Tu l'as voulu toi-même. Je n'ai plus même le droit de pleurer; tu as choisi ta mort; elle t'a semblé préférable à la vie.»

Enfin, arriva le moment où les froides dépouilles de ces deux gentilshommes devaient être rendues à la terre.

Il y eut une telle affluence de gens de guerre et de peuple, que, jusqu'au lieu de la sépulture, qui était une chapelle dans la plaine, le chemin de la ville fut rempli de cavaliers et de piétons en habits de deuil.

Athos avait choisi pour sa dernière demeure le petit enclos de cette chapelle, érigée par lui aux limites de ses terres. Il en avait fait venir les pierres, sculptées en 1550, d'un vieux manoir gothique situé dans le Berri, et qui avait abrité sa première jeunesse.

La chapelle, ainsi réédifiée, ainsi transportée, riait sous un massif de peupliers et de sycomores. Elle était desservie chaque dimanche par le curé du bourg voisin, à qui Athos faisait une rente de deux cents livres à cet effet, et tous les vassaux de son domaine, au nombre d'environ quarante, les laboureurs et les fermiers avec leurs familles y venaient entendre la messe, sans avoir besoin de se rendre à la ville.

Derrière la chapelle s'étendait, enfermé dans deux grosses haies de coudriers, de sureaux et d'aubépines, ceintes d'un fossé profond, le petit clos inculte, mais joyeux dans sa stérilité, parce que les mousses y étaient hautes, parce que les héliotropes sauvages et les ravenelles y croisaient leurs parfums; parce que sous les marronniers venait sourdre une grosse source, prisonnière dans une citerne de marbre, et que, sur des thyms, tout autour s'abattaient des milliers d'abeilles, venues de toutes les plaines voisines, tandis que les pinsons et les rouges-gorges chantaient follement sur les fleurs de la haie.

Ce fut là qu'on amena les deux cercueils, au milieu d'une foule silencieuse et recueillie.

L'office des morts célébré, les derniers adieux faits à ces nobles morts, toute l'assistance se dispersa, parlant par les chemins des vertus et de la douce mort du père, des espérances que donnait le fils et de sa triste fin sur le rivage d'Afrique.

Et peu à peu les bruits s'éteignirent comme les lampes allumées dans l'humble nef. Le desservant salua une dernière fois l'autel et les tombes fraîches encore; puis, suivi de son assistant, qui sonnait une rauque clochette, il regagna lentement son presbytère.

D'Artagnan, demeuré seul, s'aperçut que la nuit venait.

Il avait oublié l'heure en songeant aux morts.

Il se leva du banc de chêne sur lequel il s'était assis dans la chapelle, et voulut, comme le prêtre, aller dire un dernier adieu à la double fosse qui renfermait ses amis perdus.

Une femme priait agenouillée sur cette terre humide.

D'Artagnan s'arrêta au seuil de la chapelle pour ne pas troubler cette femme, et aussi pour tâcher de voir quelle était l'amie pieuse qui venait remplir ce devoir sacré avec tant de zèle et de persévérance.

L'inconnue cachait son visage sous ses mains, blanches comme des mains d'albâtre. À la noble simplicité de son costume on devinait la femme de distinction. Au-dehors, plusieurs chevaux montés par des valets et un carrosse de voyage attendaient cette dame. D'Artagnan cherchait vainement à deviner ce qui la regardait.

Elle priait toujours; elle passait souvent son mouchoir sur son visage. D'Artagnan comprit qu'elle pleurait.

Il la vit frapper sa poitrine avec la componction impitoyable de la femme chrétienne. Il l'entendit proférer à plusieurs reprises ce cri parti d'un coeur ulcéré: «Pardon! pardon!»

Et comme elle semblait s'abandonner tout entière à sa douleur, comme elle se renversait, à demi évanouie, au milieu de ses plaintes et de ses prières, d'Artagnan, touché par cet amour pour ses amis tant regrettés, fit quelques pas vers la tombe, afin d'interrompre le sinistre colloque de la pénitente avec les morts.

Mais aussitôt que son pied eut crié sur le sable, l'inconnue releva la tête et laissa voir à d'Artagnan un visage inondé de larmes, un visage ami.

C'était Mlle de La Vallière!

– M. d'Artagnan! murmura-t-elle.

– Vous! répondit le capitaine d'une voix sombre, vous ici! Oh! madame, j'eusse aimé mieux vous voir parée de fleurs dans le manoir du comte de La Fère. Vous eussiez moins pleuré, eux aussi, moi aussi!

– Monsieur! dit-elle en sanglotant.

– Car c'est vous, ajouta l'impitoyable ami des morts, c'est vous qui avez couché ces deux hommes dans la tombe.

– Oh! épargnez-moi!

– À Dieu ne plaise, mademoiselle, que j'offense une femme ou que je la fasse pleurer en vain; mais je dois dire que la place du meurtrier n'est pas sur la tombe des victimes.

Elle voulut répondre.

– Ce que je vous dis là, ajouta-t-il froidement, je le disais au roi.

Elle joignit les mains.

– Je sais, dit-elle, que j'ai causé la mort du vicomte de

Bragelonne.

– Ah! vous le savez?

– La nouvelle en est arrivée à la Cour hier. J'ai fait, depuis cette nuit à deux heures, quarante lieues pour venir demander pardon au comte, que je croyais encore vivant, et pour supplier Dieu, sur la tombe de Raoul, qu'il m'envoie tous les malheurs que je mérite, excepté un seul. Maintenant, monsieur, je sais que la mort du fils a tué le père; j'ai deux crimes à me reprocher; j'ai deux punitions à attendre de Dieu.

– Je vous répéterai, mademoiselle, dit M. d'Artagnan, ce que m'a dit de vous, à Antibes, M. de Bragelonne, quand déjà il méditait sa mort:

«Si l'orgueil et la coquetterie l'ont entraînée, je lui pardonne en la méprisant. Si l'amour l'a fait succomber, je lui pardonne en lui jurant que jamais nul ne l'eût aimée autant que moi.»

– Vous savez, interrompit Louise, que, pour mon amour, j'allais me sacrifier moi-même; vous savez si j'ai souffert quand vous me rencontrâtes perdue, mourante, abandonnée. Eh bien! jamais je n'ai autant souffert qu'aujourd'hui, parce qu'alors j'espérais, je désirais, et qu'aujourd'hui je n'ai plus rien à souhaiter; parce que ce mort entraîne toute ma joie dans sa tombe; parce que je n'ose plus aimer sans remords, et que, je le sens, celui que j'aime, oh! c'est la loi, me rendra les tortures que j'ai fait subir à d'autres.

D'Artagnan ne répondit rien; il sentait trop bien qu'elle ne se trompait point.

– Eh bien! ajouta-t-elle, cher monsieur d'Artagnan, ne m'accablez pas aujourd'hui, je vous en conjure encore. Je suis comme la branche détachée du tronc, je ne tiens plus à rien en ce monde, et un courant m'entraîne je ne sais où. J'aime follement, j'aime au point de venir le dire, impie que je suis, sur les cendres de ce mort, et je n'en rougis pas, et je n'en ai pas de remords. C'est une religion que cet amour. Seulement, comme plus tard vous me verrez seule, oubliée, dédaignée; comme vous me verrez punie de ce que vous êtes destiné à punir, épargnez-moi dans mon éphémère bonheur; laissez-le moi pendant quelques jours, pendant quelques minutes. Il n'existe peut-être plus à l'heure où je vous parle. Mon Dieu! ce double meurtre est peut-être déjà expié.

Elle parlait encore; un bruit de voix et de pas de chevaux fit dresser l'oreille au capitaine.

Un officier du roi, M. de Saint-Aignan, venait chercher La Vallière de la part du roi, que rongeaient, dit-il, la jalousie et l'inquiétude.

De Saint-Aignan ne vit pas d'Artagnan, caché à moitié par l'épaisseur d'un marronnier qui versait l'ombre sur les deux tombeaux.

Louise le remercia et le congédia d'un geste. Il retourna hors de l'enclos.

– Vous voyez, dit amèrement le capitaine à la jeune femme, vous voyez, madame, que votre bonheur dure encore.

La jeune femme se releva d'un air solennel:

– Un jour, dit-elle, vous vous repentirez de m'avoir si mal jugée. Ce jour-là, monsieur, c'est moi qui prierai Dieu d'oublier que vous avez été injuste pour moi. D'ailleurs, je souffrirai tant, que vous serez le premier à plaindre mes souffrances. Ce bonheur, monsieur d'Artagnan, ne me le reprochez pas: il me coûte cher, et je n'ai pas payé toute ma dette.

En disant ces mots, elle s'agenouilla encore doucement et affectueusement.

– Pardon, une dernière fois, mon fiancé Raoul, dit-elle. J'ai rompu notre chaîne; nous sommes tous deux destinés à mourir de douleur. C'est toi qui pars le premier: ne crains rien, je te suivrai. Vois seulement que je n'ai pas été lâche, et que je suis venue te dire ce suprême adieu. Le Seigneur m'est témoin, Raoul, que, s'il eût fallu ma vie pour racheter la tienne, j'eusse donné sans hésiter ma vie. Je ne pourrais donner mon amour. Encore une fois, pardon!

Elle cueillit un rameau et l'enfonça dans la terre, puis essuya ses yeux trempés de larmes, salua d'Artagnan et disparut.

Le capitaine regarda partir chevaux, cavaliers et carrosse, puis, croisant les bras sur sa poitrine gonflée:

– Quand sera-ce mon tour de partir? dit-il d'une voix émue. Que reste-t-il à l'homme après la jeunesse, après l'amour, après la gloire, après l'amitié, après la force, après la richesse?.. Ce rocher sous lequel dort Porthos, qui posséda tout ce que je viens de dire; cette mousse sous laquelle reposent Athos et Raoul, qui possédèrent bien plus encore!

Il hésita un moment, l'oeil atone; puis, se redressant:

– Marchons toujours, dit-il. Quand il en sera temps, Dieu me le dira comme il l'a dit aux autres.

Il toucha du bout des doigts la terre mouillée par la rosée du soir, se signa comme s'il eût été au bénitier d'une église et reprit seul, seul à jamais, le chemin de Paris.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
660 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают