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Читать книгу: «La destinée», страница 12

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– Plus un mot, maintenant! Je sais et je comprends ce que vous pensez; mais vous êtes épuisé. Je vous ai permis de parler longtemps, sachant le bien que pouvait faire à votre pauvre âme si éprouvée un peu de confiance, et je vous ai écouté en ami. A présent, le médecin parle et vous ordonne pour le moment un repos complet.

Docilement, M. de la Croix-Morgan, chez lequel une sorte d'atonie succédait à la surexcitation amenée par son récit, ferma les yeux, et Robert, ayant de nouveau appuyé le doigt sur son pouls et constaté cette excessive fatigue, sortit de la chambre et donna ses ordres à la voisine chargée du malade.

En rentrant chez lui et avant même de donner audience aux personnes qui attendaient sa consultation, Robert écrivit à sa mère, la priant de se rendre immédiatement à Paris avec Sarah. Les raisons qu'il lui donnait aussi succinctement que possible firent trembler d'émotion et de surprise les mains de Mme Martelac quand elle lut et relut la lettre de son fils.

– Sarah! Sarah! s'écria-t-elle, venez vite! Venez!

Celle qu'elle appelait si vivement, relevant sa robe d'une main et tenant de l'autre un petit arrosoir, s'en allait à travers l'allée principale du jardin, donnant ici et là un peu d'eau à des jacinthes et à des crocus qu'elle avait plantés avec soin et qui souffrant, croyait-elle, de la sécheresse, ne montraient pas assez promptement, à son gré, leurs fleurs printanières. Elle releva la tête, étonnée de l'empressement inusité avec lequel sa protectrice l'appelait, et vit Mme Martelac, une lettre à la main, et lui faisant signe de venir la retrouver.

L'arrosoir se versa, je crois, tout entier sur une tige de jacinthe, sans doute écrasée par cette avalanche, la pauvre! La jeune fille bondit jusqu'à la maison et fut en un instant près de la mère de Robert. Celle-ci s'était laissée tomber sur un siège. Elle tendit la lettre du docteur:

– Lisez et partons!

Sarah parcourut cette bienheureuse lettre, porteur de la nouvelle, et tombant à genoux près de sa mère adoptive, elle s'écria en cachant dans ses mains son visage rayonnant:

– J'en étais sûre! Quelque chose me disait qu'il vivait. Oh! que Dieu est bon!

Les préparatifs furent promptement faits et le soir même, la fille d'Alain de la Croix-Morgan et Mme Martelac partaient pour Paris, où Sarah n'était jamais allée mais dont les magnificences n'avaient aucune part dans son ardent désir d'arriver au plus vite.

La tête appuyée contre la vitre de la portière fermée à cause de la fraîcheur de la nuit, elle regardait sans les voir les villes endormies dans les vapeurs froides et blanches du brouillard, les campagnes solitaires baignées par le clair de lune et disparaissant les unes après les autres, rapidement traversées par le train qui l'emportait vers ce père inconnu, mais déjà aimé.

CHAPITRE XXII

Le lendemain de ce jour, Alain de la Croix-Morgan, un peu moins faible et surtout plus calme depuis ses confidences à Robert et depuis qu'il avait la certitude de l'amitié du docteur, avait essayé de se lever. Sa santé, gravement atteinte, ne permettait aucun espoir de guérison, et le jeune Martelac, ne pouvant se faire illusion, avait hâté la venue de Sarah et se promettait d'entourer d'un pue de bonheur les derniers jours de son malade.

Assis près de la fenêtre de sa chambre, Alain regardait tantôt le ciel bleu, illuminé d'un soleil de printemps, tantôt la rue, dans laquelle se croisaient les nombreux passants, heureux de jouir de ces premiers beaux jours.

Au loin, les tours de Notre-Dame élevaient leurs silhouettes noircies par les siècles et un pointillement d'or se projetait dans l'azur, dessinant la flèche élégante de la Sainte-Chapelle, ce joyeux précieux, plus digne de reposer sur le velours et le satin d'un écrin que tous les diamants de la terre.

Un bruit immense dans lequel se confondaient le roulement des voitures, les cris des mariniers de la Seine, les millions d'appels de voix, de chants qui se croisent et se mêlent dans cet amas de créatures humaines, s'élevait de la cité reine, bafouée, insultée par fois pour sa vanité puérile, son insolence élégante et son stupide amour du factice et de l'apparence et pourtant singée des autres capitales, obligées d'admirer son artistique amour du beau, son enthousiasme pour le grand et cet intelligent entendement de tout ce qui enlève l'humanité aux abaissements de la terre.

Misères et grandeurs, vices honteux et vertus sublimes, lâchetés et héroïsmes, Paris offre tout cela dans un étourdissant mélange. Ce jour-là, il rayonnait sous la physionomie pimpante et joyeuse qu'il sait prendre dès qu'arrive la belle saison. Comme une coquette vieillie et fatiguée de plaisirs, la ville élégante semblait maussade sous les brouillards et le ciel de l'hiver; mais dès que le soleil brille et que les feuilles pointent aux branches des arbres, elle sort jeune et pleine de vie de ses voiles glacés. Immédiatement, cet ensemble si disparate dont se compose la population parisienne se revêt d'une uniforme teinte de gaîté; le souffle tiède, en mettant des pousses nouvelles aux arbres et une nuance veloutée aux pelouses des squares, semble apporter une vie plus joyeuse aux classes laborieuses courbées sous un travail incessant.

Le ciel lumineux éclaire les hautes maisons si sombres l'hiver, il dore les murs noircis et égaie leur vieillesse d'un reflet de son azur. Dans les rues, les marchands de fleurs offrent leur récolte embaumée et la jeune ouvrière, toute frêle et pâle des privations et du froid de la mauvaise saison, ne sait pas résister à la tentation. Elle jette un regard sur la fraîche marchandise et commet la folie de fleurir son corsage d'un bouquet de violettes. Les vieillards, les malades, descendent dans la rue, et, tout heureux, s'en vont respirer dans le jardin voisin cet air nouveau qui leur fait éprouver un bien-être inconnu depuis de longs et tristes mois.

Le paysan, si dur que soit son travail, si pénibles que soient ses fatigues, est riche d'air et de lumière dans ces immenses étendues où s'écoule sa vie. Ceux-là seulement qui ont passé l'hiver parqués dans un modeste logis d'ouvriers, entassés dans une maison de Paris, savent apprécier un rayon de soleil et l'espoir, ou tout au moins l'adoucissement qu'il met au coeur quand il envoie sa flèche d'or à travers la fenêtre ouverte pour lui livrer passage.

Tout en laissant de temps en temps ses regards errer sur la foule qui remplissait la rue ou s'élever vers le ciel entrevu comme une longue bande bleue entre les maisons, Alain baissait parfois la tête et paraissait chercher à fixer son esprit sur un travail qu'il essayait.

Un crayon d'une main et un cahier de l'autre, il voulait écrire, mais l'imagination refusait de s'éloigner des douloureuses réalités de son existence. Il lutta vainement; les figures entrevues un instant fuyaient devant lui et se perdaient dans le vague sans lui laisser le temps de les saisir pour les retracer. Malgré la nécessité absolue de demander à sa plume le renouvellement des ressources épuisées par ces trois semaines de maladie, le pauvre homme se vit contraint d'abandonner son travail. Il reposa sur le dossier du fauteuil sa tête trop faible pour créer les fictions à peine ébauchées dans ses rêves et auxquelles il ne se sentait pas la force de communiquer la vie.

Ses yeux se fermèrent et une indicible expression d'angoisse passa sur son visage. Le besoin matériel allait-il donc aussi l'atteindre? Devait-il lutter contre la faim, ce mal terrible qui s'attaque aux entrailles même de l'humanité et lui arrache ses plus profondes lamentations? Irait-il échouer sur le lit d'un hôpital et dormir son dernier sommeil dans la fosse commune? La vie, après avoir placé son berceau au milieu des grandeurs de ce monde, se révervait-elle, l'ayant ballotté à travers les hontes et les humiliations les plus cruelles, de s'acharner sur lui jusqu'à son dernier souffle? N'aurait-il donc jamais ici-bas un instant de repos, ce malheureux qui n'espérait même pas, au-delà de la tombe, d'être consolé!

Ces questions se pressaient en foule dans son cerveau affolé. Si son imagination avait, du moins, la force d'exprimer sa souffrance, son cri, lui semblait-il, soulèverait le monde et traduirait cet immense concert de plaintes qui s'élève à toute heure de la terre vers le ciel! Mais ce cri eût été âpre, révolté et plus profondément désolé qu'aucun autre, puisqu'il n'eût pas porté en lui la croyance en cette bonté divine planant pour l'éclairer sur ce lieu de travail et de souffrance.

Immobile, abandonné aux cauchemars de la fièvre lente qui le consumait, il demeurait étendu; l'air entrait par la fenêtre ouverte et caressait doucement ses paupières closes sans lui apporter comme à tous l'adoucissant espoir des beaux jours. L'impossibilité qu'il venait de constater pour lui de se remettre au travail l'avait replongé dans le désespoir.

Tout à coup, on frappa à la porte de sa chambre:

– Entrez.

En prononçant ce mot, le malade s'était redressé et tournait les yeux vers la porte, qui s'ouvrit. Debout sur le seuil, Sarah se tenait, n'osant avancer.

– Allez et Dieu vous inspire! lui dit à voix basse le docteur

Martelac, qui l'avait amenée. C'est lui.

La porte se referma doucement et la jeune fille traversa d'un pas léger cette grande chambre nue et sombre, éclairée par l'unique fenêtre peu large près de laquelle se tenait M. de la Croix-Morgan. Ses formes sveltes et gracieuses, le mouvement lent, un peu craintif, et l'entrée si peu attendue de Sarah, amenèrent une expression de vif étonnement dans les regards du malade.

Etait-ce une de ces visions poursuivies sans succès un instant auparavant et qui, capricieuse et mobile comme tous les produits de l'imagination, se décidait à répondre à son appel?

Il suivait la jeune fille du regard comme s'il eût craint de la voir s'évanouir subitement. Tête nue, ses cheveux relevés sur la tête en un noeud d'où s'échappaient tout naturellement quelques légères boucles, les lèvres entr'ouvertes par l'émotion, ses grands yeux fixés sur lui, elle semblait une vague apparition, et il n'eût su définir en cet instant si elle tenait du rêve ou de la réalité.

Elle vint vers la fenêtre, et silencieusement se mit à genoux devant lui. Sarah ignorait ce qu'elle allait dire, et son coeur battait à se rompre sous ce regard qui la fixait avec la même persistance dont elle s'étonnait tant autrefois dans celui du portrait trouvé chez Nicolas. Immobile, les yeux levés vers M. de la Croix-Morgan et comme magnétisée par la ressemblance des traits qu'elle avait devant elle avec ceux de ce portrait si souvent contemplés depuis des années, la jeune fille comprit quelle étrange puissance a la voix du sang, faisant trembler le coeur de l'enfant devant l'image de son père inconnu.

– Mon père! dit-elle en croisant ses deux petites mains sur le bras du fauteuil.

A cet appel, le malade passa la main sur son front comme pour chasser un rêve.

– Mon père, reprit la jeune fille en tremblant, mon père, me voici.

D'un mouvement doux et calme, il appuya ses deux mains sur les épaules de Sarah et lui fit tourner son visage vers le jour.

– Comment vous nommez-vous? demanda-t-il.

Et comme, émue par le son de cette voix, elle hésitait un moment.

– Votre nom? reprit-il, toujours avec calme.

Le romancier et le poète sont moins étonnés que d'autres par les événements. Habitués aux brusques ressauts qu'ils décrivent dans leurs fictions, il leur semble les retrouver dans les secousses inattendues de l'existence, et leurs regards, encore empreints des rêves de leur imagination, voient parfois avec une singulière tranquillité les changements subits produits par la vie. La jeune fille mit sous les yeux du malade la médaille de son baptême:

– Sarah Alain, vous le voyez.

Il se frappa le front.

– Serait-ce vrai?

La réalité et le rêve se combattaient encore dans son esprit.

Il doutait.

– Je suis votre fille!

Cette parole résonna si doucement aux oreilles du malheureux qu'il se pencha vers Sarah et la considéra en silence. Tout à coup, entourant de ses deux bras cette jeune tête levée vers lui, il la serra dans une étreinte passionnée.

– O mon enfant! s'écria-t-il.

Un flot de pleurs monta subitement de ce coeur battu par la vie et coula de ces yeux qui, peut-être, n'avaient jamais pleuré depuis son enfance. Les années d'isolement, d'humiliation, s'évanouirent en face de ce regard jeune et pur, et un instant il crut entrevoir les clartés divines d'une vie régénérée et fière.

Toi! Enfin, je ne suis plus seul! disait-il en contemplant le visage de sa fille.

– Non, mon père, vous ne serez plus seul. Nous serons deux pour lutter contre le malheur dont vous avez souffert. Je serai si heureuse de vous apporter la consolation!

– Merci d'être venue! Le docteur a raison, il y a une

Providence, je ne saurais en douter en ce moment!

Les bras passés autour du cou de Sarah, M. de la Croix-Morgan parla longuement. Qui sait ce qu'il raconta dans ce subit épanchement? Les paroles s'échappèrent de ses lèvres, pressées, rapides, ardentes. Comme le forçat, rendu à la liberté, ne regarde pas en arrière et s'élance vers l'horizon ouvert devant lui; ainsi le malade oubliait le passé en voyant s'avancer vers lui cette tendresse inconnue et qui tout à coup faisait battre son coeur d'un sentiment nouveau, bien qu'il lui semblât avoir existé de tout temps dans les fibres intimes de son être.

Hélas! Ce bonheur ne dura qu'un instant. L'âme courbée sous la honte ne peut longtemps oublier le poids qui pèse sur elle. Le souvenir soudain de son fardeau humiliant s'empara de M. de la Croix-Morgan et il sentit un morne désespoir succéder à cette joie d'un moment. Sa fille allait douter de lui et rougir de son passé.

Sarah vit s'obscurcir son regard rayonnant.

– Mon père, lui dit-elle, je vous apporte le bonheur.

Il eut un triste sourire:

– Pauvre enfant, le bonheur n'est pas fait pour moi!

Il l'avait relevée et l'avait fait asseoir près de lui.

– Ne vais-je point, au contraire, jeter par mon nom seul un voile sur ta vie?

– Le docteur m'a tout dit.

Il baissa la tête.

Sarah prit ses deux mains dans les siennes et les baisa tendrement:

– Je le sais, vous êtes innocent!

Il eut un mouvement désespéré:

– Qui te le prouve? En ce moment, tu le crois. Mais viendra le jour peut-être où, toi aussi, tu douteras!

Elle fit un mouvement de dénégation.

– Mieux vaudrait alors pour moi n'avoir jamais connu la joie de cette heure!

– Mon père, dit la jeune fille, Dieu m'est témoin que je n'eusse jamais douté de vous! Mais le public n'a pas les mêmes raisons que moi de croire en vous; aussi la Providence a remis entre nos mains la preuve de votre innocence.

– La preuve? répéta le malade.

Une émotion profonde se lisait sur ses traits bouleversés. L'apparition de sa fille l'avait remué jusqu'au fond du coeur; elle avait infiltré dans son âme un apaisement réel. Et pourtant, il restait au fond de son être une douleur intense, brûlante; il se sentait marqué de la trace ineffaçable du déshonneur et cette pensée avait submergé sa joie d'un moment. Mais voilà qu'en lui rendant son enfant, Dieu, du même coup, éteignait cette atroce souffrance du mépris de ses semblables et Alain, à cette annonce, regardait sa fille avec un sentiment de bonheur qui touchait à l'angoisse. Ses yeux interrogeaient Sarah.

– Oui, nous avons la preuve de votre innocence, reprit celle-ci. Le docteur Martelac a voulu me laisser la joie de vous faire connaître son existence et de la remettre moi-même entre vos mains. La voici.

Elle lui présentait la déclaration signée de Nicolas reconnaissant son fils, Marc Larousse, pour le véritable coupable.

– C'était bien lui! murmura M. de la Croix-Morgan. Mes pressentiments ne m'avaient pas trompé.

– Le coupable a avoué sa faute; malheureusement la mort a interrompu son aveu, et, pendant bien des années, ignorant votre véritable nom et même celui de la ville dans laquelle vous aviez été jugé, nos démarches sont demeurées stériles. Enfin, vous voici, et désormais, nous serons ensemble et nous arriverons à vous faire rendre justice!

Elle s'était levée, vaillante et fière, et sa tête un peu pâle, mais dont les traits délicats empruntaient tant de charme à l'éclat de ses yeux noirs, se trouvait illuminée par un rayon de soleil. Placée devant la fenêtre, un coin du ciel bleu formait le fond sur lequel sa petite personne se détachait, et le printemps qui rayonnait au dehors l'entourait de ses effluves attiédies.

– Vous verrez, mon bon père, comme nous serons heureux maintenant! dit-elle avec conviction.

Il la regardait, attendri. La jeune fille, sa fille à lui, le pauvre homme! lui parut à cet instant la personnification même de ce printemps qui chantait dans toute la nature. Il lui tendit les bras, et, vaincu par cette émotion profonde, le coeur de l'infortuné éleva vers le ciel un ardent remercîment.

– Je le suis, Sarah, je le suis déjà, et cet inconnu, qu'on nomme ici-bas le bonheur, vient d'entrer avec toi dans ma vie! Dieu soit béni! ce Dieu que, toi aussi, tu dois aimer et servir! Il m'a bien fait souffrir, mais cet instant efface toutes mes souffrances!

CHAPITRE XXIII

La santé de M. de la Croix-Morgan déclinait rapidement. Un instant, la joie qu'il avait éprouvée lui avait rendu une apparence de forces; mais la réaction s'était promptement faite, et Sarah, elle-même, malgré sa jeunesse et les moments d'espoir qu'elle devait à son âge, conservait peu d'illusions.

On avait transporté le malade dans un petit appartement loué par Robert, et Mme Martelac et Sarah entouraient de leurs soins affectueux les dernières semaines de son existence. Robert passait là toutes ses heures de liberté, épuisant les ressources de sa science afin de prolonger cette vie si durement éprouvée et dont le déclin venait d'être consolé par la présence et la tendresse de la jeune fille. Celle-ci, heureuse d'accomplir un devoir qu'elle n'ose plus espérer de remplir longtemps encore, comble son père d'attentions filiales et le distrait parfois par cette gaîté inhérente à la jeunesse et dont elle ne saurait se défaire entièrement, même aux jours les plus douloureux.

Le visage de Sarah n'a pas une beauté parfaitement régulière, mais il possède au suprême degré ce qu'on est convenu d'appeler: "le charme", ce je ne sais quoi d'attractif qui brille dans le regard et répand son expression sur l'ensemble des traits.

Agenouillée devant la cheminée dans laquelle il y a un peu de feu, bien qu'il fasse déjà presque chaud et que la fenêtre soit entr'ouverte, nous la trouvons occupée à surveiller une cafetière contenant la tisane ordonnée pour son père. Son visage, penché vers la flamme qui s'échappe du menu bois allumé pour cette préparation, en reçoit un reflet rose, et ses cheveux châtains, un peu crêpelés, forment une ombre fine et douce sur son cou.

Mme Martelac, assise près de la fenêtre, tricote activement, et, de temps en temps, lève les yeux pour regarder Sarah aller et venir à travers la chambre ou pour examiner la figure fatiguée du malade. Sans doute, cet examen ne lui apprend rien de bon, car la vieille dame arrête en ce moment sur sa fille d'adoption un regard dans lequel se lit une affectueuse pitié. Le docteur cause avec M. de la Croix-Morgan. Celui-ci se lève encore chaque jour pour s'installer dans son fauteuil, mais le soleil, en l'éclairant, permet d'apprécier les ravages faits dans toute sa personne par la maladie.

L'aspect des deux hommes diffère essentiellement. Robert est fort, brun; sa physionomie calme et ferme semble refléter la force de son âme, qui n'a jamais dévié un seul instant de la ligne droite. Sa personne énergique ne connaît d'autre fatigue que la saine fatigue du travail. Alain est grand, mince, blond; sa taille, aujourd'hui courbée par la maladie, a dû être élégante. Dans ses traits revêtus de ce je ne sais quoi d'un peu efféminé qu'on nomme "la distinction" et qui semble être le plus habituellement le résultat du raffinement des races, une certaine faiblesse se combine visiblement avec la fougue d'un caractère qui a subi longtemps le joug des passions. Leur empreinte, mêlée d'une amère révolte contre la fatalité qui a humilié une âme fière, reste marquée sur ce front blanc, rayé prématurément par des rides, dans ces yeux bleus dont le regard hésitant semble raconter la lutte sous laquelle il a dû se courber pendant tant d'années et dans ces lèvres fines, légèrement agitées à la moindre émotion.

Il y a peu de différence d'âge entre ces deux hommes; mais le docteur, dans toute la force d'une jeunesse qui touche à son déclin, semble à peine parvenir à la maturité de la vie, tandis que son malade, usé par ses folies et par le malheur dont elles ont été suivies, se trouve épuisé et sans ressort contre le mal auquel il succombe.

Tout à coup, Mme Martelac, après avoir regardé dans la rue, tourne la tête vers l'appartement.

– Sarah, venez donc voir Mlle Nissel, elle passe de l'autre côté de la rue.

Sarah se relève vivement et vient vers la fenêtre en disant:

– Oh! je suis curieuse de la voir.

Elle se penche au-dessus de la rue et ses regards suivent avec une expression singulière une grande jeune fille blonde, dont le profil se reflète dans les devantures des magasins le long desquels elle passe avec toute l'élégante vivacité d'une démarche essentiellement parisienne. Elle est suivie à une petite distance par une femme de chambre, et Sarah ne la quitte des yeux qu'au moment où, tournant l'angle de la rue, elle disparaît.

– Elle est belle femme, n'est-ce pas? dit Mme Martelac.

– Oui, répond Sarah en rougissant.

Un regard jeté vers une glace placée sur le côté lui a montré sa petite taille, bien que parfaitement proportionnée. Est-ce la comparaison involontaire qu'elle a faite d'elle-même avec la jeune fille de la rue que la petite-fille de Nicolas doit le vif incarnat répandu sur ses joues?

– Elle ne paraît pas jolie, reprend-elle timidement.

– Non, mais la beauté est peu de chose, répond vivement Mme Martelac, en jetant un regard vers son fils, comme pour s'assurer qu'il n'a pas entendu.

– C'est vrai, dit Sarah.

– Elle est agréable, sinon belle.

– Et peut-être très bonne, cela est le principal.

On voit que Sarah fait un effort pour faire cette remarque, et

Robert, qui a levé les yeux, la regarde en souriant.

– De qui parlez-vous ainsi? demande M. de la Croix-Morgan.

Absorbé par sa conversation avec le docteur, il n'a pas remarqué le petit incident qui vient de se produire et entend seulement les dernières paroles de sa fille.

– D'une charmante personne, très riche et parfaitement bien, dit-on. Robert n'est pas de cet avis.

– Par exemple! s'écrie le docteur; avec une indignation dans laquelle on peut deviner une nuance d'ironie.

– Pourtant, tu refuses de faire sa connaissance!

– Ai-je besoin de connaissances de ce genre? répond le jeune homme en riant. D'ailleurs, comment osez-vous me reprocher d'avoir refusé de la voir? Hélas! sa vue m'a coûté assez cher!

– Tu l'as vue?

– Mais oui, reprend Robert avec un calme superbe, et qui fait ouvrir tout grands les yeux de Mme Martelac.

La bonne dame a repoussé sur son front lisse les lunettes dont elle se servait, et regarde son fils avec étonnement.

– Où l'as-tu vue?

– A une vente de charité, et j'ai payé d'un billet de cent francs une affreuse petite blague au crochet qu'elle m'a affirmé être sortie de ses blanches mains, et dans laquelle je n'ai même pas la consolation de pouvoir mettre mon tabac, parce qu'il s'est fait un noeud à la cordelière qui la ferme et je ne sais comment faire pour l'ouvrir.

– Tu es généreux!

– C'était à prendre ou à laisser! Elle m'encourageait de son plus doux sourire à me défaire en sa faveur de mon billet de cent francs, et je voyais les regards envieux d'un essaim de jeunes vendeuses qui nous examinaient et devant lesquelles elle eût été humiliée si j'eusse refusé sa marchandise.

– Tu t'es laissé toucher, c'est de bon augure!

Robert lève les épaules en souriant.

– N'en concluez rien, ma mère, vous auriez tort.

Sarah paraît ne pas faire attention à la conversation; pourtant, certainement, ses yeux, qui ont repris subitement leur expression mélancolique, ne saisissent plus guère le mouvement de la rue, bien qu'ils semblent le regarder. Son père a jeté un furtif regard de son côté et reprend doucement en s'adressant à Robert:

– Je crois comprendre le motif de votre mère, mon ami. Elle a raison, vous deviez vous marier.

– N'est-ce pas? dit avec empressement Mme Martelac. Que ne pouvez-vous le convertir à cette idée?

Le plus cher désir de la mère du docteur est de voir son fils se créer un intérieur et oublier ainsi complètement la déception éprouvée par son amour pour sa cousine Anne.

Le docteur garde le silence et continue à couper lentement les feuillets d'un livre qu'il vient d'apporter à l'intention de Sarah.

– Il ne veut entendre parler d'aucun mariage, reprend Mme Martelac en jetant un regard de maternel reproche du côté de son fils. Pourtant, ajouta-t-elle en baissant la voix, j'avais fait un si bon rêve de bonheur pour lui!

Robert, à ces mots, fait un brusque mouvement, et M. de la Croix-Morgan, qui le regarde, remarque qu'il a pâli subitement.

– Et pourquoi notre cher docteur repousse-t-il ce rêve? demande-t-il.

– Il affirme que l'amour maternel seul a pu lui donner naissance.

– L'amour maternel voit clair peut-être! murmure le malade.

La vieille dame soupire et reprend:

– Il est intraitable, et je n'ose plus en parler. Mais une femme bonne, attentive et affectueuse lui ferait un intérieur agréable, ce qu'il n'a pas lorsqu'il est seul à Paris.

– Vous croyez, ma mère, que je trouverais tout cela dans une de ces charmantes poupées de salon dont on vous parle? demande Robert.

Le ton avec lequel il pose cette question a quelque chose d'amer qui ne lui est pas habituel et dont M. de la Croix-Morgan est frappé.

– Mlle Nissel est pieuse et sérieuse, assure-t-on.

– On le dit toujours de la jeune fille que l'on veut faire épouser à un homme de ma profession, n'aimant guère le monde et ses frivolités.

– Alors, cherche une autre jeune fille.

Le docteur secoue la tête sans rien répondre, et Sarah s'étant décidée à quitter la fenêtre pour revenir surveiller la tisane, la conversation change. Mais M. de la Croix-Morgan, dont la pâle figure a pris une expression soucieuse, suit longtemps des yeux la personne de sa fille allant et venant dans la chambre. Puis, ses regards se reportent avec hésitation sur le grave visage du docteur; il semble chercher le mot d'une énigme dont il entrevoit la solution.

Encore quelques semaines, deux ou trois tout au plus, et le dernier jour arriva pour cet homme durement éprouvé. Il s'éteignit doucement, et son lit de mort s'éclaira de clartés pieuses, entouré comme il l'était par Robert et par les deux femmes. Il accepta le consolations de la religion, et le prêtre amené à son chevet entendit tomber de sa bouche repentante le pardon chrétien pour ses bourreaux, pardon auquel devait répondre du haut du ciel celui de Dieu lui-même.

Peu d'heures avant de finir, il pria le docteur de rester seul avec lui.

– Docteur, lui dit-il, le temps s'en va pour moi, vous ne m'en voudrez pas de mes paroles?

Robert s'était assis près de lui, il répondit doucement:

– Vous pouvez parler, mon ami. Vous savez si ma mère et moi nous vous sommes sincèrement attachés!

– Est-il vrai que vous ayez renoncé pour toujours au mariage?

Dites-moi la vérité.

Et comme le jeune homme avait tressailli à cette question:

– Pardonnez à un mourant, reprit-il. J'avais cru saisir quelque chose… mais peut-être est-ce un sentiment fugitif qui ne saurait prendre aucune consistance. Sarah…

– Sarah est notre enfant, interrompit le docteur, comme s'il eût craint les paroles qui allaient suivre. Ne vous tourmentez pas à son sujet. Je vous jure de veiller sur elle et de l'aimer toujours avec une tendresse paternelle.

Le mourant leva avec indécision ses regards vers lui.

– J'avais cru que peut-être… Elle est bien jeune, c'est vrai, mais c'est une femme sérieuse; élevée par votre mère et par vous, elle me semblait digne de devenir votre compagne.

Une violente rougeur monta au visage de Robert.

– Ce serait égoïsme de ma part, dit-il. L'enfant aimera un homme jeune comme elle, et jamais je ne me mettrai entre elle et son bonheur.

– Son bonheur! murmura M. de la Croix-Morgan. Qui vous dit qu'elle ne le trouverait pas près de vous?

– Comment pourrai-je le croire?

La voix de Robert tremblait en posant cette question. Le mourant lui tendit la main.

– Dans un an, demandez-lui ce qu'elle en pense et n'écoutez pas les scrupules délicats qui éloigneraient d'elle et de vous l'avenir préparé par Dieu même. Croyez-moi, un homme qui va mourir est bien clairvoyant quand il lit dans les regards de son enfant!

Le jeune docteur serra la main moite qui se tendait vers lui et dit:

– Je vous promets de faire tout au monde pour donner à Sarah un bonheur en rapport avec ses désirs.

Un dernier rayon de joie passa à travers les voiles dont commençaient à se couvrir les yeux du malade.

– Merci, dit-il d'une voix éteinte.

Puis, avec un effort:

– J'ai foi en vous et je vous la confie!

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 мая 2017
Объем:
230 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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