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Читать книгу: «Le Speronare», страница 11

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– Peste! dit Jadin, vous avez eu là une bonne idée; celui-là rentre dans la classe des chats savants, et nous aurait coûté plus de deux pauls.

Milord, en sa qualité de bouledogue, était en effet un si grand étrangleur de chats, que nous avions jugé utile, on se le rappelle, de prendre des mesures à ce sujet. En conséquence, à partir de Gênes, ville dans laquelle Milord avait commencé à exploiter en Italie la race féline, nous avions débattu le prix d'un chat bien conditionné, et il avait été arrêté avec les propriétaires des deux premiers étranglés, qu'un chat de race ordinaire, gris pommelé, gris blanc, ou moucheté de feu, valait deux pauls, au maximum; étaient exceptés de ce tarif, bien entendu, les angoras, les chats savants, enfin les chats à deux têtes ou à six pattes. Nous nous étions fait donner un reçu en règle des deux chats génois; nous avions fait ajouter successivement à ce reçu les reçus subséquents, de manière à nous faire un titre indiscutable. Toutes les fois que Milord commettait un assassinat nouveau, et qu'on nous demandait pour la victime plus de deux pauls, nous tirions notre titre de notre poche, nous prouvions que deux pauls étaient le dédommagement que nous étions habitués à donner en pareil cas, et il était bien rare alors que le propriétaire ne se contentât point de l'indemnité dont s'étaient contentées la plupart des personnes à qui nous avions eu affaire. Mais, comme nous l'avons dit, il y avait des exceptions à notre tarif, et un chat qui portait des lunettes d'une façon si majestueuse devait naturellement rentrer dans les exceptions. Jadin avait donc dit une chose pleine de sens, lorsqu'il avait dit qu'on nous ferait payer le chat de l'opticien plus de deux pauls, et il avait agi avec une louable prudence lorsqu'il avait fait une laisse de son mouchoir.

Grâce à cette précaution, nous traversâmes la rue Saint-Ferdinand sans encombre, et sans que Milord eût paru s'apercevoir autrement que par sa captivité d'un instant de notre inquiétude momentanée. En entrant dans l'église, nous le lâchâmes. Il n'y avait plus rien à craindre.

L'église est sous l'invocation de sainte Agathe, qui y est enterrée, comme on le sait. Son martyre fut d'avoir la gorge coupée et tenaillée; aussi, comme Didon, la sainte a appris à compatir aux maux qu'elle a soufferts, elle est surtout miraculeuse pour les maladies de sein. Une multitude d'exvoto en argent, en marbre et en cire, représentant tous des mamelles, font foi de son pouvoir sanitaire et de la confiance que la population catanaise a dans la belle et chaste vierge qu'elle a choisie pour sa patronne.

Dans le choeur, de beaux bas-reliefs de chêne, qui datent du XVe siècle, représentent toute l'histoire de la sainte depuis le moment où elle refusa d'épouser Quintilien, jusqu'à celui où l'on rapporta son corps de Constantinople. Les plus curieux de ces bas-reliefs sont ceux où la sainte est frappée de barres de fer, où on lui coupe les seins, où on la brûle et où, visitée dans sa prison par saint Pierre, elle est guérie par lui. Puis vient la seconde période de la légende; après la martyre l'élue, après le supplice les miracles. Alors, et en suivant toujours les bas-reliefs, on voit la sainte apparaître à Guibert, et lui ordonner d'aller chercher son corps à Constantinople. Guibert obéit et trouve son tombeau. Embarrassé alors pour emporter cette précieuse relique, il coupe le cadavre par morceaux et en met un morceau dans le carquois de chacun de ses soldats, et le rapporte ainsi jusqu'à Catane sans qu'il s'en égare autre chose qu'un sein, qui heureusement est retrouvé et rapporté par une petite fille, de sorte que la bienheureuse Agathe, à la honte des infidèles, se retrouve au grand complet.

Tous ces bas-reliefs sont charmants de naïveté. Personne n'y fait attention, aucun livre n'en parle, nul cicerone ne pense à les faire voir, et cependant, c'est à coup sûr une des choses les plus curieuses que renferme l'église.

J'oubliais le voile de sainte Agathe que l'on conserve dans la cathédrale. Ce précieux tissu, comme on dit dans les tragédies classiques, a le privilège d'arrêter les laves qui descendent de l'Etna: on n'a qu'à leur présenter le voile, et le torrent s'arrête, se refroidit et se coagule. Malheureusement il faut que cette action soit accompagnée d'une foi tellement forte, que presque jamais le miracle ne réussit complètement; mais alors ce n'est pas la faute du voile, c'est la faute de celui qui le porte.

En sortant de l'église, notre guide nous conduisit à l'amphithéâtre, dont il est presque impossible de mesurer la grandeur, enterré qu'il est presque entièrement dans la lave. C'est de cet amphithéâtre que fut tiré, comme nous l'avons dit, en 1820, l'obélisque qui s'élève sur la place de l'Éléphant; mais les fouilles nécessitaient des dépenses énormes, et l'on fut obligé de les cesser.

Au-dessus de l'amphithéâtre se trouve un bâtiment qu'on nous assura être la prison où mourut la sainte. A la porte de cette prison est une pierre qui conserve l'empreinte de deux pieds de femme. Au moment où sainte Agathe marchait à la mort, Quintilien lui fit offrir une fois encore la vie si elle consentait à abjurer et à devenir sa femme. Ma volonté, répondit la sainte, est plus ferme que cette pierre. Et la pierre s'affaissa sous ses pieds, dont, depuis cette époque, elle a gardé la marque.

De l'amphithéâtre nous allâmes au théâtre. Mais, pour reconnaître l'un et l'autre, il faut encore plus de foi que pour présenter le voile de la sainte à la lave. Nous avons déjà dit que c'était dans ce théâtre qu'Alcibiade haranguait les Catanais lorsque Catane fut prise par Nicias.

Si l'on veut au reste voir de près et dans toute sa terrible variété l'effet des laves, il faut monter sur une des tours du château Orsini, bâti par l'empereur Frédéric II, roi de Sicile. L'irruption de 1669 a enveloppé ce château comme une île, mais l'océan de feu battit vainement le géant de granit; le géant est resté debout au milieu des ruines qui l'entourent.

Nous revenions à l'hôtel, où nous comptions manger un morceau avant de visiter le couvent des Bénédictins, la seule chose qui nous restât à voir, lorsqu'en regardant autour de moi, je m'aperçus que Milord était invisible. Chaque fois que pareille chose nous arrivait, nous connaissions d'avance les suites de cette disparition. Au bout d'un instant nous le voyions ressortir par quelque porte ou quelque fenêtre, se léchant le museau, et suivi d'un indigène mâle ou femelle tenant son chat par la queue, et venant réclamer ses deux pauls. Mon premier regard m'apprit que nous étions dans la rue Saint-Ferdinand, et le second que nous étions en face de la boutique de l'opticien; en même temps, j'entendis un sabbat de possédés, derrière un tonneau qui se trouvait à la porte. Je saisis le bras de Jadin et lui montrai la fenêtre où le chat manquait. Il comprit tout à l'instant même, courut au tonneau, ramassa une paire de lunettes qu'il mit à l'instant sur son nez comme si c'étaient les siennes qu'il eût égarées, et revint suivi de Milord. Quant au malheureux chat, il était trépassé obscurément dans le coin où il était imprudemment descendu, et où Jadin laissa prudemment son cadavre. Or, nous étions à cette heure du jour où, comme le disent dédaigneusement les Italiens, il n'y a dans les rues que les chiens et les Français. Personne ne fut donc témoin de l'assassinat, pas même les grues du poète Ibicus; non seulement l'assassinat resta parfaitement impuni, mais Jadin même hérita des lunettes du défunt.

Ces lunettes sont dans l'atelier de Jadin, où il les montre comme étant celles du fameux abbé Meli, l'Anacréon de la Sicile. Il en a déjà refusé cent écus qu'un Anglais lui a offerts; il ne les donnera, à ce qu'il assure, que pour vingt-cinq louis.

LES BÉNÉDICTINS DE SAINT-NICOLAS-LE-VIEUX

Le couvent de Saint-Nicolas, le plus riche de Catane, et dont la coupole dépasse en hauteur tous les monuments de la ville, a été bâti, vers le milieu du siècle passé, sur les dessins de Contini. On y remarque l'église et le jardin; l'église pour ses colonnes de vert antique et pour un très bel orgue, ouvrage d'un moine calabrais, qui demanda pour tout paiement d'être enterré sous son chef-d'oeuvre; le jardin, pour la difficulté vaincue; effectivement le fond est en lave, et toute la terre qui le couvre a été apportée à main d'homme.

La règle du couvent de Saint-Nicolas était autrefois très sévère; les moines devaient demeurer sur l'Etna, aux limites des terres habitables, et à cet effet, leur premier monastère était bâti à l'entrée de la seconde région, trois quarts de lieue au-dessus de Nicolosi, dernier village que l'on rencontre en montant au cratère. Mais comme tout s'affaiblit à la longue, la règle perdit peu à peu de sa rigueur, et on commença à ne plus réparer le couvent. Bientôt une ou deux salles s'était affaissées sous le poids des neiges, les bons pères firent bâtir la magnifique succursale de Catane, qui prit le nom de Saint-Nicolas-le-Neuf, et ne demeurèrent que pendant l'été à Saint-Nicolas-le-Vieux. Plus tard, Saint-Nicolas-le-Vieux fut abandonné été comme hiver; on parla pendant trois ou quatre ans d'y faire des réparations qui le rendraient de nouveau habitable, mais on s'en garda bien. Enfin, une bande de voleurs, gens beaucoup moins difficiles sur leurs aises que les moines, s'en étant emparés et y ayant élu domicile, il ne fut plus aucunement question de remonter à Saint-Nicolas-le-Vieux, et les bons pères, qui ne se souciaient pas d'avoir des discussions avec de pareils hôtes, leur abandonnèrent la tranquille jouissance du couvent.

Cela donna lieu à une méprise assez curieuse.

En 1806, le comte de Weder, Allemand de vieille roche, comme son nom l'indique, partit de Vienne pour visiter la Sicile; il s'embarqua à Trieste, prit terre à Ancône, visita Rome, s'y arrêta ainsi qu'à Naples, pour y prendre quelques lettres de recommandation, se remit de nouveau en mer, et débarqua à Catane.

Le comte de Weder connaissait de longue date l'existence du couvent de Saint-Nicolas, et la réputation qu'avaient les bons pères de posséder parmi leurs frères servants le meilleur cuisinier de toute la Sicile. Aussi le comte de Weder, qui était un gastronome très distingué, n'avait-il point manqué de se faire donner à Rome, par un cardinal avec lequel il avait dîné chez l'ambassadeur d'Autriche, une lettre de recommandation pour le supérieur du couvent de Saint-Nicolas. La lettre était pressante: on recommandait le comte comme un pieux et fervent pèlerin, et l'on réclamait pour lui l'hospitalité pendant tout le temps qu'il lui plairait de rester au monastère.

Le comte était savant à la manière des Allemands, c'est-à-dire qu'il avait lu une grande quantité de bouquins parfaitement oubliés; de sorte qu'il pouvait, à l'appui de ses assertions, si erronées et si ridicules qu'elles fussent, citer un certain nombre de noms inconnus, qui donnaient une sorte de majesté pédantesque à ses paradoxes. Or, parmi ces bouquins, se trouvait un catalogue des couvents de bénédictins répandus sur la surface du globe, et il avait vu et retenu, avec la ténacité d'un esprit d'outre-Rhin, que la règle des bénédictins de Saint-Nicolas de Catane leur enjoignait, comme je l'ai dit, de demeurer sur la dernière limite de la reggione coltirata, et sur la première de la reggione nemorosa. Aussi, lorsqu'il fit venir un muletier pour qu'il le conduisît à Saint-Nicolas, et que le muletier lui eut demandé si c'était à Saint-Nicolas-le-Neuf ou à Saint-Nicolas-le-Vieux, le comte répondit sans hésiter:

– A San-Nicolo sull'Etna.

C'était tout ce que le comte savait d'italien.

Il n'y avait pas à s'y tromper, et l'indication était précise: cependant le muletier hasarda quelques observations; mais, le comte lui ferma la bouche en lui disant: Je bairai pien. On connaît la puissance habituelle d'un pareil argument: le muletier salua le comte, et une demi-heure après revint avec une mule.

– Eh pien? dit le comte.

– Eh bien! Excellence? répondit le muletier qui, en sa qualité de guide comprenait toutes les langues.

– Eh pien! ma pagache?

– Votre Excellence emporte son bagage?

– Partieu!

– Oh! dit le muletier, c'est que Votre Excellence eût pu le laisser à l'auberge; c'eût été plus sûr.

– Che ne guitte chamais ma pagache, entendez-fous, dit l'Allemand.

Le muletier répondit par un signe imperceptible qui voulait dire: Chacun est libre – et s'en alla chercher le second mulet. Cependant, lorsque le mulet fut chargé, l'honnête guide crut devoir à sa conscience de faire une dernière observation.

– Ainsi Votre Excellence est décidée?

– Cerdainement, répondit le comte en fourrant une énorme paire de pistolets dans les fontes de sa monture.

– Elle va à Saint-Nicolas-le-Vieux?

– J'y fais.

– Votre Excellence a donc des amis à Saint-Nicolas-le-Vieux?

– Chai ein lettre pour la cheneral.

– Pour le capitaine? veut dire Votre Excellence.

– Pour la cheneral, que je tis!

– Hum! hum! dit le Sicilien.

– D'ailleurs, je bairai pien, je bairai pien, entends-tu, maraud?

– Pardon, continua le guide; mais, puisque Votre Excellence est dans de si bonnes dispositions, lui serait-il égal de me payer d'avance?

– D'afance! et pourquoi ça?

– Parce qu'il est déjà trois heures, que nous n'arriverons pas avant la nuit, et que je voudrais revenir tout de suite.

– A la nuit? dit le comte. Au moins soupe-t-on au coufent.

– Au couvent?

– Oui, à San-Nicolo.

– Oh! certainement, qu'on y soupe; on est même plus sûr d'y trouver la table mise la nuit que le jour.

– Les farceurs! dit le comte dont un éclair gastronomique illumina le visage. Tiens, foilà bour la ponne noufelle que tu me donnes.

Et il lui remit deux piastres, qu'il tira d'une bourse admirablement garnie.

– Merci, Excellence, répondit le muletier qui, une fois payé, n'avait plus rien à dire.

– Eh pien! bartons-nous maintenant? reprit le comte.

– Quand vous voudrez, Excellence.

Le guide aida le comte à monter sur sa mule, et se mit en route en chantant une espèce de cantique qui ressemblait beaucoup plus à un miserere qu'à une tarentelle; mais le comte était trop préoccupé du dîner qu'il allait faire pour remarquer tout ce que ce prélude avait de mélancolique.

La route se fit assez silencieusement. Le guide avait fini par croire, en voyant la confiance du comte appuyée des deux énormes pistolets qu'il avait logés dans ses fontes, qu'il était au mieux avec les hôtes de Saint-Nicolas-le-Vieux, et que même peut-être il faisait partie de quelque bande de la Bohême qui était en relation d'intérêts avec celles de la Sicile. Quant à lui, il savait que personnellement il n'avait rien à craindre, les muletiers étant généralement sacrés pour les voleurs, et doublement, comme on le comprend bien, lorsqu'ils leur amènent une si bonne pratique que paraissait être le comte.

Cependant, à chaque village qu'il rencontrait sur la route, le muletier s'arrêtait sous un prétexte ou sous un autre. C'était une espèce de transaction qu'il faisait avec sa conscience, pour donner au comte le temps de faire ses réflexions et de retourner en arrière si bon lui semblait. Mais à chaque halte, le comte reprenait d'une voix que la faim rendait de plus en plus pressante:

– En afant; allons, en afant, der teufel! nous n'arriferons chamais.

Et il repartait suivi par les regards ébahis des paysans qui venaient d'apprendre du guide le but de cet étrange pèlerinage, et qui ne comprenaient pas que, sans y être conduit de force, on eût l'idée de faire le voyage de Saint-Nicolas-le-Vieux.

Ils traversèrent ainsi Gravina, Sainta-Lucia-di-Catarica, Mananunziata et Nicolosi. Arrivés à ce dernier village, le guide fit un dernier effort.

– Excellence, dit-il, à votre place je souperais et je coucherais ici, puis demain, j'irais, en me promenant, comme cela, tout seul, à Saint-Nicolas-le-Vieux.

– Est-ce que tu ne m'as pas dit que che trouferais un pon souper et un pon lit au coufent?

– Pardieu si, répondit le guide, s'ils veulent vous bien recevoir.

– Mais quand che té tis que chai ein lettre pour la cheneral.

– Pour le capitaine?

– Non, pour la cheneral.

– Enfin, dit le guide, puisque vous le voulez absolument.

– Certainement, que je le feux.

– En ce cas, allons.

Et les deux voyageurs se remirent en route.

Comme l'avait dit le muletier, la nuit était venue; il ne faisait pas de lune, on ne voyait pas à quatre pas devant soi. Mais comme le muletier connaissait parfaitement le terrain, il n'y avait pas de risque de se perdre. Il prit un petit sentier à peine tracé, et qui s'écartait à droite dans les terres; puis, commençant à quitter la région cultivée, il entra dans celle des forêts. Au bout d'une heure de marche, on vit se dessiner une masse noire, aux fenêtres de laquelle on n'apercevait aucune lumière.

– Voilà Saint-Nicolas-le-Vieux, dit à voix basse le muletier.

– Oh! oh! dit le comte, foilà un coufent dans ein situation pien mélangolique.

– Si vous voulez, répartit vivement le guide, nous pouvons retourner à Nicolosi, et si vous ne voulez pas coucher à l'auberge, il y a un excellent homme qui ne vous refusera pas un lit, monsieur Gemellaro.

– Che ne le connais bas. Tailleurs, c'est à Saint-Nigolas que je feux aller, et non à Nicolosi.

– Zerebello da tedesco, murmura le Sicilien.

Puis, fouettant ses deux mules, il se remit en marche. Cinq minutes après ils étaient à la porte du couvent.

Le couvent n'avait rien de plus rassurant pour être vu de plus près. C'était une vieille fabrique du XIIe siècle, où il était facile de lire les ravages de chaque irruption qui avait eu lieu depuis le temps de sa fondation. La date de tous les incendies et de tous les tremblements de terre était là sculptée sur la pierre. A certaines dentelures qui se détachaient en vigueur sur un ciel bleu foncé, tout brillant d'étoiles, il était facile de reconnaître qu'une partie des bâtiments tombait en ruines. Cependant les murailles qui entouraient l'édifice paraissaient assez bien entretenues, et l'on y avait pratiqué des meurtrières, ce qui donnait à Saint-Nicolas-le-Vieux plutôt l'apparence d'une forteresse que l'aspect d'un monastère.

Le comte regarda tout cela d'un air fort calme, et ordonna au muletier de frapper. Celui-ci, qui en avait pris son parti, souleva un vieux marteau de fer tout rongé par la rouille et le temps, et le laissa retomber de toute sa pesanteur. Le coup retentit dans les profondeurs du couvent, et une cloche au son aigre répondit. Presque en même temps, une petite fenêtre, pratiquée à dix pieds de hauteur, s'ouvrit. Il en sortit un long tube de fer, qui se dirigea vers la poitrine du comte; une tête barbue se montra à l'ouverture, et une voix qui n'avait rien de l'onction monacale demanda:

– Qui va là?

– Ami, répondit le comte en écartant de la main le canon du fusil; ami.

En même temps il lui sembla sentir arriver par la fenêtre ouverte une odeur de rôti qui lui réjouit l'âme.

– Ami, hum! ami, dit l'homme de la fenêtre. Et qui nous prouvera que vous êtes un ami?

Et il ramena le canon de fusil dans la direction première.

– Mon très gère frère, répondit le comte en écartant de nouveau et avec le même sang-froid l'arme qui le menaçait, che combrends très pien que fous breniez vos brécauzions afant de recefoir les édranchers, et chand ferais autant à vodre blace, moi; mais chai ein lettre du gardinal Morosini pour le cheneral à fous.

– Pour notre capitaine? reprit l'homme au fusil.

– Eh! non, non, pour la cheneral.

– Enfin, ça ne fait rien. Vous êtes tout seul? continua l'interlocuteur.

– Dout zeul.

– Attendez, on va vous ouvrir.

– Hum! ça sent pon, la rôdi, dit l'Allemand en descendant de sa mule.

– Excellence, demanda le muletier, qui pendant ce temps avait déchargé le bagage du comte, vous n'avez plus besoin de moi?

– Tu ne feux donc pas resder? reprit le comte.

– Non, dit le muletier; avec votre permission, j'aime mieux aller coucher ailleurs.

– Et pien! fas, dit le comte.

– Faudra-t-il vous venir chercher? demanda le Sicilien.

– Non, la cheneral me fera recontuire.

– Très bien. Adieu, Excellence.

– Atieu.

En ce moment la clef commença à grincer dans la serrure, le guide sauta sur une de ses mules, prit la bride de l'autre, et s'éloigna au trot. Il était déjà à une cinquantaine de pas quand la porte s'ouvrit.

– Ça sent pon, dit l'Allemand en humant l'odeur qui venait de la cuisine; ça sent très pon.

– Vous trouvez? demanda l'étrange portier.

– Oui, dit le comte, oui, che troufe.

– C'est le souper du chef, qui est en route et que nous attendons d'un moment à l'autre.

– Alors, j'arrife pien, dit le comte en riant.

– Est-ce qu'il vous connaît, notre chef? demanda le portier.

– Non; mais chai ein lettre pour lui.

– Ah! c'est autre chose. Voyons?

– La foilà.

Le portier prit la lettre et lut:

«Al reverendissimo générale dei Benedettini; al covento di San-Nicolo di Catania

– Ah! je comprends, dit le portier.

– Ah! fous combrenez; c'est pien heureux, dit le comte en lui frappant sur l'épaule. En ce cas, mon ami, si fous combrenez, charchez-fous de ma pagache, et brenez garte surtout au borde-mandeau: c'est là où est mon pourse.

– Ah! c'est là où est votre bourse. C'est bon à savoir, dit le portier en prenant le porte-manteau avec un empressement tout particulier.

Puis, s'étant emparé du reste du bagage:

– Allons, allons, continua-t-il, je vois bien que vous êtes un ami; venez.

Le comte ne se le fit pas dire deux fois, et suivit son guide.

L'aspect intérieur du couvent n'était pas moins étrange que son aspect extérieur. Partout des ruines; beaucoup de futailles défoncées; nulle part de crucifix ni de saintes images. Le comte s'arrêta un instant, car il était de ces causeurs qui ont la mauvaise habitude de s'arrêter quand ils parlent, et il exprima son étonnement à son guide d'une pareille dévastation.

– Que voulez-vous? lui répondit son guide; nous sommes un peu isolés, comme vous avez pu le voir; et comme la montagne est pleine de mauvais sujets qui ne craignent ni Dieu ni diable, nous ne laissons pas traîner le peu que nous possédons. Tout ce que nous avons d'objets précieux est sous clef dans les caves. D'ailleurs, vous savez que nous avons un autre monastère dans la plaine, tout près de Catane?

– Non, che ne le safais bas. Ah! fous afez un audre monazdère! Diens, diens, diens!

– Maintenant, examinez vous-même votre bagage, pour que vous puissiez attester au chef qu'il n'en a rien été détourné.

– Oh! c'être pien fazile; ein malle, ein sag dé nuit et ein borde-mandeau.

Che fous la récommante, la borde-mandeau; c'est là qu'est mon pourse.

– Ainsi, trois objets seulement, n'est-ce pas? Ce n'est guère.

– C'être assez.

– Vous trouvez, vous?

– Oui, je troufe.

– Eh bien! attendez là, dit le portier en faisant entrer le comte dans une espèce de cellule, et je ne doute pas que d'ici à une demi-heure le chef ne soit de retour. Et il fit mine de s'en aller.

– Dides donc, dides donc! Est-ce qu'en l'attendant che ne bourrai bas descentre à la guisine? Je donnerais beut-être de pons conseils au guisinier, moi.

– Ma foi! dit le portier, je n'y vois pas d'inconvénient: attendez ici, je vais mettre votre bagage en sûreté, et je viens vous reprendre. A propos, combien y a-t-il dans votre bourse?

– Trois mille six cent vingt tucats.

– Trois mille six cent vingt ducats, bon, reprit le portier.

– Ça m'a l'air t'un pien honnête homme, murmura le comte en regardant s'éloigner le frère qui emportait toute sa robba; ça m'a l'air t'un pien honnête homme.

Dix minutes après, son guide était de retour.

– Si vous voulez descendre à la cuisine, dit le Sicilien, vous êtes libre.

– Oui, che le feux. Où est-delle la guisine?

– Venez.

Le comte suivit de nouveau son guide, qui le conduisit dans les cuisines du couvent. La broche était garnie, tous les fourneaux étaient allumés, et des casseroles bouillaient partout.

– Pon, dit l'Allemand s'arrêtant sur la dernière marche, et embrassant d'un coup d'oeil ce spectacle succulent; pon, il baraît que che ne suis bas tompé chour de cheûne. Ponchour, guisinier, ponchour.

Le cuisinier était prévenu; il reçut en conséquence le comte avec toute la déférence qu'il devait à un gourmet. Le comte en profita pour aller lever le couvercle de toutes les casseroles et goûter à toutes les sauces. Tout à coup il s'élança sur le cuisinier qui allait verser du sel dans une omelette, et lui arracha des mains le vase où étaient les oeufs.

– Eh pien! eh pien! Qu'est-ce que tu fais donc? s'écria le comte.

– Comment, qu'est-ce que je fais? demanda le cuisinier.

– Foui, qu'est-ce que tu fais? je te le temante.

– Je mets du sel dans l'omelette.

– Mais, malheureux, on ne met bas de sel dans l'omelede. On met du sugre et des confidures, de ponnes confidures de croseilles.

– Allons donc, reprit le cuisinier en essayant de lui arracher le vase des mains.

– Non bas! non bas! dit le comte, c'est moi qui la ferai l'omelede; tonne-moi tes confidures.

– Ah! dit le cuisinier en s'échauffant, nous allons voir un peu qui est-ce qui est le maître ici.

– C'est moi! dit une voix forte; qu'y a-t-il?

Le comte et le cuisinier se retournèrent: un homme de quarante à quarante-cinq ans, vêtu d'une robe de moine, se tenait debout sur l'escalier; il était de haute taille et avait cette physionomie dure et impérieuse de ceux qui sont habitués à commander.

– Le capitaine! s'écria le cuisinier.

– Ah! dit le comte, c'est le cheneral, pon. Cheneral, continua-t-il en s'avançant vers le moine, che vous temante bardon, mais fous avez un guisinier qui ne sait bas faire les omeledes.

– Vous êtes le comte de Weder, monsieur? dit le moine en très bon français.

– Oui, ma cheneral, répondit le comte sans lâcher les oeufs ni la fourchette avec laquelle il s'apprêtait à les battre; che suis le gonde de Weter en bersonne.

– Alors c'est vous qui m'avez apporté la lettre de recommandation que m'a remise le frère portier?

– Moi-même.

– Soyez le bienvenu, monsieur le comte.

Le comte s'inclina.

– Seulement, continua le moine, je regrette que la situation écartée de notre couvent, son éloignement de tout lieu habité, ne nous permettent pas de vous mieux recevoir; mais nous sommes de pauvres solitaires des montagnes, et vous nous pardonnerez, je l'espère, si notre table n'est pas mieux garnie.

– Comment, comment, bas mieux carnie! Mais la souber, elle me semble excellente au gondraire, et quand chaurai fait l'omelede aux confidures…

– Mais, capitaine, dit le cuisinier.

– Donnez des confitures à monsieur, et qu'il fasse son omelette comme il l'entendra, dit le moine.

Le cuisinier obéit sans souffler mot.

– Maintenant, dit le moine, ne vous gênez pas, monsieur le comte, faites comme chez vous, et lorsque votre omelette sera finie, remontez, nous vous attendons.

– C'est l'affaire de zinq minutes, et che remonde; faites douchours serfir.

– Vous entendez, dit le moine au cuisiner, faites servir. Et il remonta l'escalier. Un instant après, deux frères descendirent et se mirent aux ordres du cuisinier. Pendant ce temps, le comte triomphant confectionnait son omelette; lorsqu'elle fut finie, il remonta à son tour.

Le supérieur l'attendait avec toute la communauté, qui se composait d'une vingtaine de frères, dans un réfectoire bien éclairé, et où l'on avait dressé une table parfaitement servie. Le comte fut frappé du luxe d'argenterie que cette table étalait, ainsi que de la finesse des nappes et des serviettes. Le couvent avait tiré de son trésor et de sa lingerie ce qu'il avait de mieux pour faire honneur à son hôte. Quant à l'appartement, il contrastait singulièrement, par son aspect délabré, avec le luxe du couvert qui y était dressé. C'était une grande salle qui avait dû être autrefois une chapelle, et dans l'autel de laquelle on avait pratiqué une cheminée; les parois n'avaient pour tout ornement que les toiles d'araignées qui les couvraient, et quelques chauves-souris attirées par la lumière voletaient au plafond, entrant et sortant, selon leur caprice, par les fenêtres brisées.

En outre, un arsenal de carabines était pittoresquement disposé contre la muraille.

Le comte embrassa cet aspect d'un coup d'oeil, et admira l'abnégation religieuse des bons pères, qui, possédant des trésors tels que ceux qui étaient étalés à ses yeux, vivaient cependant exposés aux intempéries du ciel, comme les anciens solitaires du mont Carmel et de la Thébaïde. Le supérieur remarqua son étonnement.

– Monsieur le comte, dit-il en souriant, je vous demande encore une fois pardon du mauvais dîner et du mauvais gîte que vous trouverez ici. Peut-être vous avait-on peint l'intérieur de notre couvent comme un lieu de délices. Voilà comme la société nous juge, monsieur le comte. Aussi une fois rentré dans le monde, j'espère que vous nous rendrez justice.

– Ma voi! cheneral, répondit le comte, je ne sais bas drop ce qui mangue à la tiner, et j'ai fu en pas une patterie de guisine assez bien orcanisée; et, à moins que ce ne zoit le fin?

– Oh! répondit le supérieur; soyez tranquille sous ce rapport; le vin est bon.

– Eh pien! si le fin est pon, c'est tout ce qu'il faut.

– Seulement, ajouta le supérieur, je crains que nos façons ne vous paraissent peu monacales. Par exemple, nous avons l'habitude de ne jamais souper sans avoir à côté de nous chacun une paire de pistolets; c'est une précaution contre les accidents qui peuvent arriver à chaque minute dans un lieu aussi isolé que celui-ci. Vous voudrez donc bien nous excuser si, malgré votre présence, nous ne nous écartons pas de nos habitudes.

Et à ces mots le supérieur releva sa robe, tira de sa ceinture une paire de superbes pistolets qu'il déposa près de son assiette.

– Faides, faides, cheneral, faides, répondit l'Allemand; les bisdolets, c'est l'ami de l'homme; chen ai aussi, moi, des bisdolets. Oh mais! c'est édonnant comme les vodres leur ressemblent, c'est édonnant.

– Cela se peut, répondit le supérieur en réprimant un sourire; ce sont de très bonnes armes, que j'ai fait venir d'Allemagne, des Kukenreiter.

– Des Kukenreiter? C'est jusdement ça. Faides donc brendre les miens, qui sont avec ma pagache, cheneral, pour les gombarer un beu.

– Après le dîner, comte, après le dîner. Mettez-vous en face de moi, là, très bien. Savez-vous votre Bénédicité?.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
660 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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