Читать книгу: «Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis», страница 16

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Il alla droit à la tribune; un flot de représentants, à la tête desquels était Tallien, entra derrière lui. Collot-d'Herbois, l'ennemi personnel de Robespierre, tenait le fauteuil du président. Il avait été choisi tout exprès, et à ses côtés se tenait pour prendre sa place, si le courage lui manquait, un homme auquel on était sûr que le courage ne manquerait pas, un dogue du parti de Danton, Thuriot, qui avait voté, tu te le rappelles, la mort du roi avec tant d'acharnement que depuis ce temps on ne l'appelle plus Thuriot, mais Tue-roi.

Soit négligence, soit mépris, Saint-Just, oubliant de demander la parole, monta droit à la tribune et commença son discours.

Mais à peine avait-il prononcé les premières phrases, que Tallien, tenant sa main dans sa poitrine, et probablement dans sa main le poignard de Terezia, fit un pas en avant et dit:

– Président, je demande la parole, qu'a oublié de demander Saint-Just.

Un frisson courut parmi les assistants. Ces paroles, on le sentait, étaient une déclaration de guerre.

Qu'allait dire Collot-d'Herbois? Allait-il laisser la tribune à Saint-Just? Allait-il la donner à Tallien?

– La parole est à Tallien, dit Collot-d'Herbois.

Il se fit un silence profond. Tallien monta à la tribune, sortit sa main encore crispée de sa poitrine.

– Citoyens, dit Tallien, dans le peu que vient de nous dire Saint-Just, j'ai entendu qu'il se vantait de n'être d'aucun parti. J'ai la même prétention, et c'est pour cela que je vais faire entendre la vérité. On s'en étonnera, sans doute. La vérité tonnera, je n'en doute point, car partout autour de nous depuis quelques jours on ne sème que troubles et mensonges. Hier, un membre du gouvernement s'est isolé et a prononcé un discours en son nom particulier. Aujourd'hui, un autre fait de même. Tous ces individualismes viennent encore aggraver les maux de la patrie, la déchirer et la précipiter dans l'abîme; je demande que le rideau soit entièrement déchiré.

– Oui, cria de sa place Billaud-Varennes, plus pâle et plus sombre encore que d'habitude; oui, hier la société des jacobins a voté l'épuration de la Convention. On a voté quoi? c'est à ne pas croire, on a voté d'égorger la majorité qui a refusé de voter l'impression du discours du citoyen Robespierre. Or, cette épuration, cette majorité, c'est tout simplement 250 d'entre nous.

– Impossible! impossible! cria-t-on de toutes parts.

– Collot-d'Herbois et moi étions là, citoyens et nous n'avons que par miracle échappé aux couteaux des assassins. Et là! là! dit-il en allongeant le poing avec un geste menaçant, là, sur la Montagne, je vois un des hommes qui ont levé le couteau sur moi.

À ces mots toute la Convention se lève, et les cris:

– Arrêtez-le! arrêtez l'assassin! retentissent.

Billaud le nomme; c'est un nom inconnu des auditeurs, mais connu des huissiers, qui se jettent sur lui et l'arrêtent.

Mais, après son arrestation, il reste dans l'air un de ces frémissements qui planent sur les assemblées tumultueuses et dans lesquelles il va se passer de grands événements.

– L'assemblée, continue Billaud, ne doit pas se dissimuler qu'elle est entre deux égorgements. Une heure de faiblesse, et elle est perdue!

– Non! non! s'écrièrent tous les membres en montant sur leur banc et en agitant leur chapeau; non! c'est elle, au contraire, qui écrasera ses ennemis! Parle, Billaud, parle! Vive la Convention! vive le Comité de salut public!

– Eh bien! puisque nous en sommes à l'heure des éclaircissements, continua Billaud, je demande que tous les membres de cette assemblée que l'assemblée interrogera s'expliquent. Vous frémirez d'horreur quand vous saurez la situation où vous êtes, quand vous saurez que la force armée est confiée à des mains parricides, qu'Henriot est le complice des conspirateurs; vous frémirez quand vous saurez qu'il y a ici un homme, – et il lança un regard sanglant à Robespierre, – qui, lorsqu'il fut question d'envoyer des représentants du peuple dans les départements, compulsa comme un dictateur la liste des conventionnels, et, sur plus de sept cents membres que nous étions, n'en trouva pas vingt qui fussent dignes de cette mission.

Un murmure d'orgueil blessé, le plus menaçant de tous les murmures, s'éleva de tous les bancs.

– Et c'est Robespierre, continue Billaud, qui vient nous dire hier à nous, qui ose nous dire qu'il s'est éloigné du comité parce qu'il y était opprimé. N'en croyez rien, il s'est éloigné, parce qu'après avoir dominé seul pendant six mois le comité, le comité s'est révolté de cette domination et a organisé la résistance contre lui. Heureusement pour nous, car c'est au moment où il voulait faire adopter le décret du 22 prairial, ce décret de mort qui a fait que le plus pur de nous a instinctivement porté sa main à sa tête.

Des éclats de voix interrompent Billaud de tous côtés; non pas pour l'arrêter dans ses accusations, mais pour l'y affermir.

Un instant le silence se fait; mais un de ces silences qui contiennent autant de menaces que le silence qui précède la tempête qui va éclater.

XXI

Et ce silence est tellement celui qui précède la tempête, que les regards fulgurants de tous ces hommes se croisent comme des éclairs.

– Oui, citoyens, poursuit Billaud-Varennes, sachez que le président du tribunal révolutionnaire, lui à qui toute initiative devrait être défendue, a proposé hier aux Jacobins, à cette assemblée non-seulement ennemie, mais illégale, de chasser de la Convention et de proscrire les membres qui ont osé résister à Robespierre.

Mais le peuple est là, continue Billaud en se tournant vers les tribunes. N'est-ce pas, peuple, que tu veilles sur tes représentants?

– Oui, oui, le peuple est là, crient les tribunes d'une seule voix.

– Nous avons vu depuis quelque temps un étrange spectacle, en vérité; c'est que ce sont ces mêmes hommes qui sans cesse parlent de vertu et de justice, qui sans cesse foulent aux pieds la justice et la vertu. Quoi! des hommes qui sont isolés, qui ne connaissent personne, qui ne se mêlent d'aucune intrigue, qui sauvent la France en organisant la victoire, ces hommes sont des conspirateurs; et c'est le jour même où, sur des conseils et grâce à un plan donné par eux, qu'Anvers est repris par la France aux Anglais, que des conspirateurs viennent les accuser de trahir la France!

Mais l'abîme est sous nos pas, mais les véritables traîtres sont devant nous: il faut que l'abîme soit comblé par leurs cadavres ou par les nôtres.

Le coup a été frapper Robespierre en pleine poitrine; il n'y a plus à reculer; pâle et convulsif, il s'élance à la tribune:

– À bas le traître! À bas le tyran! À bas le dictateur! crie-t-on de tous côtés.

Mais Robespierre a compris que l'heure suprême était venue; qu'il fallait, comme le sanglier, faire face à toute cette meute hurlant contre lui. Il saisit la rampe de la tribune, il s'y cramponne; il monte malgré tout le monde; il touche à la plate-forme. L'eau coule sur son front; il est pâle jusqu'à la lividité; un dernier pas et il a remplacé Billaud. Il ouvre la bouche pour parler au milieu d'un effroyable tumulte, mais peut-être qu'aussitôt que sa voix aigre se fera entendre le tumulte cessera.

Tallien voit que la tribune va être conquise; il comprend le danger, il s'élance, écarte brutalement Robespierre du coude.

C'est un nouvel ennemi, c'est un nouvel accusateur. Le silence se fait à l'instant même.

Robespierre regarde avec étonnement autour de lui; il ne reconnaît plus cette assemblée qu'il est habitué depuis trois ans à pétrir sous sa main.

Il commence seulement à comprendre le danger qu'il court et dans quelle lutte mortelle il s'est engagé.

Tallien profite du silence et s'écrie:

– Je demandais tout à l'heure que l'on déchirât le rideau, c'est chose faite; les conspirateurs sont démasqués, la liberté triomphera?

– Oui, crie toute la salle en se levant. Elle triomphe déjà. Achève, Tallien, achève!

– Tout présage, continue Tallien, que l'ennemi de la représentation nationale va tomber sous nos coups: jusqu'ici je m'étais imposé le silence; je le laissais tranquillement dresser dans l'ombre sa liste de proscriptions, je ne pouvais pas dire: J'ai vu, j'ai entendu! Mais moi aussi j'étais hier aux Jacobins, et j'ai vu et entendu et frémi pour la patrie.

Un nouveau Cromwell recrutait son armée, et ce matin j'ai pris ce poignard, qui dormait derrière le buste de Brutus, pour lui percer le cœur, si la Convention n'a pas le courage de le décréter d'accusation.

Et Tallien mit le poignard de Terezia sur la poitrine de Robespierre. Un rayon de soleil en fit briller la lame.

Robespierre ne fit pas un mouvement pour éviter le coup; mais à l'éclat de l'acier ses yeux clignotèrent comme ceux des oiseaux de nuit a l'éclat du jour.

– Mais non, dit Tallien en écartant son poignard de la poitrine qu'il menaçait; nous sommes des représentants du peuple et non des assassins; et ce tyran pâle et chétif n'a ni la puissance ni le génie de César. La France a remis entre nos mains le glaive de sa justice et non le poignard de ses vengeances. Accusons le traître, jugeons-le, ne l'assassinons pas! Plus de 31 mai, plus de proscriptions, même contre celui qui a fait le 31 mai et les proscriptions!

À la justice nationale Robespierre!

Jamais pareil tonnerre d'applaudissements n'avait ébranlé les voûtes de la Convention nationale.

– Et maintenant, ajouta Tallien, je demande l'arrestation du misérable Henriot, qui à cette heure et pour la troisième fois traîne ses canons contre nous. Désarmons le dictateur avant tout, enlevons-lui sa garde prétorienne d'abord, et nous le jugerons après.

Une espèce de rugissement se fit entendre dans toute l'assemblée; c'étaient deux ans de haine et de terreur qui se faisaient jour et qui grondaient par cette soupape que venait d'ouvrir Tallien.

– Je demande, continua-t-il, que nous décrétions la permanence de notre séance jusqu'à ce que le glaive de la loi ait assuré l'existence de la République en frappant ceux qui conspirent contre elle.

Toutes les propositions de Tallien sont mises aux voix et votées d'enthousiasme.

Robespierre veut parler, il n'a pas abandonné la tribune, il y est resté cramponné, les lèvres palpitantes, les muscles des joues contractés.

Le rictus de sa bouche est à peine visible tant ses dents sont serrées.

Mais de tous côtés les cris s'élevèrent: À bas le tyran!!!

Le mot d'ordre donné par Sieyès a été tenu. Robespierre ne parlera pas. Donc il ne fera pas de phrases.

Tallien reprend:

– Il n'est pas un de nous qui ne puisse citer de cet homme un acte d'inquisition ou de tyrannie; mais c'est sur sa conduite d'hier aux Jacobins que j'appelle toute votre horreur. C'est là que le tyran s'est découvert! c'est par là que je veux le terrasser. Ah! si je voulais rappeler tous les actes d'oppression qui ont eu lieu, je prouverais que c'est depuis que Robespierre a été chargé de la police générale qu'ils ont été commis tous.

Robespierre fait un effort, arrive presque face à face avec Tallien, et s'écrie en étendant la main:

– C'est faux! je…

Mais le tumulte recommence plus terrible qu'auparavant.

Robespierre alors voit que jamais il ne pourra s'emparer de la tribune, qu'une conspiration la lui enlève; il cherche un endroit d'où sa voix puisse dominer l'assemblée. Il voit la Montagne, descend rapidement les escaliers de la tribune, s'élance parmi ses anciens amis, et d'une place vide veut parler.

– Tais-toi! lui crie une voix; tu es à la place de Danton?

Robespierre redescend au centre:

– Ah! vous ne voulez pas me laisser parler, montagnards, dit-il, eh bien, c'est à vous, hommes purs, que je viens demander asile et non à ces brigands.

– Arrière! crie une voix du centre, tu es à la place de Vergniaud.

Robespierre bondit hors des rangs de la Gironde, comme s'il était en effet poursuivi par les ombres de ceux qu'il a fait décapiter.

À moitié foudroyé, il s'élance de nouveau à la tribune, et, montrant le poing au président:

– Président d'une assemblée d'assassins, lui crie-t-il, pour la dernière fois veux-tu me donner la parole?

– À ton tour tu l'auras, répond Thuriot qui a remplacé au fauteuil Collot-d'Herbois brisé.

– Non! non! crient les conjurés; il se défendra, comme les autres, devant le tribunal révolutionnaire.

Mais lui s'obstine; on entend au-dessus de tous ces bruits, de tout ce tumulte, de tous ces cris, les glapissements de la voix de Robespierre qui tout à coup s'éteignent dans un enrouement subit.

– C'est le sang de Danton qui l'étouffe! crie une voix à ses côtés.

Sous ce dernier coup de poignard, Robespierre tressaille et se tort comme sous la pile voltaïque.

– L'accusation! crie une voix de la Montagne.

– L'arrestation! crie une voix du Centre.

L'assemblée tout entière appuie.

Robespierre anéanti, à bout de force, à bout d'espérance, tombe sur un banc.

– Puisqu'on accuse et qu'on juge Robespierre, s'écrient ensemble deux voix, je demande à être accusé et jugé avec lui!

L'une de ces deux voix est celle de Lebas; l'autre est celle de Robespierre jeune.

– Mon frère! s'écrie Robespierre en se relevant, qui se dévoue pour moi.

Si on l'eût laissé parler, peut-être sortait-il de l'accusation par cette porte ouverte sur la pitié; mais non, ces deux mots; l'accusation! l'arrestation! retombent sur lui comme le rocher de Sisyphe.

– Ah! qu'un tyran est dur à abattre! hurle Fréron, qui demande vengeance pour le sang de Camille Desmoulins et celui de Lucile.

L'arrestation est mise aux voix par le président Thuriot, et décrétée à l'unanimité.

– Maintenant ce n'est pas le tout de la voter, dit une voix: qu'on l'exécute.

Thuriot, pour la seconde fois, donne l'ordre d'exécuter le décret, qui comprend Robespierre, Lebas et Robespierre jeune. Couthon et Saint-Just vont se ranger près de lui. Ils sont au premier banc de la Plaine, et un grand vide s'établit autour d'eux.

Les huissiers hésitent à faire leur devoir; comment oseront-ils porter la main sur ces rois de l'assemblée dont ils ont si longtemps reçu les ordres?

Enfin ils se décident à s'approcher d'eux et leur signifient le décret de la Convention.

Les cinq accusés se lèvent et sortent lentement, pour être conduits devant les comités.

Toute l'assemblée respire. Cette lutte de quatre cents députés contre un seul homme, indique à quel point cet homme était puissant. Tant qu'il était là, chacun se demandait: Est-ce fini? Moi aussi je respire, moi aussi je m'élance.

Déjà le bruit de l'arrestation de Robespierre s'est répandu dans la cour du Carrousel, et de la cour du Carrousel a plané sur tout Paris.

Je ne sais si c'est une illusion, mais il me semble que tous les cœurs sont joyeux, que toutes les bouches sourient; des gens qui ne se connaissent pas courent les uns aux autres en criant:

– Eh bien! vous savez?

– Non… quoi?

– Robespierre est arrêté!

– Impossible!

– Je l'ai vu conduire aux comités.

Et celui qui vient de recevoir la nouvelle court la répandre.

Mais à travers les portes de chêne, à travers les barreaux de fer des prisons, les nouvelles sont lentes à passer. Je cherche des yeux mon commissaire, qui m'a promis de se tenir dans la cour du Carrousel.

Mes yeux se fixent sur un homme qui semble attendre que je le regarde. Je jette un cri: c'est lui.

Seulement il a devancé l'opinion publique; il ne porte plus son bonnet rouge, il a mis bas sa carmagnole, il est habillé comme tout le monde. C'est qu'il a assisté de la tribune à la chute de Robespierre.

Il s'approche de moi sans affectation:

– Avez-vous besoin de mes services? me dit-il.

– Je voudrais bien annoncer le triomphe de Tallien à mes pauvres amies, répondis-je.

– Faites-y attention, me dit-il, et ne vous lancez pas trop avant dans le domaine de l'espérance; les comités devant lesquels il est amené peuvent déclarer qu'il n'y a pas motif à l'accusation et rendre une ordonnance de non-lieu. Le tribunal révolutionnaire devant lequel il va être conduit et qui lui appartient entièrement, peut déclarer qu'il n'est pas coupable et lui faire un triomphe comme celui de Marat. En somme, ce n'est qu'une première manche.

– N'importe! répondis-je, elle est gagnée, n'est-ce pas? Maintenant, à la seconde.

– Marchez doucement, me dit-il, traversez le pont, entrez dans la rue du Bac, à la hauteur de la rue de Lille, je vous rejoindrai avec une voiture.

Je m'acheminai sans répondre vers la rue du Bac. Au moment où j'atteignais la rue de Lille, j'entendis un fiacre qui s'arrêtait derrière moi. J'y montai. Le commissaire m'y attendait.

Il ordonna au cocher de suivre la rue de Lille, de prendre les quais jusqu'à la Grève et de nous conduire à la Force.

Il avait ramené les prisonnières d'où elles étaient parties.

Je retrouvai mon brave concierge Ferney; je retrouvai Santerre qui jeta les hauts cris, il me croyait guillotinée. Je leur appris l'arrestation de Robespierre.

Chose bizarre! celui qui me parut le plus content fut le geôlier.

Aussi ne fit-il aucune difficulté lorsque mon conducteur, se faisant reconnaître, lui ordonna de me conduire à la chambre des deux nouvelles prisonnières.

En m'apercevant elles jetèrent un cri. Mon sourire leur disait que j'apportais de bonnes nouvelles.

– Triomphe! leur criai-je, triomphe! Robespierre est accusé et arrêté.

– Et Tallien, demanda Terezia, comment a-t-il été?

– Magnifique de courage et surtout d'amour.

– Le fait est que s'il ne s'était agi que de lui il se serait laissé couper le cou: il est si paresseux!

– Allons, allons, tu vas porter un beau nom, citoyenne Tallien, dit madame de Beauharnais.

– J'en ambitionne un plus beau encore, dit Terezia avec sa fierté tout espagnole.

– Lequel?

– Celui de Notre-Dame-de-Thermidor!

Mais, comme l'avait dit très-judicieusement mon commissaire, nous n'en étions qu'à la première manche, et Robespierre pouvait sortir de là plus puissant que jamais.

Nous convînmes avec mes deux amies que le lendemain je suivrais dans tous leurs détails les événements, non moins importants à coup sûr que ceux qui venaient de s'accomplir.

Terezia pensa alors combien il serait difficile de suivre les événements, qui peut-être allaient se passer au milieu de foules immenses, avec un costume de femme.

Elle m'offrit d'aller prendre dans sa maison des Champs-Élysées un de ses costumes d'homme, qu'elle avait l'habitude de prendre pour suivre son premier mari dans ses courses à cheval et à la chasse; elle me donna une lettre pour sa vieille nourrice qui la gardait. Je devais en même temps donner à la bonne femme de ses nouvelles et la rassurer sur son compte. Je lui racontai tout ce que je devais au brave homme qui m'avait pris sous sa protection, tout en prévenant d'avance que si nous étions victorieux c'était un protégé à ne point oublier. Elle promit tout ce que je voulus.

L'heure s'avançait, il fallait quitter la prison. Je ne promis pas de revenir le lendemain, attendu que si nous étions vainqueurs je comptais aller droit à Tallien, et, pour lui épargner toute recherche inutile, lui dire où il trouverait son amie. Mais je promis de lui écrire, mot par mot, heure par heure, tout ce que j'aurais vu. Grâce à l'intermédiaire de mon brave commissaire, j'étais sûre que ma lettre lui serait remise.

Nous nous embrassâmes étroitement, madame Beauharnais, Terezia et moi, et je descendis, légère et pleine d'espérance, cet escalier que la dernière fois j'avais descendu croyant aller à l'échafaud.

XXII

Nous rencontrâmes la voiture et nous allâmes droit à la maison de Terezia, située allée des Veuves. Là je trouvai la vieille Espagnole qui l'avait élevée. Je commençai par lui donner de bonnes nouvelles de sa maîtresse, puis la lettre par laquelle elle lui ordonnait de me laisser choisir parmi ses habits d'homme celui qui irait le mieux à mon goût et à ma taille. Je choisis une redingote marron à collet rabattu; un chapeau à larges bords qui abritait complètement mon visage, avec une boucle d'acier et un large ruban noir, sans plume; deux chemises à jabot, deux gilets, un blanc, l'autre chamois; une culotte de couleur claire et des bottes venant au-dessus du genou.

Nous remontâmes en voiture, et mon commissaire me reconduisit chez moi. Nous eûmes grand'peine à traverser la rue. Il y avait un rassemblement énorme devant la maison des Duplay. On venait d'y apprendre l'arrestation de Robespierre, et les cris de M. Duplay et de la vieille mère avaient attiré les voisins d'abord, puis ceux qui passaient, puis enfin ceux que la curiosité clouait à cette place, comptant que ce serait là qu'on aurait les plus fraîches et les meilleures nouvelles.

J'étais aussi curieuse qu'aucune des personnes réunies aux lamentations de ces braves gens; car, il faut le dire, dans tout le quartier, la famille passait pour la plus honnête qu'il y eût au monde. Comme mon entresol n'était qu'à quelques pas de leur magasin, je remontai rapidement et je jugeai que c'était le moment d'utiliser le costume de Terezia. J'étais peu accoutumée aux costumes masculins, mais cependant au bout de dix minutes j'étais assurée, grâce au manteau qui m'enveloppait tout entière, de pouvoir traverser les groupes sans être reconnue pour une femme. Je descendis et j'allai me mêler aux curieux. Madame Duplay, fanatique de son locataire, en appelait à l'inattaquable réputation de Robespierre comme honnête homme, comme citoyen incorruptible; à ceux qui doutaient ou qui avaient l'air de douter, elle disait:

– Ah! vous pouvez entrer, citoyens, vous pouvez visiter l'appartement qu'il habite, et, si vous y trouvez une pièce d'argent, un bijou ou un assignat de cinquante francs, je reconnais mes torts et j'avouerai que Robespierre était un homme vénal.

Et en effet on entrait comme à un pèlerinage, et dès l'entrée on sentait que c'était bien la maison de l'incorruptible. Dès le seuil, la cour avec son hangar, ses établis chargés de scies, de varlopes, de rabots, tout disait: Vous êtes ici chez l'ouvrier honnête et travailleur. Puis, si l'on montait à la mansarde habitée par Robespierre, c'était là où se déroulait véritablement la preuve de cette vie de labeur, pauvre et occupée. Les papiers, rangés sur les planches de sapin, entassés les uns sur les autres, disaient ces travaux infatigables. Et cependant on sentait qu'on avait mis là, comme dans le tabernacle d'un Dieu, les meilleurs meubles de la maison, un beau lit bleu et blanc comme un lit de jeune fille, avec quelques bonnes chaises; un bureau, en sapin, c'est vrai, mais fait par le maître de la maison, sur un plan donné certainement et avec toutes les exigences de son locataire, était tourné de façon à ce que celui-ci pût, en travaillant, plonger son regard dans la cour et se distraire à la vue des quatre jeunes filles, du fils et du neveu, qui formaient la famille du brave menuisier.

Dans une petite bibliothèque de sapin, bibliothèque non fermée, il y avait un Rousseau et un Racine, et, sur tous les murs, la main fanatique de madame Duplay et la main passionnée de sa fille Cornélie avaient suspendu tous les portraits que l'on avait pu se procurer de l'idole; de sorte que, de quelque côté que Robespierre se tournât, il avait toujours devant lui un portrait de Robespierre. Un de ces portraits le représentait avec une rose à la main; et, tour à tour, la vieille mère Duplay, la femme du menuisier et ses filles, faisant passer les curieux, disaient:

– Est-ce là la demeure du méchant homme qu'on veut faire croire un tyran et qui visait, disent ses misérables ennemis, à la dictature ou à la royauté?

Une des quatre filles de madame Duplay ne disait rien, ne se mêlait à rien, sanglotant dans un coin, assise sur une chaise; c'était la femme de Lebas, dont le mari venait de se sacrifier pour Robespierre et avait été arrêté avec lui. Au moment où je sortais, deux soldats gardaient la porte et deux autres entraient: ils venaient arrêter toute la famille du menuisier.

J'avoue que la vue de cet intérieur presque pauvre, l'inspection de cette chambre modeste, me produisit une profonde impression.

Est-ce que je m'étais trompée? Est-ce que ces gens qui avaient accusé Robespierre ne m'avaient pas dit la vérité? Je me rappelais, ce que tant de fois, mon bien-aimé Jacques, tu m'avais répété de cet homme, de la voie dans laquelle il marchait. Inflexible, mais incorruptible, me disais-tu; son inflexibilité l'a conduit trop loin, elle en a fait l'homme sanglant, haï de tous, et, à l'heure qu'il est, il faut qu'il meure ou que des milliers de têtes tremblent.

On emmena madame Lebas comme les autres. Elle ne se défendit point, elle ne se lamenta point de son arrestation; elle continua de pleurer celle de son mari, voilà tout.

Je rentrai chez moi; j'avais le cœur profondément serré; j'avais sans cesse devant les yeux cette chambre si modeste où les Duplay désiraient qu'on trouvât une pièce d'argent, un bijou ou un assignat de cinquante francs. Cet homme qui avait si peu de besoins, de quoi pouvait-il donc être ambitieux? D'or? On voyait partout, écrit en toutes lettres, son mépris de l'argent. De puissance peut-être. D'orgueil à coup sûr. Tous ces portraits dans sa chambre, ce cortége de Robespierres entourant Robespierre criait tout haut que c'était au besoin de bruit, à l'avidité de renommée, que cette apparence si modeste avait tout sacrifié. C'était cet orgueil si longtemps froissé, c'était cette bile extravasée au fond du cœur qui lui avait fait abattre toute tête dépassant la sienne.

Il répétait sans cesse, disait la mère Duplay, que l'homme, quel qu'il fût, n'avait pas besoin de plus de trois mille francs par an pour vivre. Que de souffrances avait dû éprouver ce cœur envieux chaque fois qu'il avait regardé au-dessus de lui!

Toute la nuit il se fit grand bruit dans la rue; il n'était resté dans la maison que la plus jeune des filles de Duplay et une vieille servante; elles ne fermèrent pas la porte; c'était inutile; il leur aurait fallu l'ouvrir trop souvent. L'enfant et la vieille femme s'endormirent brisées de fatigue, laissant la maison vide à la merci de ceux qui voulaient y entrer.

Il s'était passé une chose terrible que je ne sus que le lendemain. Au moment où le bruit de l'arrestation de Robespierre se répandit par la ville, le cri qui sortit de toutes les bouches, cri unanime, en joyeux, fut:

– Robespierre est mort, plus d'échafaud!

Tant, dans ce terrible mois de messidor qui venait de s'écouler, il avait identifié son nom avec celui de la guillotine!

Et cependant, comme si Robespierre n'eût pas été arrêté, le tribunal révolutionnaire continuait de juger. Une accusée, en s'asseyant sur son banc, fut prise d'un accès d'épilepsie; la violence de l'accès fut telle que les juges eux-mêmes lui demandèrent si elle était affectée habituellement de ce mal.

– Non, répondit-elle, mais vous m'avez fait asseoir juste à la même place où vous avez fait asseoir hier mon fils, et le malheureux enfant vous l'avez condamné!

Comme la séance de la Convention avait été terminée à trois heures, comme à trois heures et demie tout le monde savait dans Paris la chute de Robespierre, le peuple espérait (car, nous l'avons dit, c'était le peuple surtout qui était las de ces boucheries), le peuple espérait qu'il n'y aurait plus d'exécution. Le bourreau lui-même répondait à ceux qui l'interrogeaient en secouant la tête, et lorsque, selon son habitude, le tribunal révolutionnaire eut préparé sa fournée quotidienne, lorsque les lourdes et pesantes charrettes vinrent à l'heure accoutumée rouler dans la cour du palais de justice, l'exécuteur demanda à Fouquier-Tinville:

– Citoyen accusateur public, n'avez-vous pas d'ordre à me donner?

Fouquier ne se donna même pas la peine de réfléchir, et répondit sèchement:

– Exécute la loi.

C'est-à-dire: Continue de tuer!

Ce jour-là, il y avait quarante-cinq condamnés, et ce qui rendait la mort plus cruelle encore, c'est qu'ils avaient tout entendu dire, tout raconter, qu'ils savaient Robespierre arrêté et qu'ils avaient eu l'espérance que cette arrestation était leur salut.

Mais non, on vit sortir de la noire arcade cinq charrettes chargées de condamnés qu'on conduisait à la barrière du Trône pour y être exécutés.

Ces malheureux criaient grâce, levaient au ciel leurs mains liées, demandant comment, puisqu'on allait faire le procès de leur ennemi, leurs procès à eux pouvaient être bons, condamnés qu'ils étaient par celui qu'on était en train de condamner.

La foule commença de gronder; elle trouva que ces pauvres gens avaient bien raison, et, comme eux, elle criait grâce. Quelques-uns sautèrent à la bride des chevaux, arrêtèrent les charrettes, voulurent les faire rétrograder; mais Henriot, sur lequel on n'avait pu exécuter l'ordre d'arrestation donné par l'assemblée, arriva au galop avec ses gendarmes, sabra tout, condamnés et libérateurs, et la foule se dispersa en jetant au ciel une dernière malédiction et en disant:

– Ce n'était donc pas vrai, cette bonne nouvelle qu'on nous avait annoncée, que Robespierre était arrêté et que nous étions délivrés de l'échafaud?

Vers sept heures du soir j'entendis battre le rappel de tous côtés; mon déguisement m'encourageant, j'allais sortir au risque de ce qui pouvait m'arriver, lorsque, dans l'escalier, je rencontrai mon brave commissaire. Il était très-pâle.

– Vous n'allez pas sortir, me dit-il; ce que j'avais prévu est arrivé. La Commune se met en insurrection contre l'assemblée. Henriot, arrêté au Palais-Royal, à son retour de l'exécution de la barrière du Trône, a été presque immédiatement délivré; le geôlier de la prison du Luxembourg, où l'on conduisait Robespierre et ses amis, a refusé d'ouvrir la porte de la prison, disant qu'il agissait d'après un ordre de la commune. Robespierre, au contraire, insistait pour être écroué: le tribunal révolutionnaire c'était pour lui le connu, tous les membres en avaient été nommés par lui et étaient à sa dévotion; au contraire, l'insurrection de la Commune, la lutte qui en serait la suite, le combat qu'il faudrait soutenir contre la Convention, c'était l'inconnu.

C'était plus que l'inconnu pour lui, c'était l'illégalité. Avocat comme Vergniaud, il était prêt à sacrifier sa vie, et, comme Vergniaud, il voulait mourir dans la légalité.

Voyant que le Luxembourg ne voulait pas ouvrir ses portes pour lui, Robespierre ordonna à ses gardiens de le conduire à l'administration de la police municipale; ils obéirent. Il leur eût ordonné de le laisser libre qu'ils eussent obéi de même. Tout prisonnier qu'il était, son immense pouvoir contre-balançait le pouvoir exécutif de la Convention.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
19 марта 2017
Объем:
440 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain
Формат скачивания:
epub, fb2, fb3, html, ios.epub, mobi, pdf, txt, zip

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