Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «La San-Felice, Tome 05», страница 7

Шрифт:

LXXXVII
OU L'ON VOIT ENFIN COMMENT LE DRAPEAU FRANÇAIS AVAIT ÉTÉ ARBORÉ SUR LE CHATEAU SAINT-ELME

Nicolino écouta en silence le commandant donner des ordres, d'une voix assez haute, au contraire, pour qu'elle fût entendue de son prisonnier.

Ce redoublement de surveillance l'inquiéta; mais il connaissait la prudence et le courage de ceux qui lui avaient fait passer l'avis qu'il avait reçu, et il se confiait à eux.

Seulement, il lui fut démontré plus clair que jamais que toutes les attentions successives et croissantes qu'avait eues pour lui le directeur de la forteresse n'avaient d'autre but que d'amener Nicolino à lui faire quelque ouverture ou à recueillir les siennes; ce qui serait arrivé, sans aucun doute, si Nicolino ne se fût, à cause de l'avis reçu, tenu sur la réserve.

Le temps s'écoula sans aucun rapprochement entre le gouverneur et son prisonnier. Seulement, comme par oubli, celui-ci eut la permission de rester sur le rempart.

Dix heures sonnèrent. On se rappelle que c'était l'heure indiquée par Maliterno à l'archevêque, pour sonner, sous peine de mort, toutes les cloches de Naples. A la dernière vibration des bronzes, toutes les cloches éclatèrent à la fois.

Nicolino était préparé à tout, excepté à ce concert de cloches, et le gouverneur, à ce qu'il paraît, n'y était pas plus préparé que lui; car, à ce bruit inattendu, Roberto Brandi se rapprocha de son prisonnier et le regarda avec étonnement.

–Oui, je comprends bien, dit Nicolino, vous me demandez ce que signifie cet effroyable charivari; j'allais vous faire la même question.

–Alors, vous l'ignorez?

–Parfaitement. Et vous?

–Moi aussi.

–Alors, promettons-nous que le premier des deux qui l'apprendra en fera part à son voisin.

–Je vous le promets.

–C'est incompréhensible, mais c'est curieux, et j'ai payé bien cher, souvent, ma loge à Saint-Charles pour voir un spectacle qui ne valait pas celui-ci.

Mais, contre l'attente de Nicolino, le spectacle devenait de plus en plus curieux.

En effet, comme nous l'avons dit, arrêtés au milieu de leur infernale besogne par une voix qui semblait leur parler d'en haut, les lazzaroni, qui entendent mal la langue céleste, coururent en demander l'explication à la cathédrale.

On sait ce qu'ils y trouvèrent: la vieille métropole éclairée à giorno, le sang et la tête de saint Janvier exposés, le cardinal-archevêque en habits sacerdotaux, enfin Rocca-Romana et Maliterno en costume de pénitents, pieds nus, en chemise et la corde au cou.

Les deux spectateurs, pour lesquels on eût pu croire que le spectacle était fait, virent alors l'étrange procession sortir de l'église, au milieu des pleurs, des cris, des lamentations. Les torches étaient si nombreuses et jetaient un tel éclat, qu'à l'aide de sa lunette, que le commandant envoya chercher, Nicolino reconnut l'archevêque sous son dais, portant le saint sacrement, les chanoines portant à ses côtés le sang et la tête de saint Janvier, et enfin, derrière les chanoines, Maliterno et Rocca-Romana, dans leur étrange costume, ne portaient rien, ou plutôt portaient, de tous les poids, le plus pesant: les péchés du peuple.

Nicolino savait son frère Rocca-Romana aussi sceptique que lui, et Maliterno aussi sceptique que son frère. Il fut donc, malgré la grande préoccupation qui le tenait, pris d'un rire homérique en reconnaissant les deux pénitents.

Quelle était cette comédie? dans quel but était-elle jouée? C'était ce que ne pouvait s'expliquer Nicolino que par ce mélange, tout particulier à Naples, du grotesque au sacré.

Sans doute, entre onze heures et minuit, aurait-il l'explication de tout cela.

Roberto Brandi, qui n'attendait aucune explication, paraissait plus inquiet et plus impatient que son prisonnier; car lui aussi connaissait Naples et se doutait qu'il y avait quelque immense piége caché sous cette comédie religieuse.

Nicolino et le commandant suivirent des yeux, avec la plus grande curiosité, la procession dans les différentes évolutions qu'elle accomplit depuis sa sortie de la cathédrale jusqu'à sa rentrée; puis ils virent le bruit diminuer, les torches s'éteindre, et y succéder le silence et l'obscurité.

Quelques maisons auxquelles le feu avait été mis continuèrent de brûler; mais personne ne s'en occupa.

Onze heures sonnèrent.

–Je crois, dit Nicolino, qui désirait suivre les instructions du billet en rentrant dans son cabinet, je crois que la représentation est terminée. Qu'en dites-vous, mon commandant?

–Je dis que j'ai encore quelque chose à vous faire voir avant que vous rentriez chez vous, mon cher prisonnier.

Et il lui fit signe de le suivre.

–Nous nous sommes, lui dit-il, jusqu'à présent préoccupés de ce qui se passe à Naples, depuis Mergellina jusqu'à la porte Capuana, – c'est-à-dire à l'ouest, au midi et à l'est: – occupons-nous un peu de ce qui se passe au nord. Quoique ce qui nous vient de ce côté fasse peu de bruit et jette peu de lumière, cela vaut la peine que nous y accordions un instant d'attention.

Nicolino se laissa conduire par le gouverneur sur la partie du rempart exactement opposée à celle du haut de laquelle il venait de contempler Naples, et, sur les collines qui enveloppent la ville, depuis celle de Capodimonte jusqu'à celle de Poggioreale, il vit une ligne de feux disposés avec la régularité d'une armée en marche.

–Ah! ah! fit Nicolino, voilà du nouveau, ce me semble.

–Oui, et qui n'est pas sans intérêt, n'est-ce pas?

–C'est l'armée française? demanda Nicolino.

–Elle-même, répondit le gouverneur.

–Demain, alors, elle entrera à Naples.

–Oh! que non! On n'entre point à Naples comme cela quand les lazzaroni ne veulent pas qu'on y entre. On se battra deux, trois jours, peut-être.

–Eh bien, après? demanda Nicolino.

–Après?.. Rien, répondit le gouverneur. C'est à nous de songer à ce que peut, dans un pareil conflit, faire de bien ou de mal à ses alliés, quels qu'ils soient, le gouverneur du château Saint-Elme.

–Et peut-on savoir, en cas de conflit, pour qui seraient vos préférences?

–Mes préférences! Est-ce qu'un homme d'esprit a des préférences, mon cher prisonnier? Je vous ai fait ma profession de foi en vous disant que j'étais père de famille, et en vous citant le proverbe français: Charité bien ordonnée est de commencer par soi-même. Rentrez chez vous; méditez là-dessus. Demain, nous causerons politique, morale et philosophie, et, comme les Français ont encore un autre proverbe qui dit: La nuit porte conseil, eh bien, demandez des conseils à la nuit; au jour, vous me ferez part de ceux qu'elle vous aura donnés. Bonsoir, monsieur le duc!

Et, comme, tout en causant, on était arrivé au haut de l'escalier qui conduisait aux prisons inférieures, le geôlier reconduisit Nicolino à son cachot et l'y enferma, comme d'habitude, à double tour.

Nicolino se trouva dans la plus complète obscurité.

Par bonheur, les instructions qu'il avait reçues n'étaient point difficiles à suivre. Il se dirigea à tâtons vers son lit, le trouva et se jeta dessus tout habillé.

A peine y était-il depuis cinq minutes, qu'il entendit le cri d'alarme, cri suivi d'une fusillade assez vive et de trois coups de canon.

Puis tout rentra dans le silence le plus absolu.

Qu'était-il arrivé?

Nous sommes obligés de dire que, malgré le courage bien éprouvé de Nicolino, le coeur lui battait fort en se faisant cette question.

Dix autres minutes ne s'étaient point écoulées, que Nicolino entendit un pas dans l'escalier, une clef tourna dans la serrure, les verrous grincèrent et la porte s'ouvrit, donnant passage au digne commandant, éclairé d'une bougie qu'il tenait lui-même à la main.

Roberto Brandi referma la porte avec la plus grande précaution, déposa sa bougie sur la table, prit une chaise et vint s'asseoir près du lit de son prisonnier, qui, ignorant absolument où aboutirait toute cette mise en scène, le laissait faire sans lui adresser une seule parole.

–Eh bien, lui dit le gouverneur lorsqu'il fut assis à son chevet, je vous le disais bien, mon cher prisonnier, que le château Saint-Elme était d'une certaine importance dans la question qui doit se plaider demain.

–Et à quel propos, mon cher commandant, venez-vous, à une pareille heure, vous féliciter près de moi de votre perspicacité?

–Parce que c'est toujours une satisfaction d'amour-propre, que de pouvoir dire à un homme d'esprit comme vous: «Vous voyez bien que j'avais raison;» ensuite parce que je crois que, si nous attendons à demain pour causer de nos petites affaires, dont vous n'avez pas voulu causer ce soir, – je sais maintenant pourquoi, – si nous attendons à demain, dis-je, il pourra bien être trop tard.

–Voyons, mon cher commandant, demanda Nicolino, il s'est donc passé quelque chose de bien important depuis que nous nous sommes quittés?

–Vous allez en juger. Les républicains, qui avaient, je ne sais comment, surpris mon mot d'ordre, qui était Pausilippe et Parthénope, se sont présentés à la sentinelle; seulement, celui qui était chargé de dire Parthénope a confondu la nouvelle ville avec l'ancienne et a dit Napoli au lieu de Parthénope. La sentinelle, qui ne savait probablement pas que Parthénope et Napoli ne font qu'un ou plutôt ne font qu'une, a donné l'alarme; le poste a fait feu, mes artilleurs ont fait feu, et le coup a été manqué. De sorte, mon cher prisonnier, que, si c'est dans l'attente de ce coup-là que vous vous êtes jeté tout habillé sur votre lit, vous pouvez vous déshabiller et vous coucher, à moins cependant que vous n'aimiez mieux vous lever pour que nous causions chacun d'un côté de cette table, comme deux bons amis.

–Allons, allons, dit Nicolino en se levant, ramassez les atouts, abattez votre jeu, et causons.

–Causons! dit le gouverneur, c'est bientôt dit.

–Dame, c'est vous qui me l'offrez, ce me semble.

–Oui, mais après quelques éclaircissements.

–Lesquels? Dites.

–Avez-vous des pouvoirs suffisants pour causer avec moi?

–J'en ai.

–Ce dont nous causerons ensemble sera-t-il ratifié par vos amis?

–Foi de gentilhomme!

–Alors, il n'y a plus d'empêchements. Asseyez-vous, mon cher prisonnier.

–Je suis assis.

–MM. les républicains ont donc bien besoin du château Saint-Elme? Voyons!

–Après la tentative qu'ils viennent de faire, vous me traiteriez de menteur si je vous disais que sa possession leur est tout à fait indifférente.

–Et, en supposant que messire Roberto Brandi, gouverneur de ce château, substituât en son lieu et place le très-haut et très-puissant seigneur Nicolino, des ducs de Rocca-Romana et des princes Caraccioli, que gagnerait à cette substitution ce pauvre Roberto Brandi?

–Messire Roberto Brandi m'a prévenu, je crois, qu'il était père de famille?

–J'ai oublié de dire époux et père de famille.

–Il n'y a pas de mal, puisque vous réparez à temps votre oubli. Donc, une femme?

–Une femme.

–Combien d'enfants?

–Deux: des enfants charmants, surtout la fille, qu'il faut songer à marier.

–Ce n'est point pour moi que vous dites cela, je présume?

–Je n'ai pas l'orgueil de porter mes yeux si haut: c'est une simple observation que je vous faisais, comme digne d'exciter votre intérêt.

–Et je vous prie de croire qu'elle l'excite au plus haut degré.

–Alors, que pensez-vous que puissent faire pour un homme qui leur rend un très-grand service, pour la femme et les enfants de cet homme, les républicains de Naples?

–Eh bien, que diriez-vous de dix mille ducats?

–Oh! interrompit le gouverneur.

–Attendez donc, laissez-moi dire.

–C'est juste; dites.

–Je répète. Que diriez-vous de dix mille ducats de gratification pour vous, de dix mille ducats d'épingles pour votre femme, de dix mille ducats de bonne main à votre fils, et de dix mille ducats de dot à votre fille?

–Quarante mille ducats?

–Quarante mille ducats.

–En tout?

–Dame!

–Cent quatre-vingt-dix mille francs?

–Juste.

–Ne trouvez-vous pas qu'il est indigne d'hommes comme ceux que vous représentez de ne pas offrir des sommes rondes?

–Deux cent mille livres, par exemple?

–Oui, à deux cent mille livres, on réfléchit.

–Et à combien terminerait-on?

–Tenez, pour ne pas vous faire marchander, à deux cent cinquante mille livres.

–C'est un joli denier que deux cent cinquante mille livres!

–C'est un joli morceau que le château Saint-Elme.

–Hum!

–Vous refusez?

–Je me consulte.

–Vous comprendrez ceci, mon cher prisonnier: on dit… Toute la journée, nous avons parlé par proverbes; passez-moi donc encore celui-ci: je vous promets que ce sera le dernier.

–Je vous le passe.

–Eh bien, on dit que tout homme trouve une fois dans sa vie l'occasion de faire fortune, que le tout est pour lui de ne pas laisser échapper l'occasion.

L'occasion passe à côté de la main: je la prends par ses trois cheveux, et je ne la lâche pas, morbleu!

–Je ne veux pas y regarder de trop près avec vous, mon cher gouverneur, reprit Nicolino, d'autant plus que je n'ai qu'à me louer de vos bons procédés: vous aurez vos deux cent cinquante mille livres.

–A la bonne heure.

–Seulement, vous comprenez que je n'ai pas deux cent cinquante mille livres dans ma poche.

–Bon! monsieur le duc, si l'on voulait faire toutes les affaires au comptant, on ne ferait jamais d'affaires.

–Alors, vous vous contenterez de mon billet?

Roberto Brandi se leva et salua.

–Je me contenterai de votre parole, prince les dettes de jeu sont sacrées, et nous jouons dans ce moment-ci, et gros jeu, car nous jouons chacun notre tête.

–Je vous remercie de votre confiance en moi, monsieur, répondit Nicolino avec une suprême dignité; je vous prouverai que j'en étais digne. Maintenant, il ne s'agit plus que de l'exécution, des moyens.

–C'est pour arriver à ce but que je vous demanderai, mon prince, toute la complaisance possible.

–Expliquez-vous.

–J'ai eu l'honneur de vous dire que, puisque je tenais l'occasion par les cheveux, je ne la lâcherais point sans y trouver une fortune.

–Oui. Eh bien, il me semble qu'une somme de deux cent cinquante mille francs…

–Ce n'est point une fortune, cela, monsieur le duc. Vous qui êtes riche à millions, vous devez le comprendre.

–Merci!

–Non: il me faut cinq cent mille francs.

–Monsieur le commandant, je suis fâché de vous dire que vous manquez à votre parole.

–En quoi, si ce n'est pas à vous que je les demande?

–Alors, c'est autre chose.

–Et si j'arrive à me faire donner par Sa Majesté le roi Ferdinand, pour ma fidélité, le même prix que vous m'offrez pour ma trahison?

–Oh! le vilain mot que vous venez de dire là!

Le commandant, avec le comique sérieux particulier aux Napolitains, prit la bougie, alla regarder derrière la porte, sous le lit, et revint poser la bougie sur la table.

–Que faites-vous? lui demanda Nicolino.

–J'allais voir si quelqu'un nous écoutait.

–Pourquoi cela?

–Mais parce que, si nous ne sommes que nous deux, vous savez bien que je suis un traître, un peu plus adroit, un peu plus spirituel que les autres peut-être, mais voilà tout.

–Et comment comptez-vous vous faire donner par le roi Ferdinand deux cent cinquante mille francs pour prix de votre fidélité?

–C'est pour cela justement que j'ai besoin de toute votre complaisance.

–Comptez dessus; seulement, expliquez-vous.

–Pour en arriver là, mon cher prisonnier, il ne faut pas que je sois votre complice, il faut que je sois votre victime.

–C'est assez logique, ce que vous me dites là. Eh bien, voyons, comment pouvez-vous devenir ma victime?

–C'est bien facile.

Le commandant tira des pistolets de sa poche.

–Voilà des pistolets.

–Tiens, dit Nicolino, ce sont les miens.

–Que le procureur fiscal a oubliés ici… Vous savez comment il a fini, ce bon marquis Vanni?

–Vous m'avez annoncé sa mort, et je vous ai même répondu que j'avais le regret de ne pas le regretter.

–C'est vrai. Vous vous êtes donc procuré vos pistolets, qui étaient je ne sais où, par vos intelligences dans le château; de sorte que, quand je suis descendu, vous m'avez mis le pistolet sur la gorge.

–Très-bien, fit Nicolino en riant: comme cela.

–Prenez garde! ils sont chargés. Puis, le pistolet sur la gorge toujours, vous m'avez lié à cet anneau scellé dans la muraille.

–Avec quoi? avec les draps de mon lit?

–Non, avec une corde.

–Je n'en ai pas.

–Je vous en apporte une.

–A la bonne heure: vous êtes homme de précaution.

–Quand on veut que les choses réussissent, n'est-ce pas? il ne faut rien négliger.

–Après?

–Après? Lorsque je suis bien lié et bien garrotté à cet anneau, vous me bâillonnez avec votre mouchoir afin que je ne crie pas; vous refermez la porte sur moi, et vous profitez de ce que j'ai eu l'imprudence d'envoyer en patrouille tous les hommes dont je suis sûr, et de ne laisser dans l'intérieur et aux portes que les déserteurs, pour faire une émeute.

–Et comment ferai-je cette émeute?

–Rien de plus facile. Vous offrirez dix ducats par homme. Ils sont une trentaine d'hommes, mettez-en trente-cinq avec les employés: c'est trois cent cinquante ducats. Vous distribuez immédiatement vos trois cent cinquante ducats; vous changez le mot d'ordre, et vous commandez de faire feu sur la patrouille, si elle insiste pour entrer.

–Et où prendrai-je les trois cent cinquante ducats?

–Dans ma poche; seulement, c'est un compte à part, vous comprenez.

–A joindre aux deux cent cinquante mille livres: très-bien!

–Une fois maître du château, vous me déliez, vous me laissez dans votre cachot, vous me traitez aussi mal que je vous y ai bien traité; puis, une nuit, quand vous m'avez payé mes deux cent cinquante mille francs et rendu mes trois cent cinquante ducats, vous me faites jeter à la porte, par pitié; je descends jusqu'au port, je frète une barque, un speronare, une felouque; j'aborde en Sicile à travers mille périls, et je vais demander au roi Ferdinand le prix de ma fidélité. Le chiffre auquel je l'étendrai me regarde; au reste, vous le connaissez.

–Oui, deux cent cinquante mille francs.

–Tout cela est-il bien entendu?

–Oui.

–J'ai votre parole d'honneur?

–Vous l'avez.

–A l'oeuvre, alors! Vous tenez le pistolet, que vous pouvez reposer sur la table de peur d'accident; voici les cordes, et voici la bourse. Ne craignez pas de serrer les cordes; ne m'étouffez pas avec le mouchoir. Vous en avez encore pour une bonne demi-heure avant que la patrouille rentre.

Tout se passa exactement, comme l'avait prévu l'intelligent gouverneur, et l'on eût dit qu'il avait donné ses ordres d'avance pour que Nicolino ne rencontrât aucun obstacle. Le commandant fut lié, garrotté, bâillonné à point; la porte fut refermée sur lui. Nicolino ne rencontra personne, ni sur les escaliers, ni dans les caves. Il alla droit au corps de garde, y entra, fit un magnifique discours patriotique, et, comme, à la fin de son discours, il remarquait une certaine hésitation parmi ceux auxquels il s'adressait, il fit sonner son argent et lâcha la parole magique qui devait tout enlever: «Dix ducats par homme.» A ces mots, en effet, les gestes d'hésitation disparurent, les cris de «Vive la liberté!» retentirent. On sauta sur les armes, on courut aux postes et aux remparts, on menaça la patrouille de faire feu sur elle si elle ne disparaissait à l'instant même dans les profondeurs du Vomero ou dans les vicoli de l'Infrascata. La patrouille disparut comme disparaît un fantôme par une trappe de théâtre.

Puis on s'occupa de confectionner un drapeau tricolore, opération à laquelle on arriva, non sans peine, avec un morceau d'une ancienne bannière blanche, un rideau de fenêtre et un couvre-pieds rouge. Ce travail terminé, on abattit la bannière blanche et l'on éleva la bannière tricolore.

Enfin, tout à coup Nicolino sembla songer au malheureux commandant dont il avait usurpé les fonctions. Il descendit avec quatre hommes dans son cachot, le fit délier et débâillonner en lui tenant le pistolet sur la gorge, et, malgré ses gémissements, ses prières et ses supplications, il le laissa à sa place, dans le fameux cachot numéro 3, au deuxième au-dessous de l'entre-sol.

Et voilà comment, le 21 janvier au matin, Naples, en se réveillant, vit la bannière tricolore française flotter sur le château Saint-Elme.

LXXXVIII
LES FOURCHES CAUDINES

Championnet aussi la vit, la bannière sainte, et aussitôt il donna l'ordre à son armée de marcher sur Naples, afin de l'attaquer vers onze heures du matin.

Si nous écrivions un roman au lieu d'écrire un livre historique, où l'imagination n'est qu'accessoire, on ne doute pas que nous n'eussions trouvé moyen d'amener Salvato à Naples, ne fût-ce qu'avec les officiers français venant toucher les cinq millions convenus par la trêve de Sparanisi. Au lieu d'aller au spectacle avec ses compagnons, au lieu de s'occuper de la rentrée des cinq millions avec Archambal, – rentrée qui, on se le rappelle, ne rentra point, – nous l'eussions conduit à cette maison du Palmier, où il avait laissé, sinon la totalité, du moins la moitié de cette âme à laquelle le sceptique chirurgien du mont Cassin ne pouvait croire, et, au lieu d'un long récit intéressant, mais froid comme toute narration politique, nous eussions eu des scènes passionnées, rehaussées de toutes les craintes qu'eussent inspirées à la pauvre Luisa les terribles scènes de carnage dont la rumeur arrivait jusqu'à elle. Mais nous sommes forcé de nous renfermer dans l'inflexible exigence des faits, et, quel que fût l'ardent désir de Salvato, il lui avait fallu avant tout suivre les ordres de son général, qui, dans son ignorance de l'irrésistible aimant qui attirait son chef de brigade vers Naples, l'en avait plutôt éloigné que rapproché.

A San-Germano, au moment même où, après avoir passé la nuit au couvent du mont Cassin, Salvato venait d'embrasser et de quitter son père, Championnet lui avait donné l'ordre de prendre la 17e demi-brigade, et, en faisant un circuit pour protéger et éclairer le reste de l'armée, de marcher sur Bénévent par Venafro, Marcone et Ponte-Landolfo. Salvato devait constamment se tenir en communication avec le général en chef.

Ainsi jeté au milieu des brigands, Salvato eut tous les jours une attaque nouvelle à repousser; toutes les nuits, une surprise à découvrir et à déjouer. Mais Salvato, né dans le pays, parlant la langue du pays, était à la fois l'homme de la grande guerre, c'est-à-dire de la bataille rangée, par son sang-froid, par son courage et par ses études stratégiques, et celui de la petite guerre, c'est-à-dire de la guerre de montagnes, par son infatigable activité, sa vigilance perpétuelle et cet instinct du danger que Fenimore Cooper nous montre si bien développés chez les peuplades rouges de l'Amérique du Nord. Pendant cette marche longue et difficile dans laquelle on eut, au mois de décembre, des rivières glacées à franchir, des montagnes couvertes de neige à traverser, des chemins boueux et défoncés à suivre, ses soldats, au milieu desquels il vivait, secourant les blessés, soutenant les faibles, louant les forts, ses soldats purent reconnaître l'homme supérieur et bon à la fois, et, n'ayant à lui reprocher ni une erreur, ni une faiblesse, ni une injustice, se groupèrent autour de lui avec le respect non-seulement de subordonnés pour leur chef, mais encore d'enfants pour leur père.

Arrivé à Venafro, Salvato avait appris que le chemin ou plutôt le sentier des montagnes était impraticable. Il était remonté jusqu'à Isernia par une assez belle route, qu'il lui avait fallu conquérir pas à pas sur les brigands; puis, de là, par un chemin détourné, il avait, à travers monts, bois et vallées, atteint le village ou plutôt la ville de Bocano.

Il lui fallut cinq jours pour faire cette route, que dans les temps ordinaires, on peut faire en une étape.

Ce fut à Bocano qu'il apprit la trêve de Sparanisi, qu'il reçut l'ordre de s'arrêter et d'attendre de nouvelles instructions.

La trêve de Sparanisi rompue, Salvato se remit en marche, et, en combattant toujours, gagna Marcone. A Marcone, il apprit l'entrevue de Championnet avec les députés de la ville, et la décision prise le même jour par le général en chef d'attaquer Naples le lendemain.

Ses instructions portaient de marcher sur Bénévent et de se rabattre immédiatement sur Naples pour seconder le général dans son attaque du 21.

Le 20 au soir, après une double étape, il entrait à Bénévent.

La tranquillité avec laquelle s'était opérée cette marche donnait à Salvato de grandes inquiétudes. Si les brigands lui avaient laissé le chemin libre de Marcone à Bénévent, c'était, sans aucun doute, pour le lui disputer ailleurs et dans une meilleure position.

Salvato, qui n'avait jamais parcouru le pays dans lequel il était engagé, le connaissait du moins stratégiquement. Il savait qu'il ne pouvait aller de Bénévent à Naples sans passer par l'ancienne vallée Caudia, c'est-à-dire par ces fameuses Fourches Caudines, où, trois cent vingt et un ans avant le Christ, les légions romaines, commandées par le consul Spurnius Postumus, furent battues par les Samnites et forcées de passer sous le joug.

Une de ces illuminations comme en ont des hommes de guerre lui dit que c'était là que l'attendaient les brigands.

Mais Salvato résolut, les cartes de la Terre de Labour et de la principauté étant incomplètes, de visiter le pays par lui-même.

A huit heures du soir, il se déguisa en paysan, monta son meilleur cheval, se fit accompagner d'un hussard de confiance, à cheval comme lui, et se mit en chemin.

A une lieue de Bénévent, à peu près, il laissa dans un bouquet de bois son hussard et les chevaux, et s'avança seul.

La vallée se rétrécissait de plus en plus, et, à la clarté de la lune, il pouvait distinguer la place où elle semblait se fermer tout à fait. Il était évident que c'était à cette même place que les Romains s'étaient aperçus, mais trop tard, du piége qui leur avait été tendu.

Salvato, au lieu de suivre le chemin, se glissa au milieu des arbres qui garnissent le fond de la vallée, et arriva ainsi à une ferme située à cinq cents pas, à peu près, de cet étranglement de la montagne.

Il sauta par-dessus une haie et se trouva dans un verger.

Une grande lueur venait d'une partie de la maison séparée du reste de la ferme. Salvato se glissa jusqu'à un endroit où ses regards pouvaient plonger dans la chambre éclairée.

La cause de cet éclairage était un four que l'on venait de chauffer et où deux hommes se tenaient prêts à enfourner une centaine de pains.

Il était évident qu'une pareille quantité de pain n'était point destinée à l'usage du fermier et de sa maison.

En ce moment, on frappa violemment à la porte de la ferme donnant sur la grande route.

Un des deux hommes dit:

–Ce sont eux.

Le regard de Salvato ne pouvait s'étendre jusqu'à la grande porte; mais il l'entendit crier sur ses gonds et vit bientôt entrer, dans le cercle de lumière projeté par le bois brûlant dans le four, quatre hommes qu'à leur costume il reconnut pour des brigands.

Ils demandèrent à quelle heure serait prête la première fournée, combien on en pourrait faire dans la nuit, et quelle quantité de pains pouvaient donner quatre fournées.

Les deux boulangers leur répondirent qu'à onze heures et demie, ils pourraient livrer la première fournée, à deux heures la seconde, à cinq heures la troisième.

Chaque fournée pourrait donner de cent à cent vingt pains.

–Ce n'est guère, répondit un des brigands en secouant la tête.

–Combien êtes-vous donc? demanda un des boulangers.

Le brigand qui avait déjà parlé calcula un instant sur ses doigts.

–Huit cent cinquante hommes environ, dit-il.

–Ce sera à peu près une livre et demie de pain par homme, dit le boulanger, qui jusque-là avait gardé le silence.

–Ce n'est point assez, répondit le brigand.

–Il faudra pourtant bien vous contenter de cela, répondit le boulanger d'un ton bourru. Le four ne peut contenir que cent dix pains chaque fois.

–C'est bien: dans deux heures, les mules seront ici.

–Elles attendront une bonne demi-heure, je vous en préviens.

–Ah çà! tu oublies que nous avons faim, à ce qu'il paraît?

–Emportez le pain comme il est, si vous voulez, dit le boulanger, et faites-le cuire vous-mêmes.

Les brigands comprirent qu'il n'y avait rien à faire avec ces hommes, qui avaient de pareilles réponses à tout ce qu'on pouvait dire.

–A-t-on des nouvelles de Bénévent? dirent-ils.

–Oui, répondit un boulanger; j'en arrive il y a une heure.

–Y avait-on entendu parler des Français?

–Ils venaient d'y entrer.

–Disait-on qu'ils y feraient séjour?

–On disait que, demain, au point du jour, ils se remettraient en marche.

–Pour Naples?

–Pour Naples.

–Combien étaient-ils?

–Six cents, à peu près.

–En les rangeant bien, combien peut-il tenir de Français dans ton four?

–Huit.

–Eh bien, demain soir, si nous manquons de pain, nous aurons de la viande.

Un éclat de rire accueillit cette plaisanterie de cannibales, et les quatre hommes, en ordonnant aux deux boulangers de se presser, regagnèrent la porte qui donnait sur la grande route.

Salvato traversa le verger, en évitant de passer dans le rayon de lumière projeté par le four, franchit la seconde haie, suivit, à cent cinquante pas en arrière, les quatre hommes qui regagnaient leurs compagnons, les vit gravir la montagne, et put étudier à son aise, grâce à un clair de lune assez transparent, la disposition du terrain.

Il avait vu tout ce qu'il avait voulu voir: son plan était fait. Il passa devant la masserie cette fois, au lieu de passer derrière, rejoignit son hussard, remonta à cheval, et rentra avant minuit à son logement.

Il y trouva l'officier d'ordonnance du général Championnet, ce même Villeneuve que nous avons vu, à la bataille de Civita-Castellana, traverser tout le champ de bataille pour aller porter à Macdonald l'ordre de reprendre l'offensive.

Championnet faisait dire à Salvato qu'il attaquerait Naples à midi. Il l'invitait à faire la plus grande diligence possible, afin d'arriver à temps au combat, et il autorisait Villeneuve à rester près de lui et à lui servir d'aide-de-camp, le prévenant de se défier des Fourches Caudines.

Salvato raconta alors à Villeneuve la cause de son absence; puis, prenant une grande feuille de papier et une plume, il fit un plan détaillé du terrain qu'il venait de visiter et sur lequel, le lendemain, devait se livrer le combat.

Après quoi, les deux jeunes gens se jetèrent chacun sur un matelas et s'endormirent.

Ils furent réveillés au point du jour par les tambours de cinq cents hommes d'infanterie et par les cinquante ou soixante hussards qui formaient toute la cavalerie du détachement.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
230 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают