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XIII
CONFESSION

Huit jours s'écoulèrent sans que j'eusse aucune nouvelle de Gabriel; enfin, le matin du huitième jour amena une lettre de lui.

Il était arrivé à Paris, avait été installé, disait-il, chez son banquier, et demeurait, en attendant, dans un petit hôtel de la rue des Vieux-Augustins.

Puis venait une description de Paris, de l'effet que la capitale avait produit sur lui.

Il était ivre de joie.

Un post-scriptum m'annonçait que dans trois mois je partagerais son bonheur.

Au lieu de me tranquilliser, cette lettre m'attrista profondément; et cela sans que je pusse comprendre pourquoi.

Je sentais qu'un malheur planait au-dessus de ma tête et était prêt à s'abattre sur moi.

Je lui répondis cependant comme si j'étais joyeuse de sa joie; j'avais l'air de croire à cet avenir qu'il me promettait, et qu'une voix intérieure me criait n'être point fait pour moi.

Quinze jours après, je reçus une seconde lettre. Celle-là me trouva dans les larmes.

Hélas! si Gabriel ne tenait pas sa promesse envers moi, j'étais une fille déshonorée: dans huit mois j'allais être mère.

Je balançai quelque temps pour savoir si j'annoncerais cette nouvelle à Gabriel.

Mais je n'avais que lui au monde à qui je pusse me confier. D'ailleurs il était de moitié dans ma faute, et si quelqu'un me soutenait il était juste que ce fût lui.

Je lui répondis donc de hâter autant qu'il le pourrait l'instant de notre réunion, en lui disant qu'à l'avenir ses efforts auraient pour but non-seulement notre bonheur, mais encore celui de notre enfant.

Je m'attendais à recevoir une lettre poste pour poste, ou plutôt, à peine cette lettre envoyée, je tremblais de n'en plus recevoir du tout: car, ainsi que je l'ai dit, un sourd pressentiment me criait que tout était fini pour moi.

En effet, ce ne fut pas à moi que Gabriel répondit, mais à son père: il lui annonçait que le banquier chez lequel il était placé, ayant des intérêts majeurs à la Guadeloupe, et ayant reconnu chez lui plus d'intelligence que chez ses compagnons de bureau, venait de le charger d'aller régler ces intérêts, lui promettant, à son retour, de l'associer pour une part dans ses bénéfices. En conséquence, il annonçait qu'il partait le jour même pour les Antilles, et qu'il ne pouvait fixer l'époque de son retour.

En même temps, sur l'argent que le banquier lui avait donné pour son voyage, il renvoyait à son père les cinq cents francs qu'il avait empruntés pour lui.

Cette somme était représentée par un billet de banque.

Un post-scriptum disait de plus à son père que, n'ayant pas le temps de m'écrire, il le priait de m'annoncer cette nouvelle.

Comme on le comprend bien, le coup fut terrible.

Cependant, n'ayant jamais reçu de Gabriel aucune réponse poste pour poste, j'ignorais le nombre de jours qu'employait une lettre pour aller à Paris, et par conséquent en combien de temps on pouvait recevoir sa réponse.

J'avais donc encore un espoir, c'est que sa lettre à son père avait probablement été écrite avant qu'il eût reçu la mienne.

J'allai chez le maire sous un prétexte quelconque, et lui demandai des informations à ce sujet. Je le trouvai tenant à la main le billet que venait de lui rendre le père Thomas.

– Eh bien, Marie, dit-il en me voyant, ton amoureux est donc en train de faire fortune.

Je ne lui répondis qu'en fondant en larmes.

– Eh bien! quoi, me dit-il, cela te fait de la peine que Gabriel s'enrichisse? Moi, je l'avais toujours dit, ce garçon-là a sa fortune au bout des doigts.

– Hélas! monsieur, lui dis-je, vous vous méprenez sur mes sentimens; je remercierai toujours le ciel de toute chose heureuse qui arrivera à Gabriel; seulement, j'ai peur qu'au milieu de son bonheur il ne m'oublie.

– Ah! quant à cela, ma pauvre Marie, me répondit le maire, je ne voudrais pas en répondre, et si j'ai un conseil à te donner, vois-tu, l'occasion se présentant, c'est de prendre les devans sur Gabriel. Tu es une fille laborieuse, rangée, sur laquelle il n'y a jamais eu rien à dire, malgré ton intimité avec Gabriel, eh bien, ma foi! le premier beau garçon qui se présentera pour le remplacer, je l'accepterais; et tiens, pas plus tard qu'hier, André Morin le pécheur, tu sais, me parlait de cela.

Je l'interrompis.

– Monsieur le maire, lui dis-je, je serai la femme de Gabriel, ou je resterai fille; il y a entre nous des promesses qu'il peut oublier, lui, mais que moi je n'oublierai jamais.

– Oui, oui, dit-il, je connais cela; voilà comme elles se perdent toutes, ces pauvres malheureuses; enfin, fais comme tu voudras, mon enfant, je n'ai aucun pouvoir sur toi, mais si j'étais ton père, je sais bien ce que je ferais, moi.

Je pris près de lui les informations que je venais y chercher, et je revins chez moi en calculant le temps écoulé.

Gabriel avait écrit à son père après avoir reçu ma lettre.

J'attendis vainement le lendemain, le surlendemain, pendant toute la semaine, pendant tout le mois; je ne reçus aucune nouvelle de Gabriel.

Un espoir m'avait d'abord soutenue, c'est que, n'ayant pas eu le temps de m'écrire de Paris, il m'écrirait du port où il s'embarquerait, ou, s'il ne m'écrivait point de ce port, il m'écrirait au moins de la Guadeloupe.

Je me procurai une carte géographique, et je demandai à l'un de nos marins, qui avait fait plusieurs voyages en Amérique, quelle était la route que suivaient les bâtimens pour se rendre à la Guadeloupe.

Il me traça une longue ligne au crayon, et j'eus au moins une consolation, ce fut de voir quel chemin suivait Gabriel en s'éloignant de moi.

Il fallait trois mois pour que je reçusse de ses nouvelles. J'attendis avec assez de calme l'expiration de ces trois mois, mais rien ne vint, et je restai dans cette demi-obscurité terrible qu'on appelle doute et qui est cent fois pire que la nuit.

Cependant le temps s'écoulait, toutes ces sensations intimes qui annoncent en soi l'existence d'un être qui se forme de notre être se faisaient ressentir. Sensations délicieuses, sans doute, dans l'état ordinaire de la vie, et quand l'existence de cet être est le résultat des conditions de la société; sensations douloureuses, amères, terribles, quand chaque tressaillement rappelle la faute et présage le malheur.

J'étais enceinte de six mois. Jusque-là, j'avais caché avec bonheur ma grossesse à tous les yeux, mais une idée affreuse me poursuivait: c'est qu'en continuant à me serrer ainsi, je pouvais porter atteinte à l'existence de mon enfant.

La Pâque approchait. C'est, comme on le sait, dans nos villages, l'époque des dévotions générales. Une jeune fille qui ne ferait pas ses pâques serait montrée au doigt par toutes ses compagnes.

J'avais au fond du cœur des sentimens trop religieux pour m'approcher du confessionnal sans faire une révélation complète de ma faute, et, cependant, chose étrange! je voyais approcher l'époque de cotte révélation avec une certaine joie mêlée de crainte.

C'est que notre curé était un de ces braves prêtres, d'autant plus indulgens pour les fautes des autres, qu'ils n'ont point à leur faire expier leurs propres péchés.

C'était un saint vieillard aux cheveux blancs, à la figure calme et souriante, dans lequel le faible, le malheureux ou le coupable sentent à la première vue qu'ils trouveront un appui.

J'étais donc d'avance bien résolue à tout lui dire, et à me laisser guider par ses conseils.

La veille du jour où toutes les jeunes filles devaient aller à confesse, je me présentai donc chez lui.

Ce fut, je l'avoue, avec un terrible serrement de cœur que je portai la main à la sonnette du presbytère. J'avais attendu la nuit, pour que personne ne me vît entrer à la cure, où, dans d'autres temps, j'allais ouvertement deux ou trois fois par semaine; sur le seuil, le cœur me manqua, et je fus obligée de m'appuyer au mur pour ne pas tomber.

Cependant, je repris mes forces; et, par un mouvement brusque et saccadé, je sonnai.

La vieille servante vint aussitôt m'ouvrir.

Comme je l'avais pensé, le curé était seul, dans une petite chambre retirée, où, à la lueur d'une lampe, il lisait son bréviaire.

Je suivis la vieille Catherine, qui ouvrit la porte et m'annonça.

Le curé leva la tête. Toute sa belle et calme figure se trouva alors dans la lumière, et je compris que s'il y a au monde une consolation pour certains malheurs irréparables, c'est de confier son malheur à de pareils hommes.

Cependant, je restais près de la porte et n'osais avancer.

– C'est bien, Catherine, dit le curé, laissez-nous; et si quelqu'un venait me demander…

– Je dirai que monsieur le curé n'y est pas? répondit la vieille gouvernante.

– Non, dit le curé, car il ne faut pas mentir, ma bonne Catherine; vous direz que je suis en prières.

– Bien, monsieur le curé, dit Catherine.

Et elle se retira en fermant la porte derrière elle.

Je restai immobile et sans dire un mot.

Le curé me chercha des yeux dans l'obscurité, où la lumière circonscrite de la lampe me laissait; puis, m'ayant aperçue, il tendit la main de mon côté et me dit:

– Viens, ma fille … je t'attendais.

Je fis deux pas, je pris sa main et je tombai à ses genoux.

– Vous m'attendiez, mon père, lui dis-je; mais vous savez donc alors ce qui m'amène?

– Hélas! je m'en doute, répondit le digne prêtre.

– Oh! mon père, mon père, je suis bien coupable, m'écriai-je en éclatant en sanglots.

– Dis, ma pauvre enfant, répondit le prêtre, dis que tu es bien malheureuse.

– Mais, mon père, peut-être ne savez-vous pas tout; car, enfin, comment auriez-vous pu deviner!

– Écoute, ma fille, je vais te le dire, reprit le prêtre; car aussi bien c'est t'épargner un aveu, et, même avec moi, n'est-ce pas, cet aveu te serait pénible.

– Oh! je sens maintenant que je puis tout vous dire; n'êtes vous pas le ministre du Dieu qui sait tout?

– Eh bien! parle, mon enfant, dit le prêtre; parle, je t'écoute.

– Mon père, lui dis-je, mon père!..

Et ma voix s'arrêta dans ma poitrine; j'avais trop présumé de mes forces; je ne pouvais pas aller plus loin.

– Je me suis douté de tout cela, dit le prêtre, le jour même du départ de Gabriel. Ce jour-là, ma pauvre enfant, je t'ai vue sans que tu me visses.

«J'avais été appelé dans la nuit pour recevoir la confession d'un mourant, et je revenais à quatre heures du matin lorsque je rencontrai Gabriel, que tout le monde croyait parti de la veille au soir.

«En m'apercevant, il se jeta derrière une haie, et je fis semblant de ne pas le voir: cent pas plus loin, sur le bord d'un fossé, je trouvai une jeune fille assise, la tête dans ses mains; je te reconnus, mais tu ne levas pas la tête.

– Je ne vous entendis pas, mon père, répondis-je, j'étais tout entière à la douleur de le quitter!

– Je passai donc. D'abord j'avais eu envie de m'arrêter et de te parler. Cependant cette idée me retint, que tu m'avais peut-être entendu, mais que, comme Gabriel, tu espérais sans doute te cacher: je continuai donc mon chemin. En tournant le coin du mur du jardin de ton père, je vis que la porte était ouverte; alors je compris tout: Gabriel, que tout le monde croyait parti, avait passé la nuit près de loi.

– Hélas! hélas! mon père, c'est malheureusement la vérité.

– Puis tu cessas de venir à la cure comme tu y venais, et je me dis: Pauvre enfant! elle ne vient pas parce qu'elle craint de trouver en moi un juge, mais je la reverrai au jour où elle aura besoin du pardon.

Mes sanglots redoublèrent.

– Eh bien! me demanda le curé, que puis-je faire pour toi? voyons, mon enfant.

– Mon père, lui dis-je, je voudrais savoir si Gabriel est bien véritablement parti ou s'il est toujours à Paris.

– Comment, tu doutes…

– Mon père, une idée terrible m'est passée dans l'esprit, c'est que c'est pour se débarrasser de moi que Gabriel a écrit qu'il partait.

– Et qui peut te faire croire cela? demanda le prêtre.

– D'abord son silence; si pressé qu'il fût au moment du départ, il avait toujours le temps de m'écrire un mot; si ce n'était point de Paris, du moins du lieu où il s'est embarqué, puis de là-bas, s'il y était. Ne m'eût-il pas donné de ses nouvelles? ne sait-il pas qu'une lettre de lui c'est ma vie, et peut-être la vie de mon enfant?

Le curé poussa un soupir.

– Oui, oui, murmura-t-il, l'homme en général est égoïste, et je ne veux calomnier personne; mais Gabriel, Gabriel! Ma pauvre enfant, j'ai toujours vu avec peine ton grand amour pour cet homme-là.

– Que voulez-vous, mon père! nous avons été élevés ensemble, nous ne nous sommes jamais quittés; que voulez-vous! il me semblait que la vie continuerait comme elle avait commencé.

– Eh bien! tu dis donc que tu désires savoir…

– Si Gabriel est bien réellement parti de Paris.

– C'est facile, et il me semble que par son père… Écoute, m'autorises-tu à tout dire à son père?

– J'ai remis ma vie et mon honneur entre vos mains, mon père, repris-je, faites-en ce que vous voudrez.

– Attends-moi, ma fille, dit le prêtre, je vais chez Thomas Lambert.

Le prêtre sortit.

Je restai à genoux comme j'étais, appuyant ma tête sur le bras du fauteuil, sans prier, sans pleurer, perdue dans mes pensées.

Au bout d'un quart d'heure, la porte se rouvrit.

J'entendis des pas qui se rapprochaient de moi et une voix qui me dit:

– Relève-toi, ma fille, et viens dans mes bras.

Cette voix était celle de Thomas Lambert.

Je relevai la tête, et je me trouvai en face du père de Gabriel.

C'était un homme de quarante-cinq à quarante-huit ans, renommé pour sa probité, un de ces hommes qui ne connaissent qu'une chose, l'accomplissement de la parole donnée.

– Mon fils t'a-t-il jamais dit qu'il t'épouserait, Marie? me demanda-t-il; voyons, réponds-moi comme tu répondrais à Dieu.

– Tenez, lui dis-je; et je lui présentai la lettre de Gabriel, où il me promettait que dans trois mois j'irais le rejoindre, et dans laquelle il m'appelait sa femme.

– Et c'est dans la conviction qu'il serait ton mari que tu lui as cédé?

– Hélas! je lui ai cédé, répondis-je, parce qu'il allait partir et parce que je l'aimais.

– Bien répondu, dit le prêtre, en secouant la tête en signe d'approbation; bien répondu, mon enfant.

– Oui, vous avez raison, monsieur le curé, dit Thomas, bien répondu. Marie, reprit-il, tu es ma fille, et ton enfant est mon enfant; dans huit jours nous saurons où est Gabriel.

– Comment cela? demandai-je.

– Depuis longtemps j'avais l'intention de faire un voyage à Paris pour régler certains intérêts avec mon propriétaire en personne. Je partirai demain. Je me présenterai chez le banquier, et partout où sera Gabriel je lui écrirai au nom de mon autorité de père pour le sommer de tenir sa parole.

– Bien, dit le curé, bien, Thomas; et moi je joindrai une lettre à la vôtre, dans laquelle je lui parlerai au nom de la religion.

Je les remerciai tous deux, comme Agar dut remercier l'ange qui lui indiquait la source où elle allait désaltérer son enfant.

Puis, comme je me retirais, le curé me reconduisit.

– A demain, me dit-il.

– O mon père, répondis-je, je puis donc encore me présenter à l'église avec mes compagnes?

– Et pour qui donc l'Église garderait-elle ses consolations, dit le prêtre, si ce n'est pour les malheureux? Viens, mon enfant, viens avec confiance; tu n'es ni la Madeleine ni la femme adultère, et Dieu leur a pardonné à toutes deux.

Le lendemain je me confessai et reçus l'absolution.

Le surlendemain, jour de Pâques, je communiai avec mes compagnes.

XIV
SUITE DE LA CONFESSION

Dès la veille, comme il l'avait annoncé, Thomas Lambert était parti pour Paris.

Huit jours s'écoulèrent pendant lesquels chaque matin j'allai voir chez le curé s'il avait reçu des nouvelles du père Thomas; pendant ces huit jours aucune lettre n'arriva.

Le soir du dimanche qui suivait celui de Pâques, je vis entrer vers les sept heures du soir la vieille Catherine; elle venait me chercher de la part de son maître.

Je me levai toute tremblante et je me hâtai de la suivre; cependant je n'eus point le courage de franchir la distance qui séparait la maison de mon père du presbytère sans l'interroger.

Elle me dit que le père Thomas venait d'arriver de Paris à l'instant même. Je n'eus pas la force de lui en demander davantage.

J'arrivai.

Tous deux étaient dans le petit cabinet où avait déjà eu lieu la scène que je viens de raconter. Le curé était triste, et le père Thomas était sombre et sévère.

Je restai debout contre la porte; je sentais que ma cause était jugée et perdue.

– Du courage, mon enfant, me dit le prêtre; car voilà Thomas qui nous apporte de mauvaises nouvelles.

– Gabriel ne m'aime plus, m'écriai-je.

– On ne sait pas ce qu'est devenu Gabriel, me dit le curé.

– Comment cela? m'écriai-je; le vaisseau qui le portait est-il perdu? Gabriel est-il mort?

– Plût au ciel, dit son père, et que toute la fable qu'il nous a faite fût une vérité!

– Quelle fable? demandai-je effrayée, car je commençais à tout voir comme à travers un voile.

– Oui, dit le père, je me suis présenté chez le banquier; le banquier n'a pas su ce que je voulais lui dire, il n'a jamais eu de commis appelé Gabriel Lambert, il n'a aucun intérêt à la Guadeloupe.

– Oh! mon Dieu! mais alors il fallait aller chez celui qui lui a procuré cette place, le candidat, vous savez…

– J'y ai été, dit le père.

– Eh bien?

– Eh bien! il n'a jamais écrit ni à mon fils ni à moi.

– Mais la lettre!

– La lettre, je l'avais, et je la lui ai montrée; il a parfaitement reconnu son écriture; mais cette lettre, ce n'est pas lui qui l'a écrite.

Je laissai tomber ma tête sur ma poitrine.

Thomas Lambert continua:

– De là j'allai rue des Vieux-Augustins, à l'hôtel de Venise.

– Eh bien! demandai-je, y avez-vous trouvé trace de son passage?

– Il est resté six semaines dans l'hôtel, puis il a quitté en payant sa dépense, et l'on ne sait pas ce qu'il est devenu.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! m'écriai-je, que veut dire tout cela?

– Cela veut dire, murmura Thomas Lambert, que de nous deux, ma pauvre enfant, le plus malheureux, c'est probablement moi.

– Ainsi, vous ignorez complétement ce qu'il est devenu?

– Je l'ignore.

– Mais, dit le curé, peut-être qu'à la police vous auriez pu savoir…

– J'y ai bien pensé, murmura Thomas Lambert; mais à la police j'ai eu peur d'en trop apprendre.

Nous frissonnâmes tous, et moi surtout.

– Et maintenant, que faire? dit le curé.

– Attendre, répondit Thomas Lambert.

– Mais elle, dit le prêtre en me montrant du doigt, elle ne peut pas attendre, elle.

– C'est vrai, dit Thomas Lambert. Qu'elle vienne demeurer chez moi; n'est-elle point ma fille?

– Oui; mais comme elle n'est point la femme de votre fils, dans trois mois elle sera déshonorée.

– Et mon père! m'écriai-je; mon père, que cette nouvelle fera mourir de chagrin!

– On ne meurt pas de chagrin, dit Thomas Lambert; mais on souffre beaucoup, et il est inutile de faire souffrir le pauvre homme: sous un prétexte quelconque, Marie ira demeurer un mois chez ma sœur, qui habite Caen, et son père ne saura rien de ce qui sera arrivé pendant ce temps-là.

Tout s'accomplit comme il avait été convenu.

J'allai passer un mois chez la sœur de Thomas Lambert, et, pendant ce mois, je donnai le jour au malheureux enfant qui dort sur ce fauteuil.

Mon père ignora toujours ce qui m'était arrivé, et le secret me fut si bien gardé, que tout le monde dans le village l'ignora comme lui.

Cinq ou six mois s'écoulèrent sans que j'entendisse parler de rien; mais enfin un matin le bruit se répandit que le maire arrivait de Paris, et que pendant ce voyage il avait rencontré Lambert.

On racontait, à l'appui de cette rencontre, des choses si singulières, que c'était à douter de la véracité de ce récit.

Je sortis pour aller m'informer chez Thomas Lambert de ce qu'il pouvait y avoir de vrai dans les bruits qui étaient parvenus jusqu'à moi; mais j'eus à peine fait cinquante pas hors de la maison que je rencontrai monsieur le maire lui-même.

– Eh bien! la belle, me dit-il, cela ne m'étonne plus que ton amoureux ait cessé de t'écrire: il paraît qu'il a fait fortune.

– Oh! mon Dieu! et comment cela? demandai-je.

– Comment? je n'en sais rien; mais le fait est que, comme je revenais de Courbevoie, où j'avais dîné chez mon gendre, j'ai rencontré un beau monsieur à cheval, un élégant, un dandy, comme ils disent là-bas, suivi d'un domestique à cheval aussi. Devine qui cela était?

– Comment voulez-vous que je devine?

– Eh bien! c'était maître Gabriel. Je le reconnus, et je sortis à moitié de mon cabriolet pour l'appeler; mais sans doute il me reconnut aussi, lui, car avant que j'eusse eu le temps de prononcer son nom, il piqua des deux et partit au galop.

– Oh! vous vous serez trompé, lui dis-je.

– Je le crus comme toi, répondit-il; mais le hasard fit que j'allai le soir à l'Opéra, au parterre, bien entendu. Moi, je suis un paysan, et le parterre est assez bon pour moi; mais lui, comme c'est un grand seigneur, à ce qu'il paraît, il était aux premières loges, et dans une des plus belles encore, entre deux colonnes, causant, faisant le joli cœur avec des dames, et ayant à la boutonnière un camélia large comme la main.

– Impossible! impossible! murmurai-je.

– C'est pourtant comme cela; mais moi aussi j'en doutais, et je voulus en avoir le cœur net. Dans l'entr'acte, je sortis et j'allai me poster près de la loge; bientôt la porte s'ouvrit, et notre fashionable passa près de moi.

– Gabriel! dis-je à mi-voix.

Il se retourna vivement et m'aperçut; alors il devint rouge comme écarlate, et s'élança dans l'escalier avec tant de rapidité, qu'il pensa renverser un monsieur et une dame qui se trouvèrent sur son chemin. Je le suivis, mais lorsque j'arrivai sous le péristyle, je le vis qui montait dans un coupé des plus élégans; un valet en livrée referma la portière sur lui, et le coupé partit au galop.

– Mais comment voulez-vous, demandai-je, qu'il ait une voiture et des domestiques en livrée? Vous vous serez mépris; assurément ce n'était pas Gabriel.

– Je te dis que l'ai vu comme je te vois, et que je suis sûr que c'est lui; je le connais bien, peut-être, puisque je l'ai eu trois ans pour secrétaire de ma mairie.

– Avez-vous dit cela à d'autres qu'à moi, monsieur le maire?

– Pardieu, je l'ai dit à qui a voulu l'entendre. Il ne m'a pas demandé le secret, puisqu'il ne m'a pas fait l'honneur de me reconnaître.

– Mais son père? dis-je à demi-voix.

– Eh bien! mais son père ne peut qu'être enchanté; qu'est-ce que cela prouve? que son fils a fait fortune.

Je poussai un soupir, et je m'acheminai vers la maison de Thomas Lambert.

Je le trouvai assis devant une table, la tête enfoncée entre les deux mains; il ne m'entendit pas ouvrir la porte, il ne m'entendit pas m'approcher de lui. Je lui posai la main sur l'épaule; il tressaillit et se retourna.

– Eh bien! me dit-il, toi aussi tu sais tout.

– Monsieur le maire vient de me raconter qu'il avait rencontré Gabriel à cheval et à l'Opéra; mais peut-être s'est-il trompé.

– Comment veux-tu qu'il se trompe? ne le connaît-il pas aussi bien que nous? Oh! non, tout cela, va, c'est la pure vérité.

– S'il a fait fortune, répondis-je timidement, il faut nous en féliciter; au moins il sera heureux, lui.

– Fait fortune! s'écria le père Thomas; et par quel moyen veux-tu qu'il ait fait fortune? est-ce qu'il y a des moyens honorables de faire fortune en un an et demi? est-ce qu'un homme qui a fait fortune honorablement ne reconnaît pas les gens de son pays, cache son existence à son père, oublie les promesses qu'il a faites à sa fiancée?

– Oh! quant à moi, dis-je, vous comprenez bien que s'il est si riche que cela, je ne suis plus digne de lui.

– Marie, Marie, dit le père en secouant la tête, j'ai bien plutôt peur que ce soit lui qui ne soit plus digne de toi.

Et il alla au petit cadre qui renfermait le dessin à la plume qu'avait fait autrefois Gabriel, le brisa en morceaux, froissa le dessin entre ses mains, et le jeta au feu.

Je le laissai faire sans l'arrêter, car je pensais, moi, à ce fragment de billet de banque qu'avait, le matin de son départ, ramassé la petite bergère, fragment que j'avais conservé, et sur lequel étaient écrits ces mots:

«LA LOI PUNIT DE MORT
LE CONTREFACTEUR.»

– Que faire? lui dis-je.

– Le laisser se perdre s'il n'est pas déjà perdu.

– Ecoutez, repris-je, tâchez de m'obtenir de mon père la permission d'aller passer de nouveau quinze jours chez votre sœur.

– Eh bien?

– Eh bien! c'est moi qui irai à Paris à mon tour.

Il secoua la tête, et murmura entre ses dents:

– Course inutile, crois-moi; course inutile.

– Peut-être.

– S'il me restait quelque espoir, moi, crois-tu que je n'irais pas? d'ailleurs nous ne savons pas son adresse; comment le retrouver sans nous informer à la police, et, si nous nous informons à la police, qui sait ce qu'il arrivera?

– J'ai un moyen, moi, répondis-je.

– De le retrouver?

– Oui.

– Va donc alors! c'est peut-être le bon Dieu qui t'inspire. As-tu besoin de quelque chose?

– J'ai besoin de la permission de mon père, voilà tout.

Le même jour, la permission fut demandée et obtenue; quoique avec plus de difficulté que la première fois. Depuis quelque temps mon père était souffrant, et moi-même je sentais que l'heure était mal choisie pour le quitter; mais quelque chose de plus fort que ma volonté me poussait.

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12+
Дата выхода на Литрес:
19 марта 2017
Объем:
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