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Читать книгу: «Victor Hugo, son oeuvre poétique»

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LA VIE DE VICTOR HUGO

Victor Hugo naquit à Besançon le septième jour de ventôse an X de la République, date qui correspond au 26 février de l'année 1802. Il faut donc restreindre un peu le sens de la formule qu'il a employée le premier, et qu'après lui on a tant répétée pour indiquer l'époque de sa naissance: «Ce siècle avait deux ans!» Si la date est donnée par le poète d'une manière un peu trop vague, le commentaire dont il l'a accompagnée mérite d'être retenu pour sa précision pleine de couleur et d'éclat.

 
… Rome remplaçait Sparte;
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul déjà, par maint endroit,
Le front de l'empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix,
Si débile, qu'il fut, ainsi qu'une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou, ployé comme un frêle roseau,
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,
C'est moi.
 

Ce nouveau-né, dont la tête frappa par sa lourdeur disproportionnée avec le corps très frêle, était le troisième fils d'un chef de bataillon de la 20e demi-brigade, Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, d'origine Lorraine; la mère, Sophie-Françoise Trébuchet, était fille d'un capitaine-armateur du port de Nantes. Le poète a résumé lui-même ses origines dans un vers bien souvent cité:

 
Mon père vieux soldat, ma mère Vendéenne.
 

Victor Hugo a parlé de son père et de sa mère avec une piété très éloquente. Après avoir rappelé ses soins maternels qui protégèrent son existence «en naissant condamnée,» et fortifièrent par un miracle d'amour sa première enfance, triste, troublée, vouée aux larmes, il laisse échapper ce cri touchant:

 
Oh! l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie!
Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie!
Table toujours servie au paternel foyer!
Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier!
 

Il a aussi payé à la mémoire de son père un large tribut d'hommages. Il l'a rendu immortel le jour où il a écrit en tête d'un de ses volumes de vers cette dédicace qui est toute une biographie à la façon des états de services gravés par les anciens Romains sur leurs tombeaux:

JOSEPH-LÉOPOLD-SIGISBERT
COMTE HUGO,
LIEUTENANT-GÉNÉRAL DES ARMÉES DU ROI
NÉ EN 1774,VOLONTAIRE EN 1791,
COLONEL EN 1803,
GÉNÉRAL DE BRIGADE EN 1809,
GOUVERNEUR DE PROVINCE EN 1810,
LIEUTENANT-GÉNÉRAL EN 1825,
MORT EN 1828,
Non inscrit sur l'Arc de l'Etoile,
Son fils respectueux,
V. H

L'Arc de Triomphe, ce monument élevé aux héros des guerres de la République et de l'Empire, peut périr; le souvenir du général comte Hugo survivra dans l'œuvre impérissable du poète.

Ce serait une lacune, dans une étude biographique sur Victor Hugo, que de ne pas marquer en quelques traits cette physionomie très vigoureuse de son père. Le grand poète, dont le patriotisme éclatera dans tant d'écrits, depuis l'Ode à la colonne jusqu'au livre de l'Année terrible, est le rejeton d'une souche vraiment héroïque. Son père, Léopold Hugo, s'engagea comme volontaire à l'âge de 14 ans. Les quatre frères de Léopold Hugo allèrent comme lui aux armées; deux furent tués aux lignes de Wissembourg. Un autre frère, Louis, celui que dans la famille on appelait «Louis XVII», parce que, sur dix-huit enfants, il était le dix-septième, fut blessé. C'est cet oncle Louis que le poète nous présentera dans un de ses derniers ouvrages, et dans la bouche duquel il placera le merveilleux récit intitulé le Cimetière d'Eylau.

Léopold Hugo, attaché à l'état-major dès 1791, se lia d'amitié avec Desaix et Kléber; il se signala en Vendée par des traits d'héroïsme et de générosité dont le souvenir a inspiré bien des pages du dernier romande Victor Hugo, Quatre-vingt-treize. Il suivit la fortune d'un de ses amis, Lahorie, chef d'état-major de Moreau, prit part à plusieurs combats, et, à l'aide d'une poutre jetée sur un pont rompu, passa le premier le Danube au milieu d'un feu terrible de mitraille. Cet exploit lui valut l'épaulette de chef de bataillon sur le lieu même du combat.

Après avoir commandé à Lunéville et tenu garnison à Besançon, où naquit son troisième fils, Léopold Hugo partit avec les siens pour l'île d'Elbe et pour la Corse. A la date de ce départ, Victor Hugo était âgé de six semaines. Le commandant Hugo, appelé à l'armée d'Italie, renvoya sa famille à Paris. Il la rappela auprès de lui, dès que la faveur de Joseph, roi de Naples, l'eut élevé au grade de colonel du régiment de Royal-Corse et de gouverneur d'Avellino. Victor Hugo vit donc l'Italie dans l'automne de 1807. Son père rejoignit le roi Joseph en Espagne, et une seconde fois la mère et les trois enfants rentrèrent à Paris. Ils en repartirent pour aller retrouver le chef de famille devenu général, gouverneur de Guadalaxara, et comte de l'Empire. Dans son premier recueil de vers, le poète rappelait ainsi ses voyages d'enfance:

 
Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus tard premier degré d'une chute profonde;
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.
 
 
Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux;
 
 
Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naple, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant…
 
 
L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles;
Irun, ses toits de bois; Vittoria, ses tours;
Et toi, Valladolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.
 
 
Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant: C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas!
 

De tous ces voyages, c'est celui d'Espagne qui laissa dans l'esprit de l'enfant la plus forte impression. Les premiers noms qu'il entendit s'emparèrent de son imagination, et plus tard le poète les retrouvera naturellement sous sa plume. Ainsi le carrosse qui portait la famille Hugo, et qu'escortèrent, tout le chemin, les gardes du trésor de l'armée, c'est-à-dire deux mille hommes et quatre canons, fit halte à Ernani, et plus loin à Torquemada. Ces deux noms de villes fourniront à Victor Hugo les titres de deux de ses drames.

De même les souvenirs du séjour à Madrid suggéreront un jour au romancier, à l'auteur dramatique, ce personnage de nain difforme et formidable qui reviendra obstinément à travers toute l'œuvre sous les noms de Han d'Islande, de Triboulet, de Quasimodo, de Gucho. Cette création puissante n'est que le portrait plus ou moins grossi, enlaidi, burlesquement idéalisé, d'un valet du collège. En effet, pendant que l'aîné des trois frères, Abel, entrait à la cour du roi Joseph en qualité de page, les deux autres, Eugène et Victor, étaient placés au collège des Nobles, rue Ortoleza. Tous les élèves de cette maison étaient princes, comtes ou marquis; ils étaient servis par «un nain bossu, à figure écarlate, à cheveux tors, en veste de laine rouge, culotte de peluche bleue, bas jaunes et souliers couleur de rouille.» L'effet de terreur que cet être, effrayant de laideur, produisit sur l'imagination exaltée du jeune Victor Hugo, se traduira plus tard comme on le sait. Sans doute aussi le contraste entre l'élégance de toute cette jeunesse titrée, richissime, et les disgrâces de ce misérable, frappa l'enfant déjà observateur, et il faut faire remonter apparemment jusqu'à cette impression d'enfance le goût de ces oppositions violentes, de ces effets d'ombre et de jour que l'auteur de la préface de Cromwell présentera comme la parfaite expression de la vérité et de la vie.

L'année 1812 vit pâlir l'étoile impériale, et les affaires d'Espagne prirent une tournure si fâcheuse que la famille Hugo dut reprendre rapidement le chemin de Paris. Elle rentra dans cette maison des Feuillantines, qu'elle avait déjà habitée quelque temps entre le voyage d'Italie et le séjour en Espagne, et qui a tant contribué, par son caractère de solitude mystérieuse, à l'éducation morale et poétique de Hugo. Le poète s'est montré reconnaissant pour ces lieux, où, comme un maître très auguste, la nature lui parla.

Dans l'admirable pièce, devenue presque populaire, qui est intitulée: Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813, Victor Hugo a raconté comment «un pédant» fut sur le point de l'arracher à cette maison pleine de charme pour le faire entrer au collège, et comment la mère, inquiète, ébranlée un moment par les raisons que faisait valoir l'homme grave, se laissa pourtant aller à la douceur de retenir près d'elle ses enfants, et de les laisser grandir au milieu des arbres, des fleurs, sous la libre étendue du ciel.

 
Tremblante, elle tenait cette lourde balance,
Et croyait bien la voir par moments en silence
Pencher vers le collège, hélas! en opposant
Mon bonheur à venir à mon bonheur présent.
Elle songeait ainsi sans sommeil et sans trêve.
C'était l'été; vers l'heure où la lune se lève,
Par un de ces beaux soirs qui ressemblent au jour
Avec moins de clarté, mais avec plus d'amour,
Dans son parc, où jouaient le rayon et la brise,
Elle errait, toujours triste et toujours indécise,
Questionnant tout bas l'eau, le ciel, la forêt,
Ecoutant au hasard les voix qu'elle entendrait.
C'est dans ces moments-là que le jardin paisible,
La broussaille où remue un insecte invisible,
Le scarabée ami des feuilles, le lézard
Courant au clair de lune au fond du vieux puisard,
La faïence à fleur bleue où vit la plante grasse,
Le dôme oriental du sombre Val-de-Grâce,
Le cloître du couvent, brisé, mais doux encor;
Les marronniers, la verte allée aux boutons-d'or,
La statue où sans bruit se meut l'ombre des branches,
Les pâles liserons, les pâquerettes blanches,
Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau,
Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau,
Se mirent dans la mare ou se cachent dans l'herbe,
Ou qui, de l'ébénier chargeant le front superbe,
Au bord des clairs étangs se mêlant au bouleau,
Tremblent en grappes d'or dans les moires de l'eau,
Et le ciel scintillant derrière les ramées,
Et les toits répandant de charmantes fumées,
C'est dans ces moments-là, comme je vous le dis,
Que tout ce beau jardin, radieux paradis,
Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses,
Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses,
Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent,
Et lui dirent tout bas: – «Laisse-nous cet enfant!
Laisse-nous cet enfant, pauvre mère troublée!
Cette prunelle ardente, ingénue, étoilée,
Cette tête au front pur qu'aucun deuil ne voila,
Cette âme neuve encor, mère, laisse-nous-la!
Ne va pas la jeter au hasard dans la foule.
La foule est un torrent qui brise ce qu'il roule,
Ainsi que les oiseaux, les enfants ont leurs peurs.
Laisse à notre air limpide, à nos moites vapeurs,
A nos soupirs, légers comme l'aile d'un songe,
Cette bouche où jamais n'a passé le mensonge,
Ce sourire naïf que sa candeur défend!
O mère au cœur profond, laisse-nous cet enfant!
Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées;
Nous changerons en jour ses lueurs commencées;
Dieu deviendra visible à ses yeux enchantés;
Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés,
Nous sommes la nature et la source éternelle
Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile;
Et les bois et les champs, du sage seul compris,
Font l'éducation de tous les grands esprits!
Laisse croître l'enfant parmi nos bruits sublimes.
Nous le pénétrerons de ces parfums intimes,
Nés du souffle céleste épars dans tout beau lieu,
Qui font sortir de l'homme et monter jusqu'à Dieu,
Comme le chant d'un luth, comme l'encens d'un vase
L'espérance, l'amour, la prière et l'extase!
Nous pencherons ses yeux vers l'ombre d'ici-bas,
Vers le secret de tout entr'ouvert sous ses pas.
D'enfant nous le ferons homme, et d'homme poète.
Pour former de ses sens la corolle inquiète,
C'est nous qu'il faut choisir; et nous lui montrerons
Comment, de l'aube au soir, du chêne aux moucherons,
Emplissant tout, reflets, couleurs, brumes, haleines,
La vie aux mille aspects rit dans les vertes plaines.
Nous te le rendrons simple et des cieux ébloui;
Et nous ferons germer de toutes parts en lui
Pour l'homme, triste effet perdu sous tant de causes,
Cette pitié qui naît du spectacle des choses!
 
 
Ainsi parlaient, à l'heure où la ville se tait,
L'astre, la plante et l'arbre, – et ma mère écoutait.
 

Pendant que les enfants et la mère jouissaient de cette heureuse sécurité, le père s'illustrait par la défense énergique de Thionville. Mais la guerre marchait vers son lugubre dénouement. L'invasion vint jeter sur les jeux du jardin une ombre de tristesse inoubliable. La famille Hugo dut loger dans la maison des Feuillantines un officier prussien et quarante soldats.

L'Empire tombé, le général Hugo eut le loisir d'intervenir dans l'éducation de ses fils. Abel, qui avait porté l'épée, prit la plume. Il se trouvera déjà littérateur connu au moment où son frère Victor voudra débuter à son tour dans la carrière littéraire, et il montrera le chemin à ce cadet dont le génie éblouissant éclipsera bientôt le talent de l'aîné.

Eugène et Victor furent placés à l'institution Cordier-Decotte. Victor y révéla bientôt ses aptitudes. Il écrivit sur ses cahiers d'écolier une foule d'essais poétiques, et d'abord une épopée sur la chevalerie. Le héros était Roland, auquel le poète reviendra et qu'il honorera plus d'une fois de son admiration émue dans la première et dans la seconde Légende des siècles. Au milieu de traductions, de contes, d'épîtres, de madrigaux, d'énigmes, d'acrostiches, émergeait quelque plan de poème plus ambitieux, le Déluge, quelque titre de comédie, d'opéra-comique: A quelque chose hasard est bon. C'était l'époque où plus d'un écolier brillant rimait sa tragédie sur les bancs du collège: le jeune Hugo fit une Artamène, une Athélie ou les Scandinaves, et il semblait préluder à ses futures ambitions de réformateur du théâtre en ébauchant un mélodrame à intermèdes, Inès de Castro. Tous ces essais n'offraient qu'un mélange assez confus de souvenirs personnels et de lambeaux de lectures: Victor Hugo a donné leur véritable importance à ces premiers bégaiements de sa muse, en écrivant sur un de ces cahiers ce titre spirituel: «Les bêtises que je faisais avant ma naissance.»

Cette vocation littéraire fut contrariée par la volonté paternelle. Le général Hugo voulait faire de son fils un polytechnicien; et l'écolier, ses études littéraires achevées, suivit les cours de sciences du lycée Louis-le-Grand. Mais il avait déjà cette volonté de fer qui plus tard fera de lui l'exilé irréconciliable. A la date du 10 juillet 1816, il écrivait sur une page du livre où il notait ses impressions de chaque jour: «Je veux être Chateaubriand ou rien.»

En 1817, il envoya au concours annuel pour le prix de poésie décerné par l'Académie française trois cents vers sur le sujet: «Le bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie.» Il y faisait allusion à son âge, et avouait ses «trois lustres» ou ses quinze ans avec une modestie orgueilleuse dont la légende a singulièrement exagéré l'effet. On a raconté que les juges du concours, se croyant mystifiés, auraient puni l'auteur de la pièce en lui infligeant une simple mention, au lieu du prix qu'il méritait. Le rapport du secrétaire perpétuel a été consulté par M. Edmond Biré, un des biographes de Hugo les plus préoccupés de diminuer sa gloire; le document fait justice de l'anecdote. Mais la rectification ne rend pas l'insuccès de Hugo moins piquant. Il est plaisant de savoir que le plus grand lyrique de tous les âges a été classé dans un concours après Lebrun, Delavigne, Loyson, Saintine, une princesse de Salm-Dyck et un chevalier de Langeac. A dater de ce jour, le jeune poète trouva dans quelques académiciens, tels que Campenon, M. de Neufchâteau, des protecteurs qu'il faut nommer, car cet appui, dont il aurait pu se passer, les honore.

Introduit par son frère Abel dans un groupe de gens de lettres, jeunes pour la plupart, et préoccupés de rajeunir la poésie, le roman, l'histoire, Victor Hugo conquit aussitôt une place à part dans ce petit cénacle. On avait projeté de faire en collaboration un volume de nouvelles: le nouveau-venu s'engagea à écrire la sienne en quinze jours, et, au jour dit, il apporta son premier roman, Bug-Jargal.

A la même époque, il envoyait au concours poétique des Jeux Floraux trois pièces lyriques qu'on retrouve dans son premier recueil des Odes: les Vierges de Verdun, le Rétablissement de la statue de Henri IV, Moïse sur le Nil. Un triple succès lui valut le titre de «maître ès arts,» et c'est à l'occasion de ces débuts que Chateaubriand ou tout autre écrivain appliqua au jeune poète la dénomination «d'enfant sublime»1.

Au lieu de reprendre sa préparation pour l'entrée à l'École polytechnique, Victor Hugo, sollicité par le besoin d'écrire, fonda un journal, le Conservateur littéraire. Tout en suivant les cours de l'Ecole de droit, il groupa autour de lui plusieurs auteurs déjà connus, dont un ou deux pouvaient se dire illustres: c'étaient Emile Deschamps, Alexandre Soumet, Alfred de Vigny, Lamennais, Alphonse de Lamartine. Cette activité qu'il déployait au dehors cachait bien des agitations intimes. Le jeune écrivain voulait épouser la jeune fille qui devint sa femme un peu plus tard, Adèle Foucher. Il était sans fortune; le général Hugo, irrité de voir son fils renoncer à la carrière qu'il avait choisie pour lui, avait pensé le réduire ou le châtier en lui supprimant sa pension; pendant un an, comme le Marius des Misérables, l'étudiant vécut avec sept cents francs pour toutes ressources. Sa fierté naturelle s'augmentait de l'humeur ombrageuse qui est si souvent le résultat de ces situations précaires; pour un incident futile de café, pour un journal arraché de ses mains un peu trop brusquement, Victor Hugo se battit en duel avec un garde du corps, et il fut blessé au bras gauche. Le souvenir de cette aventure servira à l'auteur dramatique et donnera un caractère de vérité et d'intérêt piquant aux détails du duel dans Marion De Lorme.

Victor Hugo n'était plus absolument un inconnu; toutefois il n'aurait pas réussi à publier son premier livre, faute d'argent pour en payer l'impression au libraire, si son frère Abel n'eût fait les frais de la publication. Le livre parut sous le titre Odes et poésies diverses. Le roi Louis XVIII, qui se piquait d'aimer les lettres, lut l'ouvrage, et retrouva le nom de l'auteur au bas d'une lettre interceptée, où Victor Hugo offrait un asile à un conspirateur. Il se borna, pour toute marque de sévérité, à donner au poète une pension de mille francs sur sa cassette. Cette faveur décida du mariage tant souhaité (octobre 1822). La joie des noces fut brusquement attristée par un terrible événement. Eugène Hugo, le frère du marié, fut pris d'un accès de folie au milieu de la fête. Le poète, qui avait vu le deuil entrer chez lui par la même porte que le bonheur et presque à la même heure, était fondé à écrire, cinq ans plus tard, que le drame, s'il veut être une image exacte de la vie, ne peut pas séparer le rire des larmes.

L'année 1825 fut marquée par l'apparition de Han d'Islande. Ce roman valut à son auteur une nouvelle pension de 2,000 fr. et le fit entrer dans l'intimité d'un homme de lettres dans le salon duquel se rassemblaient des musiciens, des peintres, des sculpteurs, des écrivains déjà célèbres. C'est chez le «bon» Charles Nodier que Victor Hugo se lia d'amitié avec David d'Angers, le statuaire, et avec les peintres Charlet, Louis Boulanger, Eugène Deveria. Cette même année, le jeune poète était fait chevalier de la Légion d'honneur, et son père se réconciliait avec lui, en lui attachant la croix sur la poitrine. Cette réconciliation eut lieu à Blois, où Victor Hugo s'était rendu en toute hâte, et le souvenir de ce voyage se fixera, quelques années après, dans des vers charmants du recueil des Feuilles d'automne.

 
Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages,
Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,
Toulouse la Romaine, où, dans des jours meilleurs,
J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,
Passez par Blois. – Et là, bien volontiers sans doute,
Laissez dans le logis vos compagnons de route,
Et tandis qu'ils joueront, riront ou dormiront,
Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,
Montez à travers Blois cet escalier de rues
Que n'inonde jamais la Loire au temps des crues;
Laissez là le château, quoique sombre et puissant,
Quoiqu'il ait à la face une tache de sang;
Admirez, en passant, cette tour octogone
Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone;
Mais passez. – Et sorti de la ville, au midi,
Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,
Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,
Comme au cimier d'un casque une plume qui tremble.
Vous le reconnaîtrez, ami, car, tout rêvant,
Vous l'aurez vu de loin sans doute en arrivant.
Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,
Que la ville étagée en long amphithéâtre,
Que l'église, ou la Loire et ses voiles aux vents,
Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants,
Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles,
Ne fassent pas voler votre pensée entre elles.
Ne levez pas vos yeux si haut que l'horizon,
Regardez à vos pieds… —
 
 
Louis, cette maison
Qu'on voit, bâtie en pierre et d'ardoise couverte,
Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
Et qui, fermée à peine aux regards étrangers
S'épanouit charmante entre ses deux vergers,
C'est là. – Regardez bien. C'est le toit de mon père.
C'est ici qu'il s'en vint dormir après la guerre,
Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,
Que vous n'avez pas vu, qui vous aurait aimé!
 
 
Alors, ô mon ami, plein d'une extase amère,
Pensez pieusement, d'abord à votre mère,
Et puis à votre sœur, et dites: «Notre ami
Ne reverra jamais son vieux père endormi!»
 

D'autres voyages suivirent de près celui de Blois. Victor Hugo se rendit à Reims, à l'occasion du Sacre de Charles X; il fit un détour pour visiter Lamartine à Saint-Point. Il suivit Nodier en Suisse, dans une excursion payée par l'éditeur Canel, qui se réservait de publier la relation des deux touristes. Un accident de voiture manqua de les faire périr, et la faillite de l'éditeur arrêta le projet de publication de l'ouvrage.

Le mois de février 1827 marque un des moments caractéristiques de la vie de Victor Hugo. Il envoya au Journal des Débats, organe libéral sous la Restauration, sa fameuse Ode à la colonne de la place de Vendôme. Elle fut inspirée à l'auteur par un sentiment de patriotisme indigné. Dans une réception à l'ambassade d'Autriche, on avait refusé d'annoncer les Maréchaux de France en nommant les titres de noblesse napoléonienne, qui semblaient instituer des fiefs à l'étranger. Le fils de la Vendéenne s'était borné jusqu'à ce jour à célébrer le trône et l'autel, le double culte de sa mère; le fils du vieux soldat ne vit plus devant lui que l'image de la France, d'abord conquérante, toute-puissante, puis vaincue, accablée par la coalition, aujourd'hui injuriée, provoquée de nouveau par cet outrage à ses vétérans glorieux. Avec un élan poétique qui avait l'allure emportée d'un assaut, avec des expressions, des traits, des chutes de strophes qui semblaient des éclairs d'épée, il menaçait l'étranger du réveil de la nation assoupie:

 
On nous a mutilés; mais le temps a peut-être
Fait croître l'ongle du lion.
 
 
Prenez garde! – La France, où grandit un autre âge,
N'est pas si morte encor qu'elle souffre un outrage!
Les partis pour un temps voileront leur tableau.
Contre une injure, ici, tout s'unit, tout se lève,
Tout s'arme, et la Vendée aiguisera son glaive
Sur la pierre de Waterloo…
 
 
Que l'Autriche en rampant de nœuds vous environne,
Les deux géants de France ont foulé sa couronne!
L'histoire, qui des temps ouvre le Panthéon,
Montre empreints aux deux fronts du vautour d'Allemagne
La sandale de Charlemagne,
L'éperon de Napoléon.
 
 
Allez! – Vous n'avez plus l'aigle qui, de son aire,
Sur tous les fronts trop hauts portait votre tonnerre;
Mais il vous reste encor l'oriflamme et les lis.
Mais c'est le coq gaulois qui réveille le monde;
Et son cri peut promettre à votre nuit profonde
L'aube du soleil d'Austerlitz!
 

Une fois évoqué par le poète, le souvenir de Napoléon devait pendant longtemps hanter son imagination. Nous voyons déjà que, chez V. Hugo comme chez tous les hommes de son temps, le libéralisme a commencé par l'admiration de la légende impériale et par le regret d'un passé dont l'éloignement avait déjà presque effacé les misères et les tristesses.

La réputation venait à Hugo, et il n'en était plus réduit à colporter ses manuscrits chez des libraires dédaigneux. L'acteur Talma s'offrit à jouer un rôle dramatique écrit par l'auteur de Bug-Jargal, de Han d'Islande. Le poète entreprit son Cromwell. Talma mourut avant que l'œuvre fût finie; l'espoir d'une représentation immédiate s'en allait avec lui. Victor Hugo, renonçant à l'idée de porter le drame à la scène, le développa tout à son aise. Il écrivit une préface, où ses théories dramatiques se trouvaient exposées, et le livre parut en décembre 1827. Il souleva les applaudissements des uns, les clameurs irritées des autres. Ce fut le signal de la guerre littéraire entre les romantiques et les classiques. Victor Hugo fut reconnu le chef de l'école nouvelle; autour de lui se rangèrent tous les soldats pleins de talents dont se composa le groupe appelé le cénacle: Alfred de Vigny, les deux Deschamps, Sainte-Beuve, Alfred de Musset, alors à ses débuts, Théophile Gautier. Mérimée, l'illustre conteur, allait de ce groupe littéraire au groupe des politiques, où dominaient les figures de Benjamin Constant, de Stendhal (Henri Beyle). Il y présenta Victor Hugo.

Au mois de janvier 1829 parurent les Orientales. L'impression que produisit ce volume de vers, musical comme une riche symphonie, coloré comme le chef-d'œuvre d'un peintre, fut immense. C'était un nouveau monde poétique, dont la flore éblouissante ou la faune monstrueuse surgissaient tout à coup devant les regards des lecteurs. Quelques jours après, au mois de février, paraissait ce récit en prose, d'une émotion poignante jusqu'à la souffrance, le Dernier jour d'un condamné. La même main qui venait de jeter au public une œuvre lyrique et un pamphlet, apportait un drame. Marion De Lorme fut refusé par la censure, et le poète ne put obtenir ni du ministre, M. de Martignac, ni du roi Charles X, qu'il visita à ce sujet, le retrait de l'interdiction jetée sur une œuvre où l'on peignait un roi de France avec les couleurs peu flatteuses de la vérité. Faute de pouvoir produire cet ouvrage dramatique, Victor Hugo en donna un second: le 25 février 1830, Hernani fut représenté au Théâtre-Français. Nous reviendrons sur cette œuvre capitale; il faut rappeler ici l'effet prodigieux qu'elle produisit sur les contemporains. Hernani fut pour eux ce que fut le Cid pour la génération qui versa d'héroïques pleurs aux premiers vers tragiques de Corneille.

Entre la représentation d'Hernani et celle de Marion De Lorme, qui eut lieu après la chute des Bourbons, le 11 août 1831, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, Victor Hugo publia le grand roman de Notre-Dame de Paris et le poème des Feuilles d'automne. Le roman a gardé l'immortelle saveur de la poésie; le poème eut, dès le premier jour, la vogue d'une œuvre romanesque.

De 1832 à 1836, Victor Hugo produisit quatre drames: Le roi s'amuse, interdit par le pouvoir royal sous prétexte d'immoralité, et qui n'eut qu'une représentation, puis Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo, œuvres dramatiques écrites en prose; un nouveau pamphlet sous forme de récit, Claude Gueux; un quatrième recueil de vers, les Chants du Crépuscule; un volume de critique sous le titre de Littérature et Philosophie mêlées; un opéra tiré de Notre-Dame de Paris, la Esméralda. De l'été de 1837 au printemps de 1840, il donna un drame, Ruy-Blas, et deux recueils de poésies lyriques, les Voix Intérieures, les Rayons et les Ombres. Le 2 juin 1841, il prononçait son discours de réception à l'Académie française. Il n'y entrait qu'après avoir échoué trois fois, et s'être vu préférer des littérateurs comme Cabaret-Dupaty, le comte Molé et Flourens.

L'année 1843 fut marquée par un grand échec littéraire de Victor Hugo, et par le premier de ces revers douloureux qui devaient affliger sa vie en le frappant successivement dans ses plus chères affections. La trilogie dramatique des Burgraves fut représentée au Théâtre-Français, et tomba devant l'indifférence d'un public à qui la curieuse banalité des intrigues et des imbroglios de Scribe suffisait. La chute de la pièce eut lieu au printemps. Le poète l'oubliait dans la joie d'un mariage récent entre sa fille Léopoldine et Charles Vacquerie, frère de l'éminent écrivain qui écrira Jean Baudry, les Funérailles de l'honneur, et Profils et Grimaces. Par une admirable matinée d'automne, les jeunes mariés montèrent en bateau à Villequier, sur la Seine. Quelle fatalité s'abattit sur ce couple heureux? On ne retrouva que deux cadavres.

Il y eut à ce moment de l'existence si vaillante de Hugo quelques heures découragées. Le poète laissa échapper plus d'une parole d'amertume; il eut même l'idée d'abandonner son labeur d'écrivain. Afin d'échapper à l'égoïste contemplation de ses douleurs intimes, il jugea opportun de se mêler à la vie politique, dont jusqu'alors il n'avait été que le spectateur passionnément attentif, et généreusement ému.

On aurait pu d'avance déterminer sa ligne de conduite. Il avait manifesté ses opinions dès l'année 1835 en rédigeant le programme du journal la Presse, que fondait Emile de Girardin. Il voyait dans la monarchie constitutionnelle et élue par le peuple une sorte de régime transitoire entre la monarchie absolue qui avait fait son temps, et la souveraineté du peuple, pour laquelle les temps n'étaient pas encore venus. Il croyait à la mission sociale du poète: il assimilait l'inspiration poétique à une sorte de conscience supérieure, d'instinct infaillible, dont la voix devait avertir les faibles de leurs droits, les forts de leurs devoirs. A ses yeux, le poète avait un rôle auguste à remplir, et comme un sacerdoce à exercer. Il devait prêcher la justice et faire appel à la clémence. C'est ainsi que, le 12 juillet 1839, à minuit, la veille même de l'exécution de Barbès, Victor Hugo s'introduisait aux Tuileries et faisait remettre au roi Louis-Philippe sa première demande de grâce, à laquelle tant d'autres devaient succéder:

1.Le mot, attribué à Chateaubriand, est probablement d'Alexandre Soumet.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
170 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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