Читать книгу: «Voyages loin de ma chambre t.2»
ÉTÉ 1887
TRÉSORS ARCHÉOLOGIQUES
Amboise, Blois, Chaumont,
Chambord,
Azay-le-Rideau, Chenonceaux
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Autres Châteaux historiques,
L’Abbaye de Marmoutiers, Savonnière,
Les Jardins Mame,
Le Parc de Beaujardin, La Colonie de Mettray,
Coup d’œil sur la ville de Tours
A mon fils Henri.
L’été est venu, le soleil visite la terre, et pendant que tes pas nonchalants tracent un sillon doré sur le sable des plages, pendant que ta rêverie plane sur la vague éternelle et que ta pensée s’égare dans l’infini, je parcours le Paradis terrestre de la Touraine, pour me servir de l’expression d’un Tourangeau1, et je répète avec nos pères: La France est un beau royaume.
Je t’envoie quelques descriptions doublées de mes impressions. Tu les liras à l’ombre d’une roche sauvage, tapissée de varech, fleurie de perce-pierre.
Ces souvenirs, écho d’un passé plein des agitations de la vie et des œuvres humaines viendront te chercher dans la suave solitude des grèves, au milieu des beautés grandioses de la nature en face de ces immenses plaines azurées qui se nomment la mer et le ciel.
AMBOISE
Amboise, dont les armes sont: Paillé d’or et de gueules de six pièces, s’élève aux bords de la Loire. La situation de cette petite ville est charmante. Le regard suit avec délice le fleuve puissant qui chemine sous le beau ciel de la Touraine, à travers des coteaux boisés, des plaines verdoyantes, des rives fleuries. Son histoire liée à celle de toute la province, dont elle était autrefois la capitale, offre de l’intérêt. Le château a grand air de loin et de près.
Cent ans avant Jésus-Christ, César avait déjà un fort bâti sur la montagne, dans l’emplacement même où se trouve le château. Les empereurs Dioclétien, Constantin, Gratien, le possédèrent tour à tour. Il passa ensuite en bien des mains, soutint des sièges, fut pris et repris, et tout cela ne favorisait guère le développement de la ville, mais alors on passait la vie… à se battre.
Le fort n’existe plus depuis des siècles, mais un quartier de la ville actuelle porte encore le nom de vieille Rome, et la domination romaine a laissé là un souvenir fort curieux, et qui fixe l’attention des touristes. Il s’agit de vastes souterrains ouverts dans le roc de la montagne, sous le château. On appelle ces souterrains creusés de main d’hommes, et bien cimentés, greniers de César. Ils ont chacun quatre étages. Au milieu se trouve un escalier en pierre, de cent vingt marches, communiquant à chaque étage.
Ce n’est guère que sous Charles VII, Louis XI et Charles VIII, que la ville d’Amboise parvint au point où nous la retrouvons aujourd’hui. Mal percée, mal bâtie, son petit cachet vieillot n’est pas déplaisant; au contraire, il contraste avec le mouvement qui l’anime. La Loire favorise son commerce et son activité.
Le château la domine de sa majestueuse grandeur. Quels larges remparts et quelles grosses tours! Elles sont là deux jumelles, l’une au nord, l’autre au midi, ayant trente mètres de haut et cinq mètres de diamètre. Le plus curieux, c’est qu’elles ont à l’intérieur une route carrossable. On pouvait autrefois arriver en voiture jusqu’au faîte, qui se trouve au niveau de la cour intérieure, d’où la vue est splendide. J’admire le grand balcon en fer forgé. Un cruel souvenir s’y rattache cependant. Au dire de notre cicérone, c’est à ce grand balcon, que furent pendus les pauvres Huguenots, qui avaient conspiré contre Henri II et la terrible Catherine de Médicis.
Involontairement, je me suis baissée, en passant à la petite porte où Charles VIII, se rendant en courant au Jeu de Paume, se frappa si durement le front qu’il en mourut quelques heures après, bien jeune, à vingt-huit ans.
Nous avons admiré la chapelle ogivale, dédiée à Saint Hubert, et regardée comme un véritable bijou d’architecture gothique.
C’est principalement à partir du XVe siècle que la ville d’Amboise s’agrandit et que le château devient le témoin d’évènements qui forment quelques pages intéressantes de l’histoire de France.
En 1469, Louis XI y institua l’Ordre de Saint Michel.
Charles VIII y naquit en 1470.
Saint Vincent de Paul, quittant la Calabre, mandé par Louis XI, séjourna au château d’Amboise.
Louis XII vint rarement à Amboise, c’est cependant lui qui fit forger le grand balcon, dont je viens de parler.
François Ier passa une grande partie de sa jeunesse au château d’Amboise, avec sa mère; mais devenu roi, il trouva cette demeure trop petite. Ce fut dans ce château que, célébrant en 1515, la première année de son règne, les noces de Renée de Montpensier avec le duc de Lorraine, il perça de son épée un sanglier furieux, qui, s’échappant de la cour royale, où on l’avait enfermé, s’était élancé dans un escalier qu’il avait gravi jusqu’aux appartements de la reine.
Trois ans plus tard, en 1519, mourait à Amboise, où ses cendres reposent, Léonard de Vinci, le grand artiste, tout à la fois peintre, poète, écrivain et architecte, que François Ier, par sa munificence et son goût éclairé pour les arts, retenait près de lui.
Au mois de décembre 1539, François Ier arrivant de Loches avec Charles-Quint montait au château par l’escalier de la grosse tour, lorsque le feu prit aux tapisseries qui décoraient les rampes; les deux monarques faillirent être brûlés.
Henri II fit son entrée solennelle à Amboise, le 16 avril 1554; François II et Marie Stuart y arrivèrent le 29 novembre 1559.
A la fin de 1562, Charles IX fit paraître à Amboise un édit de pacification entre les catholiques et les protestants.
Henri III y fonda un collège en 1574.
La Fontaine dit en parlant du château d’Amboise: «Il fut un temps où on le faisait servir de berceau à nos rois, et véritablement, c’était un berceau d’une matière assez solide et qui n’était pas pour se renverser facilement.»
Non, ce berceau n’était pas pour se renverser facilement, car il était aussi l’une des quatre places fortes: Amboise, Tours, Loches et Chinon, que possédait encore le pauvre roi de Bourges, Charles VII, avant que l’Envoyée des Cieux ne fût venue relever la couronne de France et raffermir le trône.
Cependant, dès la fin du XVe siècle, la Cour ne vint plus séjourner à Amboise. Les rois de France préférèrent habiter leur capitale et les châteaux voisins, tels que Fontainebleau, Versailles, Compiègne et autres demeures royales plus rapprochées de Paris.
On ne l’a pas oublié, c’est dans le château d’Amboise qu’Abd-el-Kader, prisonnier de guerre, fut détenu avec toute sa famille pendant cinq ans, depuis 1847, jusqu’en octobre 1852, date de sa mise en liberté.
LE CHATEAU DE BLOIS
Ce beau château qui fut le séjour favori des Valois est rempli de souvenirs, au point de vue de l’art et de l’histoire. Comme l’a écrit M. de la Saussaye: si le style c’est l’homme, ne peut-on pas dire aussi que l’art c’est l’époque, car dans les monuments qu’il nous a laissés, on retrouve comme un reflet de l’esprit et du caractère des mœurs et des habitudes du temps.
Le château de Blois, composé d’édifices de différents styles, se partage en quatre parties distinctes.
La première remonte à la plus haute antiquité: ce fut d’abord une forteresse, à laquelle se rattache, pendant plusieurs siècles, l’histoire des comtes de Blois, issus de Hugues Capet.
Cette première partie renferme la Grande Salle des Etats, ou Halle des Comtes de Blois. Cette salle, destinée aux assemblées populaires ou seigneuriales, était alors une partie aussi intégrante d’un édifice du moyen-âge, que la tour du donjon dans un château féodal.
Au temps de la bataille d’Azincourt (XVe siècle) le château de Blois était une place formidable. La chapelle et le corps de bâtiments dans lequel s’ouvre la porte principale ont été construits par Louis XII, dans le style architectural qui précède la Renaissance. La façade du nord est due à François Ier, qui avait la manie de la truelle. La façade ouest, à Gaston d’Orléans, d’après les plans de Mansard. Cette partie serait superbe et digne du célèbre architecte, si elle ne se trouvait pas si voisine des chefs-d’œuvre de Louis XII et de François Ier. Bref, tout ce qui reste de ces immenses constructions est magnifique. Ah! quelle brillante époque que celle de la Renaissance, avec toutes ses richesses d’ornementations, avec cette profusion de détails exquis qui la caractérise. Tout est orné, brodé, enjolivé, jusqu’aux tuyaux de cheminées. C’est un amas de gigantesques gargouilles en pierres, de pilastres cannelés, d’arcades ogivales, de colonnettes élancées, de délicieuses arabesques. L’art s’est montré prodigue. Voici le porc-épic de Louis XII et la salamandre de François Ier. Ce n’est pas non plus sans un petit frémissement de satisfaction, que j’ai retrouvé les armes d’Anne de Bretagne, tantôt encadrées de la Cordelière, tantôt soutenues par des anges. On sait combien ce sujet a été poétiquement traité par les sculpteurs du moyen-âge, que l’on appelait alors avec raison Les maîstres de pierres vives.
Malheureusement, les pierres vives du château de Blois, ont encore plus souffert de l’injure des hommes que de celle du temps.
C’est la façade nord qui m’a le plus séduite. Ce fut celle-là aussi qui convint davantage au bon La Fontaine, lorsqu’il visita Blois, en 1663. «Ce qu’a fait faire François Ier, dit-il, à le regarder au dehors, me contenta plus que tout le reste; il y a force petites galeries, petites fenêtres, petits balcons, petits ornements sans régularité et sans ordre, et c’est justement cela, qui fait quelque chose de grand, qui plaît.»
La Fontaine avait raison, sauf qu’il a un peu trop prodigué l’adjectif petit.
«L’ensemble de cette partie est pleine d’élégance et de majesté. Ici, comme à Chambord, c’est le grand escalier à jour, magnifique de pensée et d’exécution, qui est la pièce capitale.
«Et l’esprit, soudain se représente cet admirable escalier, revêtu de tout le luxe de sa décoration primitive; il revoit ses balcons avec leurs balustres, les salamandres et les F couronnées, dans les caissons des rampes; les sculptures des niches et des entablements, les chiffres gigantesques de François Ier et de Claude de France, les hermines et les fleurs de lys sans nombre, et les arabesques qui étreignaient les contreforts comme les rameaux entrelacés d’un lierre. Puis, il croit voir passer le roi François Ier montant les degrés, entouré de sa cour brillante; les femmes aux chaperons de velours étincelants de pierreries, aux étroits corsages et aux robes traînantes; les hommes à la toque ornée d’une longue plume, au justaucorps noir, à crevés couleur de feu, au manteau court et à la large dague: ou bien encore, le roi Henri III, descendant de ses appartements à la nuit, suivi de ses pages et de ses mignons, entouré de ses quarante-cinq, et allant aux flambeaux, entendre à Saint-Sauveur, la messe de Noël…»
Ce magnifique escalier conduit aux appartements du premier étage, occupés jadis par Catherine de Médicis. Voilà son oratoire, sa chambre à coucher où elle mourut en 1589, son cabinet de toilette, son cabinet de travail, dont les ravissantes boiseries sculptées ne comptent pas moins de deux cent quarante-huit sujets d’ornementation, tous différents les uns des autres, nous dit notre guide. Toutes ces pièces sont complètement vides, il ne reste que quelques peintures murales, des boiseries et de magnifiques cheminées sculptées. De ce cabinet de travail si élégant, on passe dans la tour du moulin ou des oubliettes et l’on entre dans une affreuse prison fermée de portes de fer, un noir cachot qui se trouve ainsi de plain-pied avec les appartements royaux. Ce sont ces mêmes appartements qu’habita Marie de Médicis, lorsqu’elle était sinon prisonnière, du moins exilée au château de Blois. C’est de là, qu’elle s’échappa, en descendant de la fenêtre de l’oratoire, par une échelle de corde et avec l’aide du duc d’Epernon. Au second étage se trouvent les appartements de Henri III, distribués exactement comme ceux de sa mère. Nous avons gravi le petit escalier de pierre, enfoui dans la muraille, par lequel il descendit chez elle après le meurtre du duc de Guise.
Voilà le cabinet de travail du roi, où il se tint pendant la sanglante tragédie. Voilà son cabinet de toilette, où deux moines en prière demandaient à Dieu «le succès d’une expédition entreprise pour le repos du royaume.» Voici le couloir, sorte d’arrière-cabinet, avec sa porte biaise, près de laquelle Guise reçut les premiers coups. Voici enfin la chambre à coucher du roi, dans laquelle Guise vint mourir!
Comme tous les vieux châteaux, le château de Blois, qui aurait si bien pu se contenter de l’Histoire, a ses légendes, des légendes terribles, bien entendu. On parla longtemps avec mystère des oubliettes, au pied desquelles, dans un souterrain, gisaient les ossements des victimes. Des travaux entrepris par le génie militaire ont permis d’examiner ces lieux, jadis inaccessibles. Ce souterrain étroit et profond renfermait effectivement quantité d’ossements, mais ils avaient tous appartenu à des animaux domestiques, et il y a lieu de penser que c’était là qu’on jetait les débris des cuisines situées suivant l’usage dans les dessous du château.
La chapelle, d’un style élégant, fut construite par Louis XII, sur l’emplacement d’une autre chapelle très ancienne, dont il était déjà question au IXe siècle.
Les fins détails d’architecture sont bien conservés, mais il ne reste plus rien de la tribune en bois sculpté, d’un travail précieux, dans laquelle le roi assistait à l’office divin; disparus aussi, les beaux tableaux donnés par Louis XII et ses successeurs, parmi lesquels on remarquait une vierge du Pérugin. Je me suis accoudée au balcon de la chambre à coucher de Louis XII. C’était de ce balcon qu’il se plaisait à causer avec son premier ministre et ami le cardinal d’Amboise, qui se plaçait à la fenêtre d’une petite construction en bois, élevée au-dessus de la porte d’un hôtel que l’on voit tout proche du château.
Beaucoup d’évènements importants se sont déroulés au château de Blois. Bien des questions militaires et politiques s’y sont agitées. Nombre de pages de l’Histoire de France sont là inscrites sur ses pierres. En remontant la chaîne des âges, le touriste ému, pénétré de son sujet, revient par la pensée, vers un passé de plusieurs siècles, et le reconstitue tout entier. En précisant ses souvenirs, il évoque les grands personnages qui habitèrent le château de Blois, il les voit, il les écoute, il revit avec eux les jours évanouis et il retrouve comme en un rêve superbe, les grandes figures de Louis XII, Anne de Bretagne, Charles IX, Catherine de Médicis, Henri III, Marguerite de Valois, la Marguerite des marguerites, Jeanne d’Arc, Dunois, le premier homme de guerre de son époque, les Guises, François Ier, qui n’habita guère le château de Blois qu’au commencement de son règne, pendant qu’il faisait construire la partie qui porte son nom. Chambord ensuite fit tort à Blois.
Il voit encore défiler Charles-Quint qui séjourna quelques jours à Blois en allant à Chambord, Jeanne d’Albret, Isabelle de France, Marie Stuart, Coligny, Mademoiselle de Montpensier, la grande Mademoiselle, Charles II, le prétendant à la couronne d’Angleterre, Louis XIV, qui s’y arrêta quelques jours en se rendant à Saint-Jean-de-Luz, pour épouser l’infante d’Espagne. C’est là qu’il vit pour la première fois Mademoiselle de La Vallière.
Voilà la chambre où Valentine de Milan (dont l’histoire a enregistré la tendresse conjugale) vint avec ses enfants, pleurer son époux, assassiné en 1407. C’est là, dans ce vieux château de Blois, qu’elle prit pour emblème, une chantepleure (arrosoir), entre deux S, initiales de soupir et de soucy, avec la mélancolique devise restée célèbre: «Plus ne m’est rien, rien ne m’est plus» que l’on voyait répétée sur toutes les tentures noires qui garnissaient sa chambre. C’est en vain qu’elle demanda justice. Elle ne put survivre à sa douleur et au triomphe de son ennemi, et mourut à Blois, à l’âge de trente-huit ans, après avoir donné l’exemple de la plus chaste vertu, au milieu de la cour licencieuse d’Isabeau de Bavière. «Le quatrième jour de décembre, dit Juvénal des Ursins, mourut de courroux et de deuil, la duchesse d’Orléans.»
C’est encore dans l’enceinte fortifiée du château de Blois que Jeanne d’Arc (avril 1429), fit son entrée aux acclamations de la multitude. Elle y séjourna plusieurs jours, en attendant les renforts promis par le roi. Pendant ce temps là, Jeanne priait et écoutait ses voix, sainte Catherine et sainte Marguerite qui lui dirent: «Prends l’étendard de par le Roi du Ciel et fait quérir l’épée de Charles-Martel.»
C’est donc à Blois et non à Poitiers comme l’ont prétendu quelques écrivains, que Jeanne fit faire l’étendard qui devait la conduire au triomphe.
Quant à l’épée, voici son histoire.
On croit que l’église primitive de la paroisse Sainte-Catherine, dans l’arrondissement de Chinon, fut fondée par Charles Martel, en 732, après la bataille gagnée sur Abdérame et à l’endroit où l’on avait cessé de poursuivre les Sarrazins. Il y déposa l’épée dont il s’était servi durant le combat, et ce fut cette même épée que Jeanne d’Arc envoya chercher (1429) comme un signe de victoire.
La cœur s’émeut au souvenir de ces preux héroïques, de ces fiers chevaliers qui, conduits par Jeanne, guerroyaient pour le roi et sauvaient la patrie!..
C’est encore au château de Blois, dans l’un de ces appartements majestueux, que Charles d’Orléans, le prince le plus accompli de son temps, charmé des beautés de la nature, en un jour de printemps, écrivit ce charmant rondel, qui le place en tête des poètes du XVe siècle:
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de broderye,
De soleil raiant2 cler et beau.
Il n’y a beste, ne oiseau
Qui en son jargon ne chante ou crye:
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent, d’orfèvrerie;
Chacun s’abille de nouveau,
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
En 1462, le 27 juin, Louis XII, fils de Charles d’Orléans et de Marie de Clèves, naquit au château de Blois. Louis XI fut son parrain et lui donna son nom. «Il eut à cette occasion de grandes chères à merveille, dit saint Gelais, trop longues à mettre par escrit.» Ce qui nous prive encore une fois de tous ces détails intimes de la vie au moyen-âge, dont nous sommes si friands aujourd’hui. C’est au château de Blois que le filleul de Louis XI apprit, dans la nuit du 7 avril 1498, l’évènement qui le faisait roi, c’est-à-dire la mort imprévue de Charles VIII au château d’Amboise. C’est aussi dans ce même château que Louis XII, parlant à la Trémoïlle, prononça ces paroles mémorables: «Ce n’est pas au Roi de France, à venger les injures du duc d’Orléans.»
Le célèbre Machiavel fit deux séjours au château de Blois, en 1501 et en 1510, pour prendre part à des conférences diplomatiques, comme ambassadeur de la république florentine, alliée de Louis XII.
C’est au château de Blois, que naquit le 25 octobre 1510, la seconde fille de Louis XII et de Anne de Bretagne. Elle reçut le nom de Renée, qu’elle devait illustrer un jour, dit Dom Lobineau, par son savoir et par la protection qu’elle accorda aux lettres.
C’est encore ici que Jeanne d’Albret entourée d’une brillante escorte, vint préparer le mariage de son fils avec Marguerite de Valois.
Sans les chroniqueurs du temps, il serait impossible de se faire une idée du somptueux intérieur des châteaux royaux et princiers du moyen-âge; des plaisirs variés: tournois, comédies, musique, bals et festins qu’on y donnait, avec «grande ordonnance» et grand souci du cérémonial et du décorum qui régnait déjà parmi les dames et les demoiselles d’honneur, les pages, les chevaliers. On le voit, de tous temps, M. Protocole et Mme Etiquette ont fait des leurs.
Le château de Blois eut donc ses jours de fêtes et ses jours de deuil. Joies et douleurs, sourires et larmes, n’est-ce pas la vie?
Anne de Bretagne mourut au château de Blois le 9 janvier 1514. «Louis XII, dit Seyssel, qui l’avait si tant aimée, qu’il avait déposé en elle tous ses plaisirs et toutes ses délices, la pleura amèrement. Il voulut porter le deuil en noir, contre l’usage, et resta trois jours enfermé dans son cabinet, sans vouloir voir personne. Il serait difficile aussi de peindre le chagrin de ses dames d’honneur et de ses chevaliers bretons; car c’est à tort qu’on a attribué à François Ier l’introduction des dames d’honneur à la cour, c’est à la reine de France, Anne de Bretagne, qu’on doit cette institution.
La reine Anne habita souvent le château de Blois après son second mariage, avec Louis XII, qui avait une prédilection marquée pour ce château.
La cour de la reine Anne, dit Brantôme, était une fort belle école pour les dames et les demoiselles qui, pouvant se façonner sur le modèle de la reine, restaient sages et vertueuses.
Anne est la première reine de France qui ait eu ses gardes particuliers; usant de ses prérogatives de duchesse de Bretagne, elle avait en plus des gentilhommes ordinaires de la cour, cent chevaliers, tous bretons, qui l’accompagnaient aux offices et dans ses promenades. Si ses chevaliers appartenaient aux premières familles de la Bretagne, ses dames et demoiselles d’honneur portaient les plus beaux noms de France: Charlotte d’Aragon, Anne de Bourbon, Catherine et Germaine de Foix, Blanche de Montgazon, Jeanne de Rohan-Guémenée, Catherine de Barres, Louise de Bourdeille, tante de Brantôme, et bien d’autres. Ces dames se réunissaient autour de la reine pour travailler ensemble à des ornements d’église. On garde à Blois le souvenir d’une chape, ruisselante de perles et d’or, destinée au Pape. Les bonnes mœurs, l’esprit et la grâce, qui régnaient alors à la cour de France, étaient en grande réputation dans toute l’Europe.
Mais je m’oublie, il en est toujours ainsi quand je parle de notre bonne duchesse, quand je me rappelle sa vie si courte par les années, si longue par ses œuvres et ses bienfaits.
Ce fut aussi au château de Blois, que la princesse Claude de France, sa fille, trépassa à vingt-cinq ans, le 20 juillet 1524. «Fatale année pour la France, dit un historien, car elle perdit le duché de Milan, deux armées et sa reine.»
C’est dans le château de Blois, que l’on réunit les sommes nécessaires à la rançon de celui qui pouvait écrire après la défaite de Pavie: «Tout est perdu fors l’honneur.»
François Ier préférait à Blois, Chambord; et plus tard à Chambord, Fontainebleau, qui devint sa demeure favorite, ce qui lui faisait dire quand il y allait: Je m’en vais chez moi. C’est François Ier qui fit transporter au château de Fontainebleau la belle bibliothèque du château de Blois, formée par Louis XII. Elle se composait alors d’environ mille neuf cent volumes, dont cent neuf seulement étaient imprimés. Au dire des savants, cette bibliothèque, l’orgueil de la France, faisait l’admiration de l’Europe.
Parmi tant de manuscrits précieux, on remarquait au premier rang les heures d’Anne de Bretagne, qui sont encore aujourd’hui l’un des plus riches trésors de la bibliothèque nationale.
Toutes les marges de ce précieux volume sont ornées d’une fleur, d’une plante peinte d’après nature, avec son nom en latin et en français. On en compte trois cents, exécutées avec une telle perfection, qu’on ne ferait pas mieux à présent, et que cet ouvrage est regardé comme le type le plus parfait de l’art à cette époque.
C’est à Blois, à la fin de l’année 1565, que Charles IX trama avec une patience et une dissimulation extraordinaires, l’odieuse, l’abominable St-Barthelémy.
Blois, qui fut le premier témoin de la popularité et de la domination des Guises, devait devenir plus tard le témoin de leur ruine, et leur tombeau.
Henri III, malgré cette noblesse de parole et cette bienveillance de langage, qui lui étaient habituelles, sentait grandir chaque jour son excitation contre les Guises. Son cœur était plein, il allait déborder.
Le château traverse alors une ère d’horreurs et de crimes. La reine Catherine, très ébranlée par tous ces évènements, ne tarda pas elle-même à mourir. Je viens de voir la chambre où elle rendit le dernier soupir.
A l’avènement de la Maison de Bourbon, l’importance historique du château de Blois commence à décroître. En 1635, Gaston d’Orléans lui rend quelque prestige; retiré à son château de Blois, il le restaure, il entreprend même une reconstruction générale. Ses jardins, où il entretient des collections de plantes les plus rares, sont comparés aux célèbres vergers d’Alcinoüs, et les terrasses, aux jardins suspendus de Babylone.
Le duc d’Orléans ne recherche pas la gloire ardente des conquérants: ses plaisirs sont plus doux, et il cultive toutes les plantes utiles à la santé et les fait distribuer aux pauvres de Blois.
«Que l’on cesse désormais d’admirer les parterres de Pestum, où la rose fleurit deux fois l’année, et les pommes des Hespérides, confiées à la garde du Dragon toujours éveillé! S’il était permis de comparer quelque chose aux champs de l’Eden, ce serait Blois, le merveilleux ouvrage de Gaston. Dans l’étroit espace d’un jardin, il a rassemblé et fait croître toutes les plantes que la terre féconde nourrit dans son sein, les plus humbles comme les plus superbes. Le fils de Bersabée avait appris à connaître tous les végétaux, depuis l’herbe des gazons jusqu’au cèdre du Liban; Gaston les cultiva tous et sut leur assigner le terrain propre à chacun d’eux, plaçant sur un sol aride les plantes des montagnes, et confiant à une terre humide, celles des vallées, afin que toutes se montrassent parées de leurs ornements naturels, et que l’étude en fût rendue plus facile.»
Voilà pour l’extérieur. L’intérieur s’enrichit d’un riche médailler, d’estampes et de pierres gravées, de collections d’oiseaux et d’insectes. «Gaston d’Orléans n’était étranger, selon l’expression du temps, à aucun genre de curiosité.»
Une remarque très particulière, c’est que les trois collections artistiques les plus précieuses, possédées par la France: la Bibliothèque des manuscrits, le Cabinet des médailles et le Muséum d’Histoire naturelle doivent leur origine ou leur accroissement aux richesses accumulées dans le château de Blois.
Pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, le château de Blois fut confié à des gouverneurs qui ne daignèrent même pas l’habiter.
La Révolution le mutila horriblement pour en faire une caserne.
Plus tard, avec cet esprit qui détruit les choses sous prétexte de les utiliser, on songea à y installer la Préfecture. Il fut question de jeter bas les masures de Louis XII pour y substituer une belle grille de fer.
Une Commission réclama en vain les jardins du Roi pour y établir un jardin botanique, ils furent vendus en détail. L’Administration civile et militaire semblait ne pas comprendre la valeur de ces chefs-d’œuvre, et se complaire à leur destruction.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il en est ainsi fort heureusement des générations et des goûts.
En 1841, la Comission des monuments historiques vint enfin classer et sauver le château de Blois des mains, quelque peu vandales, qui le mutilaient depuis trop d’années.
C’est avec soin maintenant que l’on entretient cet admirable château, ce superbe diamant, parmi les joyaux du beau royaume de France.
A chaque instant, je consultais l’excellent ouvrage de M. de la Saussaye, sur le château de Blois.
Rien n’est plus saisissant que de lire les grandes pages de l’histoire, sur le lieu même où elles se déroulèrent. C’est ce que je faisais de temps en temps, à la grande contrariété du guide, qui voulait tout expliquer à sa manière.
Nous avons visité le Musée, au premier étage de l’aile de Louis XII. Les tableaux offrent sans doute de l’intérêt, mais tout l’ensemble m’a paru trop moderne.
Une dernière salle attend les touristes; elle est remplie de photographies plus ou moins réussies, de bibelots plus ou moins artistiques, représentant sur papier, sur bois, sur porcelaine, le château sous tous ses aspects.
Notre guide en jupon, c’est une justice à lui rendre, ne s’est pas montrée plus aimable comme marchande que comme cicérone; et je l’avoue tout bas, cette dernière salle m’a fait complètement descendre des hauteurs de l’histoire, pour rentrer dans les mesquines réalités de la vie.
La vieille ville de Blois a beaucoup de cachet; elle fut entièrement dévalisée par les Prussiens en 1870.
C’est égal, l’ennemi qui sut lui voler tant de choses, n’a pu lui enlever son grand air d’autrefois.
Les vieux hôtels habités jadis par les seigneurs de la Cour intéressent par leur architecture et les souvenirs qu’ils rappellent. Je citerai les hôtels d’Amboise, d’Epernon, de Cheverny ou petit Louvre, de Guise, d’Alluye, de la Chancellerie et… il y en a d’autres.
J’ai encore vu avec intérêt la belle vieille fontaine Louis XII, la Halle au blé, style moyen-âge.
Le plus bel édifice moderne de Blois, est l’évêché. Les jardins s’étendent en terrasses régulières, et de la plus élevée, le panorama est délicieux.
C’est aussi à Blois que se trouve l’église Saint-Nicolas, la plus belle de tout le département, après celle de Vendôme.
Blois a de jolies promenades. Quelle ville, d’ailleurs, n’a pas son Mail! La promenade des Allées est une belle arrivée sous bois, elle a plus d’une demi-lieue et aboutit à une forêt. De la butte des Capucins, chantée par Victor Hugo, la vue n’a d’autres bornes que la limite d’un horizon sans fin. Les trois forêts qui entourent Blois étaient extrêmement considérables au moyen-âge. Depuis trois siècles, elles ont la même étendue, et comprennent environ dix mille hectares, rapportant annuellement un million.
En 1814, l’Impératrice Marie-Louise se retira à Blois; c’est de là que sont datés ses derniers actes.
Autour de Blois sont encore de bien beaux châteaux. J’ai visité Chaumont et Chambord, le roi des châteaux.
Les autres, hélas, je ne les ai vus… que dans mon guide qui signale particulièrement Cheverny, dont l’architecture extérieure et le mobilier intérieur, sont dignes l’un de l’autre; le château de Beauregard, monument historique fort remarquable et les imposantes ruines du château de Bury.