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CHAPITRE IV

Jacques Hilleret, lieutenant au 33e régiment de ligne, en garnison à Poitiers, et Robert Martelac, docteur en médecine, étaient deux amis de collège, bien que le second fût un peu plus âgé que le jeune officier.

Lorsque Jacques était arrivé en pension, il avait une douzaine d'années; son visage pâle et maladif, son air timide, le désignaient tout naturellement comme victime aux plaisanteries inconsciemment cruelles parfois des autres enfants de sa classe. On se trouvait en été et les élèves prenaient leurs récréations dans la cour, les petits d'un côté et les grands de l'autre, sans qu'aucune séparation les empêchât de se confondre souvent dans l'ardeur du jeu.

Un matin de juillet, Robert et quelques jeunes gens de son âge se promenaient en causant sous une rangée d'arbres rabougris plantés à une petite distance du mur. Le soleil, en ce moment très élevé, tombait d'aplomb sur cette immense cour, dans laquelle l'ombre de ces arbres jetait la seule note adoucie au milieu de la lumière brûlante réfléchie de tous les côtés par les hautes murailles. Resserrés les uns contre les autres et couverts d'une couche de poussière sous laquelle leur feuillage avait une teinte sale, on eût dit qu'ils boudaient contre leur sort et consentaient à regret à égayer la cour d'un établissement que tant d'enfants, habitués aux gâteries du foyer paternel, considéraient comme une prison.

Depuis un instant, les regards de Robert s'étaient arrêtés sur un groupe d'élève acharnés autour de Jacques. Celui-ci, debout contre le mur, sur lequel sa fluette petite personne s'appuyait, avait une expression dans laquelle la crainte se mêlait à une impuissante colère à la vue du nombre grossissant de ses adversaires.

– Lâches! lâches! criait-il tandis que ses mains faibles et tremblantes essayaient vainement de les repousser.

Son poing, dirigé au hasard, s'abattit sur une tête brune qui se redressa en riant d'un air moqueur; un coup solidement appliqué par celui auquel elle appartenait vint le faire repentir de son audace:

– Petit moucheron! Nouveau de malheur! Attends, voilà de quoi te corriger!

Les larmes roulèrent sur le visage du nouveau, larmes de rage plus encore que de souffrance, car il sentait à peine les coups, tant il était en proie à une sorte de désespoir. Sa tête, fine et douce comme une tête d'ange, se rejetait en arrière pour dominer ses persécuteurs et ses yeux avaient à travers leurs larmes des éclairs de fureur contrastant avec les lignes pures et encore enfantines de son visage.

Ayant suivi cette scène des yeux, Robert n'y tint plus. Il se précipita avec indignation au milieu du groupe, le dispersa par quelques coups habilement distribués et se campant fièrement devant Jacques, il regarda les petits bourreaux terrifiés en s'écriant:

– Le premier qui lui [sic] touchera aura les oreilles tirées de façon à rester privé à jamais de cet ornement naturel et précieux!

Puis se tournant vers son protégé, il le toisa du regard:

– Et toi, il faut te défendre. Dégourdis-toi! Tu ne peux pas rester toute ta vie comme une poule mouillée et te laisser plumer par de petits vauriens sans coeur!

La taille élevée de Robert, son ton froid, ses traits fortement accentués et une teinte bleuâtre qui marquait déjà comme un collier autour du visage la place de la barbe lui donnaient presque l'apparence d'un homme. Ses yeux graves considéraient Jacques tremblant devant lui.

Tu ressembles à une petite demoiselle, dit-il.

Son visage s'illumina subitement d'un sourire protecteur; les yeux de Jacques, encore humides de larmes, reflétèrent ce sourire et le regardèrent avec une confiante reconnaissance.

– Comment t'appelles-tu?

– Jacques Hilleret.

– Moi, Robert Martelac. Chaque fois qu'on te cherchera querelle, appelle-moi. A nous deux, nous aurons raison de tout ton cours.

Jacques inclina la tête et mit sa petite main dans la main large et nerveuse que lui tendait Robert. Ainsi fut scellée l'amitié des jeunes gens, amitié solide faite d'estime mutuelle et de protection acceptée de la part du plus faible, fier de la haute considération dont son défenseur jouissait au collège.

La promesse de Robert fut tenue consciencieusement et il sut donner de sévères leçons aux persécuteurs de son nouvel ami.

J'ai connu un petit garçon qui tirait vanité de la véhémence avec laquelle son père le corrigeait par des arguments frappants.

– Oh! papa, disait-il, il est fort, il fouette bien!

L'honneur d'avoir un tel père adoucissait-il pour lui la dure et un peu brutale expiation de ses fautes enfantines? C'est possible, car son visage rayonnait de fierté au milieu des larmes arrachées par la souffrance.

Cette sorte d'orgueil légèrement sauvage, Jacques aurait pu l'avoir à l'égard de son protecteur improvisé, mais la force de Robert s'était faite pour lui uniquement bienfaisante, et, peu à peu, la première reconnaissance éprouvée par l'enfant se changea en une affection telle qu'il eût pu l'éprouver pour un frère aîné. Robert devint le confident ordinaire de ses peines et de ses plaisirs et Jacques, sûr de trouver là une indulgente sympathie, s'adressait à lui en toute circonstance, au risque parfois d'importuner le jeune homme. Mais jamais il ne fut repoussé, tant il est vrai que les bienfaits s'enchaînent et que souvent nous sommes plus attachés à nos amis par les services que nous leur avons rendus que par ceux qu'ils peuvent nous rendre.

Du reste, le jeune Martelac avait su se faire aimer ou au moins respecter de tous ses condisciples. Tous reconnaissaient la générosité et la droiture naturelle de son caractère, et sans s'en rendre compte, ils subissaient son influence et le prenaient volontiers pour arbitre de leurs discussions. Une injustice le révoltait, une action basse soulevait son indignation et il n'avais jamais hésité à prendre le parti du plus faible contre le plus fort. Ce grand garçon, taillé en hercule et peu gracieux comme la plupart des jeunes gens de son âge, disait vrai quand il répondait à ceux qui prétendaient que les plus jeunes devaient s'habituer aux coups:

– Bah! bah! Tapez sur moi si vous voulez, je saurai me défendre. Mais je n'aime pas qu'on abuse de sa force contre les petits.

La sortie du collège, que Robert quitta plusieurs années avant Jacques sépara les deux amis sans effacer le souvenir des circonstances auxquelles ils avaient dû leur rapprochement. Leurs relations furent de plus en plus rares, mais le jeune Hilleret garda au protecteur de son enfance un attachement qui prit une nuance admirative quand il entendit parler de ses succès. Robert, ayant suivi à paris les cours de médecine, fut reçu docteur après de remarquables études. Au moment de sa rencontre avec Jacques à Poitiers, il avait une réputation établie et tout faisait prévoir qu'avant peu d'années, il atteindrait une célébrité méritée.

Mme Martelac était justement fière de son fils, retenu loin d'elle par sa position et par l'avenir brillant préparé par son travail. Elle avait sacrifié avec joie les économies de toute sa vie afin de lui permettre d'achever les études coûteuses auxquelles il se livrait; mais elle regardait l'avenir sans crainte, sûre du coeur de ce fils dont pourtant, elle le savait, elle n'était pas l'unique tendresse.

Anne Duplay, la belle cousine du jeune docteur, élevée près de lui dans l'intimité de la famille et de l'amitié, était devenue l'idole de Robert. Son amour pour elle datait presque du temps où la jeune fille était encore au berceau; il ne se souvenait pas d'avoir rencontré sans un tressaillement joyeux le joli regard et le sourire un peu impérieux de sa petite amie.

Anne, ayant perdu sa mère de bonne heure, était souvent venue dans son enfance chercher près de Mme Martelac les caresses qui lui manquaient au foyer paternel; elle trouvait alors près de sa tante son grand cousin, toujours prêt à la gâter, à l'amuser et à essuyer ses larmes, au risque parfois d'amoindrir le résultat des leçons de la bonne dame, effrayée de la liberté laissée par M. Duplay à sa fille et du manque absolu de direction qu'on sentait autour d'elle.

– Cette petite se gâte, disait-elle parfois tristement, lorsqu'elle se retrouvait seule avec son fils après les visites d'Anne. Son père l'adule trop, il ne sait rien lui refuser, et toi-même, Robert, tu n'es pas raisonnable avec elle, tu cèdes sans cesse à ses caprices.

– Peut-être avez-vous raison, ma mère, répondait le jeune homme sérieusement. Je serai plus ferme avec elle désormais, je vous le promets.

Mais sa résolution ne tenait pas longtemps, et quand la petite fille, grimpant sur ses genoux, le prenait par le cou et appuyait contre son visage sa jolie tête enfantine, elle obtenait immédiatement de lui ce que demandaient ses grands yeux suppliants et ses lèvres roses, prêtes à donner un baiser en retour.

Tant qu'elle avait été enfant, Anne avait, au travers de ses caprices, montré de délicieux élans de tendresse à l'égard de ceux qui l'aimaient. Puis, peu à peu, son coeur s'était refermé; la vanité, l'orgueil de sa beauté, trop tôt vantée en sa présence, l'égoïsme particulier aux créatures gâtées et adulées, cet égoïsme si naïf qu'il n'a pas même conscience de son existence et sacrifierait sans remords le monde entier à son plaisir, tout s'était rencontré pour étouffer les heureuses dispositions de son âme. Les années, en s'ajoutant les unes aux autres, avaient développé les grâces de la jeune fille, mais elles avaient resserré son coeur, et Robert, tout en gardant pour elle l'amour de sa jeunesse augmenté par la radieuse beauté de sa cousine, se heurtait parfois chez elle à une absence de sentiments qui l'effrayait.

Le mariage des deux cousins était un projet ancien entre leurs familles, bien que ce projet n'eût jamais peut-être été formulé.

Mme Martelac se demandait si Anne pouvait faire le bonheur de son fils; elle constatait ses défauts fortifiés par le temps, et poussée par cette crainte, elle eût volontiers renoncé à l'espoir de cette union. Mais l'amour de Robert ne pouvait échapper à son regard maternel et elle n'eût pas osé aborder avec lui un pareil sujet. Quant à Ane, tout en paraissant adopter l'avenir préparé pour elle, elle avait parfois des mots cruels qui attestaient une sorte de révolte et de revendication de sa liberté. Elle acceptait l'amour complaisant, dévoué et sûr de son cousin; mais elle rêvait le luxe, le plaisir, l'entraînement du monde, et elle le sentait, cet homme austère, pour le moment sans fortune, ne saurait lui donner ce qu'elle voulait.

L'aimait-elle? Qui eût pu le dire? Parfois Robert en doutait et une douleur aiguë lui serrait le coeur. Pourtant, si un clair regard s'arrêtait sur lui avec une sorte de rayonnement affectueux et un sourire dû peut-être à la coquetterie, le pauvre garçon reprenait confiance et s'efforçait de se croire aimé. Notre coeur n'a-t-il pas mille ressources pour se dérober à la désillusion qui le lui [sic] déchirerait et ne combat-il pas avec passion afin de conserver un reste de foi dans l'être auquel il a donné son amour?

CHAPITRE V

Le jeune lieutenant eut peu de rapports avec Nicolas. Le marchand, avec son visage pointu, au nez recourbé et aux petits yeux de fouine toujours clignotants, comme s'ils n'eussent pas été faits pour la lumière du jour, ne lui inspirait aucune sympathie. Toutefois, la personne souffreteuse de Sarah l'intéressait, et souvent il entrait dans le magasin pour dire bonjour à la petite fille, de laquelle ces courtes visites étaient l'unique distraction.

Il était à Poitiers depuis quelques mois, quand un matin, revenant de la caserne, il eut la pensée d'entrer chez Nicolas avant de remonter dans sa chambre. Il n'avait pas vu Sarah depuis plusieurs jours et s'étonnait de ne pas l'avoir entendue remuer dans la maison ou dans la cour. Bien qu'elle fût d'un naturel tranquille et n'eût jamais connu jusqu'alors ces exubérances de gaîté familières aux enfants de son âge, elle chantait parfois en allant et venant. Ou bien encore, elle adressait tout haut à son chat, le seul être vivant qui partageât sa solitude, un de ces monologues enfantins, dont naturellement elle se chargeait de faire les frais, l'animal se contentant de lui répondre par le seul langage en son pouvoir, c'est-à-dire en se frottant contre elle, en faisant le gros dos et en la regardant de ses yeux ronds et brillants.

Ce jour-là, la petite fille ne semblait guère en disposition de chanter ou de jouer; il la trouva assise tristement sur un vieux coffre placé près d'un poêle, dans lequel, à l'insu de son grand-père, elle entassait le charbon de terre. Elle essayait ainsi de combattre le froid qui l'envahissait, la fièvre se joignant à la température glaciale du dehors.

Quand elle prenait avec la main un morceau de charbon, elle le plaçait doucement sur la flamme et jetait un regard effrayé vers Nicolas en entendant le crépitement joyeux fait par le bloc noir au contact du feu. Mais le marchand ne remarquait rien; une plume à la main, il faisait des comptes et semblait absorbé.

Lorsque Jacques entra, Sarah, le menton dans la main et les joues plus animées que de coutume, était immobile depuis quelques instants. Elle ne leva pas les yeux.

– Qu'avez-vous donc? dit-il en s'approchant. Vous paraissez souffrante.

– Oui, Monsieur, répondit, répondit la petite fille en tournant lentement la tête, ce simple mouvement lui étant pénible. Je suis malade.

– Où avez-vous mal?

– Là, surtout!

Elle portait la main à son front.

– Et dans tous les membres, d'ailleurs. Je ne puis les remuer sans souffrir.

– Etes-vous ainsi depuis longtemps?

– Depuis trois ou quatre jours.

– Avez-vous vu le médecin?

– Le médecin? répéta-t-elle avec étonnement.

Puis elle secoua négativement la tête et, serrant autour d'elle le vieux vêtement déchiré (un paletot d'homme!) dont elle s'était couverte, car elle grelottait, elle retomba dans sa somnolence fiévreuse.

Jacques la considérait avec pitié. Son visage, habituellement pâle, prenait une teinte terreuse, et ses grands cils baissés ajoutaient leur ombre au cercle bleuâtre qui entourait ses yeux battus par la fatigue. Ses lèvres, décolorées, semblaient retenir avec peine un sanglot prêt à lui échapper, car Sarah n'était encore qu'une enfant et la souffrance lui arrachait des larmes, bien qu'elle n'eût autour d'elle aucune tendresse pour les essuyer. Ses petites mains tremblaient en refermant de leur mieux le collet de velours rougi dans lequel se perdait sa figure.

Pauvre rose de Bengale! La première fois qu'il l'avait vue, Jacques avait comparé Sarah à cette fleur délicate dont les pétales s'effeuillent au moindre souffle, et qui, pourtant, s'entr'ouvre encore sous le soleil d'automne. En ce moment, pâle et frissonnante, elle ressemblait aux dernières roses, surprises par l'hiver et répandant sur le gazon leurs corolles sans parfum et sans couleur. Le poêle avait beau ronfler sourdement et sa plaque devenir étincelante, grâce au combustible qu'elle y avait amassé clandestinement, sa chaleur ne parvenait pas à réchauffer la pauvre enfant, abattue par la maladie.

Le jeune officier s'approcha du grand-père.

– Monsieur Larousse, dit-il, votre petite-fille est malade.

Le vieil avare arrêta un instant ses calculs pour tourner les yeux vers Sarah. Il plaça derrière son oreille la plume dont il se servait, et, frottant l'une contre l'autre ses mains ridées qui rendirent un son de parchemin froissé, il répondit:

– Un peu, mais ce n'est rien.

– Elle a une fièvre ardente.

Jacques, s'approchant de Sarah, avait pris dans les siennes la main brûlante de l'enfant.

– C'est une fièvre de croissance. Tous les enfants y sont sujets, reprit Nicolas.

Le jeune homme secoua la tête.

– Elle ne grandit guère! J'ai peine à croire que cela la fatigue. Il faudrait la soigner.

– Je lui ai fait de la tisane d'orge, et elle s'entête à ne pas la prendre. C'est dommage! ajouta le marchand en jetant un regard douloureux vers le poêle, j'en ai acheté pour vingt centimes!

Cette grosse somme, si follement dépensée, lui pesait sur le coeur.

Sur la plaque de fonte du poêle, il y avait, en effet, une tasse ébréchée, contenant un liquide incolore que Jacques soupçonna être la coûteuse tisane. Le bonhomme n'ayant pas acheté de sucre pour y ajouter, – cette marchandise n'entrait jamais dans la consommation de son ménage, – la petite fille s'était obstinément refusée à boire la tisane.

– Il faudrait faire venir le médecin.

Nicolas regarda son locataire d'une air mécontent.

– Vous n'y pensez pas! Cela coûte, et Sarah guérira sans médecin.

Jacques se tourna vers la petite malade. Elle étouffait de son mieux les sanglots qui lui montaient à la gorge, mais de grosses larmes roulaient le long de ses joues et glissaient sur ses vêtements, où elle séchaient presque instantanément, tant était ardente la chaleur dégagée par le poêle près duquel elle était.

– C'est nécessaire, je vous assure, reprit le jeune homme, ému par cette vue.

– Bah! bah! dit l'avare.

D'un mouvement brusque, il enleva sa plume de derrière son oreille, la plongea jusqu'au manche dans la bouteille dont il se servait en guise d'encrier et essaya de se remettre à ses comptes, en maugréant intérieurement contre les importuns qui se mêlent des affaires d'autrui.

La vue du visage décomposé de Sarah rendit le jeune homme tenace. Il posa la main sur l'épaule du vieillard.

– Monsieur Larousse!

Celui-ci fit un soubresaut d'impatience.

– Quoi encore? murmura-t-il d'un ton maussade. Ne peut-on être malade à son gré sans que les voisins viennent voir ce que vous avez?

– A son gré? repartit Jacques en souriant malgré lui. Le gré de Sarah ne saurait être d'être malade. On ne l'est jamais par plaisir.

Le visage revêche de Nicolas ne sourcilla pas.

– Si j'insiste, c'est pour le bien de votre petite-fille. La pauvre enfant n'est pas, il me semble, habituée à être dorlotée, et ne se plaint pas pour vous attendrir inutilement.

Le vieux marchand déposa sa plume sur la table et croisa les bras avec résignation, n'osant imposer silence à son locataire et paraissant attendre ce qu'il désirait lui dire encore.

– Je voulais vous faire une proposition, reprit le lieutenant.

– Laquelle?

– Mon ami, le docteur Martelac, est ici en ce moment. Si vous voulez, je lui parlerai de Sarah et je l'amènerai la voir.

– Le docteur Martelac! s'écria l'avare en bondissant sur son siège. Une célébrité! Etes-vous fou?

– Pourquoi cela?

– Parce que la science se paie, mon cher Monsieur!

– Avez-vous un autre médecin attitré et auquel vous tenez?

– Non, certes!

Le vieillard dit cela d'un ton fier comme s'il se félicitait d'avoir su se passer jusque-là de tout membre du corps médical.

– Je n'ai jamais employé de médecin! Ces gens-là ne servent qu'à alléger les bourses bien garnies.

– Pourtant, on est parfois obligé de recourir à leurs soins.

– Qu'ils font payer les yeux de la tête!

– Robert Martelac est aussi généreux que savant et je me porte garant de la sagesse de ses demandes.

Nicolas garda le silence.

– Cette enfant a une fièvre très forte, reprit le jeune homme, et elle souffre, m'a-t-elle dit, depuis plusieurs jours. Cela pourrait bien être le début d'une maladie grave, et si vous ne la prenez pas à temps, il faudra ensuite de longs mois pendant lesquels elle sera incapable de vous rendre service dans votre ménage comme elle le faisait jusqu'ici.

Le vieux marchand se gratta la tête, sur laquelle poussaient au hasard de longues mèches grises qu'il coupait inégalement suivant son caprice. Le coiffeur n'avait jamais, pour cause d'économie, déployé son art sur cette chevelure inculte. Il jeta un regard sur sa petite-fille, ramassée douloureusement sur elle-même, le plus près possible du poêle, et sa résolution parut ébranlée. Ce n'est pas qu'il fût attendri par la vue de Sarah, son vieux coeur endurci ne pouvait être touché que par ses intérêts matériels et le dernier argument du jeune lieutenant lui donnait à réfléchir.

Seul avec l'enfant, sa dépense était presque insignifiante; il lui mesurait la nourriture de façon à contenter son avarice. Mais avec une domestique, c'était tout autre chose! Il en avait eu une lorsque Sarah était toute petite et incapable de travailler. Dieu sait les exigences de cette femme, qui prétendait être payée et nourrie comme une chrétienne! disait-elle. Nicolas en pleurait de rage en ce temps-là; aussi, pour se soustraire à de si ruineuses exigences, il avait dressé sa petite-fille à la remplacer le plus vite possible et il s'était débarrassé de cette plaie qui rognait sa bourse et rongeait son coeur par la folle défense qu'elle occasionnait dans la maison de l'avare.

– Vous êtes sûr qu'il ne demandera pas cher? dit-il avec hésitation.

– J'en réponds. D'ailleurs, vous vous entendrez avec lui.

Voulez-vous que je vous l'amène?

– Enfin, oui, dit Nicolas en soupirant. Nous verrons.

Deux minutes après avoir donné ce consentement, il le regrettait, mais Jacques avait saisi promptement le mot si péniblement obtenu pour sortir du magasin et courir chez Robert, où il était du reste invité à déjeuner ce jour-là. Le vieillard dut donc en prendre son parti, il envoya Sarah se coucher, éteignit le poêle afin de rattraper sur le combustible quelque chose de l'argent qu'allait coûter la visite du médecin, et, serrant sur son corps maigre et osseux sa vielle redingote râpée, il se mit à déjeuner d'un morceau de pain et d'un débris de fromage, convoité de loin par le chat, seul témoin de ce frugal repas.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
230 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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