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Читать книгу: «La San-Felice, Tome 06», страница 6

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–Mais de l'argent?

–J'en trouverai dans les caisses des provinces. Il ne me faut pour tout cela que l'agrément de Votre Majesté.

–Mon agrément? Vive saint Janvier!.. Non pas, je me trompe, saint Janvier est un renégat. – Mon agrément, tu l'as. Quand te mets-tu en campagne?

–Dès aujourd'hui, sire. Mais vous savez mes conditions?

–Seul, sans armes et sans argent, n'est-ce point cela?

–Oui, sire. Me trouvez-vous trop exigeant?

–Non, pardieu!

–Mais seul, avec tout pouvoir: je serai votre vicaire général, votre alter ego.

–Tu seras tout cela, et, aujourd'hui même, en plein conseil, je déclare que telle est ma volonté.

–Alors, tout est perdu.

–Comment, tout est perdu?

–Sans doute. Au conseil, je n'ai que des ennemis. La reine ne m'aime pas, M. Acton me déteste, milord Nelson m'exècre, le prince de Castelcicala m'abhorre. Quand bien même les autres ministres me soutiendraient, voilà une majorité toute faite contre moi… Non, sire, pas ainsi.

–Comment, alors?

–Sans conseil d'État, sans autre volonté que celle du roi, sans autre aide que celle de Dieu. Ai-je besoin de quelqu'un pour faire ce que j'ai fait jusqu'à présent? Pas plus que je n'en aurai besoin pour ce qui me reste à faire. Ne disons pas un mot de notre plan; gardons le secret. Je pars sans bruit pour Messine avec mon secrétaire et mon chapelain, je traverse le détroit; et, là seulement je déclare aux Calabrais ce que je viens faire en Calabre. Le conseil d'État alors se réunira sans Votre Majesté ou avec Votre Majesté; mais il sera trop tard. Je me moquerai du conseil d'État. Je marcherai sur Cosenza, j'ordonnerai à de Cesare de faire sa jonction avec moi, et, dans trois mois comme je l'ai dit à Votre Majesté, je serai sous les murs de Naples.

– Si tu fais cela, Fabrizio, je te nomme premier ministre à vie et je reprends à mon imbécile de François le titre de duc de Calabre pour te le donner.

–Si je fais cela, sire, vous ferez ce que font les rois pour lesquels on se dévoue: vous vous hâterez d'oublier. Il y a des services si grands, que l'on ne peut les payer que par l'ingratitude, et celui que je vous aurai rendu sera de ceux-là. Mais mon but va plus loin que la richesse, plus haut que les honneurs. Je suis ambitieux de gloire et de renommée, sire: je veux être à la fois dans l'histoire Monk et Richelieu.

–Et je t'y aiderai de tout mon pouvoir, quoique je ne sache pas trop ce qu'ils sont ou plutôt ce qu'ils étaient. Quand dis-tu que tu veux partir?

–Aujourd'hui, si Votre Majesté y consent.

–Comment, si j'y consens? Tu es bon! Je t'y pousse, je t'y pousse des pieds et des mains. Mais tu ne penses pas, cependant, partir sans argent?

–J'ai un millier de ducats, sire.

–Et, moi, je dois en avoir deux ou trois mille dans mon secrétaire.

–C'est tout ce qu'il me faut.

–Attends donc… Mon nouveau ministre des finances, le prince Luzzi, m'a prévenu hier que le marquis Francesco Taccone était arrivé à Messine avec cinq cent mille ducats, qu'il a touchés chez Backer en échange de billets de banque. En voilà que je vous recommande, les Backer, mon éminentissime; quand nous serons rentrés à Naples, et que vous serez premier ministre, nous les ferons ministres des finances.

–Oui, sire. Mais revenons à nos cinq mille ducats.

–Eh bien, attends: je vais te signer l'ordre de les prendre à Taccone. Ce sera ta caisse militaire.

Le cardinal se mit à rire.

–Pourquoi ris-tu? demanda le roi.

–Je ris de ce que Votre Majesté ne sait pas que cinq cent mille ducats qui voyagent de Naples en Sicile se perdent toujours en route.

–C'est possible. Mais, au moins, Danero, le général Danero, le gouverneur de la place de Messine, mettra à ta disposition les armes et les munitions nécessaires à la petite troupe avec laquelle tu te mettras en marche.

–Pas plus que le trésorier Taccone ne me remettra les cinq cent mille ducats. N'importe, sire: remettez-moi ces deux ordres. Si Taccone me donne l'argent et Danero les armes, tant mieux; s'ils ne me les donnent pas, je me passerai d'eux.

Le roi prit deux papiers, écrivit et signa les deux ordres.

Pendant ce temps, le cardinal tirait un troisième papier de sa poche, le dépliait et le glissait sous les yeux du roi.

–Qu'est-ce que cela? demanda le roi.

–C'est mon diplôme de vicaire général et d'alter ego.

–Que tu as rédigé toi-même?

–Pour ne pas perdre de temps, sire.

–Et, comme je ne veux pas te retarder…

Le roi posa la main au-dessous de la dernière ligne.

Le cardinal l'arrêta au moment où il allait signer.

–Lisez d'abord, sire, fit le cardinal.

–Je lirai après, dit le roi.

Et il signa.

Ceux de nos lecteurs qui craindront de perdre leur temps à la lecture d'une pièce diplomatique des plus curieuses, mais qui n'est, au bout du compte, qu'une pièce diplomatique inconnue jusqu'aujourd'hui, peuvent passer le chapitre suivant; mais ceux qui cherchent dans un livre historique autre chose qu'une simple distraction ou un frivole amusement, nous sauront gré, nous en sommes sûr, d'avoir tiré ce document des tiroirs secrets de Ferdinand, où il était enseveli depuis soixante ans, et de lui faire voir le jour pour la première fois.

CVII
DIPLOME DU CARDINAL RUFFO

«Cardinal Ruffo;

»La nécessité d'arriver le plus promptement possible, et par les moyens les plus efficaces, au salut des provinces du royaume de Naples et de les préserver des nombreuses intrigues que les ennemis de la religion, de la couronne et de l'ordre ourdissent pour les entraîner dans la rébellion, me détermine à commettre au talent, au zèle et à l'attachement de Votre Éminence le soin grave et l'importante mission de la défense de cette partie du royaume encore pure des désordres de tout genre et de la ruine qui menace le royaume dans cette terrible crise.

»Je charge, par conséquent, Votre Éminence de se porter en Calabre, cette province de notre royaume étant celle que nous chérissons le plus particulièrement, et dans laquelle il est le plus facile d'organiser la défense et de combiner les opérations à l'aide desquelles on peut arrêter la marche de l'ennemi commun et sauvegarder l'un et l'autre littoral de toute tentative soit d'hostilité, soit de séduction, qui pourrait être essayée, par les malintentionnés de la capitale ou du reste de l'Italie.

»Les Calabres, la Basilicate, les provinces de Lecce, Barri et Salerne seront l'objet de mes soins les plus empressés et les plus énergiques.

»Tous les moyens de salut que Votre Éminence croira pouvoir employer, au nom de l'attachement à la religion, du désir de sauver la propriété, la vie et l'honneur des familles, les récompenses à accorder à ceux qui se distingueront dans l'oeuvre de restauration que vous allez entreprendre, seront adoptées par moi sans discussion, sans limite, ainsi que les châtiments les plus sévères que vous croirez devoir appliquer aux rebelles. Enfin, quelque ressource à laquelle, dans l'extrémité où nous nous trouvons, Votre Éminence croira devoir recourir et qu'elle jugera capable d'exciter les habitants à une juste défense, elle devra l'employer; mais c'est surtout le feu de l'enthousiasme dirigé dans la bonne voie qui nous paraît le plus apte à lutter contre les nouveaux principes et à les renverser. Ces principes régicides et désorganisateurs des sociétés sont plus puissants que vous ne le croyez peut-être; car ils flattent l'ambition des uns et la cupidité des autres, et la vanité et l'amour-propre de tous, en faisant naître dans les coeurs les plus vulgaires ces trompeuses espérances que répandent les fauteurs des opinions modernes et des manéges révolutionnaires, manéges qui, partout où ils ont été employés, opinions qui, partout où elles ont triomphé, ont fait le malheur de l'État, comme on peut le voir en jetant les yeux sur la France et l'Italie.

»A cet effet, pour remédier à toutes nos misères par de promptes mesures destinées à reconquérir nos provinces envahies, ainsi que cette insolente capitale qui leur donne l'exemple du désordre, j'autorise Votre Éminence à exercer la charge de commissaire général dans la première province où se manifestera le besoin de sa mission, celle de vicaire général du royaume lorsqu'elle se trouvera en possession de tout ou partie de ce royaume, à la tête des forces actives qu'elle va recevoir, avec le droit de faire en notre nom toute proclamation qu'elle croira utile au bien de la cause.

»Je donne, en outre, à Votre Éminence, comme mon alter ego, le droit de changer tout préside, de révoquer tout administrateur, tout président de tribunal, tout employé supérieur ou inférieur de l'administration politique ou civile; comme aussi de suspendre, d'éloigner, de faire arrêter tout employé militaire, s'il croit avoir des raisons d'user de cette rigueur, et d'employer intérimairement ceux auxquels il aura confiance et qu'il chargera des postes vacants, jusqu'à ce que j'aie approuvé leur nomination, sur la demande qui m'en sera faite, et cela, afin que tous ceux qui dépendent de mon gouvernement reconnaissent dans Votre Éminence mon agent suprême et agissent activement, sans retard ni opposition, et cela, ainsi qu'il convient et est indispensable aux heures critiques et difficiles où nous nous trouvons.

»Cette charge de commissaire général et de vicaire du royaume sera, par Votre Éminence, appliquée et exercée comme elle l'entendra, attendu que, grâce à cette faculté d'alter ego que je lui concède de la façon et selon le mode le plus étendu, j'entends qu'elle fasse valoir et respecter mon autorité souveraine, et que, par son emploi, elle préserve mon royaume de dommages ultérieurs, ceux qu'il a subis jusqu'aujourd'hui étant déjà trop grands.

»Elle devra, en conséquence, procéder avec la plus grande sévérité et la plus rigoureuse justice, soit pour se faire obéir, selon que l'exigera la nécessité du moment, soit pour donner les bons exemples et faire disparaître les mauvais, soit enfin pour faire avorter la semence ou arracher les racines de cette mauvaise plante de la liberté, qui a si facilement germé et poussé aux endroits où mon autorité est méconnue, afin que le mal déjà fait soit réparé et que nous ne marchions pas à un mal plus grand et à de nouveaux malheurs.

»Toutes les caisses de royaume, sous quelque dénomination qu'elles soient classées, relèveront de Votre Éminence et obéiront à ses ordres. Elle veillera à ce que l'on ne fasse parvenir aucune somme à la capitale tant que celle-ci se trouvera dans l'état d'anarchie où elle est maintenant. L'argent desdites caisses sera, par Votre Éminence, employé, pour le bien et le besoin des provinces, au payement nécessaire au gouvernement civil et aux moyens de défense que nous devons improviser, ainsi qu'à la solde de nos défenseurs.

»Il me sera donné un état régulier de ce que Votre Éminence aura fait et comptera faire, afin que, sur les choses faites et à faire, je puisse vous notifier mes résolutions et transmettre mes ordres.

»Votre Éminence choisira deux ou trois assesseurs probes et dignes de sa confiance, choisis dans la magistrature, pour rendre leurs jugements dans les causes graves, qui, pour appel, dans les temps ordinaires, s'envoient au tribunal de la capitale. Ils remplaceront les tribunaux de Naples, afin que les affaires ne traînent pas en longueur. Pour ces emplois, Votre Éminence pourra se servir des magistrats provinciaux, les autorisant à prononcer en même temps sur toute autre cause qu'il lui plaira de leur soumettre, ainsi que sur les appels qui seraient portés devant eux, et elle s'assurera, en destituant lesdits magistrats, à l'occasion, que la plus stricte justice sera rendue dans les provinces qu'elle administrera en mon nom.

»Par les différents papiers que je remets à Votre Éminence, elle s'assurera que, dans la persuasion que la nombreuse armée que j'entretenais dans mon royaume, armée par laquelle j'ai été si mal servi, n'est point encore entièrement dispersée; j'avais donné l'ordre que ses restes se portassent à Palerme et jusque dans les Calabres, dans le but de défendre ces provinces et de maintenir leurs communications avec la Sicile. Dans les circonstances où nous sommes, quels que soient les commandants qui, sur son chemin, se présenteront à Votre Éminence avec ces débris de troupes, ces commandants devront marcher d'accord avec Votre Éminence, quelle que soit la position qui leur ait été créée par mes ordonnances précédentes. Quant au général de la Salandra ou tout autre général qui se réunirait à Votre Éminence avec ces mêmes troupes, ils suivront les prescriptions nouvelles qui leur sont données. Votre Éminence les leur notifiera, et, aussitôt que je serai prévenu de cette notification, j'expédierai les commissions ultérieures que Votre Éminence réclamera de moi.

»Relativement à la force militaire, et nous devons supposer raisonnablement qu'il n'en reste plus de régulière, Votre Éminence, et c'est là le but principal de sa commission, aura soin de la créer ou réorganiser par tous les moyens, et l'on tâchera, puisque, cette fois, elle combattra sur le sol de la patrie, bien que cette force ne puisse être composée que de soldats fugitifs et déserteurs, on tâchera de leur rendre ou de leur inspirer le courage qu'ont montré mes braves Calabrais dans les combats qu'ils viennent de soutenir contre l'ennemi. Il en sera ainsi des corps qui se formeront, composés des habitants des provinces que leur patriotisme et leur amour pour la religion porteront à prendre les armes et à défendre ma cause.

»Pour arriver à ce but, je ne prescris aucun moyen à Votre Éminence; je les laisse, au contraire, tous à son zèle, tant relativement au mode d'organisation que pour la distribution des récompenses de tout genre qu'elle croira devoir accorder. Si ces récompenses sont pécuniaires, elle pourra les distribuer elle-même; si ce sont des honneurs et des emplois, elle pourra temporairement accorder ces honneurs et distribuer ces emplois, et ce sera à moi de les ratifier; car toute haute faveur devra être soumise à ma ratification.

»Lorsque les troupes régulières que j'attends seront arrivées, on pourra en expédier une partie en Calabre, ou dans toute autre partie de la terre ferme, ainsi que toutes munitions et pièces d'artillerie que l'on pourra partager entre la Sicile et la Calabre.

»Votre Éminence choisira les employés militaires et politiques dont elle croira devoir s'entourer; elle établira pour eux des conditions provisoires, et placera chacun au poste qu'elle croira le mieux lui convenir.

»Pour les dépenses de Votre Éminence, il lui sera accordé la somme de quinze cents ducats (six mille francs par mois), somme que nous regardons comme indispensable à ses besoins; mais je lui accorde, en outre, toute somme ultérieure plus considérable qu'elle croira nécessaire à l'emploi de sa commission, surtout dans ses passages d'un lieu à un autre, sans que ce surcroît de dépense puisse en aucune façon peser sur mes peuples.

»Je lui concède, en outre, le maniement de l'argent qu'elle trouvera dans les caisses publiques et qui, par ses soins, rentrera. Elle en emploiera une partie à se procurer les nouvelles nécessaires, indispensables à sa sûreté, soit que ces nouvelles viennent de la capitale soit qu'elles viennent des mouvements de l'ennemi à l'extérieur; et, comme la capitale se trouve en ce moment dans le plus grand désordre, vu les nombreux partis opposés qui la déchirent, et dont le peuple est la victime, elle fera veiller par des hommes habiles et experts dans cet art, sur tout ce qui s'y passera et qui immédiatement de tout ce qui se passera l'informeront. C'est pour cet objet qu'elle n'épargnera pas l'argent lorsqu'elle pensera que la prodigalité doive porter ses fruits.

»Dans d'autres cas où de pareilles dépenses lui paraîtraient nécessaires, Votre Éminence pourra engager sa promesse et donner des sommes vis-à-vis des personnages qui pourraient rendre des services à l'État, à la religion et à la couronne.

»Je ne m'étends point sur les mesures de défense que j'attends d'elle au plus haut degré, et encore moins sur la manière dont elle devra réprimer les émeutes, les troubles intérieurs, les attroupements, les séductions et les manoeuvres des émissaires jacobins. Je laisse donc à Votre Éminence le soin de prendre les déterminations les plus promptes pour que justice soit faite de tous ces délits. Les présides, celui de Lecce spécialement, ceux de mes vassaux qui auront un coeur loyal, les évêques, les curés et tous les honnêtes ecclésiastiques, l'informeront de tous les besoins comme de toutes les ressources locales, et bien certainement ceux-ci seront aiguillonnés par l'ardente énergie et la puissante nécessité que commandent les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.

»J'attends de l'empereur d'Autriche des secours de tout genre; le Turc m'en promet également; la Russie a pris vis-à-vis de moi les mêmes engagements, et déjà les escadres de cette dernière puissance, rapprochées de notre littoral, sont prêtes à nous secourir.

»J'en avise Votre Éminence, afin que, dans l'occasion, elle puisse s'appuyer d'elles, et même faire descendre une partie de ses troupes dans la province, au cas où leur secours lui deviendrait nécessaire; comme aussi je l'autorise à réclamer de ces escadres toutes les ressources que la nature de l'opération lui feront considérer comme utiles à sa défense.

»Je la préviens aujourd'hui, et vaguement encore, qu'elle peut trouver asile et secours chez mes alliés; mais, d'ici, je lui ferai passer des instructions ultérieures qui assureront dans l'avenir un concours plus efficace. Il en sera de même de l'escadre anglaise, pour laquelle je lui transmettrai mes nouvelles instructions, et qui, naviguant sur les côtes de Sicile et de Calabre, veillera à leur sûreté.

»Il sera établi par Votre Éminence de sûrs moyens de me faire passer et de recevoir de moi deux fois la semaine des nouvelles concernant les affaires importantes de sa mission. Je regarde comme indispensable à la défense du royaume que nos courriers se succèdent souvent et dans des délais opportuns.

»Enfin, je me confie à son attachement, à ses lumières, et je suis certain qu'elle répondra à cette haute confiance que je mets dans son attachement à ma cause et à son dévouement pour moi.

»FERDINAND B.

»Palerme, 25 janvier 1799.»

CVIII
LE PREMIER PAS VERS NAPLES

Tout était disposé, on le voit, non-seulement avec la sage ordonnance de l'homme de guerre, mais encore avec la méticuleuse prévoyance de l'homme d'Église.

Ferdinand était émerveillé.

Généraux, officiers, soldats, ministres l'avaient trahi. Ceux dont c'était l'état de porter l'épée au côté, ou n'avaient pas tiré l'épée, ou l'avaient rendue à l'ennemi; ceux dont c'était l'état de savoir les nouvelles et d'en profiter ne les avaient pas sues, ou, les sachant, n'en profitaient point; les conseillers, dont c'était l'état de donner des conseils, n'avaient point trouvé de conseils à donner; le roi, enfin, avait inutilement demandé à ceux chez lesquels il devait s'attendre à les trouver, le courage, la fidélité, l'intelligence et le dévouement.

Et voici qu'il trouvait tout cela, non pas dans un de ceux qu'il avait comblés de faveurs, mais dans l'homme d'Église qui pouvait se renfermer dans la limite des devoirs d'un homme d'Église, c'est-à-dire se borner à lire son bréviaire et à donner sa bénédiction.

Cet homme d'Église avait tout prévu. Il avait organisé la révolte comme un homme politique; il s'était mis au courant des nouvelles comme un ministre de la police; il avait préparé la guerre comme un général; et, en même temps que Mack laissait tomber son épée aux pieds de Championnet, il tirait le glaive de la guerre-sainte, et, sans munitions, il offrait de marcher à la conquête de Naples en montrant le labarum de Constantin et en criant: In hoc signo vinces!

Étrange pays, société étrange, où c'étaient les voleurs de grand chemin qui défendaient le royaume et où, ce royaume une fois perdu, c'était un prêtre qui allait le reconquérir!

Cette fois, par hasard, Ferdinand sut conserver un secret et tenir sa promesse. Il donna au cardinal les deux mille ducats promis, qui, joints aux mille qu'il avait, lui complétèrent une somme de douze mille cinq cents francs de notre monnaie.

Le jour même où les provisions du cardinal avaient été signées, c'est-à-dire le 27 janvier, – le diplôme, nous ignorons pour quelle cause, fut antidaté de deux jours, – le cardinal prit congé du roi sous prétexte de faire un voyage à Messine et se mit immédiatement en voyage, faisant la route tantôt par mer, tantôt par terre, selon que les moyens lui étaient offerts d'aller en avant.

Il mit quatre jours à faire le voyage, et arriva à Messine dans l'après-midi du 31 janvier.

Il se mit aussitôt à la recherche du marquis Taccone, qui, par l'ordre du roi, devait lui remettre les deux millions qu'il rapportait de Naples; seulement, comme il l'avait prévu, on trouva le marquis, mais les millions furent introuvables.

A la sommation du cardinal, le marquis Taccone répondit qu'avant son départ de Naples, il avait, par l'ordre du général Acton, remis au prince Pignatelli toutes les sommes qu'il avait entre les mains. En vertu de son mandat, le cardinal le somma alors de lui donner le compte de sa situation, ou plutôt l'état de sa caisse. Mais, poussé au pied du mur, le marquis répondit qu'il lui était impossible de rendre des comptes lorsque les registres et tous les papiers de la trésorerie étaient restés à Naples. Le cardinal, qui avait prévu ce qui arrivait, et qui l'avait prédit au roi, se tourna du côté du général Danero, pensant qu'à tout prendre les armes et les munitions lui étaient plus nécessaires encore que l'argent. Mais le général Danero, sous le prétexte que ce n'était pas la peine de donner au cardinal des armes qui ne pouvaient manquer de tomber entre les mains de l'ennemi, les lui refusa, malgré les ordres formels du roi.

Le cardinal écrivit à Palerme pour se plaindre au roi, Danero écrivit, Taccone écrivit, chacun accusant les autres et essayant de se disculper.

Le cardinal, pour en avoir le coeur net, résolut d'attendre à Messine la réponse du roi. Elle lui arriva le sixième jour, apportée par le marquis Malaspina.

Le roi se plaignait fort mélancoliquement de n'être servi que par des voleurs et des traîtres. Il invitait le cardinal à faire la guerre et à tenter l'expédition avec les seules ressources de son génie; et il lui envoyait, en le priant de lui donner le poste de son aide de camp, le marquis Malaspina.

Il était clair comme le jour que, dans son habitude de douter de tout le monde, Ferdinand commençait à douter de Ruffo comme des autres, et lui envoyait un surveillant.

Par bonheur, ce surveillant était mal choisi: le marquis Malaspina était avant tout un homme d'opposition. Le cardinal, en recevant la lettre du roi, sourit et le regarda.

–Il va sans dire, monsieur le marquis, que la recommandation du roi est un ordre, dit-il; quoique ce soit une singulière position pour un homme d'épée comme vous d'être l'aide de camp d'un homme d'Église. Mais sans doute, continua-t-il, Sa Majesté vous a fait quelque recommandation particulière qui rehausse votre position près de moi?

–Oui, Votre Éminence, répondit Malaspina. Elle m'a promis une brillante rentrée dans ses bonnes grâces si je voulais la tenir, dans une correspondance particulière, au courant de vos faits et gestes. Il paraît qu'elle a plus de confiance en moi comme espion que comme chasseur.

–Vous avez donc le malheur, monsieur le marquis, d'être dans la disgrâce de Sa Majesté?

–Il y a trois semaines, Éminence, que je ne fais plus partie de son jeu.

–Et quel crime avez-vous commis, continua le cardinal, pour subir une pareille punition?

–Un impardonnable, Éminence.

–Confessez-le-moi, continua le cardinal en riant; j'ai les pouvoirs de Rome.

–J'ai atteint un sanglier au ventre, au lieu de l'atteindre au défaut de l'épaule.

–Marquis, répondit le cardinal, mes pouvoirs ne sont pas assez étendus pour remettre un pareil crime; mais, de même que le roi vous a recommandé à moi, je puis vous recommander au grand pénitencier de Saint-Pierre.

Puis, gravement et lui tendant la main:

–Trêve de plaisanteries, dit le cardinal. Je ne vous demande, monsieur le marquis, ni d'être pour le roi, ni d'être pour moi. Je vous dis: Voulez-vous, en franc et loyal Napolitain, être pour le pays?

–Éminence, dit Malaspina, touché, tout sceptique qu'il était, de cette franchise et de cette loyauté, j'ai pris l'engagement vis-à-vis du roi de lui écrire une fois par semaine: je lui obéirai; mais, sur mon honneur, pas une lettre ne partira que vous ne l'ayez lue.

–Inutile, monsieur le marquis. Je tâcherai de me conduire de façon que vous puissiez exercer votre mission en conscience et tout dire à Sa Majesté.

Et, comme on venait de lui annoncer que le conseiller don Angelo de Fiore était arrivé de la Calabre, il donna l'ordre de le faire entrer à l'instant même.

Le marquis voulut se retirer; le cardinal le retint.

–Pardon, marquis, lui dit-il, vous entrez en fonctions. Soyez donc assez bon pour rester.

On introduisit le conseiller don Angelo de Fiore.

C'était un homme de quarante-cinq à quarante-huit ans, dont les traits durs et rudement accentués, dont l'oeil sinistre et habitué à voir le mal partout contrastaient avec le doux nom.

Il arrivait, comme nous l'avons dit, de la Calabre et venait annoncer que Palmi, Bagnara, Scylla et Reggio étaient en train de se démocratiser. Il invitait donc le cardinal à débarquer le plus tôt possible, le débarquement devenant une folie du moment que ces villes seraient démocratisées; et déjà, affirmait le conseiller, il n'y avait que trop de temps perdu pour ramener au roi les coeurs chancelants.

Le cardinal regarda Malaspina.

–Que pensez-vous de cela, monsieur mon aide de camp? lui demanda-t-il.

–Mais, dit Malaspina, qu'il n'y a pas un instant à perdre et qu'il faut débarquer à l'instant même.

–C'est aussi mon avis, dit le cardinal.

Seulement, comme il était déjà trop tard pour partir le jour même, on remit au lendemain matin le passage du détroit.

Le lendemain, 8 février 1799, le cardinal s'embarqua, en conséquence, à six heures du matin, à Messine, et, une heure après, il débarquait sur la plage de Catona, en face de Messine, c'est-à-dire au point même que l'on désignait, lorsque la Calabre était la grande Grèce, sous le nom de Columna Regina.

Toute sa suite consistait dans le marquis Malaspina, lieutenant du roi, l'abbé Lorenzo Spazzoni, son secrétaire, don Annibal Caporoni, son chapelain, ces deux derniers sexagénaires, et don Carlo Occara de Caserte, son valet de chambre.

Il emportait avec lui une bannière sur laquelle, d'un côté, étaient brodées les armes royales, de l'autre, une croix, avec cette légende des conquêtes religieuses, légende déjà citée par nous:

In hoc signo vinces.

Don Angelo de Fiore l'avait précédé de la veille et l'attendait au lieu du débarquement avec trois cents hommes, la plupart vassaux des Ruffo de Scylla et des Ruffo de Bagnara, frères et cousins du cardinal.

Scipion tomba en touchant la terre d'Afrique, et, se relevant sur un genou, dit: «Cette terre est à moi.»

Ruffo en mettant pied à terre sur la plage de Catona, leva les mains au ciel et dit: «Calabre, reçois-moi comme un fils.»

Des cris de joie, des acclamations d'enthousiasme accueillirent cette prière d'un des plus célèbres enfants de ce rude Brutium qui, du temps des Romains, servait d'asile aux esclaves fugitifs.

Le cardinal, à la tête de ses trois cents hommes, auxquels il fit une courte harangue, alla prendre son logement chez son frère, le duc de Baranella, dont la villa était située dans le plus beau site de ce magnifique détroit. Aussitôt, sous la garde de ses trois cents hommes, le cardinal déploya la bannière royale sur le balcon, au bas duquel bivaquait la petite troupe, noyau de l'armée à venir.

De cette première étape, le cardinal écrivit et expédia une encyclique aux évêques, aux curés, au clergé, à toute la population non-seulement des Calabres, mais de tout le royaume.

Dans cette encyclique, le cardinal disait:

«Au moment où la Révolution procède en France par le régicide, par la proscription, par l'athéisme, par les menaces contre les prêtres, par le pillage des églises, par la profanation des lieux saints; quand la même chose vient de s'accomplir à Rome par le sacrilége attentat commis sur le vicaire de Jésus-Christ; quand le contre-coup de cette révolution se fait ressentir à Naples par la trahison de l'armée, l'oubli de l'obéissance chez les sujets, la rébellion dans la capitale et les provinces, il est du devoir de tout honnête citoyen de défendre la religion, le roi, la patrie, l'honneur de la famille, la propriété, et cette oeuvre sainte, cette mission sacrée est surtout celle dans laquelle les hommes de Dieu doivent donner l'exemple!»

En conséquence, il exposait dans quel but il venait de quitter la Sicile, et dans quelle espérance il marchait sur Naples et donnait pour point de réunion à tous les hommes de la montagne et de la plaine qui répondraient à son appel: aux hommes de la montagne, Palmi; aux hommes de la plaine, Mileto.

Les Calabrais de la plaine et de la montagne étaient donc invités à prendre les armes et à se trouver au rendez-vous assigné.

Son encyclique écrite, copiée à vingt-cinq ou trente exemplaires, faute d'imprimeur, expédiée par des courriers aux quatre points cardinaux, le vicaire général se mit au balcon pour respirer et jouir du magnifique coup d'oeil qui se déroulait devant ses yeux.

Mais, quoiqu'il y eût, dans le cercle de l'horizon que son regard embrassait, des objets d'une bien autre importance, son regard s'arrêta malgré lui sur une petite chaloupe doublant la pointe du Phare et montée par trois hommes.

Deux hommes placés à l'avant s'occupaient de la manoeuvre d'une petite voile latine, dont un troisième, placé à l'arrière, tenait l'écoute de la main droite, tandis que, de la gauche, il s'appuyait sur le gouvernail.

Plus le cardinal regardait ce dernier, plus il croyait le reconnaître. Enfin, la barque avançant toujours, il ne conserva plus aucun doute.

Cet homme, c'était l'amiral Caracciolo, qui, en vertu de son congé, retournait à Naples, et, presque en même temps que Ruffo, mais dans un but tout différent et dans un esprit tout opposé, débarquait en Calabre.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
240 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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