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Читать книгу: «Le comte de Monte Cristo», страница 3

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IV. Complot

Danglars suivit Edmond et Mercédès des yeux jusqu’à ce que les deux amants eussent disparu à l’un des angles du fort Saint-Nicolas; puis, se retournant alors, il aperçut Fernand, qui était retombé pâle et frémissant sur sa chaise, tandis que Caderousse balbutiait les paroles d’une chanson à boire.

Ah çà! mon cher monsieur, dit Danglars à Fernand, voilà un mariage qui ne me paraît pas faire le bonheur de tout le monde!

– Il me désespère, dit Fernand.

– Vous aimiez donc Mercédès?

– Je l’adorais!

– Depuis longtemps?

– Depuis que nous nous connaissons, je l’ai toujours aimée.

– Et vous êtes là à vous arracher les cheveux, au lieu de chercher remède à la chose! Que diable! je ne croyais pas que ce fût ainsi qu’agissaient les gens de votre nation.

– Que voulez-vous que je fasse? demanda Fernand.

– Et que sais-je, moi? Est-ce que cela me regarde? Ce n’est pas moi, ce me semble, qui suis amoureux de Mlle Mercédès, mais vous. Cherchez, dit l’Évangile, et vous trouverez.

– J’avais trouvé déjà.

– Quoi?

– Je voulais poignarder l’homme, mais la femme m’a dit que s’il arrivait malheur à son fiancé, elle se tuerait.

– Bah! on dit ces choses-là, mais on ne les fait point.

– Vous ne connaissez point Mercédès, monsieur: du moment où elle a menacé, elle exécuterait.

– Imbécile! murmura Danglars: qu’elle se tue ou non, que m’importe, pourvu que Dantès ne soit point capitaine.

– Et avant que Mercédès meure, reprit Fernand avec l’accent d’une immuable résolution, je mourrais moi-même.

– En voilà de l’amour! dit Caderousse d’une voix de plus en plus avinée; en voilà, ou je ne m’y connais plus!

– Voyons, dit Danglars, vous me paraissez un gentil garçon, et je voudrais, le diable m’emporte! vous tirer de peine; mais…

– Oui, dit Caderousse, voyons.

– Mon cher, reprit Danglars, tu es aux trois quarts ivres: achève la bouteille, et tu le seras tout à fait. Bois, et ne te mêle pas de ce que nous faisons: pour ce que nous faisons il faut avoir toute sa tête.

– Moi ivre? dit Caderousse, allons donc! J’en boirais encore quatre, de tes bouteilles, qui ne sont pas plus grandes que des bouteilles d’eau de Cologne! Père Pamphile, du vin!»

Et pour joindre la preuve à la proposition, Caderousse frappa avec son verre sur la table.

«Vous disiez donc, monsieur? reprit Fernand, attendant avec avidité la suite de la phrase interrompue.

– Que disais-je? Je ne me le rappelle plus. Cet ivrogne de Caderousse m’a fait perdre le fil de mes pensées.

– Ivrogne tant que tu le voudras; tant pis pour ceux qui craignent le vin, c’est qu’ils ont quelque mauvaise pensée qu’ils craignent que le vin ne leur tire du cœur.»

Et Caderousse se mit à chanter les deux derniers vers d’une chanson fort en vogue à cette époque:

Tous les méchants sont buveurs d’eau,

C’est bien prouvé par le déluge.

«Vous disiez, monsieur, reprit Fernand, que vous voudriez me tirer de peine; mais, ajoutiez-vous…

– Oui, mais, ajoutais-je… pour vous tirer de peine il suffit que Dantès n’épouse pas celle que vous aimez et le mariage peut très bien manquer, ce me semble, sans que Dantès meure.

– La mort seule les séparera, dit Fernand.

– Vous raisonnez comme un coquillage, mon ami, dit Caderousse, et voilà Danglars, qui est un finaud, un malin, un grec, qui va vous prouver que vous avez tort. Prouve, Danglars. J’ai répondu de toi. Dis-lui qu’il n’est pas besoin que Dantès meure; d’ailleurs ce serait fâcheux qu’il mourût, Dantès. C’est un bon garçon, je l’aime, moi, Dantès. À ta santé, Dantès.»

Fernand se leva avec impatience.

«Laissez-le dire, reprit Danglars en retenant le jeune homme, et d’ailleurs, tout ivre qu’il est, il ne fait point si grande erreur. L’absence disjoint tout aussi bien que la mort; et supposez qu’il y ait entre Edmond et Mercédès les murailles d’une prison, ils seront séparés ni plus ni moins que s’il y avait là la pierre d’une tombe.

– Oui, mais on sort de prison, dit Caderousse, qui avec les restes de son intelligence se cramponnait à la conversation, et quand on est sorti de prison et qu’on s’appelle Edmond Dantès, on se venge.

– Qu’importe! murmura Fernand.

– D’ailleurs, reprit Caderousse, pourquoi mettrait-on Dantès en prison? Il n’a ni volé, ni tué, ni assassiné.

– Tais-toi, dit Danglars.

– Je ne veux pas me taire, moi, dit Caderousse. Je veux qu’on me dise pourquoi on mettrait Dantès en prison. Moi, j’aime Dantès. À ta santé, Dantès!»

Et il avala un nouveau verre de vin. Danglars suivit dans les yeux atones du tailleur les progrès de l’ivresse, et se tournant vers Fernand:

«Eh bien, comprenez-vous, dit-il, qu’il n’y a pas besoin de le tuer?

– Non, certes, si, comme vous le disiez tout à l’heure, on avait le moyen de faire arrêter Dantès. Mais ce moyen, l’avez-vous?

– En cherchant bien, dit Danglars, on pourrait le trouver. Mais continua-t-il, de quoi diable! vais-je me mêler là; est-ce que cela me regarde?

– Je ne sais pas si cela vous regarde, dit Fernand en lui saisissant le bras; mais ce que je sais, c’est que vous avez quelque motif de haine particulière contre Dantès: celui qui hait lui-même ne se trompe pas aux sentiments des autres.

– Moi, des motifs de haine contre Dantès? Aucun, sur ma parole. Je vous ai vu malheureux et votre malheur m’a intéressé, voilà tout; mais du moment où vous croyez que j’agis pour mon propre compte, adieu, mon cher ami, tirez-vous d’affaire comme vous pourrez.»

Et Danglars fit semblant de se lever à son tour.

«Non pas, dit Fernand en le retenant, restez! Peu m’importe, au bout du compte, que vous en vouliez à Dantès, ou que vous ne lui en vouliez pas: je lui en veux, moi; je l’avoue hautement. Trouvez le moyen et je l’exécute, pourvu qu’il n’y ait pas mort d’homme, car Mercédès a dit qu’elle se tuerait si l’on tuait Dantès.»

Caderousse, qui avait laissé tomber sa tête sur la table releva le front, et regardant Fernand et Danglars avec des yeux lourds et hébétés:

«Tuer Dantès! dit-il, qui parle ici de tuer Dantès? je ne veux pas qu’on le tue, moi: c’est mon ami; il a offert ce matin de partager son argent avec moi, comme j’ai partagé le mien avec lui: je ne veux pas qu’on tue Dantès.

– Et qui te parle de le tuer, imbécile! reprit Danglars; il s’agit d’une simple plaisanterie; bois à sa santé, ajouta-t-il en remplissant le verre de Caderousse, et laisse-nous tranquilles.

– Oui, oui, à la santé de Dantès! dit Caderousse en vidant son verre, à sa santé!… à sa santé!… là!

– Mais le moyen, le moyen? dit Fernand.

– Vous ne l’avez donc pas trouvé encore, vous?

– Non, vous vous en êtes chargé.

– C’est vrai, reprit Danglars, les Français ont cette supériorité sur les Espagnols, que les Espagnols ruminent et que les Français inventent.

– Inventez donc alors, dit Fernand avec impatience.

– Garçon, dit Danglars, une plume, de l’encre et du papier!

– Une plume, de l’encre et du papier! murmura Fernand.

– Oui, je suis agent comptable: la plume, l’encre et le papier sont mes instruments; et sans mes instruments je ne sais rien faire.

– Une plume, de l’encre et du papier! cria à son tour Fernand.

– Il y a ce que vous désirez là sur cette table, dit le garçon en montrant les objets demandés.

– Donnez-les-nous alors.»

Le garçon prit le papier, l’encre et la plume, et les déposa sur la table du berceau.

«Quand on pense, dit Caderousse en laissant tomber sa main sur le papier, qu’il y a là de quoi tuer un homme plus sûrement que si on l’attendait au coin d’un bois pour l’assassiner! J’ai toujours eu plus peur d’une plume, d’une bouteille d’encre et d’une feuille de papier que d’une épée ou d’un pistolet.

– Le drôle n’est pas encore si ivre qu’il en a l’air, dit Danglars; versez-lui donc à boire, Fernand.»

Fernand remplit le verre de Caderousse, et celui-ci en véritable buveur qu’il était, leva la main de dessus le papier et la porta à son verre.

Le Catalan suivit le mouvement jusqu’à ce que Caderousse, presque vaincu par cette nouvelle attaque, reposât ou plutôt laissât retomber son verre sur la table.

«Eh bien? reprit le Catalan en voyant que le reste de la raison de Caderousse commençait à disparaître sous ce dernier verre de vin.

– Eh bien, je disais donc, par exemple, reprit Danglars, que si, après un voyage comme celui que vient de faire Dantès, et dans lequel il a touché à Naples et à l’île d’Elbe, quelqu’un le dénonçait au procureur du roi comme agent bonapartiste…

– Je le dénoncerai, moi! dit vivement le jeune homme.

– Oui; mais alors on vous fait signer votre déclaration, on vous confronte avec celui que vous avez dénoncé: je vous fournis de quoi soutenir votre accusation, je le sais bien; mais Dantès ne peut rester éternellement en prison, un jour ou l’autre il en sort, et, ce jour où il en sort, malheur à celui qui l’y a fait entrer!

– Oh! je ne demande qu’une chose, dit Fernand, c’est qu’il vienne me chercher une querelle!

– Oui, et Mercédès! Mercédès, qui vous prend en haine si vous avez seulement le malheur d’écorcher l’épiderme à son bien-aimé Edmond!

– C’est juste, dit Fernand.

– Non, non, reprit Danglars, si on se décidait à une pareille chose, voyez-vous, il vaudrait bien mieux prendre tout bonnement comme je le fais, cette plume, la tremper dans l’encre, et écrire de la main gauche, pour que l’écriture ne fût pas reconnue, une petite dénonciation ainsi conçue.»

Et Danglars, joignant l’exemple au précepte, écrivit de la main gauche et d’une écriture renversée, qui n’avait aucune analogie avec son écriture habituelle, les lignes suivantes qu’il passa à Fernand, et que Fernand lut à demi-voix:

Monsieur le procureur du roi est prévenu, par un ami du trône et de la religion, que le nommé Edmond Dantès, second du navire le Pharaon, arrivé ce matin de Smyrne, après avoir touché à Naples et à Porto-Ferrajo, a été chargé, par Murat, d’une lettre pour l’usurpateur, et, par l’usurpateur, d’une lettre pour le comité bonapartiste de Paris.

On aura la preuve de son crime en l’arrêtant, car on trouvera cette lettre ou sur lui, ou chez son père, ou dans sa cabine à bord du Pharaon.

«À la bonne heure, continua Danglars; ainsi votre vengeance aurait le sens commun, car d’aucune façon alors elle ne pourrait retomber sur vous, et la chose irait toute seule; il n’y aurait plus qu’à plier cette lettre, comme je le fais, et à écrire dessus: «À Monsieur le Procureur royal.» Tout serait dit.»

Et Danglars écrivit l’adresse en se jouant.

«Oui, tout serait dit», s’écria Caderousse, qui par un dernier effort d’intelligence avait suivi la lecture, et qui comprenait d’instinct tout ce qu’une pareille dénonciation pourrait entraîner de malheur; «oui, tout serait dit: seulement, ce serait une infamie.»

Et il allongea le bras pour prendre la lettre.

«Aussi, dit Danglars en la poussant hors de la portée de sa main, aussi, ce que je dis et ce que je dis et ce que je fais, c’est en plaisantant; et, le premier, je serais bien fâché qu’il arrivât quelque chose à Dantès, ce bon Dantès! Aussi, tiens…»

Il prit la lettre, la froissa dans ses mains et la jeta dans un coin de la tonnelle.

«À la bonne heure, dit Caderousse, Dantès est mon ami, et je ne veux pas qu’on lui fasse de mal.

– Eh! qui diable y songe à lui faire du mal! ce n’est ni moi ni Fernand! dit Danglars en se levant et en regardant le jeune homme qui était demeuré assis, mais dont l’œil oblique couvait le papier dénonciateur jeté dans un coin.

– En ce cas, reprit Caderousse, qu’on nous donne du vin: je veux boire à la santé d’Edmond et de la belle Mercédès.

– Tu n’as déjà que trop bu, ivrogne, dit Danglars, et si tu continues tu seras obligé de coucher ici, attendu que tu ne pourras plus te tenir sur tes jambes.

– Moi, dit Caderousse en se levant avec la fatuité de l’homme ivre; moi, ne pas pouvoir me tenir sur mes jambes! Je parie que je monte au clocher des Accoules, et sans balancer encore!

– Eh bien, soit, dit Danglars, je parie, mais pour demain: aujourd’hui il est temps de rentrer; donne-moi donc le bras et rentrons.

– Rentrons, dit Caderousse, mais je n’ai pas besoin de ton bras pour cela. Viens-tu, Fernand? rentres-tu avec nous à Marseille?

– Non, dit Fernand, je retourne aux Catalans, moi.

– Tu as tort, viens avec nous à Marseille, viens.

– Je n’ai point besoin à Marseille, et je n’y veux point aller.

– Comment as-tu dit cela? Tu ne veux pas, mon bonhomme! eh bien, à ton aise! liberté pour tout le monde! Viens, Danglars, et laissons monsieur rentrer aux Catalans, puisqu’il le veut.»

Danglars profita de ce moment de bonne volonté de Caderousse pour l’entraîner du côté de Marseille; seulement, pour ouvrir un chemin plus court et plus facile à Fernand, au lieu de revenir par le quai de la Rive-Neuve, il revint par la porte Saint-Victor.

Caderousse le suivait, tout chancelant, accroché à son bras.

Lorsqu’il eut fait une vingtaine de pas, Danglars se retourna et vit Fernand se précipiter sur le papier, qu’il mit dans sa poche; puis aussitôt, s’élançant hors de la tonnelle, le jeune homme tourna du côté du Pillon.

«Eh bien, que fait-il donc? dit Caderousse, il nous a menti: il a dit qu’il allait aux Catalans, et il va à la ville! Holà! Fernand! tu te trompes, mon garçon!

– C’est toi qui vois trouble, dit Danglars, il suit tout droit le chemin des Vieilles-Infirmeries.

– En vérité! dit Caderousse, eh bien, j’aurais juré qu’il tournait à droite; décidément le vin est un traître.

– Allons, allons, murmura Danglars, je crois que maintenant la chose est bien lancée, et qu’il n’y a plus qu’à la laisser marcher toute seule.»

V. Le repas des fiançailles.

Le lendemain fut un beau jour. Le soleil se leva pur et brillant, et les premiers rayons d’un rouge pourpre diaprèrent de leurs rubis les pointes écumeuses des vagues.

Le repas avait été préparé au premier étage de cette même Réserve, avec la tonnelle de laquelle nous avons déjà fait connaissance. C’était une grande salle éclairée par cinq ou six fenêtres, au-dessus de chacune desquelles (explique le phénomène qui pourra!) était écrit le nom d’une des grandes villes de France.

Une balustrade en bois, comme le reste du bâtiment, régnait tout le long de ces fenêtres.

Quoique le repas ne fût indiqué que pour midi, dès onze heures du matin, cette balustrade était chargée de promeneurs impatients. C’étaient les marins privilégiés du Pharaon et quelques soldats, amis de Dantès. Tous avaient, pour faire honneur aux fiancés, fait voir le jour à leurs plus belles toilettes.

Le bruit circulait, parmi les futurs convives, que les armateurs du Pharaon devaient honorer de leur présence le repas de noces de leur second; mais c’était de leur part un si grand honneur accordé à Dantès que personne n’osait encore y croire.

Cependant Danglars, en arrivant avec Caderousse, confirma à son tour cette nouvelle. Il avait vu le matin M. Morrel lui-même, et M. Morrel lui avait dit qu’il viendrait dîner à la Réserve.

En effet, un instant après eux, M. Morrel fit à son tour son entrée dans la chambre et fut salué par les matelots du Pharaon d’un hourra unanime d’applaudissements. La présence de l’armateur était pour eux la confirmation du bruit qui courait déjà que Dantès serait nommé capitaine; et comme Dantès était fort aimé à bord, ces braves gens remerciaient ainsi l’armateur de ce qu’une fois par hasard son choix était en harmonie avec leurs désirs. À peine M. Morrel fut-il entré qu’on dépêcha unanimement Danglars et Caderousse vers le fiancé: ils avaient mission de le prévenir de l’arrivée du personnage important dont la vue avait produit une si vive sensation, et de lui dire de se hâter.

Danglars et Caderousse partirent tout courant mais ils n’eurent pas fait cent pas, qu’à la hauteur du magasin à poudre ils aperçurent la petite troupe qui venait.

Cette petite troupe se composait de quatre jeunes filles amies de Mercédès et Catalanes comme elle, et qui accompagnaient la fiancée à laquelle Edmond donnait le bras. Près de la future marchait le père Dantès, et derrière eux venait Fernand avec son mauvais sourire.

Ni Mercédès ni Edmond ne voyaient ce mauvais sourire de Fernand. Les pauvres enfants étaient si heureux qu’ils ne voyaient qu’eux seuls et ce beau ciel pur qui les bénissait.

Danglars et Caderousse s’acquittèrent de leur mission d’ambassadeurs; puis après avoir échangé une poignée de main bien vigoureuse et bien amicale avec Edmond, ils allèrent, Danglars prendre place près de Fernand, Caderousse se ranger aux côtés du père Dantès, centre de l’attention générale.

Ce vieillard était vêtu de son bel habit de taffetas épinglé, orné de larges boutons d’acier, taillés à facettes. Ses jambes grêles, mais nerveuses, s’épanouissaient dans de magnifiques bas de coton mouchetés, qui sentaient d’une lieue la contrebande anglaise. À son chapeau à trois cornes pendait un flot de rubans blancs et bleus.

Enfin, il s’appuyait sur un bâton de bois tordu et recourbé par le haut comme un pedum antique. On eût dit un de ces muscadins qui paradaient en 1796 dans les jardins nouvellement rouverts du Luxembourg et des Tuileries.

Près de lui, nous l’avons dit, s’était glissé Caderousse, Caderousse que l’espérance d’un bon repas avait achevé de réconcilier avec les Dantès, Caderousse à qui il restait dans la mémoire un vague souvenir de ce qui s’était passé la veille, comme en se réveillant le matin on trouve dans son esprit l’ombre du rêve qu’on a fait pendant le sommeil.

Danglars, en s’approchant de Fernand, avait jeté sur l’amant désappointé un regard profond. Fernand, marchant derrière les futurs époux, complètement oublié par Mercédès, qui dans cet égoïsme juvénile et charmant de l’amour n’avait d’yeux que pour son Edmond. Fernand était pâle, puis rouge par bouffées subites qui disparaissaient pour faire place chaque fois à une pâleur croissante. De temps en temps, il regardait du côté de Marseille, et alors un tremblement nerveux et involontaire faisait frissonner ses membres. Fernand semblait attendre ou tout au moins prévoir quelque grand événement.

Dantès était simplement vêtu. Appartenant à la marine marchande, il avait un habit qui tenait le milieu entre l’uniforme militaire et le costume civil; et sous cet habit, sa bonne mine, que rehaussaient encore la joie et la beauté de sa fiancée, était parfaite.

Mercédès était belle comme une de ces Grecques de Chypre ou de Céos, aux yeux d’ébène et aux lèvres de corail. Elle marchait de ce pas libre et franc dont marchent les Arlésiennes et les Andalouses. Une fille des villes eût peut-être essayé de cacher sa joie sous un voile ou tout au moins sous le velours de ses paupières, mais Mercédès souriait et regardait tous ceux qui l’entouraient, et son sourire et son regard disaient aussi franchement qu’auraient pu le dire ses paroles: Si vous êtes mes amis, réjouissez-vous avec moi, car, en vérité, je suis bien heureuse!

Dès que les fiancés et ceux qui les accompagnaient furent en vue de la Réserve, M. Morrel descendit et s’avança à son tour au-devant d’eux, suivi des matelots et des soldats avec lesquels il était resté, et auxquels il avait renouvelé la promesse déjà faite à Dantès qu’il succéderait au capitaine Leclère. En le voyant venir, Edmond quitta le bras de sa fiancée et le passa sous celui de M. Morrel. L’armateur et la jeune fille donnèrent alors l’exemple en montant les premiers l’escalier de bois qui conduisait à la chambre où le dîner était servi, et qui cria pendant cinq minutes sous les pas pesants des convives.

«Mon père, dit Mercédès en s’arrêtant au milieu de la table, vous à ma droite, je vous prie; quant à ma gauche, j’y mettrai celui qui m’a servi de frère», fit-elle avec une douceur qui pénétra au plus profond du cœur de Fernand comme un coup de poignard.

Ses lèvres blêmirent, et sous la teinte bistrée de son mâle visage on put voir encore une fois le sang se retirer peu à peu pour affluer au cœur.

Pendant ce temps, Dantès avait exécuté la même manœuvre; à sa droite il avait mis M. Morrel, à sa gauche Danglars; puis de la main il avait fait signe à chacun de se placer à sa fantaisie.

Déjà couraient autour de la table les saucissons d’Arles à la chair brune et au fumet accentué, les langoustes à la cuirasse éblouissante, les prayres à la coquille rosée, les oursins, qui semblent des châtaignes entourées de leur enveloppe piquante, les clovisses, qui ont la prétention de remplacer avec supériorité, pour les gourmets du Midi, les huîtres du Nord; enfin tous ces hors-d’œuvre délicats que la vague roule sur sa rive sablonneuse, et que les pêcheurs reconnaissants désignent sous le nom générique de fruits de mer.

«Un beau silence! dit le vieillard en savourant un verre de vin jaune comme la topaze, que le père Pamphile en personne venait d’apporter devant Mercédès. Dirait-on qu’il y a ici trente personnes qui ne demandent qu’à rire.

– Eh! un mari n’est pas toujours gai, dit Caderousse.

– Le fait est, dit Dantès, que je suis trop heureux en ce moment pour être gai. Si c’est comme cela que vous l’entendez, voisin, vous avez raison! La joie fait quelquefois un effet étrange, elle oppresse comme la douleur.»

Danglars observa Fernand, dont la nature impressionnable absorbait et renvoyait chaque émotion.

«Allons donc, dit-il, est-ce que vous craindriez quelque chose? il me semble, au contraire, que tout va selon vos désirs!

– Et c’est justement cela qui m’épouvante, dit Dantès, il me semble que l’homme n’est pas fait pour être si facilement heureux! Le bonheur est comme ces palais des îles enchantées dont les dragons gardent les portes. Il faut combattre pour le conquérir, et moi, en vérité, je ne sais en quoi j’ai mérité le bonheur d’être le mari de Mercédès.

– Le mari, le mari, dit Caderousse en riant, pas encore, mon capitaine; essaie un peu de faire le mari, et tu verras comme tu seras reçu!»

Mercédès rougit. Fernand se tourmentait sur sa chaise, tressaillait au moindre bruit, et de temps en temps essuyait de larges plaques de sueur qui perlaient sur son front, comme les premières gouttes d’une pluie d’orage.

«Ma foi, dit Dantès, voisin Caderousse, ce n’est point la peine de me démentir pour si peu. Mercédès n’est point encore ma femme, c’est vrai… (il tira sa montre). Mais, dans une heure et demie elle le sera!»

Chacun poussa un cri de surprise, à l’exception du père Dantès, dont le large rire montra les dents encore belles. Mercédès sourit et ne rougit plus. Fernand saisit convulsivement le manche de son couteau.

«Dans une heure! dit Danglars pâlissant lui-même; et comment cela?

– Oui, mes amis, répondit Dantès, grâce au crédit de M. Morrel, l’homme après mon père auquel je dois le plus au monde, toutes les difficultés sont aplanies. Nous avons acheté les bans, et à deux heures et demie le maire de Marseille nous attend à l’hôtel de ville. Or, comme une heure et un quart viennent de sonner, je ne crois pas me tromper de beaucoup en disant que dans une heure trente minutes Mercédès s’appellera Mme Dantès.»

Fernand ferma les yeux: un nuage de feu brûla ses paupières; il s’appuya à la table pour ne pas défaillir, et, malgré tous ses efforts, ne put retenir un gémissement sourd qui se perdit dans le bruit des rires et des félicitations de l’assemblée.

«C’est bien agir, cela, hein, dit le père Dantès. Cela s’appelle-t-il perdre son temps, à votre avis? Arrivé d’hier au matin, marié aujourd’hui à trois heures! Parlez-moi des marins pour aller rondement en besogne.

– Mais les autres formalités, objecta timidement Danglars: le contrat, les écritures?…

– Le contrat, dit Dantès en riant, le contrat est tout fait: Mercédès n’a rien, ni moi non plus! Nous nous marions sous le régime de la communauté, et voilà! Ça n’a pas été long à écrire et ce ne sera pas cher à payer.»

Cette plaisanterie excita une nouvelle explosion de joie et de bravos.

«Ainsi, ce que nous prenions pour un repas de fiançailles, dit Danglars, est tout bonnement un repas de noces.

– Non pas, dit Dantès; vous n’y perdrez rien, soyez tranquilles. Demain matin, je pars pour Paris. Quatre jours pour aller, quatre jours pour revenir, un jour pour faire en conscience la commission dont je suis chargé, et le 1er mars je suis de retour; au 2 mars donc le véritable repas de noces.»

Cette perspective d’un nouveau festin redoubla l’hilarité au point que le père Dantès, qui au commencement du dîner se plaignait du silence, faisait maintenant, au milieu de la conversation générale, de vains efforts pour placer son vœu de prospérité en faveur des futurs époux.

Dantès devina la pensée de son père et y répondit par un sourire plein d’amour. Mercédès commença de regarder l’heure au coucou de la salle et fit un petit signe à Edmond.

Il y avait autour de la table cette hilarité bruyante et cette liberté individuelle qui accompagnent, chez les gens de condition inférieure, la fin des repas. Ceux qui étaient mécontents de leur place s’étaient levés de table et avaient été chercher d’autres voisins. Tout le monde commençait à parler à la fois, et personne ne s’occupait de répondre à ce que son interlocuteur lui disait, mais seulement à ses propres pensées.

La pâleur de Fernand était presque passée sur les joues de Danglars; quant à Fernand lui-même, il ne vivait plus et semblait un damné dans le lac de feu. Un des premiers, il s’était levé et se promenait de long en large dans la salle, essayant d’isoler son oreille du bruit des chansons et du choc des verres.

Caderousse s’approcha de lui au moment où Danglars, qu’il semblait fuir, venait de le rejoindre dans un angle de la salle.

«En vérité, dit Caderousse, à qui les bonnes façons de Dantès et surtout le bon vin du père Pamphile avaient enlevé tous les restes de la haine dont le bonheur inattendu de Dantès avait jeté les germes dans son âme, en vérité, Dantès est un gentil garçon; et quand je le vois assis près de sa fiancée, je me dis que ç’eût été dommage de lui faire la mauvaise plaisanterie que vous complotiez hier.

– Aussi, dit Danglars, tu as vu que la chose n’a pas eu de suite; ce pauvre M. Fernand était si bouleversé qu’il m’avait fait de la peine d’abord; mais du moment qu’il en a pris son parti, au point de s’être fait le premier garçon de noces de son rival, il n’y a plus rien à dire.»

Caderousse regarda Fernand, il était livide.

«Le sacrifice est d’autant plus grand, continua Danglars, qu’en vérité la fille est belle. Peste! l’heureux coquin que mon futur capitaine; je voudrais m’appeler Dantès douze heures seulement.

– Partons-nous? demanda la douce voix de Mercédès; voici deux heures qui sonnent, et l’on nous attend à deux heures un quart.

– Oui, oui, partons! dit Dantès en se levant vivement.

– Partons!» répétèrent en chœur tous les convives.

Au même instant, Danglars, qui ne perdait pas de vue Fernand assis sur le rebord de la fenêtre, le vit ouvrir des yeux hagards, se lever comme par un mouvement convulsif, et retomber assis sur l’appui de cette croisée; presque au même instant un bruit sourd retentit dans l’escalier; le retentissement d’un pas pesant, une rumeur confuse de voix mêlées à un cliquetis d’armes couvrirent les exclamations des convives, si bruyantes qu’elles fussent, et attirèrent l’attention générale, qui se manifesta à l’instant même par un silence inquiet. Le bruit s’approcha: trois coups retentirent dans le panneau de la porte; chacun regarda son voisin d’un air étonné.

«Au nom de la loi!» cria une voix vibrante, à laquelle aucune voix ne répondit.

Aussitôt la porte s’ouvrit, et un commissaire, ceint de son écharpe, entra dans la salle, suivi de quatre soldats armés, conduits par un caporal.

L’inquiétude fit place à la terreur.

«Qu’y a-t-il? demanda l’armateur en s’avançant au-devant du commissaire qu’il connaissait; bien certainement, monsieur, il y a méprise.

– S’il y a méprise, monsieur Morrel, répondit le commissaire croyez que la méprise sera promptement réparée; en attendant, je suis porteur d’un mandat d’arrêt; et quoique ce soit avec regret que je remplisse ma mission, il ne faut pas moins que je la remplisse: lequel de vous, messieurs, est Edmond Dantès?»

Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme qui, fort ému, mais conservant sa dignité, fit un pas en avant et dit:

«C’est moi, monsieur, que me voulez-vous?

– Edmond Dantès, reprit le commissaire, au nom de la loi, je vous arrête!

– Vous m’arrêtez! dit Edmond avec une légère pâleur, mais pourquoi m’arrêtez-vous?

– Je l’ignore, monsieur, mais votre premier interrogatoire vous l’apprendra.»

M. Morrel comprit qu’il n’y avait rien à faire contre l’inflexibilité de la situation: un commissaire ceint de son écharpe n’est plus un homme, c’est la statue de la loi, froide, sourde, muette.

Le vieillard, au contraire, se précipita vers l’officier; il y a des choses que le cœur d’un père ou d’une mère ne comprendra jamais.

Il pria et supplia: larmes et prières ne pouvaient rien; cependant son désespoir était si grand, que le commissaire en fut touché.

«Monsieur, dit-il, tranquillisez-vous; peut-être votre fils a-t-il négligé quelque formalité de douane ou de santé, et, selon toute probabilité, lorsqu’on aura reçu de lui les renseignements qu’on désire en tirer, il sera remis en liberté.

– Ah çà! qu’est-ce que cela signifie? demanda en fronçant le sourcil Caderousse à Danglars, qui jouait la surprise.

– Le sais-je, moi? dit Danglars; je suis comme toi: je vois ce qui se passe, je n’y comprends rien, et je reste confondu.»

Caderousse chercha des yeux Fernand: il avait disparu. Toute la scène de la veille se représenta alors à son esprit avec une effrayante lucidité. On eût dit que la catastrophe venait de tirer le voile que l’ivresse de la veille avait jeté entre lui et sa mémoire.

«Oh! oh! dit-il d’une voix rauque, serait-ce la suite de la plaisanterie dont vous parliez hier, Danglars? En ce cas, malheur à celui qui l’aurait faite, car elle est bien triste.

– Pas du tout! s’écria Danglars, tu sais bien, au contraire, que j’ai déchiré le papier.

– Tu ne l’as pas déchiré, dit Caderousse; tu l’as jeté dans un coin, voilà tout.

– Tais-toi, tu n’as rien vu, tu étais ivre.

– Où est Fernand? demanda Caderousse.

– Le sais-je, moi! répondit Danglars, à ses affaires probablement: mais, au lieu de nous occuper de cela, allons donc porter du secours à ces pauvres affligés.»

En effet, pendant cette conversation, Dantès avait en souriant, serré la main à tous ses amis, et s’était constitué prisonnier en disant:

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
1750 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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