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Читать книгу: «Le Chevalier de Maison-Rouge», страница 9

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– Maurice est de garde dans huit jours, murmura Dixmer. Il faut donc absolument que, d'ici à huit jours, nous soyons raccommodés avec Maurice.

La demie sonna. Morand reprit son fusil en soupirant, et, conduit par le caporal, alla relever la sentinelle qui se promenait sur la plate-forme de la tour.

XIV
Dévouement

Le lendemain du jour où s'étaient passées les scènes que nous venons de raconter, c'est-à-dire le 1er juin, à dix heures du matin, Geneviève était assise à sa place accoutumée, près de la fenêtre; elle se demandait pourquoi, depuis trois semaines, les jours se levaient si tristes pour elle, pourquoi ces jours se passaient si lentement, et enfin pourquoi, au lieu d'attendre le soir avec ardeur, elle l'attendait maintenant avec effroi.

Ses nuits, surtout, étaient tristes; ses nuits d'autrefois étaient si belles, ces nuits qui se passaient à rêver à la veille et au lendemain.

En ce moment, ses yeux tombèrent sur une magnifique caisse d'œillets tigrés et d'œillets rouges, que, depuis l'hiver, elle tirait de cette petite serre, où Maurice avait été retenu prisonnier, pour les faire éclore dans sa chambre.

Maurice lui avait appris à les cultiver dans cette plate-bande d'acajou, où ils étaient enfermés; elle les avait arrosés, émondés, palissés elle-même, tant que Maurice avait été là; car, lorsqu'il venait, le soir, elle se plaisait à lui montrer les progrès que, grâce à leurs soins fraternels, les charmantes fleurs avaient faits pendant la nuit. Mais, depuis que Maurice avait cessé de venir, les pauvres œillets avaient été négligés, et voilà que, faute de soins et de souvenir, les pauvres boutons alanguis étaient demeurés vides et se penchaient, jaunissants, hors de leur balustrade, sur laquelle ils retombaient, à demi fanés.

Geneviève comprit, par cette seule vue, la raison de sa tristesse à elle-même. Elle se dit qu'il en était des fleurs comme de certaines amitiés que l'on nourrit, que l'on cultive avec passion, et qui, alors, font épanouir le cœur; puis, un matin, un caprice ou un malheur coupe l'amitié par sa racine, et le cœur que cette amitié ravivait se resserre, languissant et flétri.

La jeune femme, alors, sentit l'angoisse affreuse de son cœur; le sentiment qu'elle avait voulu combattre, et qu'elle avait espéré vaincre, se débattait au fond de sa pensée, plus que jamais, criant qu'il ne mourrait qu'avec ce cœur; alors elle eut un moment de désespoir, car elle sentait que la lutte lui devenait de plus en plus impossible; elle pencha doucement la tête, baisa un de ces boutons flétris et pleura.

Son mari entra chez elle juste au moment où elle essuyait ses yeux.

Mais, de son côté, Dixmer était tellement préoccupé par ses propres pensées, qu'il ne devina point cette crise douloureuse que venait d'éprouver sa femme, et il ne fit point attention à la rougeur dénonciatrice de ses paupières.

Il est vrai que Geneviève, en apercevant son mari, se leva vivement, et, courant à lui de façon à tourner le dos à la fenêtre, dans la demi-teinte:

– Eh bien? dit-elle.

– Eh bien, rien de nouveau; impossible d'approcher d'ELLE, impossible de lui faire rien passer; impossible même de la voir.

– Quoi! s'écria Geneviève, avec tout ce bruit qu'il y a eu dans Paris?

– Eh! c'est justement ce bruit qui a redoublé la défiance des surveillants; on a craint qu'on ne profitât de l'agitation générale pour faire quelque tentative sur le Temple, et, au moment où Sa Majesté allait monter sur la plate-forme, l'ordre a été donné par Santerre de ne laisser sortir ni la reine, ni Madame Élisabeth, ni madame Royale.

– Pauvre chevalier, il a dû être bien contrarié?

– Il était au désespoir, quand il a vu cette chance nous échapper. Il a pâli au point que je l'ai entraîné de peur qu'il ne se trahît.

– Mais, demanda timidement Geneviève, il n'y avait donc au Temple aucun municipal de votre connaissance?

– Il devait y en avoir un, mais il n'est point venu.

– Lequel?

– Le citoyen Maurice Lindey, dit Dixmer d'un ton qu'il s'efforçait de rendre indifférent.

– Et pourquoi n'est-il pas venu? demanda Geneviève en faisant, de son côté, le même effort sur elle-même.

– Il était malade.

– Malade, lui?

– Oui, et assez gravement même. Patriote, comme vous le connaissez, il a été forcé de céder son tour à un autre.

– Oh! mon Dieu! y eût-il été, Geneviève, reprit Dixmer, vous comprenez, maintenant, que c'eût été la même chose.

Brouillés comme nous le sommes, peut-être eût-il évité de me parler.

– Je crois, mon ami, dit Geneviève, que vous vous exagérez la gravité de la situation. M. Maurice peut avoir le caprice de ne plus venir ici, quelques raisons futiles de ne plus nous voir; mais il n'est point, pour cela, notre ennemi. La froideur n'exclut pas la politesse, et, en vous voyant venir à lui, je suis certaine qu'il eût fait la moitié du chemin.

– Geneviève, dit Dixmer, pour ce que nous attendions de Maurice, il faudrait plus que de la politesse, et ce n'était point trop d'une amitié réelle et profonde. Cette amitié est brisée; il n'y a donc plus d'espoir de ce côté-là.

Et Dixmer poussa un profond soupir, tandis que son front, d'ordinaire si calme, se plissait tristement.

– Mais, dit timidement Geneviève, si vous croyez M. Maurice si nécessaire à vos projets…

– C'est-à-dire, répondit Dixmer, que je désespère de les voir réussir sans lui.

– Eh bien, alors, pourquoi ne tentez-vous pas une nouvelle démarche auprès du citoyen Lindey?

Il lui semblait qu'en appelant le jeune homme par son nom de famille, l'intonation de sa voix était moins tendre que lorsqu'elle l'appelait par son nom de baptême.

– Non, répondit Dixmer en secouant la tête, non, j'ai fait tout ce que je pouvais faire: une nouvelle démarche semblerait singulière et éveillerait nécessairement ses soupçons; non, et puis, voyez-vous, Geneviève, je vois plus loin que vous dans toute cette affaire: il y a une plaie au fond du cœur de Maurice.

– Une plaie? demanda Geneviève fort émue. Eh! mon Dieu! que voulez-vous dire? Parlez, mon ami.

– Je veux dire, et vous en êtes convaincue comme moi, Geneviève, qu'il y a dans notre rupture avec le citoyen Lindey plus qu'un caprice.

– Et à quoi donc alors attribuez-vous cette rupture?

– À l'orgueil, peut-être, dit vivement Dixmer.

– À l'orgueil?..

– Oui, il nous faisait honneur, à son avis du moins, ce bon bourgeois de Paris, ce demi-aristocrate de robe, conservant ses susceptibilités sous son patriotisme; il nous faisait honneur, ce républicain tout-puissant dans sa section, dans son club, dans sa municipalité, en accordant son amitié à des fabricants de pelleteries. Peut-être avons-nous fait trop peu d'avances, peut-être nous sommes-nous oubliés.

– Mais, reprit Geneviève, si nous lui avons fait trop peu d'avances, si nous nous sommes oubliés, il me semble que la démarche que vous avez faite rachetait tout cela.

– Oui, en supposant que le tort vînt de moi; mais si, au contraire, le tort venait de vous?

– De moi! Et comment voulez-vous, mon ami, que j'aie eu un tort envers M. Maurice? dit Geneviève étonnée.

– Eh! qui sait, avec un pareil caractère? Ne l'avez-vous pas vous-même, et la première, accusé de caprice? Tenez, j'en reviens à ma première idée, Geneviève, vous avez eu tort de ne pas écrire à Maurice.

– Moi! s'écria Geneviève, y pensez-vous?

– Non seulement j'y pense, dit Dixmer, mais encore, depuis trois semaines que dure cette rupture, j'y ai beaucoup pensé.

– Et…? demanda timidement Geneviève.

– Et je regarde cette démarche comme indispensable.

– Oh! s'écria Geneviève, non, non, Dixmer, n'exigez point cela de moi.

– Vous savez, Geneviève, que je n'exige jamais rien de vous; je vous prie seulement. Eh bien, entendez-vous? je vous prie d'écrire au citoyen Maurice.

– Mais… fit Geneviève.

– Écoutez, reprit Dixmer en l'interrompant: ou il y a entre vous et Maurice de graves sujets de querelle, car, quant à moi, il ne s'est jamais plaint de mes procédés, ou votre brouille avec lui résulte de quelque enfantillage.

Geneviève ne répondit point.

– Si cette brouille est causée par un enfantillage, ce serait folie à vous de l'éterniser; si elle a pour cause un motif sérieux, au point où nous en sommes, nous ne devons plus, comprenez bien cela, compter avec notre dignité, ni même avec notre amour-propre. Ne mettons donc point en balance, croyez-moi, une querelle de jeunes gens avec d'immenses intérêts. Faites un effort sur vous-même, écrivez un mot au citoyen Maurice Lindey et il reviendra.

Geneviève réfléchit un instant.

– Mais, dit-elle, ne saurait-on trouver un moyen, moins compromettant, de ramener la bonne intelligence entre vous et M. Maurice?

– Compromettant, dites-vous? Mais, au contraire, c'est un moyen tout naturel, ce me semble.

– Non, pas pour moi, mon ami.

– Vous êtes bien opiniâtre, Geneviève.

– Accordez-moi de dire que c'est la première fois, au moins, que vous vous en apercevez.

Dixmer, qui froissait son mouchoir entre ses mains, depuis quelques instants, essuya son front couvert de sueur.

– Oui, dit-il, et c'est pour cela que mon étonnement s'en augmente.

– Mon Dieu! dit Geneviève, est-il possible, Dixmer, que vous ne compreniez point les causes de ma résistance et que vous vouliez me forcer à parler?

Et elle laissa, faible et comme poussée à bout, tomber sa tête sur sa poitrine, et ses bras à ses côtés.

Dixmer parut faire un violent effort sur lui-même, prit la main de Geneviève, la força de relever la tête, et, la regardant entre les yeux, se mit à rire avec un éclat qui eût paru bien forcé à Geneviève si elle-même eût été moins agitée en ce moment.

– Je vois ce que c'est, dit-il; en vérité, vous avez raison. J'étais aveugle. Avec tout votre esprit, ma chère Geneviève, avec toute votre distinction, vous vous êtes laissé prendre à une banalité, vous avez eu peur que Maurice ne devînt amoureux de vous.

Geneviève sentit comme un froid mortel pénétrer jusqu'à son cœur. Cette ironie de son mari, à propos de l'amour que Maurice avait pour elle, amour dont, d'après la connaissance qu'elle avait du caractère du jeune homme, elle pouvait estimer toute la violence, amour enfin que, sans se l'avouer autrement que par de sourds remords, elle partageait elle-même au fond du cœur, cette ironie la pétrifia. Elle n'eut point la force de regarder. Elle sentit qu'il lui serait impossible de répondre.

– J'ai deviné, n'est-ce pas? reprit Dixmer. Eh bien, rassurez-vous, Geneviève, je connais Maurice; c'est un farouche républicain qui n'a point dans le cœur d'autre amour que l'amour de la patrie.

– Monsieur, s'écria Geneviève, êtes-vous bien sûr de ce que vous dites?

– Eh! sans doute, reprit Dixmer; si Maurice vous aimait, au lieu de se brouiller avec moi, il eût redoublé de soins et de prévenances pour celui qu'il avait intérêt à tromper. Si Maurice vous aimait, il n'eût point si facilement renoncé à ce titre d'ami de la maison, à l'aide duquel, d'ordinaire, on couvre ces sortes de trahisons.

– En honneur, s'écria Geneviève, ne plaisantez point, je vous prie, sur de pareilles choses!

– Je ne plaisante point, madame; je vous dis que Maurice ne vous aime pas, voilà tout.

– Et moi, moi, s'écria Geneviève en rougissant, moi, je vous dis que vous vous trompez.

– En ce cas, reprit Dixmer, Maurice, qui a eu la force de s'éloigner plutôt que de tromper la confiance de son hôte, est un honnête homme; or, les honnêtes gens sont rares, Geneviève, et l'on ne peut trop faire pour les ramener à soi quand ils se sont écartés. Geneviève, vous écrirez à Maurice, n'est-ce pas?

– Oh! mon Dieu! dit la jeune femme.

Et elle laissa tomber sa tête entre ses deux mains; car celui sur lequel elle comptait s'appuyer au moment du danger lui manquait tout à coup et la précipitait au lieu de la retenir.

Dixmer la regarda un instant; puis, s'efforçant de sourire:

– Allons, chère amie, dit-il, point d'amour-propre de femme; si Maurice veut recommencer à vous faire quelque bonne déclaration, riez de la seconde, comme vous avez fait de la première. Je vous connais, Geneviève, vous êtes un digne et noble cœur. Je suis sûr de vous.

– Oh! s'écria Geneviève en se laissant glisser de façon à ce qu'un de ses genoux touchât la terre, oh! mon Dieu! qui peut être sûr des autres quand nul n'est sûr de soi?

Dixmer devint pâle, comme si tout son sang se retirait vers son cœur.

– Geneviève, dit-il, j'ai eu tort de vous faire passer par toutes les angoisses que vous venez d'éprouver. J'aurais dû vous dire tout de suite: Geneviève, nous sommes dans l'époque des grands dévouements; Geneviève, j'ai dévoué à la reine, notre bienfaitrice, non seulement mon bras, non seulement ma tête, mais encore ma félicité; d'autres lui donneront leur vie. Je ferai plus que de lui donner ma vie, moi, je risquerai mon honneur; et mon honneur, s'il périt, ne sera qu'une larme de plus tombant dans cet océan de douleurs qui s'apprête à engloutir la France. Mais mon honneur ne risque rien, quand il est sous la garde d'une femme comme ma Geneviève.

Pour la première fois Dixmer venait de se révéler tout entier.

Geneviève redressa la tête, fixa sur lui ses beaux yeux pleins d'admiration, se releva lentement, lui donna son front à baiser.

– Vous le voulez? dit-elle. Dixmer fit un signe affirmatif.

– Dictez alors. Et elle prit une plume.

– Non point, dit Dixmer; c'est assez d'user, d'abuser peut-être de ce digne jeune homme; et, puisqu'il se réconciliera avec nous, à la suite d'une lettre qu'il aura reçue de Geneviève, que cette lettre soit bien de Geneviève et non de M. Dixmer.

Et Dixmer baisa une seconde fois sa femme au front, la remercia et sortit. Alors Geneviève tremblante écrivit:

«Citoyen Maurice, «Vous saviez combien mon mari vous aimait. Trois semaines de séparation, qui nous ont paru un siècle, vous l'ont-elles fait oublier? Venez; nous vous attendons; votre retour sera une véritable fête. «GENEVIÈVE.»

XV
La déesse Raison

Comme Maurice l'avait fait dire la veille au général Santerre, il était sérieusement malade.

Depuis qu'il gardait la chambre, Lorin était venu régulièrement le voir, et avait fait tout ce qu'il avait pu pour le déterminer à prendre quelque distraction. Mais Maurice avait tenu bon. Il y a des maladies dont on ne veut pas guérir.

Le 1er juin, il arriva vers une heure.

– Qu'y a-t-il donc de particulier aujourd'hui? demanda Maurice. Tu es superbe.

En effet, Lorin avait le costume de rigueur: le bonnet rouge, la carmagnole et la ceinture tricolore ornée de ces deux instruments, qu'on appelait alors les burettes de l'abbé Maury, et qu'auparavant et depuis, on appela tout bonnement des pistolets.

– D'abord, dit Lorin, il y a généralement la débâcle de la gironde qui est en train de s'exécuter, mais tambour battant; dans ce moment-ci, par exemple, on chauffe les boulets rouges sur la place du Carrousel. Puis, particulièrement parlant, il y a une grande solennité à laquelle je t'invite pour après-demain.

– Mais, pour aujourd'hui, qu'y a-t-il donc? Tu viens me chercher, dis-tu?

– Oui; aujourd'hui nous avons la répétition.

– Quelle répétition?

– La répétition de la grande solennité.

– Mon cher, dit Maurice, tu sais que, depuis huit jours, je ne sors plus; par conséquent, je ne suis plus au courant de rien, et j'ai le plus grand besoin d'être renseigné.

– Comment! je ne te l'ai donc pas dit?

– Tu ne m'as rien dit.

– D'abord, mon cher, tu savais déjà que nous avions supprimé Dieu pour quelque temps, et que nous l'avons remplacé par l'Être suprême.

– Oui, je sais cela.

– Eh bien, il paraît qu'on s'est aperçu d'une chose, c'est que l'Être suprême était un modéré, un rolandiste, un girondin.

– Lorin, pas de plaisanteries sur les choses saintes; je n'aime point cela, tu le sais.

– Que veux-tu, mon cher! il faut être de son siècle. Moi aussi, j'aimais assez l'ancien Dieu, d'abord parce que j'y étais habitué. Quant à l'Être suprême, il paraît qu'il a réellement des torts, et que, depuis qu'il est là-haut, tout va de travers; enfin nos législateurs ont décrété sa déchéance…

Maurice haussa les épaules.

– Hausse les épaules tant que tu voudras, dit Lorin.

 
De par la philosophie,
Nous, grands suppôts de Momus,
Ordonnons que la folie
Ait son culte in partibus.
 

Si bien, continua Lorin, que nous allons un peu adorer la déesse Raison.

– Et tu te fourres dans toutes ces mascarades? dit Maurice.

– Ah! mon ami, si tu connaissais la déesse Raison comme je la connais, tu serais un de ses plus chauds partisans. Écoute, je veux te la faire connaître, je te présenterai à elle.

– Laisse-moi tranquille avec toutes tes folies; je suis triste, tu le sais bien.

– Raison de plus, morbleu! elle t'égayera, c'est une bonne fille… Eh! mais tu la connais, l'austère déesse que les Parisiens vont couronner de lauriers et promener sur un char de papier doré! C'est… devine…

– Comment veux-tu que je devine?

– C'est Arthémise.

– Arthémise? dit Maurice en cherchant dans sa mémoire, sans que ce nom lui rappelât aucun souvenir.

– Oui, une grande brune, dont j'ai fait connaissance, l'année dernière… au bal de l'Opéra, à telles enseignes que tu vins souper avec nous et que tu la grisas.

– Ah! oui, c'est vrai, répondit Maurice, je me souviens maintenant; et c'est elle?

– C'est elle qui a le plus de chances. Je l'ai présentée au concours: tous les Thermopyles m'ont promis leurs voix. Dans trois jours, l'élection générale. Aujourd'hui, repas préparatoire; aujourd'hui, nous répandons le vin de Champagne; peut-être, après-demain, répandrons-nous le sang! Mais qu'on répande ce que l'on voudra, Arthémise sera déesse, ou que le diable m'emporte! Allons, viens; nous lui ferons mettre sa tunique.

– Merci. J'ai toujours eu de la répugnance pour ces sortes de choses.

– Pour habiller les déesses? Peste! mon cher! tu es difficile. Eh bien, voyons, si cela peut te distraire, je la lui mettrai, sa tunique, et toi, tu la lui ôteras.

– Lorin, je suis malade, et non seulement je n'ai plus de gaieté, mais encore la gaieté des autres me fait mal.

– Ah çà! tu m'effrayes, Maurice: tu ne te bats plus, tu ne ris plus; est-ce que tu conspires, par hasard?

– Moi! plût à Dieu!

– Tu veux dire: plût à la déesse Raison!

– Laisse-moi, Lorin, je ne puis, je ne veux pas sortir; je suis au lit et j'y reste. Lorin se gratta l'oreille.

– Bon! dit-il, je vois ce que c'est.

– Et que vois-tu?

– Je vois que tu attends la déesse Raison.

– Corbleu! s'écria Maurice, les amis spirituels sont bien gênants; va-t'en, ou je te charge d'imprécations, toi et ta déesse.

– Charge, charge… Maurice levait la main pour maudire, lorsqu'il fut interrompu par son officieux, qui entrait en ce moment, tenant une lettre pour le citoyen son frère.

– Citoyen Agésilas, dit Lorin, tu entres dans un mauvais moment; ton maître allait être superbe.

Maurice laissa retomber sa main, qu'il étendit nonchalamment vers la lettre; mais à peine l'eût-il touchée qu'il tressaillit, et, l'approchant avidement de ses yeux, dévora du regard l'écriture et le cachet, et, tout en blêmissant, comme s'il allait se trouver mal, rompit le cachet.

– Oh! oh! murmura Lorin, voici notre intérêt qui s'éveille, à ce qu'il paraît.

Maurice n'écoutait plus, il lisait avec toute son âme les quelques lignes de Geneviève. Après les avoir lues, il les relut deux, trois, quatre fois; puis il s'essuya le front et laissa retomber ses mains, regardant Lorin comme un homme hébété.

– Diable! dit Lorin, il paraît que voilà une lettre qui renferme de fières nouvelles.

Maurice relut la lettre pour la cinquième fois, et un vermillon nouveau colora son visage. Ses yeux desséchés s'humectèrent, et un profond soupir dilata sa poitrine; puis, oubliant tout à coup sa maladie et la faiblesse qui en était la suite, il sauta hors de son lit.

– Mes habits! s'écria-t-il à l'officieux stupéfait; mes habits, mon cher Agésilas! Ah! mon pauvre Lorin, mon bon Lorin, je l'attendais tous les jours, mais, en vérité, je ne l'espérais pas. Çà, une culotte blanche, une chemise à jabot; qu'on me coiffe et qu'on me rase sur-le-champ!

L'officieux se hâta d'exécuter les ordres de Maurice, le coiffa et le rasa en un tour de main.

– Oh! la revoir! la revoir! s'écria le jeune homme, Lorin, en vérité, je n'ai pas su jusqu'à présent ce que c'était que le bonheur.

– Mon pauvre Maurice, dit Lorin, je crois que tu as besoin de la visite que je te conseillais.

– Oh! cher ami, s'écria Maurice, pardonne-moi; mais, en vérité, je n'ai plus ma raison.

– Alors je t'offre la mienne, dit Lorin en riant de cet affreux calembour. Ce qu'il y eut de plus étonnant, c'est que Maurice en rit aussi.

Le bonheur l'avait rendu facile en matière d'esprit. Ce ne fut point tout.

– Tiens, dit-il en coupant un oranger couvert de fleurs, offre de ma part ce bouquet à la digne veuve de Mausole.

– À la bonne heure! s'écria Lorin, voilà de la belle galanterie! Aussi, je te pardonne. Et puis, il me semble que décidément tu es bien amoureux, et j'ai toujours eu le plus profond respect pour les grandes infortunes.

– Eh bien, oui, je suis amoureux, s'écria Maurice, dont le cœur éclatait de joie; je suis amoureux, et maintenant je puis l'avouer puisqu'elle m'aime; car, puisqu'elle me rappelle, c'est qu'elle m'aime, n'est-ce pas, Lorin?

– Sans doute, répondit complaisamment l'adorateur de la déesse Raison; mais prends garde, Maurice; la façon dont tu prends la chose fait peur…

 
Souvent l'amour d'une Égérie
N'est rien moins qu'une trahison
Du tyran nommé Cupidon:
Près de la plus sage on s'oublie.
Aime ainsi que moi la Raison,
Tu ne feras pas de folie.
 

– Bravo! bravo! cria Maurice en battant des mains. Et, prenant ses jambes à son cou, il descendit les escaliers, quatre à quatre, gagna le quai, et s'élança dans la direction si connue de la vieille rue Saint-Jacques.

– Je crois qu'il m'a applaudi, Agésilas? demanda Lorin.

– Oui, certainement, citoyen, et il n'y a rien d'étonnant, car c'était bien joli, ce que vous avez dit là.

– Alors, il est plus malade que je ne croyais, dit Lorin. Et, à son tour, il descendit l'escalier, mais d'un pas plus calme. Arthémise n'était pas Geneviève. À peine Lorin fut-il dans la rue Saint-Honoré, lui et son oranger en fleurs, qu'une foule de jeunes citoyens, auxquels il avait pris, selon la disposition d'esprit où il se trouvait, l'habitude de distribuer des décimes ou des coups de pied au-dessous de la carmagnole, le suivirent respectueusement, le prenant sans doute pour un de ces hommes vertueux, auxquels Saint-Just avait proposé que l'on offrît un habit blanc et un bouquet de fleurs d'oranger. Comme le cortège allait sans cesse grossissant, tant, même à cette époque, un homme vertueux était chose rare à voir, il y avait bien plusieurs milliers de jeunes citoyens, lorsque le bouquet fut offert à Arthémise; hommage dont plusieurs autres Raisons, qui se mettaient sur les rangs, furent malades jusqu'à la migraine.

Ce fut ce soir-là même que se répandit dans Paris la fameuse cantate:

 
Vive la déesse Raison!
Flamme pure, douce lumière.
 

Et, comme elle est parvenue jusqu'à nous sans nom d'auteur, ce qui a fort exercé la sagacité des archéologues révolutionnaires, nous aurions presque l'audace d'affirmer qu'elle fut faite pour la belle Arthémise par notre ami Hyacinthe Lorin.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
500 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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